dîner au The Paul dans le parc du Tivoli vendredi, 3 juin 2011

A l’heure du dîner nous traversons la rue pour entrer dans le parc du Tivoli où une jeunesse sage envahit l’espace. Il y a des palais chinois, des Taj Mahal en stuc et des esplanades pour des concerts de plein air. Les groupies sont déjà assis à même le sol en attendant leurs idoles. Au centre du parc on trouve une grande rotonde à la structure métallique qui évoque un peu celle des serres du jardin royal que nous avions visitées hier. Sous cette coupole se tient le restaurant The Paul. Dans ce lieu tout à fait étonnant aux volumes improbables et grandioses, la décoration résolument moderne est d’un raffinement certain. Des tableaux et des photos audacieux créent une ambiance très sympathique. Daniel, le directeur du restaurant, nous attend car Jean-Philippe avait préparé de longue date cette rencontre. Daniel s’est révélé un guide passionnant tout au long d’un voyage merveilleux dont voici le programme. D’abord, les amuse-bouche de l’apéritif : Iberico + sardine + raspberry / chicken; appele cider vinager, mustard / paella puff’ed / smoked tandoori salted cashews /plate – fennel / green.

Puis le repas : oyster & mackerel / grilled salad, crab royale / cauliflower with browned butter, dover sole, spring truffle / wild forest mushroom consommé, young spruce / himmerland sweetbread, beetroot & liquorices, black olive / French pigeon, white asparagus, hazelnut praline, chocolate bean / champagne rhubarb, cucumber, pimms / pistachio water sorbet, ymer.

Puis les mignardises : earl grey financier / Darjeeling mallow / macaron, Japanese jasmine, yuzu / espresso caramel, sharffen berger / hazelnut cream.

Daniel nous a tout expliqué de façon intelligente et notre plaisir fut total surtout par comparaison à Géranium. J’avais voulu finir mon compte-rendu du dîner de la veille sur une note d’espoir. Mais ne tergiversons pas : oublions Géranium pour garder The Paul. Ici la cuisine est inventive mais cohérente. Elle repose sur ses deux pieds, elle a une logique et met en valeur le produit principal. Le plat le plus phénoménal est celui des petits champignons de forêt en gelée. Mille évocations d’enfance reviennent à la surface pour un tourbillon gustatif infini. C’est un plat à l’émotion ultime. Mes amis, et ma fille et mon gendre venus nous rejoindre à la sortie de leur avion ont aimé le pigeon. J’ai été un peu moins ébloui.

Nous avons pris l’apéritif avec un Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1990 qui marque déjà des signes d’âge avec une farouche élégance. Ce champagne est grand, noble, racé et on le boit presque avec respect.

Au moment de passer à table Daniel nous fait goûter à l’aveugle un vin blanc. Au nez, pas de doute, c’est un bourgogne, et je hasarde un Meursault 2007. Le vin est délicieux. Et Daniel sourit de l’erreur commise aussi bien par Jean Philippe que par moi, car il s’agit d’un Vin blanc Ossian de Ségovie Espagne 2008 issu de l’agriculture biologique. Daniel nous rassure sur le fait que personne ne trouve. Ce vin au nez très expressif est plus qu’intéressant.

Nous avons poursuivi avec un Riesling Clos Sainte-Hune Trimbach 2002 qui est à un niveau de maturité parfaite. Car il est encore follement jeune mais en même temps serein, riche, accompli. L’équilibre entre acidité, fraîcheur et fruit est remarquable et la longueur est belle. Dans une carte des vins un peu rare dans le secteur des vins rouges c’est Daniel qui nous suggère d’essayer un Vosne-Romanée Hudelot-Noëllat 2007. Le vin est agréable, se boit bien, mais il manque manifestement de coffre et de structure. Nous en avons sacrifié deux, ce qui montre qu’on y prend goût.

Nous avons longuement bavardé avec Daniel qui est passionnant. Il acceptera que nous apportions nos vins quand nous reviendrons. Il nous à accompagnés à travers le parc de Tivoli jusqu’à l’entrée du parc. Dans un espace devenu désert, sur l’esplanade du concert en plein air, le monceau de canettes de bières et de déchets abandonnés donne un coup de canif à la réputation de propreté des pays scandinaves. A la sortie du Tivoli les paniers poubelles de rues débordent de canettes de bière. Les jeunes sont incroyablement nombreux, profitant d’une nuit douce pour la peupler de bières et de camaraderie. Après les restaurants Relae, Aamann, Geranium, Sankt Annae, c’est de loin The Paul qui mérite la palme et l’envie d’y retourner. Paul Cunningham, le propriétaire, va s’installer dans un immeuble « en dur » qui donne sur le parc mais où l’on entre par la rue et non par le Tivoli. Ce sera un lieu dont on parlera.

Copenhague photos jour 3 – The Paul vendredi, 3 juin 2011

The Paul est dans le Tovoli. Ici lafaçade de l’hôtel Nimb, côté Tivoli, où nous prendrons un brunch dans deux jours

l’entrée du restaurant

une méchante pieuvre me regarde

la cuisine ouverte sur l’immense salle

en fin de service, avec l’hygiène, ça ne rigole pas !!!

l’atmosphère

moi j’essuie les verres, au fond fu comptoir, j’ai bien trop à faire pour pouvoir rêver …

bon, c’est pas tout ça, mais qu’est-ce qu’on mange ?

un p’tit coup de pub entre amis

Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1990

Vin espagnol surprise Ossian 2008 de Castille

Clos Sainte Hune Riesling Trimbach 2002

Vosne-Romanée Hudelot Noëllat 2007

restaurant Sankt Annae à Copenhague vendredi, 3 juin 2011

Le lendemain matin le soleil est toujours aussi éclatant et les jolies femmes éclosent par milliers dans les rues ou sur leurs bicyclettes. La présence de jeunes sur les avenues et dans les parcs est assez impressionnante. Nous nous rendons au restaurant Sankt Annae qui est l’un des meilleurs spécialistes de harengs de Copenhague. Dans un immeuble ancien la salle comporte de nombreux recoins. La décoration est élégante et la femme qui nous sert, probablement la patronne, est d’un humour succulent. Nous avons ri en passant les commandes, répondant à ses remarques qui cinglent sous un beau sourire. L’accueil à Copenhague est vraiment chaleureux. Nous prenons pour la plupart d’entre nous des harengs en trois préparations puis une assiette d’anguille fumée avec un œuf mollet. Les « petits fours » du dessert sont comptés aux pièces consommées comme dans les salons de thé. Les harengs sont de grande qualité. Ni vin ni aquavit pour nous ce midi, car le programme est encore long.

Copenhague photos jour 2 jeudi, 2 juin 2011

quelques photos de la ville : le disk jockey à bicyclette, le gardien du chateau royal

les serres royales, l’amour du soleil

l’amour des couleurs

le restaurant AAmann’s

les schnaps

les bières

les plats

LE RESTAURANT GERANIUM – la lumière est rasante sur notre table, ce que l’on remarquera sur les photos des plats

les vins : Champagne Substance Jacques Selosse

une bière à l’asperge

Chevalier Montrachet Domaine Leflaive 2005

Chateau Rayas 2001

Chateau d’Yquem 1969

les plats

dîner au restaurant Geranium à Copenhague jeudi, 2 juin 2011

Après une sieste réparatrice, nous partons dîner au restaurant Géranium, un peu excentré par rapport à la ville de Copenhague, près d’un stade et d’un parc, au huitième étage d’un immeuble d’où la vue est splendide. Ici, ce n’est plus « la bonne franquette », comme nous l’avons vécue au restaurant Relae et au restaurant Aamann. Lorsque l’on sort de l’ascenseur, l’entrée est toute noire, et des hôtes et hôtesses habillées de couleur marron sombre annoncent un endroit luxueux. Nous traversons un petit salon où une cheminée toute en verre brûle de l’éthanol, donnant l’impression que la flamme flotte dans les airs. La salle est spacieuse, élégamment colorée, et les serveuses hautaines et extatiques donnent un aspect guindé à l’endroit, qui contraste avec la chaleur de contact trouvée jusqu’alors. Seul le sommelier, Michael, ravi de pouvoir parler à des gens intéressés par le vin, fera un service compétent et attentionné. Ses yeux miroitent lorsqu’il nous sert, mais aussi lorsqu’il goûte nos vins, prélevant une généreuse portion.

Nous sommes embarqués pour vingt étapes d’un menu qui ne nous sera révélé qu’en fin de repas. Le service est réglé de façon militaire et impersonnelle. Il faudrait donner des cours de diction aux serveuses, car à chaque présentation de plat, nous sommes obligés de faire répéter les intitulés, découragés souvent par des mots incompréhensibles. Voici le menu in extenso : carrot and seabuckthorn / green apple, celeriac & chervel / new beetroots & apple vinegar / crispy pork’s ear & sorrel / potato chips & seaweed / seasalt cheese & ramsons / king crab, lumpfish roe & green strawberries / cold tomato juice, wild flowers & gelled ham / asparagus beer, smoked cream cheese & verbena / « summer feelings » salted mackerel, frozen dill & horseradish / grains & onion in two servings / lightly smoked peas, soup made from new potatoes & lovage / sprouts of cabbage stalk, langoustines & rhubarb / herb garden / stuffed chicken with burned branches, juniper & morels / elderflower / synthetic strawberries rosehips & yoghourt / milk in mysterious ways / grain coffe caramelized grains & cloudberry / green spheres caramel & pine.

La cuisine est résolument moderne, très technique, tournée vers les herbes. La recherche de combinaisons audacieuses domine. On privilégie parfois la virtuosité à la cohérence, lorsque la chair principale, comme pour la langoustine délicieuse, est noyée sous des déluges légumiers. Et tout au long du chemin, il manque de la mâche, du dur à croquer. Car à force de suggestions, on voudrait enfin manger. Et l’exaspération est arrivée au moment du service des petits pois. Nous avions envie de crier : « quand est-ce qu’on mange enfin ». Et Jean-Philippe qui est allé voir le chef en fin de repas a eu l’explication. Le chef a eu une jeunesse végétarienne et il veut explorer les plantes et les herbes. Et comme nous sommes au début juin, tous les jeunes fruits et les jeunes légumes sont disponibles, ce qui explique son champ d’expérimentation. Nantis de cette explication tardive, force est de reconnaître que cette expérience est très intéressante.

Il faudra sans doute revoir le rythme du repas pour que la monotonie ne s’installe pas et garder cet esprit inventif et virtuose qui justifie que ce chef ait eu le Bocuse d’Or en 2011.

Que s’est-il passé du côté des vins ? Nous avons commencé par un Champagne Substance Jacques Selosse dégorgé en décembre 2009 magistral qui démarre sur un aspect fumé et relativement austère puis s’élargit dans le verre au fil du temps de façon spectaculaire. C’est un très grand champagne, plus serein que certaines versions antérieures de Substance.

Le Chevalier Montrachet Domaine Leflaive 2005 a un nez impérial. Il en impose ! Il y a des notes mentholées, de noisette et de beurre dans son parfum. En bouche il est aussi imposant, solennel. C’est un grand vin blanc de stature, de structure, mais aussi de plaisir. Sa mâche est forte. A noter que le vin blanc donne au champagne un coup de fouet qui le stimule, le simplifie, mais lui apporte un panache exceptionnel. Les deux se complètent.

Le Château Rayas rouge Chateauneuf-du-Pape 2001 est tout simplement une merveille. C’est une mécanique de précision. Tout en lui joue juste. Il est tellement équilibré qu’aucune critique ne pourrait l’effleurer, si même on y pensait. Quel plaisir de boire ce grand vin, juteux, long en bouche, facile à comprendre tant il est bien fait.

Le Château d’Yquem 1969 est le cadeau d’un des amis présents, compagnon fidèle de nombreuses folles aventures. L’or est beau. Le nez est noble et distingué. En bouche cet Yquem peu puissant est tout en délicatesse. J’aime cette forme discrète d’Yquem qui au fil du temps « mangera » son sucre. Ces Yquem élégants et distingués sont parmi les meilleurs.

Mon classement des vins serait : 1 – Château Rayas rouge Chateauneuf-du-Pape 2001, 2 – Chevalier Montrachet Domaine Leflaive 2005, 3 – Château d’Yquem 1969, 4 – Champagne Substance Jacques Selosse dégorgé en décembre 2009. Pour qu’un champagne que j’adore soit placé en fin de liste, il faut que le niveau ait été très fort. C’est le cas.

En revenant à l’hôtel en taxi, nous nous disons tous à quel point nous sommes heureux d’avoir fait cette expérience d’une cuisine sincère, en pleine recherche, disposant d’un bagage technique hors du commun. A revisiter sans hésitation dans quelques années.

déjeuner au restaurant Aamann à Copenhague jeudi, 2 juin 2011

Le soleil se lève très tôt à Copenhague au début juin. Il sera radieux et chaud toute la journée. Nous partons dans les rues piétonnes du centre ville qui ne sont pas nettoyées car c’est jour férié. Or hier, les jeunes ont bu, et quelques uns sont encore effondrés sur les pavés autour de la fontaine qui hier résonnait de rires et aujourd’hui de querelles d’ivrognes. Dans un grand parc les pelouses sont envahies de jeunes et de familles qui viennent capter les rayons du soleil. Dans les rues, une multitude de vélos et de poussettes montrent la vitalité d’une population jeune. Nous allons visiter dans un beau jardin botanique une immense serre tropicale aux multiples rotondes. Les fines structures métalliques sont élégantes. Dans une allée du jardin une cane est suivie de quatre minuscule canetons. Quelle n’est pas notre stupeur de voir la cane et ses petits passer à travers les grilles et traverser une immense avenue. Une voiture tente de faire rempart pour les protéger. Il faut espérer que cette évasion ait fini sans drame.

Nous nous rendons au restaurant Aamann. La salle est petite, avec une décoration minimaliste mais joyeuse. Peter, notre serveur, a fait une école de commerce à Lyon. Il est très attentionné. Comme la salle est encore vide, il a le temps de nous montrer sa collection de schnaps faits maison. Les noms sont difficiles à traduire mais il y en a à l’asperge, à la myrte, au thym, à la rhubarbe et d’autres encore. Nous avons le droit de sentir pour choisir celles que nous boirons. Le restaurant est spécialiste de Smorrebrods. Nous prendrons du hareng servi sur du pain noir en deux préparations, cru et cuit, puis trois pièces de smorrebrod, dont une à la pomme de terre absolument délicieuse, une autre aux légumes et bacon et une à la viande. Pour accompagner cela, deux bières, l’une dorée et l’autre légère, faites par la plus petite brasserie du Danemark, Bodegal. L’atmosphère est joyeuse et ces snacks sont goûteux. On mange bien, sans chichi, avec une bonne humeur communicative.

Nous rentrons par le grand parc. Des jeunes jouent à une sorte de jeu de quilles dont la boule est remplacée par une brique en bois carrée. Je m’immisce dans le jeu pour un essai piteux. Une sieste est nécessaire, car ce soir nous remettons le couvert.

Copenhague photos jour 1 mercredi, 1 juin 2011

le parc de Tivoli (on distingue des gens dans des nacelles)

un sit-in (les danois adorent le soleil)

Le Relae

dans un petit tiroir pour chacun, il y a le menu, les couverts et la serviette

les vins :

Champagne Terre de vertus, chardonnay premier cru Larmandier Bernier sans année

champagne brut Christophe Mignon en pinot meunier sans année

Chenin blanc d’Anjou Navine les griottes 2006

« panier de fruits » J.F. Chéné à Beaulieu sur Layon 2008

les plats

restaurant Relae à Copenhague mercredi, 1 juin 2011

Jean Philippe Durand, notre médecin cuistot de compétition a concocté pour quelques amis, ma femme et moi, un voyage gastronomique marathon à Copenhague, la nouvelle Mecque de la grande cuisine. Nous arrivons par un beau soleil un peu frais dans cette belle capitale et la circulation fluide dans des avenues larges est un bain de jouvence par rapport à la maladie qui étrangle Paris de rétrécir les plus belles avenues par des constructions destinées à éradiquer la race automobile.

Le Radisson Blu Royal hôtel est une chef d’œuvre d’un art moderne dont je ne suis pas forcément le plus friand. Notre chambre domine le Tivoli où des gens s’envoient dans les airs pour des sensations folles. Nous nous promenons dans les rues piétonnes des alentours où une foule extrêmement jeune grouille, car c’est carnaval ou festival. Les jeunes femmes blondes sont en short et s’exhibent naturellement, parfois maquillées comme pour des films d’horreur. Tout ce jeune monde marche une bière à la main ou s’assied sur les pavés proches des fontaines et profite du soleil du début juin. Nous allons prendre une bière et des frites dans un pub irlandais puis le moment venu, nous nous rendons au restaurant Relae un peu excentré dans un immeuble ancien. La décoration est minimaliste mais agréable, deux jeunes musiciens jouent une musique d’ambiance confortable. Le personnel est jeune et motivé. Notre sommelier est un chantre du mouvement bio, aussi tout ce que nous boirons se doit d’être militant. Mais son approche est compétente et ouverte. Notre serveuse parle un français parfait car elle a fait l’école d’hôtellerie de Lausanne. Un détail amusant : il n’y a aucun couvert sur la table. Chacun se sert dans un petit tiroir coulissant sous le plateau de la table, comme on prend des porteplumes dans un plumier.

Le menu unique est celui-ci : white asparagus and anchovies / bake bintje, olives and buttermilk / organic pork, salad and unripe fruit / rhubarb compote, almond and moscatel. C’est une cuisine en recherche, militante, active, exploratrice, qui peut faire sourire mais pose aussi des questions. Si le premier plat est une ébauche mais très suggestive, car l’anchois est diablement tentant et l’asperge croquante, si le deuxième plat interpelle avec son babeurre, le porc est d’une réussite absolue, valant à lui tout seul le voyage. Car les saveurs sont dosées pour interpeler, interroger nos sens. La cuisson basse température apporte de la tendreté au cou de porc, l’usage de pêches vertes et de romaine à peine cuite à la vapeur crée des sensations que j’adore. Le dessert est aussi une gentille énigme, car la glace au lait avec du vinaigre déroutante au début appelle la rhubarbe pour un bel accord. Dans une ambiance jeune et attentive, nous nous sommes régalés, car nous avons été entraînés dans du hors piste. Dans la carte aux vins majoritairement ciblés bio, nous avons choisi le Champagne Terre de vertus, chardonnay premier cru Larmandier Bernier sans année. C’est pour moi une déception, car la bulle est manifestement trop grosse, ce qui rend l’attaque pesante et le final est trop maigre, le vin s’arrêtant tout de suite. La matière n’est pas critiquable, mais le produit fini n’apporte aucune valeur ajoutée aux plats qu’il accompagne.

Par un hasard inattendu comme tous les hasards, un groupe d’une quinzaine de personnes vient s’installer dans la salle. Ils sont tous français et l’un me dit : « vous êtes bien François Audouze ». Il promène un groupe de journalistes pour une tournée des meilleurs restaurants et nous constatons que nous ferons les mêmes étapes, soit de façon décalée, soit comme demain et aujourd’hui à la même adresse. Et grâce à cette rencontre, nous allons bénéficier de quelques compléments à notre champagne.

Un champagne brut Christophe Mignon en pinot meunier sans année dont la bulle extrêmement fine me ravit a la joie d’un vrai champagne. Un Chenin blanc d’Anjou Navine les griottes 2006 a une couleur de vin de plus de vingt ans. Il y a même un dépôt imposant qui surnage. C’est un exercice de style assez troublant et le vin ressemblant à un vieux vin me plait. Un « panier de fruits » J.F. Chéné à Beaulieu sur Layon 2008 qui titre 13,5° est perlant, ambré comme un vieux vin et ressemble à un vieux vin jaune qui aurait fauté avec un vin pétillant. Tout cela, c’est de l’exercice de style de vignerons militants à qui je souhaite plein succès si leur profession de foi les conduits vers des vins plus accessibles et moins éphémères. Grâce à tous ces verres nous avons pu mesurer que la recherche de ce restaurant est passionnante. En cuisine comme dans les choix de vins on veut de l’authenticité et de la pureté. Voici une adresse à l’ambiance très sympathique qu’il faudra suivre dans le temps.

dîner de folie chez un américain à Paris vendredi, 27 mai 2011

Où l’on verra que la générosité peut jouxter la débauche. Laurence Féraud, vigneronne à Chateauneuf-du-Pape m’avait invité à rejoindre le « Printemps de Chateauneuf-du-Pape », à Chateauneuf-du-Pape. Lors du dîner chez elle, elle avait évoqué un dîner à Paris chez un de ses amis américains, où l’on ouvrirait de grands vins. Dans la chaleur communicative des banquets, j’ai dit oui. Il fallait coordonner les apports et lorsque j’ai appelé Ed pour mettre au point le programme, je lui ai annoncé mon intention de venir avec deux vins de 1921, qui ont 90 ans cette année. Je ne savais pas qu’Ed est d’un humour caustique, aussi ai-je pris sa moue téléphonique pour de l’insatisfaction vis-à-vis de ce que je trouvais assez généreux. Un peu vexé, je demande ce qu’il envisagerait d’inclure au programme et tout-à-coup, il prononce un nom qui agit sur moi comme un sésame. Il dit : « je pourrais ouvrir un « Screaming Eagle ». Aussitôt, comme si un ressort me propulsait, je réponds : « si vous ouvrez Screaming Eagle, j’apporte une bouteille de La Tâche ». Car ce vin américain, très rare, je ne l’ai jamais bu. La tentation est trop grande.

Le jour dit, je me présente à 17 heures à l’appartement d’Ed pour ouvrir mes bouteilles et éventuellement d’autres. La cuisine s’agite dans tous les sens, car nous serons quatorze dont les deux cuisiniers, Arnaud et Nicolas. Arnaud Faye est l’adjoint chef de cuisine de Thierry Marx au Mandarin Oriental Paris qui va ouvrir dans quelques jours. Cette équipe va réaliser un repas de grand raffinement avec une belle mise en valeur des produits, et quelques accords subtils opportuns, malgré la difficulté d’ajuster les recettes sur des vins très disparates.

J’ouvre le Brane Cantenac 1921 d’un niveau mi-épaule et le bouchon paraît comme brûlé. L’odeur sentie par le goulot est assez torréfiée. Est-ce que le vin va s’épanouir ? Je ne sais pas. L’Arche Vimeney cru classé de sauternes 1921 au niveau dans le goulot et d’une couleur merveilleuse exhale un parfum d’agrumes délicats. Il ne posera aucun problème. J’ouvre aussi La Tâche 1986 que j’ai apportée. Le parfum bourguignon est d’une rare subtilité. On me demande d’ouvrir certains apports qui arrivent au compte-goutte dont le Screaming Eagle que nous sommes allés chercher dans la cave d’Ed. J’ai demandé à Ed d’en goûter un peu à l’ouverture. J’ai fait un vœu, car c’est la réalisation d’un rêve.

Les convives arrivent et nous sommes quatorze. Il y a, si je n’oublie personne, Ed et un ami américain accompagné de sa femme d’origine indienne, trois vignerons de Chateauneuf-du-Pape dont Laurence accompagnée d’une amie américaine, un autre vigneron Hervé Bizeul accompagné de son épouse, un homme du monde du vin et un amateur, les deux cuisiniers qui mangeront avec nous et moi.

Du fait de l’abondance, mes descriptions des vins seront plus que succinctes, et je ne suis pas sûr que l’ordre des vins soit le bon. Pour l’apéritif, nous commençons par un Chateauneuf-du-Pape Cristia Vieilles Vignes magnum 2006 qui est joyeux, réjouissant, faisant plaisir à boire dans sa jeunesse. Il est suivi d’un Chateauneuf-du-Pape « Pure » domaine de la Barroche magnum 2005 que je trouve particulièrement brillant. Il est remarquablement bien fait.

Nous passons à table et nous goûtons deux vins blanc américains : le Marcassin Hudson Vineyard Carneros Chardonnay 1993 et le Marcassin Gauer Vineyard Alexander Valley Chardonnay 1993. Le premier a un léger défaut qui exacerbe son côté américain, alors que le second est délicieux, sans lourdeur, avec beaucoup de charme, sans les excès habituels des chardonnays américains. Le Meursault Perrières Jean François Coche Dury 2002 est pour moi un modèle de fraîcheur et d’expression alors qu’Hervé Bizeul préfère le deuxième Marcassin.

Le Chateauneuf-du-Pape Lou Destré d’Antan Christian Barrot 1976 est une merveille de Chateauneuf-du-Pape. Il a un équilibre et un charme qui m’ont convaincu, comme le Chateauneuf-du-Pape Domaine du Pégau 1997 aux aspects bourguignons d’une rare délicatesse. Sur des langoustines cuites à la perfection, ces vins se sentent bien. Le Vosne-Romanée Les Chaumes domaine Méo-Camuzet 1996 joue un peu en dedans à côté de ces Chateauneuf-du-Pape.

A l’arrivée du bar je demande de l’indulgence pour le Château Brane Cantenac 1921 dont le parfum est un peu torréfié. Quelle n’est pas ma surprise de voir que le vin n’a pas du tout en bouche le torréfié que je craignais. La couleur est divine, sans le moindre tuilé et en bouche le fruit est envahissant, fruit rouge d’une grande précision. Je pense « ouf » pendant que mes convives sont surpris de la présence de ce grand vin. L’accord avec le bar se trouve naturellement. J’en profite pour servir mon autre vin, La Tâche domaine de la Romanée Conti 1986 au nez d’un charme extrême. Sentir ce vin, c’est ouvrir la porte du domaine comme on ouvre la caverne d’Ali Baba ou l’armoire de ses souvenirs. Alors que j’avais adoré la Romanée Conti 1986, si j’aime La Tâche de la même année, je ne ressens pas autant que je souhaiterais l’émotion de La Tâche. C’est un grand vin mais avec une vibration un peu atténuée.

Laurence pense que ce serait le moment de boire un Chateauneuf-du-Pape sans étiquette et sans année, à la forte poussière opacifiant le verre, qui doit être des années 60 et provient de ses grands-parents. Hélas, le vin est bouchonné et malgré mes espoirs, ne reviendra jamais à la vie.

Nous goûtons maintenant en intermède un Meerlust Rubicon Afrique du Sud magnum 1984 et Ed nous raconte la rareté de son origine. Ce vin est solide, carré mais assez simple d’expression. Nous faisons un intermède à l’aveugle avec Les Sorcières du Clos des Fées, Côtes du Roussillon 2010. J’avais bu ce vin lors des primeurs à Bordeaux. Il s’est développé et est d’une grande sincérité.

Nous entrons maintenant dans le monde des vins à forte charpente et au degré d’alcool important. La Petite Sibérie Côtes de Roussillon Villages magnum 2004 est un vin que j’apprécie dans sa jeunesse pour un final d’une fraîcheur mentholée. Hervé Bizeul est fier que son vin ait un fort cousinage avec le Screaming Eagle cabernet sauvignon Napa valley 2003 qui titre 14,6°. Ce vin a le plaisir généreux d’une Mouline 2005. Il est puissant, au fort fruit noir et poivre, mais son final frais signe un très grand vin. Il est plus complexe que la Sibérie, mais les deux ne se nuisent pas. Viennent ensuite de nouvelles raretés apportées par l’amie américaine de Laurence : Sine Qua Non « the 17th nail in my cranium » syrah Californie 2005 qui titre, excusez du peu 15,8° et le Sine Qua Non « a shot in the dark » syrah Californie 2006 qui titre 15,5°. Il est certain que ces vins généreux sont plaisants à boire. Mais on est entraîné dans une direction qui n’est pas la mienne, où l’excès de fruit et d’épices peut devenir monotone. Sur le délicieux filet de bœuf ces vins sont à leur aise et le mariage se fait bien.

Il est temps de goûter l’Arche Vimeney Sauternes 1921. C’est un agréable sauternes fort aimable, mais qui n’a pas la complexité du Caillou 1921 bu tout récemment. Il est acceptable mais sans histoire, malgré sa belle couleur et son parfum d’agrumes. Il joue mezzo voce. Hervé a apporté une belle curiosité : un Sémillon Lagarde de Mendoza Argentine 1942. La bouteille porte le n° 17. Pour une curiosité, c’en est une. Le vin s’est oxydé et évoque les vins jaunes du Jura. Il brille surtout par son originalité et accompagne bien des tranches de comté.

J’ai apporté en cachette le vin que j’avais ouvert à Rennes lors de la découverte du vin de 1690. C’est un madère d’une bouteille très ancienne que je date de 1780 à 1840. Il a une force alcoolique extrême qui fait penser à certains qu’il s’agirait d’un whisky. Mais plusieurs convives confirment l’hypothèse madère. Il a un peu perdu de son fruit, mais il a encore une force persuasive extrême.

Si je devais décerner des brevets aux vins de ce soir, je les donnerais à : 1 – Chateauneuf-du-Pape Domaine du Pégau 1997, 2 – Chateauneuf-du-Pape Lou Destré d’Antan Christian Barrot 1976, 3 – Château Gruaud Larose 1921, 4 – Meursault Perrières Jean François Coche Dury 2002, 5 – Screaming Eagle cabernet sauvignon Napa valley 2003. Mais tous méritaient leur présence à ce beau dîner.

Merci a Ed d’avoir mobilisé des cuisiniers de grand talent qui nous ont offert des plats exquis. La générosité de tous fut remarquable. L’atmosphère cosmopolite et amicale a permis un repas de grande folie, ou générosité et débauche sont synonymes, dans le bon sens du terme.