dîner chez Yvan Roux et déjeuner dans le sud avec des vins emblématiques lundi, 20 juin 2011

Jonathan est un jeune amateur de vin qui est parti vivre en Australie. Quand il revient en France, c’est l’occasion de retrouvailles vineuses. L’idée avait été lancée que nous allions chez Yvan Roux, le magicien des poissons, pour dîner au solstice d’été, le jour le plus long de l’année. Nous agrégeons quelques fous de vins, les propositions de vins pour cet événement sont folles elles aussi, et largement surnuméraires.

Il fait beau, tous se regroupent devant la piscine de ma maison du sud et malgré un programme abondant, j’ouvre un vin qui n’avait pas été prévu, un Champagne Krug Grande Cuvée sans année d’environ vingt-cinq ans, car l’étiquette est d’une ancienne génération de l’étiquetage de ce vin. Le pschitt n’est pas très fort mais réel, la bulle est belle, et ce champagne un peu évolué est d’une noblesse particulière. Il est racé, tendu, précis, à la trace en bouche extrême.

Nous sommes neuf, dont deux femmes qui ne boivent pas, la mienne et celle de mon ami japonais, et nous arrivons chez Yvan pour contempler le paysage unique de la baie de Giens. J’aligne pour la photo quinze flacons dont un magnum, avec la ferme intention de n’en ouvrir qu’un nombre raisonnable, mais avec de tels lascars, la raison est bâillonnée.

Nous commençons par le Champagne Salon magnum 1995. Ce champagne est merveilleusement confortable. On chausse ses pantoufles, on s’effondre dans un lourd fauteuil et l’on est sur le nuage du monde de Salon. Ce 1995 est à un moment idéal de sa vie. Il est encore en pleine jeunesse, il n’a pas de signe d’évolution, et il est serein. Il n’en dit pas plus qu’il ne faut, car il joue comme Federer, sans donner l’impression de se presser. Je suis conquis par son équilibre.

Yvan nous a préparé ce menu : tempura de fleur de courgette, tempura de sauge, tempura de lotte / seiches en papillotes au chorizo de Pata Negra et confit d’échalotes déglacées au Martini Dry / chorizo en tranches / carpaccio de denti et suprêmes de pamplemousse / chapon à l’ail confit / langouste aux lardons / moelleux au chocolat, caramel au beurre salé et glace vanille.

Yvan a fait une cuisine très lisible, idéale pour créer de beaux accords.

Le Château Laville Haut-Brion 1967 est d’une couleur d’une folle jeunesse. Son parfum est précieux et en bouche, c’est un beau vin. Il n’est peut-être pas flamboyant, mais il est riche et précis. Nous l’adorons sur les seiches au gout prononcé. Le Puligny-Montrachet Louis Chevallier 1964 est bouchonné aussi est-il suivi par un vin grec qu’un ami a apporté pour contribuer à la réduction de la dette grecque : Ilios, vin blanc sec de Rhodes 1987. La réduction de la dette est pratiquement le seul avantage de ce vin qui ne nous a pas inspirés.

L’ Hermitage Chave blanc 1989 est d’une toute autre trempe. C’est un vin solide, carré, en pleine possession de ses moyens, avec un langage épuré comme savent l’avoir les vins du Rhône.

Il faut avoir la foi du charbonnier pour reconnaître qu’il s’agit d’un Hermitage Chave blanc 1983, car la bouteille lourdement empoussiérée est plus noire que la face d’un charbonnier. Elle a séjourné depuis son enfance dans la cave bourguignonne du domaine Dujac dans des conditions idéales. Et cela se traduit par un vin sublime, qui transcende le message du 1989. Ce vin a tout pour lui, avec un fruit extrême et une mâche délicieuse. C’est un vin de bonheur. Il sera mon préféré de ce soir.

Je ne connaissais pas l’existence du Champagne Roses de Jeanne Pinot Blanc La Bolorée Cédric Bouchard 2005, champagne ultra confidentiel. Ceux qui le connaissaient en attendaient beaucoup. Si j’ai aimé l’extrême précision de ce champagne, je ne peux pas dire que j’ai été gagné par une énorme émotion. Ce vin est grand, propre, racé, mais il manque de folie.

Nous allons passer maintenant à une confrontation de trois vins sur le chapon. A gauche, le Clos de la Roche domaine Dujac 1978 a un nez bourguignon tonitruant. En bouche, il est follement bourguignon, avec énormément de matière et de séduction, mais je ne le trouve pas assez précis, ce qui va un peu limiter le plaisir. Au centre, le Château Rayas rouge 1988 servi un peu chaud montre trop son alcool aussi ce vin est celui qui me rebute le plus au départ. Mais la soirée se rafraîchissant, le vin s’est transformé, prenant un charme exceptionnel. Il y a une intelligence dans ce vin au discours galant qui force le respect. C’est un vin de grande tenue, jeune, riche et avenant. La Côte Rôtie La Landonne Guigal 1979 complète bien la trilogie, car c’est une Landonne calme, relativement discrète. Elle a énormément de charme, et sa subtilité soutient la comparaison avec les deux autres vins. Jeremy avait apporté deux vins de Dujac aussi avons-nous, sur son insistance, bu le deuxième Clos de la Roche domaine Dujac 1978 au style très comparable au premier, certains d’entre nous préférant la première et d’autres la seconde bouteille. Après ces quatre vins de très grande qualité, mon choix est : 1 – Rayas, 2 – Landonne et 3 – les deux Dujac. Nous avons conscience d’avoir côtoyé de très grands vins, le Rayas en Chateauneuf-du-Pape très stylisé, équilibré et profond, la Landonne en charme et en équilibre aussi, et les deux Clos de la Roche, terriblement bourguignons, fous d’évocations brillantes mais à qui il a manqué un petit zest de squelette.

Deux rouges non ouverts seront pour demain et nous passons sur le dessert au Château Climens 1962 à l’or blond et toute la grâce de Climens. C’est un très grand Barsac, riche, fruité, intense, ravissant de fraîcheur.

Comme si nous n’étions pas rassasiés, nous avons ouvert un très rare whisky Single Cask Malt Whisky Karuizawa 1967 qui titre la bagatelle de 58,4°. Fruité, il ne donne pas l’impression d’alcool. Nous n’avons fait que tremper nos lèvres, car un déjeuner est prévu chez moi le lendemain.

Ce fut une fois de plus un beau repas chez Yvan Roux dans un cadre enchanteur dont nous avons profité en cette longue veillée. Les saveurs les plus belles ont été, à mon goût le tempura de lotte et le carpaccio de denti. Mais la vedette était aux vins, avec mon classement : 1 – Hermitage Chave blanc 1983, 2 – Rayas 1988, 3 – La landonne Guigal 1979, 4 – Salon magnum 1995, 5 – Climens 1962. Il aurait fallu inscrire aussi le Krug, mais il avait été bu en un autre lieu.

La nuit fut rude, car nous avions beaucoup bu. Les arrivées s’échelonnent et nous voilà repartis pour une folle équipée. Nous ne sommes plus que sept, dont cinq buveurs au déjeuner dans notre maison du sud. Au programme nous trouverons, boutargue, Cecina de Leon, Côtes de bœuf cuites à la plancha avec des pommes de terre en dés, cuites aux herbes du jardin, camembert Jort, Salers et petits chèvres, salade de fruit, cake japonais au thé vert et cerises, et petits fours.

Le Champagne Salon 1997 est délicieusement floral. Il est romantique, un peu puceau, et n’a pas l’assise tranquille du 1995 d’hier. Mais il est charmant dans sa grâce légère. Le contraste est très fort avec le Champagne Pol Roger Cuvée Winston Churchill 1996 plus dosé et plus affirmé que le Salon, au fruit lourd. C’est un champagne puissant, fonceur comme Churchill.

Il nous restait deux rouges du programme officiel, mais pour copier le schéma d’hier, j’ai rajouté un vin espagnol pour que la confrontation se fasse à trois vins.

Le Chateauneuf-du-Pape Château de Beaucastel Hommage à Jacques Perrin 1999 est un grand vin subtil qui joue un peu dans la discrétion. Très fin et racé, il se boit bien, mais on aimerait qu’il appuie un peu sur l’accélérateur. La Côte Rôtie La Mouline Guigal 1996 est l’archétype du charme des vins de Guigal dans leur jeunesse. Il est rond, fruité, bien dans sa peau, sûr de lui. Son final très frais est mentholé.

Mais à côté des deux, le Vega Sicilia Unico 1989 est d’une insolente perfection. Si Robert Parker a influencé beaucoup de vignerons pour qu’ils fassent des vins boisés, très mûrs, directs et sans chichis, ce vin espagnol est la sublimation de l’idéal parkérien. Ce vin a tout pour lui, avec une précision horlogère. Le nez est riche avec un cassis subtil, la mâche est allègre, car la force se combine avec une étonnante fraîcheur. Le vin lourd et complexe glisse en bouche et dégage comme la Mouline une fraîcheur mentholée d’une rare élégance. On est dans l’excellence, et ce vin résolument moderne mais maîtrisé est mon gagnant sur ces deux jours. Mes amis sont étonnés que le Vega Sicilia aille aussi bien avec le camembert Jort délicieux. Ce fromage se marie aussi bien avec le Pol Roger.

Le classement des trois rouges est naturel : 1 – Vega Sicilia Unico 1989, 2 – Côte Rôtie La Mouline Guigal 1996, 3 – Chateauneuf-du-Pape Château de Beaucastel Hommage à Jacques Perrin 1999.

Au cours de ces deux repas nous avons partagé des vins emblématiques de grande qualité. Ce parcours un peu fou nous a réjouis. Nous avons décidé d’institutionnaliser le dîner du 20 juin, pour profiter lors d’un long soir de joyaux de nos caves.

les cinquante ans de ma promotion jeudi, 16 juin 2011

Peu de jours plus tard, je reviens à Paris pour célébrer avec mes labadens le cinquantième anniversaire de ma promotion de Polytechnique. Exprimé ainsi, cela fait un peu ancêtre pré-néanderthalien ! Nous déjeunons au siège de l’école à Palaiseau, dont les bâtiments sont sales, mal entretenus, impersonnels et froids. Le général commandant l’école nous fait un discours assez déprimant qui montre que les hauts objectifs de l’école voulue par Napoléon vont se dissoudre dans un magma universitaire « Paris Saclay », ce qui n’est pas pour nous plaire. Lors du déjeuner, beaucoup d’amis qui savent vaguement que j’ai un rapport avec le vin me demandent si j’ai apporté des vins pour cette fête.

Le dîner est prévu à « notre » école Polytechnique sur la Montagne Sainte-Geneviève. Arrivant en avance, je passe devant la cave de « de vinis illustribus » qui était, du temps où j’étais à l’école, la célèbre cave de Monsieur Besse, une figure de la profession, avec des trésors de vins anciens. Jamais je n’avais à cette époque jeté un œil sur cette boutique car le vin n’était pas dans mes centres d’intérêt. J’entre dans la boutique et je demande à Lionel Michelin s’il a des vins de 1961. Il me montre quelques bouteilles, et je jette mon dévolu sur un sauternes à la belle couleur dorée sans étiquette, mais au millésime et au nom bien lisibles sur le bouchon. Lors du repas, j’ai partagé le Château Brassens Guiteronde Sauternes 1961 avec des camarades dont certains n’imaginaient pas qu’un vin de cet âge puisse être aussi bon, avec des fruits comme la mangue confite ou l’abricot. Nous nous sommes donné rendez-vous pour les cent ans de la promotion, en espérant tricher et nous retrouver bien avant.

ne jamais boire seul ! samedi, 11 juin 2011

Le repas au restaurant Ledoyen avec six magnums de Lafite à peine terminé, je m’envole vers le sud pour un repos bien mérité. L’année scolaire se termine pour moi, avec des brassées d’événements plus riches et inattendus les uns que les autres. Ma femme me rejoindra plus tard. Le lendemain, seul, un peu âme en peine, je décide d’ouvrir une bouteille, ce que je ne fais jamais quand je suis seul. Un Champagne Veuve Clicquot Ponsardin Brut 1979 me fait de l’œil. Je l’ouvre et le bouchon très chevillé sort trop facilement. Pas de pschitt chiraquien, pas de bulle visible, mais un parfum prometteur annonçant un joli fruit. La première gorgée, malgré une légère amertume, délivre une belle complexité. La vibration sur Cecina de Leon, cette viande de bœuf fumée délicieuse est annonciatrice des plaisirs de l’été.

Est-ce parce que je suis seul, je ne sais, mais je ne vois que les défauts du champagne, qui tiennent au fait que le bouchon trop resserré n’assurait plus l’hermétisme indispensable. Rien n’est plus ennuyeux que de boire seul. Cette expérience ne se reproduira pas.

Cecina de Leon

148ème repas de wine-dinners – photos des vins vendredi, 10 juin 2011

Champagne Bollinger Vieilles Vignes Françaises 1999

Champagne Salon magnum 1976

Château Lafite Rothschild magnum 1948

Château Lafite Rothschild magnum 1922

Château Lafite Rothschild magnum 1900 (rebouchée au château)

Château Lafite Rothschild magnum 1971

Château Lafite Rothschild magnum 1961

Château Lafite Rothschild magnum 1990

Champagne Krug Clos du Mesnil 1985

Fine de Mouton

148ème repas de wine-dinners – photos vendredi, 10 juin 2011

Les bouteilles alignées. Le magnum de 1990 n’est pas encore joint au groupe

photos des bouteilles par petits groupes

les bouchons

la salle et les bouteilles alignées

les plats du repas

les verres

notre groupe

les verres « presque » vides

les bouteilles en fin de repas (mon petit doigt m’a dit que l’équipe de Ledoyen a fini ce qui restait à boire – en fait je le leur avais recommandé de le faire)

6 magnums de Lafite : 1948, 1922, 1900, 1971, 1961, 1990 vendredi, 10 juin 2011

Quand le hasard joue au billard avec moi, j’adore. Je me laisse porter par la vague, comme dans une descente en rafting, et je donne juste les coups de pagaie qui remettent l’esquif dans l’axe. Mon ami chinois, avec qui je venais de déjeuner au George V me demande de faire un dîner pour huit à neuf personnes, des amis dit-il. Je demande s’il veut du « lourd » et il me dit oui. Je bâtis un programme qui ferait passer les trompettes de Jéricho pour d’aimables pipeaux, avec du rare de chez rare, comme on disait chez les bobos, et mon programme est agréé. Croire que tout est joué serait méconnaître l’âme chinoise. Car le nombre de convives s’est mis à danser un tango argentin débridé. Nous partîmes 9 au début des réflexions, mais par un prompt renfort, nous nous vîmes 15 puis 17 sans faire le moindre effort. Des vins prévus pour neuf ne peuvent désaltérer dix-sept convives, aussi me faut-il me tourner vers des magnums. Chaque jour le nombre de convives hoquète, vers le haut ou vers le bas. Comme cette seule variable eût été trop facile à maîtriser, la secrétaire de Desmond m’informe que ce ne sera plus un dîner mais un déjeuner, car mes convives ont un « important » dîner à Bordeaux, dans un château illustre. Ils voyagent en jet privé à l’arrivée comme au départ, aussi le somptueux menu que j’avais ciselé avec Christian Le Squer est torpillé d’un Scud mortel. La quadrature du cercle ne me fait pas peur. Qui dit chinois dit Lafite, qui dit programme court impose un choix de vins limité. Je propose à Desmond un programme tout en magnums de Lafite. Il dit oui. Le menu est calibré avec Christian Le Squer. Le nombre de convives est figé à 14 deux jours avant le déjeuner. Je m’attends à de nouveaux soubresauts. La nuit qui précède le déjeuner, je retourne dans mon lit les mille surprises possibles. Levé bien avant l’heure, je me prépare au pire, car nous sommes le vendredi qui précède la Pentecôte, qui fait qu’à Paris les chenilles processionnaires automobiles cessent de processionner, ce qui risque de réduire encore la plage du déjeuner.

Le 148ème dîner de wine-dinners, qui se tient à déjeuner pour la première fois, est organisé au restaurant Ledoyen. Nous serons dans le grand salon qui donne sur le jardin qui était naguère le Cercle Ledoyen, et force est de constater que la décoration aurait besoin d’un salutaire lifting. Toute l’équipe s’affaire, car la liste de mes vins annonce un moment rare. Je veux ouvrir les magnums et, horreur des horreurs, mes outils ne sont pas dans la sacoche qui leur est destinée. Je demande aux sommeliers qu’ils me prêtent leurs outils et je suis dans la situation du chirurgien du cœur qui voudrait opérer avec une hache trouvée dans la grotte Chauvet. Je bataille, je charcute et au bout d’une heure, tous les magnums sont ouverts. Il y a des parfums exubérants, d’autres prometteurs et le magnum de Lafite 1900 qui a été rebouché dans les années 80 sent un affreux bouchon. Comme Vatel, je songe au pire, mais la meilleure des défenses étant l’attaque, j’ouvre deux magnums de plus que prévu.

Nous sommes quatorze, puis treize, puis quatorze, ce que l’équipe de Patrick Simiand gère avec un calme oriental. Il y a Desmond et son épouse, huit ou neuf chinois qui œuvrent dans l’immobilier ou le vin à des niveaux où la compétition mondiale est aussi rare que l’oxygène sur le K2, un britannique, un américain, un grec membre du club des Cents, un français et moi. Les chinois ont à peine une heure de retard, ce qui entame à peine (je me vante) ma zen attitude. C’est parti !

Pour faire venir le groupe de chinois plus vite, nous commencions à boire le Champagne Bollinger Vieilles Vignes Françaises 1999. Divine surprise, ce champagne que je connais est très au dessus de mes espérances. Il est solide, charpenté, d’un goût plein et coloré de jaune d’or, alors que sa robe est d’une rare jeunesse et sa bulle frétillante. Je suis absolument ravi de ce début avec un champagne brillant, serein, riche et noble. Des plateaux sont présentés avec du saint-pierre cru, du Jabugo et deux fromages dont on se sert avec de petites piques. Mon intuition me poussait vers l’accord avec le poisson cru, mais c’est le fromage qui a révélé toute l’ampleur du champagne et l’a fait sourire.

Les chinois arrivent et je pousse un ouf de soulagement, car sans eux, mes six magnums ouverts perdraient leur sens.

Le menu composé par Christian Le Squer est rédigé en anglais. Je le retranscris comme il est : Selection of Appetizers / Grilled Red Mullet fillet / Braised Turbot « Ledoyen » style / Roasted Spring Lamb, plain brown gravy / Smocked eel toast, red wine sauce / Fresh and Candied Grapefruit, Citrus sherbet.

On nous sert à table le Champagne Salon magnum 1976. J’attendais une entrée, ayant encore la mémoire d’une langoustine que nous avions initialement programmée, mais c’est en fait sur les petits amuse-bouche que doit se boire ce champagne. Avoir un Salon 1976 est rare, et en magnum, encore plus. Aussi mon attente est grande. La robe est à peine ambrée, d’un bel or clair. La bulle est puissante. Si l’on sent un début de maturité, le vin est d’une jeunesse extrême et claque sur la langue. C’est objectivement un grand champagne, mais comme j’attendais un plat, ma joie a été bridée. Comme j’en ai fait la remarque aux serveurs, remarque gentille, car la mise au point du menu a fait les montagnes russes tout au long des changements de programme, l’arrivée du rouget est avancée et je recommande à mes hôtes de faire l’essai de ce divin poisson, un peu cuit à mon goût, à la fois avec le Salon et avec le premier Lafite.

Vincent, qui a fait comme chaque fois un service impeccable des vins, m’apporte le premier verre de Château Lafite Rothschild magnum 1948. Quelle divine surprise ! Le vin est d’un velouté extrême, soyeux comme un robe d’impératrice. C’est un immense Lafite que nous goûtons, riche, tramé au point le plus fin. Je suis heureux, car même s’il y a six magnums celui-ci, à lui tout seul, justifie le voyage que nous accomplissons.

Vient ensuite Château Lafite Rothschild magnum 1922. La couleur est d’une grande jeunesse. Le nez du vin est encore plus beau que celui du 1948. Mais une acidité persistance risquerait de gâcher la dégustation. Fort heureusement, mes convives ont l’intelligence d’essayer de comprendre le vin et derrière cette acidité, il y a un fruit d’une rare jeunesse. Le plaisir n’est évidemment pas total, mais beaucoup reconnaissent que ce vin a plus de noblesse que le 1948. C’est dommage d’avoir le voile de cette acidité. A noter que le 1948 et le 1922 se marient divinement au rouget, le 1922 gagnant même en ampleur et voyant son acidité s’estomper.

Comme j’avais prévenu que le Château Lafite Rothschild magnum 1900 est bouchonné, nous n’en buvons qu’une ou deux gorgées, juste pour vérifier que c’est bien le cas. Ceci confirme qu’il ne faut pas acheter des vins reconditionnés, car c’est sûrement au rebouchage que ce goût de bouchon est apparu. Quelle tristesse que le vin phare de ce déjeuner ne soit pas au rendez-vous ! Heureusement, le Château Lafite Rothschild magnum 1971 servi immédiatement après va sécher les larmes virtuelles de notre désespoir. La couleur de ce vin est la plus claire de tous les Lafite, même si elle a une belle densité. Et ce qui frappe dans ce vin, c’est son étonnante fraîcheur. Jeunesse et fraîcheur sont des deux caractéristiques de ce vin brillant et charmeur. Le réputé marchand de vins britannique confirme que c’est bien le style Lafite, mais sa fraîcheur extrême tranche avec les autres vins.

Lorsqu’arrive le Château Lafite Rothschild magnum 1961, je me permets d’interrompre les conversations qui fusent de partout en deux langues, l’anglais et le mandarin que je fais mine de comprendre en pensant que mes sourires en disent long, pour signaler à la noble assemblée que nous nous trouvons devant l’expression la plus absolue de ce que Lafite peut atteindre lorsqu’il est parfait. Car ce vin est parfait.

Un convive un peu pointilleux signale que la couleur est légèrement trouble, mais ce qu’il conviendrait de remarquer plutôt, c’est l’incroyable jeunesse de la couleur de ce vin. C’est du sang le plus noble, même s’il n’est pas bleu. La richesse, la noblesse, la trame de ce vin sont impériales et impérieuses. On sait que l’on a touché la perfection. Je suis heureux, car le 1948 et le 1961 sont dans deux formes abouties de Lafite, le 1961 ajoutant l’exacerbation d’une année elle-même parfaite. Je jouis de la mâche de ce vin qui envahit le palais. C’est un grand moment que nous vivons, sur un agneau qui a l’intelligence, transmise par le chef, d’être un faire-valoir fidèle.

J’attendais beaucoup d’un des plats emblématiques de Christian Le Squer. Dans le schéma initial, j’avais prévu l’anguille sur Hermitage La Chapelle 1961, car l’anguille aime bien, dans cette présentation, les vins du Rhône. Aussi, le programme ayant changé, c’est sur le Château Lafite Rothschild magnum 1990 que va s’exprimer l’anguille préparée avec une sauce aux vins anciens. Et nous avons atteint aujourd’hui un accord d’anthologie, car le prolongement du vin et de l’anguille est saisissant de complémentarité. Le Lafite 1990 est d’une perfection comparable à celle du 1961. Mais c’est là que l’on voit le travail du temps : ces deux Lafite sont identiques, sauf que le 1961 a tout en plus, du fait de sa maturité. Le 1990 est le Lafite « jeune » parfait, et le 1961 est le Lafite au faîte de sa perfection. Inutile de dire que mes larmes sont effacées, malgré la tristesse d’avoir perdu un 1900 en route.

Le dessert est accompagné de Champagne Krug Clos du Mesnil 1985 qui clôt la série de trois champagnes emblématiques, le Bollinger aux vignes pré phylloxériques, le Salon et le plus beau des Krug. Le champagne Krug a tout pour lui, la couleur d’un or blanc léger, la bulle excitée et fine, le nez charmeur et une densité à nulle autre pareille, combinée à une longueur infinie.

La bouteille suivante a une histoire amusante. Mouton Rothschild fait de temps à autre une fine, dont le nom est marqué sur une étiquette qui ressemble à un papier quadrillé d’écolier. Ce qui m’avait intéressé, c’est que sur le carton, il y avait une indication manuscrite « cave personnelle de Philippe de Rothschild ». Est-elle vraie, peu importe, mais elle véhicule un imaginaire intéressant, car Philippe de Rothschild fut l’un des plus grands personnages du monde du vin. J’avais rangé cette bouteille dans une des « chapelles » que je réserve dans ma cave aux alcools, la bouteille debout en son centre, le carton avec l’inscription manuscrite derrière elle. Un ami rangeant ma cave a dû estimer que j’avais malencontreusement laissé un carton dans ce tabernacle et l’a jeté. Le fil ténu d’une évocation avait disparu. Cette bouteille de Fine de Mouton est ouverte aujourd’hui, lors d’une verticale de Lafite qui doit être une des rares qui ne soit pas faite avec les bouteilles du château, dont la collection est impressionnante et unique. Je suis heureux de finir sur cet alcool, car c’est un petit clin d’œil au rôle phare qu’ont joué les Rothschild dans l’histoire du vin de Bordeaux.

Et à ma grande surprise, cette fine dont les composantes doivent avoir plus de cinquante ans est dix fois meilleure que ce j’attendais, avec une ampleur en bouche digne des plus grands cognacs. La chance sourit aux audacieux. Du bonheur qui s’ajoute à du bonheur et mon petit nuage prend de l’ampleur.

Il est temps de voter et mes convives votent avec une extrême rapidité. J’avais distribué des feuilles de vote que j’ai ramassées, et le dépouillement n’a pas été fait sur place, pour ne pas retarder cette docte assemblée qui prend l’avion pour un dîner à Pauillac. Comme un dîner est prévu aussi dans deux jours à Lafite, je leur ai recommandé de bien montrer le menu de ce déjeuner à leurs hôtes.

Les votes sont intéressants, car cinq vins ont eu des votes de premier : Le 1961 huit fois, le 1948 ainsi que le 1971 deux fois, et le Bollinger comme le Lafite 1990 une fois. Ce qui est intéressant aussi, c’est que le 1900 a quand même eu des votes, de cinq votants chinois, sans doute parce qu’ils ont été impressionnés par l’histoire et le mythe plus que par le vin.

Le vote du consensus serait le suivant : 1 – Château Lafite Rothschild magnum 1961, 2 – Château Lafite Rothschild magnum 1948, 3 – Château Lafite Rothschild magnum 1971, 4 – Château Lafite Rothschild magnum 1990, 5 – Champagne Salon magnum 1976, 6 – Champagne Bollinger Vieilles Vignes Françaises 1999, 7 – Château Lafite Rothschild magnum 1900.

Mon vote est : 1 – Château Lafite Rothschild magnum 1961, 2 – Château Lafite Rothschild magnum 1990, 3 – Champagne Bollinger Vieilles Vignes Françaises 1999, 4 – Château Lafite Rothschild magnum 1948, 5 – Champagne Salon magnum 1976.

Le lendemain, je suis étonné de ne pas avoir inclus le 1971 dans mon vote, nettement mieux classé dans le consensus.

Que retenir de cette expérience ? D’abord la motivation de l’équipe de Ledoyen. Tout le monde a coopéré pour faire de ce repas un événement majeur. Ensuite je saluerai la compréhension de Christian Le Squer qui a su mettre son talent au service de l’imprévu. Avec son anguille, nous avons créé un accord légendaire. Enfin, les Lafite en magnums ont donné une démonstration éclatante d’un niveau exceptionnel de ce vin, au sommet pour le 1961 et le 1990, et très grand pour 1948 et 1971.

Je n’aurais jamais pu organiser ce repas sans la générosité de Desmond. Les chinois sont avides de connaître, d’apprendre, de retenir des leçons, mais avec une envie que l’on ressent de dépasser le niveau des autres pays. Un riche investisseur dans l’immobilier présent m’a dit qu’il voudrait la plus belle cave au monde. Par bravade et aussi pour le titiller, je lui ai dit qu’avant qu’il ne dépasse la mienne il faudrait quelques années. Nous aurons rendez-vous pour une confrontation dont j’ai pris la précaution de ne pas en faire un choc d’égos. Il est de toute façon des niveaux où je ne peux pas lutter.

Collectionneurs mes frères, ce serait bien étonnant que les prix des vins baissent dans les prochaines années.

brunch à l’hôtel Nimb dimanche, 5 juin 2011

Le lendemain matin, on pourrait croire que le programme est fini. Eh bien non ! Jean-Philippe a réservé un brunch à l’hôtel Nimb, un hôtel dont une façade très stricte donne sur la rue et l’autre, genre Taj Mahal, donne sur le parc de Tivoli. La décoration intérieure est extrêmement raffinée, et n’a rien à voir avec le clinquant de façade dans le parc. C’est dans un immense salon mêlant l’art ancien et l’art moderne avec des choix de couleurs réussis que nous prenons le brunch. A peine assis, une serveuse nous verse du Champagne Carte Or Claude Cazals blanc de blancs grand cru sans année. Après la folie de la veille, c’est dur.

Ce voyage gastronomique au Danemark nous a montré un pays de taille humaine, où la vie sociale est beaucoup plus sereine qu’en France, où l’accueil dans les hôtels et restaurants est exemplaire, concerné et motivé, où la gastronomie est plus inventive que dans beaucoup de pays. L’architecture est belle, les décorations sont belles. Il faudrait que la France aille voir ce qui se passe dans les soi-disant petits pays. Nous aurions beaucoup de leçons à prendre. The Paul et Noma ont illuminé de voyage. La provision de souvenirs est riche.

Copenhague photos jour 4 – cave et Noma dimanche, 5 juin 2011

L’idée d’aller au restaurant Noma, nommé premier restaurant au monde, vient de Jean Philippe. Mais la belle table et la réservation définitive vient d’un négociant en vins dont la cave mérite le respect. Ainsi, des flacons de 18 litres de Cheval Blanc 2005 ou un mur de bouteilles uniquement du domaine Leflaive ! Et c’est lui qui a fourni tous les vins du repas !

Mais l’esprit est au plaisir, le long d’un canal

champagne Pierre Peters cuvée spéciale les Chétillons 2000

Champagne A. Rothschild 1966 cuvée Porsche

on devine le canal derrière la bouteille

quand je vois des bouteilles, je ne peux m’empêcher d’acheter. Ici ce sera quelques bouteilles de champagne 1907 trouvées au fond des mers (le bouchon est d’origine et une cire a été coulée pour protéger le bouchon non changé) dont j’ai fait l’acquisition.

ARRIVEE AU NOMA – Noma est près de l’eau. A gauche un énorme bateau de croisière ou un ferry et à droite l’Opéra

avec mon ami danois

avec René le chef et mon épouse

il fait si beau que nous prenons le magnum de champagne dehors, la colline inspirée de Jacques Lassaigne

Un des moments les plus émouvants pour moi, c’est le sourire éclatant de toute l’équipe de René, qui indique une motivation et une joie de vivre qui sont exemplaires

Rien que ça, c’est énorme. Ayant traversé les cuisines, nous entrons dans la magnifique salle du 1er étage avec une belle vue sur le canal. Le soleil étant de plus en plus rasant, les photos montrent des clairs-obscurs.

je n’ai pas l’air trop malheureux

les photos du dîner sont présentées dans l’ordre de leur prise, afin que l’on prenne conscience du rythme du repas

la serveuse a un joli sourire

première pause – certains vont sur le quai, le sommelier prépare des vins dans la cuisine du 1er étage

ma fille et mon gendre semblent heureux

contrejour de la serveuse et du sommelier

ça reprend ! lire la suite NOMA SUITE