un beau dîner d’été vendredi, 12 août 2011

Dîner chez ma fille dans leur maison louée à portée de fusil de la notre. Le Champagne Henriot magnum 1996 confirme une fois de plus qu’il est « la » définition du champagne classique, tel qu’on l’attend et tel qu’on l’aime. Il est sans histoire, dans la ligne de ce que l’on aime. Son caractère rassurant me plait énormément.

Le Champagne Pol Roger Cuvée Winston Churchill 1996 est résolument différent. Il est plus fruité, tout en étant aérien, plus complexe. C’est un régal fruité. Mais il ne fait pas ombrage au Henriot à la solide charpente. Alors que le Henriot cohabitait bien avec de la boutargue, il eût fallu du foie gras pour le Pol Roger, pour que la douceur du gras mette en valeur la complexité aérienne de l’élégant champagne.

Nous passons à table et c’est mon gendre qui a réalisé le menu : émulsion de céleri et bouillon de céleri / grenadin de veau à basse température au céleri / selle d’agneau aux petits pois en crème et en grain / butternut en dés au coulis de figues et de pêches.

Le Champagne Bollinger Grande Année 1990 est idéal pour le céleri. C’est un beau champagne puissant, équilibré et structuré. Il est solide, mais porte moins d’émotion que le Pol Roger. C’est au demeurant un beau 1990.

Le Château Laville Haut-Brion 1982 est d’un jaune d’une belle jeunesse, entre or et citron. Son parfum est d’une complexité extrême. En bouche, quel plaisir. C’est un vin riche, structuré, puissant, plein. Il est aimablement citronné et sa complexité en fait un vin passionnant. J’aime énormément ce vin qui résonne remarquablement avec le grenadin de veau rose à souhait. En faisant le lendemain les photos des vins, j’ai constaté que l’étiquette porte la mention « crème de tête », mention qui a déjà été utilisée pour des millésimes comme 1945, mais dont je ne connais pas la signification, car elle est généralement réservée aux liquoreux.

Mon gendre avait prévu un Chateauneuf-du-Pape Domaine de Mont-Redon 1978 mais il nous annonce que le vin ne lui plait pas, aussi a-t-il ouvert un Chateauneuf-du-Pape Château de Beaucastel Hommage à Jacques Perrin 2001. C’est un beau vin, riche mais un peu strict. Il est fruité et puissant, mais un peu doctrinal. A côté de lui, la Côte Rôtie La Mouline Guigal 1986 est beaucoup plus ronde, joyeuse, chaleureuse, au fruit encore plus marqué. Et nous allons différer, car mon gendre préfère le Beaucastel alors que je préfère le Guigal, même si, comme mon gendre, je trouve qu’il y a de meilleures Mouline.

Par curiosité, je goûte un peu du Mont-Redon et même s’il n’est pas parfait, je le trouve buvable et méritant pour le moins l’essai d’un demi-verre.

Le dessert a été conçu pour le Champagne Dom Ruinart rosé 1988. La robe est belle ainsi que le flacon. Le nez est expressif et intense, la bulle est fine et active. Dès que l’on boit ce champagne, le mot qui s’impose, c’est : »respect ». Car c’est un rosé glorieux, au firmament de la qualité des champagnes rosés. Il a tout pour lui, dont une aptitude gastronomique surdéveloppée. Il aurait été parfait sur le grenadin de veau, par un accord couleur sur couleur. Ce champagne glorieux donne du plaisir à boire tant il est riche, au message extrêmement lisible, message de bonheur.

En plus du Pol Roger, j’avais apporté un Champagne Perrier-Jouët rosé 1969 dont j’espérais autant que le sublime 1966 bu récemment au même endroit. Hélas, ce champagne ne me plait pas, car il manque de souffle et de vivacité. Mon gendre l’a aimé, car il adore les vieux champagnes, mais je ne l’ai pas aimé, vexé qu’il ne soit que l’ombre du 1966 éblouissant.

Le vote que j’ai annoncé ne diffère de celui de mon gendre que par l’interversion des deux vins rouges. Il est : 1 : Champagne Dom Ruinart rosé 1988, 2 – Château Laville Haut-Brion 1982, 3 – Champagne Pol Roger Cuvée Winston Churchill 1996, 4 – Côte Rôtie La Mouline Guigal 1986.

Par une des plus belles journées de cet été, nous avons goûté quelques vins passionnants.

déjeuner – photos dimanche, 7 août 2011

Gevrey Chambertin Clos Saint-Jacques Domaine Armand Rousseau 2001

Domaine de Terrebrune Bandol 1987

la couleur de la cuisson basse température

Grosse surprise quand j’ai découvert que le Salon 1983 sans étiquette était en fait un 1982, l’un des plus grands qui soient.

Deux hasards en cave ajoutent du piment dimanche, 7 août 2011

Deux hasards en cave ajoutent du piment. Nous devons recevoir des amis, et je sais qu’il s’agit d’amateurs de vins, surtout des grands classiques traditionnels, mais qui aiment aussi se faire surprendre. Ma cave dans le sud, comme à Paris, n’est pas à mon domicile. Elle est dans un hangar où j’espère que nul malfrat n’ira supposer qu’il y a du vin. Alors que ma cave du sud est microscopique par rapport à celle de Paris, je ne sais pas mieux ce que j’ai. Je remarque une caisse carton de champagne Salon noire, sale, avachie comme un béret, avec des noirceurs de moisissure. Dedans, une bouteille a encore son enveloppe de papier blanc intacte, et quand je l’ouvre pour repérer le millésime, je constate que sous l’emballage intact, l’étiquette de la bouteille a disparu, évaporée en poussière. Rien n’est plus lisible, aussi est-ce vers le carton que je cherche une information. L’étiquette du carton a perdu toute trace d’écriture, mais je vois « 83 » écrit distinctement. L’idée d’ouvrir un Salon 1983 me paraît excitante, car cette année jugée plutôt faible m’a souvent donné de belles surprises. Je poursuis mes recherches et je vois un Montrose 1978 qui me semble convenir au plat prévu par ma femme et un vin d’Armand Rousseau me fait de l’œil. Ma pioche est faite.

Le jour venu, je veux ouvrir les rouges quelques heures avant le déjeuner, avec l’angoisse qu’un temps orageux ne donne des vins lourds à boire. Avant d’ouvrir, je prends des photos. Dans le viseur de mon appareil, le 1978 du Montrose, lorsque je le rends plus lisible, me semble 1918. Il me paraît impossible que ce soit le cas. Je prends la bouteille en main et il apparaît sans doute possible que c’est un 1918. Par cette chaleur, je n’aimerais pas ouvrir un 1918, aussi mon choix se reporte sur un Terrebrune Bandol 1987 que j’ai à domicile. J’ouvre les deux bouteilles et le Terrebrune exhale un parfum exceptionnel alors que le Clos Saint-Jacques a encore le pied sur le frein aromatique.

Les amis arrivent, et le bouchon du Champagne Salon 1983 résiste de façon imprévue. Impossible de l’ouvrir. Nous essayons en usant de toutes nos forces, sans succès. Avec un ouvre-boite nous cisaillons le bouchon et avec mon tirebouchon, je lève le reste du bouchon avec une extrême difficulté. Le pschitt est faible mais la bulle est intense. La couleur du champagne est d’un or de blé d’été. Le nez de ce champagne est extraordinaire, et je suis heureux que ce champagne soit au dessus du souvenir que j’ai des 1983. C’est une bonne pioche, profitons-en. En bouche, ce champagne est magique. C’est la perfection du chardonnay, c’est d’une puissance à se damner, avec une rémanence en bouche inégalable. Nous l’essayons sur du Cicena de Léon, du Pata Negra, de la poutargue et des tempuras de fleurs de courgette, et à chaque fois il est parfait.

Nous passons à table et ma femme a prévu un grenadin de veau à basse température d’une tendreté érotique. Avec le reste du Salon 1983, c’est à se damner. Je sers d’abord le Gevrey-Chambertin Clos Saint-Jacques Domaine Armand Rousseau 2001 et ce qui est absolument subjuguant, c’est la précision et la cohérence de ce vin. On imagine que le travail sur les grains de raisin a été redoutable, car ce jus est d’une pureté infinie. Tout dans ce vin est cohérent et on n’imagine pas bourgogne plus séducteur et serein que celui-ci. Velouté, cohérent, structuré, délicieusement fruité, il a tout pour lui. A côté le Terrebrune Bandol 1987 est l’exacte définition des vins du sud, avec un parfum de garrigue, d’olive noire et de romarin. C’est lui qui s’associe le mieux avec la tapenade que ma femme a léchée d’un peu de réglisse. Mais évidemment, la race, la précision sont du côté du bourguignon.

Un repas sans camembert Jort, ça n’existe pas et les deux rouges chacun dans son registre, captent des saveurs singulières de cette pâte divine.

Nous nous rendons chez ma fille à quelques hectomètres de chez nous pour goûter la tarte aux mirabelles que mon gendre va accompagner d’un Champagne Henriot magnum 1996. Ce champagne absolument plaisant montre à quel point il y a un abîme entre un bon champagne et le Salon que nous avons bu.

De retour chez nous, nous rangeons les plats et les verres restés en place et ma femme me dit ; « n’oublie pas le bouchon du champagne ». Je le prends en main pour une éventuelle photographie, et je regarde. Wow ! C’est 1982 qui est inscrit sur le bouchon et je réalise que le « 83 » que j’avais lu, c’est – je le suppose – le département de livraison.

Tout devient plus clair. Nous avons bu un des Salon que je préfère, le plus romantique de tous, le Champagne Salon 1982, le plus mythique pour moi avec 1966, au dessus du légendaire 1959. Tout redevient cohérent. Nous avons bu l’un des plus grands Salon qui soit. Tant mieux ! Et savoir que j’ai dans ma cave du sud un Montrose 1918, tout est bien qui finit bien.

Part des Bordeaux dans les vins rouges que j’ai bus vendredi, 5 août 2011

Poussé sur ma lancée, j’ai regardé si dans les rouges, la part des Bordeaux diminue, notamment du fait des prix. Et ça donne :

2002 – 2006 : 46% Bordeaux, 28% Bourgogne, 11% Rhône, 15% autres.

2007 – 2011 : 38% Bordeaux, 35% Bourgogne, 15% Rhône, 11% autres.

C’est très net que Bourgogne et Rhône sont les grands gagnants en progression sur la période récente. Ils faisaient ensemble 7 points de moins que Bordeaux (39 contre 46) et ils font 12 points de plus (50 contre 38) !

Le goût peut jouer, mais l’aspect budgétaire a certainement fortement joué.

mon amour pour les champagnes et de plus en plus les vieux jeudi, 4 août 2011

Il est indéniable que de plus en plus pour moi, le vin de l’été, c’est le champagne. Et de plus en plus aussi, en magnum, car une bouteille se vide extrêmement vite.

J’ai eu la curiosité de regarder si mon amour croissant pour le champagne est une tendance de fond.

J’ai analysé mes statistiques et j’ai comparé deux périodes : de 2002 à 2006 et de 2007 à 2011 (fin juin).

Le compte est fait de bouteilles que j’ai bues, sans tenir compte de la quantité bue d’une bouteille, ni de leurs formats. C’est donc le nombre de flacons auxquels j’ai eu accès, dont j’ai bu une quantité variable.

Voilà ce que ça donne en % de vins bus :

2002 – 2006 : 49% de rouges, 24% de blancs, 14% de champagnes et 13% de liquoreux.

2007 – 20011 : 48% de rouges, 18% de blancs, 23% de champagnes et 11% de liquoreux.

La progression des champagnes est donc très importante, le pourcentage augmentant de 9 points au détriment des blancs -6 points, des liquoreux -2 points et des rouges -1point.

Deux explications possibles :

– l’âge, car la digestibilité des champagnes est supérieure à celle des blancs

– le phénomène prix, car en recherche d’excellence, les meilleurs champagnes, sauf exception, sont moins chers que les meilleurs blancs : rares sont les champagnes plus chers que les Corton Charlemagne de Coche Dury ou les Montrachet DRC (cet argument vaut moins pour les liquoreux).

Mais je crois que la raison majeure est la progression de mon amour des champagnes anciens. Ainsi, sur les 14% de champagnes (par rapport au total), il y en avait 3% d’avant 1984 et 11% d’après 1983.

Alors que sur les 23% de la période récente, il y a 8% d’avant 1989 et 15% d’après 1988.

Sur les 9 points de progrès des champagnes, 5 sont dus à des champagnes anciens.

Donc âge, prix des vins et surtout meilleure connaissance des champagnes anciens a fait progresser mon amour pour les champagnes.

de plusieurs vins, c’est le plus inattendu qui remporte la palme mercredi, 3 août 2011

Le dîner se tient chez ma fille, qui loue une somptueuse maison au bord de l’eau à une portée de fusil de notre maison. Après une esquisse de partie de pétanque, le Champagne Laurent Perrier Grand Siècle vers 1970 (fait de 1969, 1970, 1973) est subjuguant. C’est un champagne ancien au parfum redoutable, qui emmène dans des directions inconnues. Le mot « indéfinissable » lui convient parfaitement.

Sa bulle est insistante, et le fruit confit est sa caractéristique dominante. Sur des toasts variés à l’infini, il délivre des saveurs plus complexes les unes que les autres. Personnellement, face à un tel champagne, je n’ai qu’un mot : « respect », car je suis incapable de le cerner, et j’essaie simplement de capter une partie de ses complexités.Une amie de ma fille ayant exprimé récemment son scepticisme à l’égard de Dom Pérignon, j’ai décidé de frapper fort, en apportant un Champagne Dom Pérignon magnum 1990. Et le champagne est confronté à un grenadin de veau cuit à basse température avec une crème de champignons et des champignons. Ce champagne, dans ce format, c’est une rareté. Et nous goûtons un champagne parfait. Nous commençons à nous extasier et je suis le premier – parce que je peux me le permettre puisque c’est mon vin – à dire que derrière la perfection, il y a un certain manque de génie. Car ce champagne est trop « premier de la classe ». On aimerait qu’il s’encanaille et il reste « question de cours ». Il est objectivement grand, et comme la soirée s’est attardée dans la nuit, j’ai pu mesurer dans mon verre à quel point le vin est d’une pureté inégalable. Le vin est objectivement magistral, mais sans folie.

Le Château Trotanoy 2001 a un nez d’une rare noblesse. En bouche, c’est son velouté et sa trame précise qui nous ravissent. Sur la pièce de bœuf divine, le vin est superbe, mais quand arrive la Côte Rôtie La Mouline Guigal 1986, le match n’existe pas. La Mouline de 25 ans est trop parfaite pour qu’une comparaison puisse se faire. Ce vin est la sérénité absolue. Ce n’est pas la plus grande des Mouline, mais ce soir, c’est un régal.

Sur une salade de pêches blanches, j’ai apporté une petite merveille, un Champagne Perrier Jouêt rosé 1966. La couleur est d’une rare profondeur. Le nez est intense, envoûtant de fruits. Et en bouche, dès la première gorgée, c’est un voyage vers l’infini. Tout le monde tombe sous le charme de cet immense champagne, aux complexités folles, faites de fruits blancs comme la pêche, mais de tellement d’autres choses qu’on reste bouche bée.

Nous nous amusons à voter, et mon vote est partagé par beaucoup de convives. Il est : 1 – Champagne Perrier Jouêt rosé 1966, 2 – Côte Rôtie La Mouline Guigal 1986, 3 – Champagne Laurent Perrier Grand Siècle vers 1970, 4 – Champagne Dom Pérignon magnum 1990, 5 – Château Trotanoy 2001.

Le plus bel accord de ce dîner, c’est le grenadin de veau et son coulis de champignon avec le Dom Pérignon. La bonne nouvelle, c’est de voir des champagnes anciens aussi bien placés. Mais j’attendais beaucoup mieux de mon arme secrète, le Dom Pérignon 1990 en magnum. Ce fut une grande soirée, et une leçon d’humilité, car comprendre les vins anciens aux saveurs si changeantes n’est pas chose aisée.

apéritif un soir d’été samedi, 30 juillet 2011

Apéritif impromptu par une jolie soirée d’été. Un Champagne Henriot magnum1996 sert d’introduction. Classique, bien dessiné, il est l’archétype du champagne de plaisir. Nous tranchons des lamelles de poutargue, de fines tranches de Jabugo viennent exciter nos papilles et un camembert Jort vient ajouter sa touche de doux-amer. Je donne ensuite le choix entre un magnum de Dom Pérignon 1998 et un magnum de Salon 1997 et l’unanimité se fait sur le Salon, alors que mon humeur eût porté vers le Dom Pérignon.

Le nez du Champagne Salon magnum 1997 est une pure merveille. Il est vineux et évoque de grands bourgognes, tant le Chardonnay imprime sa marque. En bouche, c’est peut-être un des plus grands 1997 que j’aie bu. Il combine la délicatesse florale avec un caractère vineux qui s’affirme de jour en jour. Compagnon de gastronomie, il s’adapte quasiment à tout et lorsque l’on sert un gigot d’agneau de plus de onze heures, l’accord est saisissant de pertinence. Ce Salon est taillé pour les repas aux viandes expressives. Ce champagne me plait de plus en plus.

Bernard Pivot cite « Audouzer » dans « Les mots de ma vie » samedi, 30 juillet 2011

A la définition de Néologismes, B.Pivot dans son nouveau dictionnaire, introduit ce mot :

Audouzer : déboucher une vieille bouteille au moins quatre heures avant de la boire.
De François Audouze, collectionneur de vins très vieux, de bouteilles mathusalémiques, qui les propose à la dégustation après un minutieux et savant rituel. « Il faudrait audouzer nos beychevelle 28. » (Bernard Pivot, les mots de ma vie).

Le mot « audouzer » est en fait né sur le forum de Robert Parker, après que j’ai exposé la méthode que j’utilise, qui a donné lieu à des discussions épiques.
Au bout d’un certain temps, les témoignages confirmant l’intérêt de ma méthode sont devenus plus nombreux et un membre du forum a dit un jour :
« 
I have audouzed my wine« .
Et cette expression est restée, et j’ai trouvé cela plutôt sympathique.

Ayant une admiration profonde pour Bernard Pivot, je l’ai invité à un dîner, et il a apporté un magnum de Beychevelle 1928 délicieux, ce qui veut dire que sa citation n’est pas le fait du hasard :

« Tout de go Bernard Pivot me dit qu’il attend avec impatience de lire le compte-rendu de ce dîner, car il est différent de lire les aventures que l’on vit. J’écris donc ce texte avec l’angoisse d’être jugé par celui qui a côtoyé tout ce que la littérature a produit de meilleur. Bernard est étonné que je ne prenne aucune note. Nous abordons maintenant son vin, le Château Beychevelle en magnum 1928. La couleur est belle, d’un rouge de grande jeunesse. Le vin est à peine trouble. Etant servi en premier, je suis sensible à une petite acidité dont j’espère, chacun s’accommodera, pour ne pas passer à côté du beau message. Le vin est velouté, rond et joyeux, et l’accord avec le lourd jus truffé est gourmand. L’acidité disparaît vite. Bernard qui n’est pas familier des vins de cet âge constate que son vin n’est pas bu « post mortem » mais bien vivant. La pureté du chatoiement du vin est un plaisir que je prolonge en buvant la lie. »

(le récit complet du dîner où ce Beychevelle 1928 fut bu est ici : http://www.academiedesvinsanciens.org/archives/1987-120eme-diner-de-wine-dinners-au-restaurant-de-la-Grande-Cascade.html )

La mention de Bernard Pivot dont je suis le plus fier, et c’est ce qui a justifié que je l’invite, c’est celle qu’il a faite dans le dictionnaire amoureux du vin, où il dit que je suis le Bossuet des vieux flacons. C’est un compliment dont je suis fier.

déjeuner à l’hôtel du Castellet mardi, 26 juillet 2011

Lorsque j’étais allé à l’hôtel du Castellet il y a un mois, j’avais discuté avec le chef Christophe Bacquié, meilleur ouvrier de France et avec son sommelier, Romain Ambrosie, de cuisine et de vin. Dans le restaurant San Felice, qui n’est pas le restaurant gastronomique mais jouit d’une vue exceptionnelle, il y a une exposition de grands formats du Château Vannières, un Bandol renommé que Jean-Philippe, notre talentueux ami, nous avait fait découvrir dans sa version 1983 chez Marc Veyrat à la Ferme de mon Père à Megève. Cette bouteille m’avait marqué aussi ai-je demandé à Romain s’il pouvait se la procurer, ce qu’il fit.

Nous arrivons à sept, ma femme et moi avec deux de nos enfants, mon gendre et deux de nos petits-enfants. Sur la terrasse du bar, nous commençons par un Champagne Krug Grande Cuvée sans année peu âgé. Le vin est racé, grand, mais une légère amertume me gêne, qui s’estompera sur de la nourriture. C’est un grand champagne mais sa vibration ne m’a pas suffisamment atteint.

Le menu est simple, tranches de jambon Jabugo, côtelettes d’agneau et côte de bœuf que nous nous partageons. Les viandes sont superbes et goûteuses. Pour que la confrontation soit intéressante, j’ai prévu d’associer le Vannières à un Rayas 2000.

Le Château Vannières Bandol 1983 a une couleur très foncée, presque opaque tant il semble avoir de la matière. Le nez est riche mais discret. C’est en bouche qu’il explose d’un velouté extraordinaire. Ce vin sublime la notion de Bandol. On est dans des impressions que donnent les grandes Côtes Rôties de Guigal. C’est assez envoûtant. Avec les olives noires de l’apéritif, c’est un régal.

Le Château Rayas Chateauneuf-du-Pape 2000 est l’opposé de ce vin. Sa couleur est d’un rubis rose clair, le nez est d’une subtilité exceptionnelle et ma femme qui ne boit pas, préfère de loin le Rayas à son parfum. Hélas, le Rayas commandé au dernier moment, alors que le Vannières nous attendait en salle, provient d’une cave ou d’une armoire beaucoup trop froide et je sens le coup de froid qui agit sur le vin comme un lac gelé sur la virilité d’un nageur. Et j’ai attendu longtemps qu’il se reconstitue. Mon gendre et surtout mon fils vibrent au Rayas qui est grand. Je suis beaucoup plus sur la réserve. Le vin est indéniablement un grand vin, avec des évocations bourguignonnes fortes et une profondeur de message dans les compotes de quetsches qui sont évidemment plaisantes, mais il manque toujours quelque chose pour me faire plaisir. Car le Vannières est la sérénité absolue. Le qualificatif qui me vient est « serein comme un Guigal ».

Les deux vins ne se contredisent pas tant ils sont différents, et mon cœur penche pour le Vannières à l’équilibre et à la cohérence saisissants. Plusieurs minutes après le dessert, je reviens sur les deux verres. Le Rayas a retrouvé du pep et de la cohérence. Il montre enfin du panache et fait jeu égal avec le Bandol. Il est beaucoup plus complexe. Mais on ne refait pas une partie après la fin du match. La vedette de ce repas, c’est un Vannières 1983 éblouissant de sagesse et de sérénité, au velouté envoûtant.

Le cadre de l’hôtel du Castellet est propice au farniente et à la méditation devant une nature d’une rare beauté. Ce fut un beau moment autour de ce déjeuner. L’étape suivante sera le restaurant gastronomique.