144ème dîner de wine-dinners – les vins mardi, 22 février 2011

Champagne Bollinger Grande Année magnum 1982

Champagne Veuve Clicquot Ponsardin 1943

Château Laville Haut-Brion blanc 1943

Chevalier Montrachet La Cabotte Bouchard Père & Fils 2000

Château Palmer margaux 1959 (le millésime est très difficile à lire mais c’est bien 1959)

Château Haut-Brion 1er Grand Cru classé de Graves 1918 (on note la fraîcheur de la capsule)

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1986 (de retour de Sainte Hélène !!!! )

Chambertin Domaine Armand Rousseau 1990

Château Rayne-Vigneau Sauternes 1964

Château d’Yquem 1967

144ème dîner de wine-dinners au restaurant Taillevent mardi, 22 février 2011

Le 144ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Taillevent. Les bouteilles sont remontées de la cave de Taillevent après avoir été mises debout la veille. Je commence les ouvertures à 17 heures. Le Chevalier Montrachet La Cabotte Bouchard Père & Fils 2000 a un bouchon extrêmement serré qui demande une force herculéenne pour l’extirper. L’odeur est puissante et d’une jeunesse folle. Le soufre et le pétrole envahissent le nez. Le vin devrait être une bombe d’arômes. Le Laville Haut-Brion 1943 a une couleur un peu gris vert. Je n’avais pas remarqué un détail qui compte : le verre de la bouteille est bleu, comme pour les années de guerre, par manque de plomb. Et ceci explique la couleur du vin. Le bouchon est magnifique et sort entier. Le parfum est riche et les arômes d’agrumes abondent. Il semble d’une grande subtilité. C’est un vin riche au nez.

Le Palmer 1959 a un beau bouchon. Le nez est impérial, fidèle à la réputation du margaux. Le haut du bouchon du Haut-Brion 1918 est poussiéreux et sent la terre. Le bouchon se brise en trois morceaux mais tout se lève avec mes outils miraculeux. Alors que je suis seul dans la belle salle qui va abriter notre dîner, voilà que je me mets à parler. "Ça c’est sublime" sort instantanément de mes poumons, car le parfum du vin est quasi irréel. Il est tout en fruits rouges subtils.

Les bouchons des deux bourgognes sont parfaits, celui de La Tâche 1986 étant d’un diamètre plus grand. Il n’y a rien de plus dissemblable que les fragrances de ces deux vins. La Tâche 1986 est toute en subtilité gracile et gracieuse. Alors que le Chambertin Domaine Armand Rousseau 1990 est tout en muscles, ce qui n’exclut pas le raffinement.

Les bouchons des deux sauternes sont sans histoire car il s’agit de jeunots, et à mon étonnement, il y a une grande similitude entre les nez du Rayne-Vigneau 1964 et de l’Yquem 1967. Le plus vieux est un peu plus simple, mais les deux jouent sur des registres très proches, dans les mêmes gammes d’arômes, ce qui va me pousser à les faire servir ensemble, très probablement.

Alain Solivérès souriant vient me présenter Matthieu Bijou, le nouveau pâtissier, dont j’avais appris l’arrivée par la presse. Il est jeune mais déjà très affirmé et me présente les mignardises qui pourraient accompagner les liquoreux. Il revient sans cesse me faire goûter de nouveaux essais. Tout semble en ordre. Il me reste à attendre mes amis.

Dans la salle de l’étage que je considère comme la plus belle de Paris, nous sommes onze dont neuf buveurs, car deux jolies femmes ne boivent pas. C’est un diner d’habitués puisque seules deux personnes n’avaient jamais participé à l’un de ces dîners.

Le menu créé par Alain Solivérès est : Huîtres Ecailles d’Argent en gelée d’eau de mer / Epeautre du pays de Sault en risotto au homard / Suprême de volaille de Bresse rôti, salsifis truffés / Pigeon de Racan en chausson feuilleté, fois gras et chou / Mignon de Veau du Limousin, légumes d’hiver caramélisés à la truffe noire / Duo de roquefort, marmelade d’orange / Pomme fondante et saveurs confites. Ce repas classique n’exclut pas les audaces d’un chef au registre solide et rassurant. C’est exactement ce qui convient à des vins de première grandeur.

Le Champagne Bollinger Grande Année magnum 1982 est d’un bel or clair qui est signe de jeunesse. La bulle est très active et le vin montre à la fois des signes de grande jeunesse mais aussi de maturité. Il est épanoui, assis, avec des notes de fruits compotés mais c’est aussi un champagne de soif, car il glisse allégrement en bouche. Prévu pour l’apéritif, il accueille de goûteuses gougères et sera puissamment fouetté par l’huître à l’iode envahissant.

Le Champagne Veuve Clicquot Ponsardin 1943 et d’un ambre rosé, et je précise que le champagne n’est pas rosé. La première gorgée a une légère trace poussiéreuse qui s’estompe très vite, et le champagne à l’exacte température développe la complexité de ses arômes dans les fruits rouges et roses. L’huître est tellement typée qu’on pourrait craindre un rejet du champagne, mais en fait, quand le palais s’habitue, l’huître, qui convient mieux au Bollinger au premier abord, élargit et étoffe le 1943 par une compensation que je n’aurais pas imaginée.

Le Château Laville Haut-Brion blanc 1943 est l’un des deux blancs associés à l’épeautre. C’est lui qui profite le plus de l’association avec la sauce réduite du plat. Une des convives, experte en vins, soupçonne que j’ai placé le Chevalier Montrachet La Cabotte Bouchard Père & Fils 2000 pour mettre en valeur le 1943, tant le bourguignon est d’une jeunesse folle, débridée, aux parfums brutaux de son âge mais à la bouche policée et joyeuse, car il respire la rondeur. Le Laville est parfait, et c’est un régal sur le plat, l’accord étant un des plus beaux du repas. Son or est brillant et épanoui, formant dans le verre un contraste saisissant avec la couleur du vin dans la bouteille bleue. Son parfum est raffiné, et en bouche, son élégance est éclatante, faisant dire à certains que ce Laville surpasse beaucoup de Haut-Brion blancs. Nous sentons tous l’importance de cette rencontre avec un vin de 67 ans.

Si l’association des deux blancs se justifiait, puisqu’aucun ne faisait de l’ombre à l’autre, le Château Palmer Margaux 1959 impérial et glorieux va mettre un peu d’ombre à un vin qui sait se défendre, le Château Haut-Brion 1er Grand Cru classé de Graves 1918. Ce qui frappe d’emblée, c’est la couleur des deux vins. Le Palmer est d’un rouge sang d’une rare pureté, et le Haut-Brion est d’un rouge plus noir, plus concentré. Aucun des deux vins n’a la moindre trace de tuilé. Au nez, ma préférence va au Haut-Brion, qui a conservé la fraîcheur de fruits rouges et noirs. En bouche, le Palmer est parfait, sans le moindre défaut, plein d’un équilibre exceptionnel. Il est à fois juteux et racé. Sa profondeur de trame est un modèle. La question s’est souvent posée : est-ce 1959 ou 1961 qui est le meilleur des Palmer ? Il y a vingt ans, je répondais 1959 et une confrontation des deux millésimes faite à l’académie des vins anciens a donné l’avantage au 1961. Cette bouteille va faire pencher le balancier vers 1959, sauf preuve contraire à provoquer très vite.

Le Haut-Brion 1918 serait adoré s’il ne cohabitait pas avec le Palmer. Car on accepterait sans hésiter sa trame parfaite, son goût truffé, sa profondeur, s’il n’avait à ses côtés un vin qui chante plus fort que lui. J’ai adoré ce vin car il est rare aujourd’hui d’avoir des témoignages de cette année de fin de guerre aussi brillants que celui-ci, car nul ne pourrait trouver le moindre défaut à ce beau Haut-Brion de 92 ans.

La volaille est copieuse, trop copieuse même, et son accord le plus pertinent est avec les vins blancs précédents, pour ceux qui avaient eu la prévoyance d’en garder. Pour les bordeaux rouges, l’accord n’est que poli.

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1986 a un nez d’un raffinement extrême. Ce parfum me fait fondre de bonheur, car il allume toutes les lampes qui évoquent le domaine que je chéris tant. On sent le sel que j’aime dans les vins du domaine. Le pigeon est parfait pour tirer tous les accents subtils de ce vin raffiné, séducteur, qui cumule les œillades, les petits coups d’éventail et les mouchoirs parfumés pour mieux nous attirer. Je me régale avec ce vin très représentatif d’un domaine de la Romanée Conti qui séduit, ce qui n’est pas toujours le cas, quand la rigueur académique prend le dessus.

J’avais expliqué à mes amis que j’ai déjà bu tous les vins de ce dîner, sauf un, celui qui va venir. C’est dans ce millésime que je ne l’ai pas bu, je n’en ai qu’un seul exemplaire, celui-ci. J’en attends énormément, et je leur fais part de mon inquiétude créée par le fait que l’odeur de La Tâche était plus excitante à l’ouverture.

On me sert en premier un verre du Chambertin Domaine Armand Rousseau 1990. Comme je suis incapable de maquiller mes sentiments, toute la table voit éclore un large sourire sur mon visage : ce vin est parfait. Au nez je le voyais très différent de La Tâche, mais en bouche, je retrouve des notes salines très proches. Cela peut paraître lancinant de lire que je trouve tant de vins parfaits, mais il faut convenir que ce soir, le tir groupé est assez exceptionnel. Et ce chambertin est absolument parfait. Il est même réconfortant, tant on a du plaisir à savoir le lire. Quel beau vin, serein, joyeux, pertinent. Je suis aux anges devant un tel équilibre serein qui pianote ses charmes à chaque instant. Le mignon de veau est divin et exactement ciblé pour le chambertin, mais nous avons été tellement gâtés par des quantités gargantuesques, que nous sommes prêts à rendre l’âme.

On me fait goûter les deux liquoreux, et contrairement à l’idée esquissée il y a sept heures, ils seront servis décalés, car le second pourrait faire de l’ombre au premier. Le Château Rayne-Vigneau Sauternes 1964 est riche et joyeux. Son or est acajou clair, son nez est puissant et il apprécie la marmelade d’orange qui accompagne deux roqueforts. Ce vin rassurant et juteux est sans histoire, naturellement agréable.

Le dessert conçu par Matthieu Bijou est idéal pour le Château d’Yquem 1967. Tout le monde attendait cet Yquem dont la réputation est prestigieuse. Il est grand, au parfum plein, à l’or idéalement bronzé. Il est beaucoup plus subtil que le précédent, mais, est-ce la fatigue due à l’heure tardive, je n’ai pas l’émotion que ce sauternes magistral devrait créer. C’est un grand Yquem un peu scolaire. Il est bien, mais ce soir, pas dans mon Panthéon.

Les mignardises mises au point avant le repas sont d’une grande justesse. Le macaron à la vanille de Tahiti que Matthieu a tenu à ajouter va beaucoup mieux avec le cognac tentateur de Taillevent qu’avec l’Yquem.

Il est l’heure de voter et sur les dix vins, huit figurent sur au moins trois feuilles de votes. Trois vins seulement ont eu des votes de premier. Le Château Palmer Margaux 1959 quatre fois, le Chambertin Domaine Armand Rousseau 1990 aussi quatre fois, et le Château Haut-Brion Graves 1918 une fois.

Le classement du consensus serait : 1 – Château Palmer Margaux 1959, 2 – Chambertin Domaine Armand Rousseau 1990, 3 – Château Haut-Brion 1er Grand Cru classé de Graves 1918, 4 – Château Laville Haut-Brion blanc 1943, 5 – Château d’Yquem 1967.

Mon classement est : 1 – Chambertin Domaine Armand Rousseau 1990, 2 – Château Palmer Margaux 1959, 3 – Château Laville Haut-Brion blanc 1943, 4 – Château Haut-Brion 1er Grand Cru classé de Graves 1918, 5 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1986.

Le fait marquant de ce repas, c’est le niveau qualitatif des vins. Non seulement aucun ne fut faible ou fatigué, mais en plus on ne pourrait dire d’aucun qu’il eût pu être d’une meilleure présentation. Ajoutons à cela une cuisine sereine et pertinente. Le service est d’une extrême qualité et sait être présent quand il le faut comme le montre cette anecdote : un ami affirme que tout collectionneur de vins doit avoir cassé au moins une fois une bouteille de valeur. Il raconte son anecdote et je lui signale que c’est une bouteille cassée de Margaux 1900 qui fait la couverture de mon livre. Cet ami proche n’avait jamais vu mon livre. Quelques minutes plus tard, l’un des serveurs apporte à notre table une photocopie de la couverture du livre. On savait que Taillevent a le meilleur service du monde. En voici une preuve de plus, sans oublier les performances de Jean-Claude, Diane, sommelière attentionnée, et toute l’équipe.

Le dernier point à signaler, c’est l’ambiance joyeuse et souriante d’un groupe de passionnés qui se retrouveront bien vite à cette table ou à l’une des autres belles tables de Paris.

repas au Laurent – photos jeudi, 17 février 2011

Les vins du dîner

Les deux champagnes de début

Champagne Mumm Cordon rouge 1979

Champagne Moët & Chandon Brut Impérial 1945

Champagne Krug Grande Cuvée années 60/70

Château Latour 1971

Château Larcis-Ducasse Saint-Emilion 1945

Romanée Saint-Vivant Marey-Monge Domaine de la Romanée Conti 1972 (on note la couleur du verre de la bouteille)

Champagne Dom Ruinart rosé 1988

Les bouchons. On remarque la différence entre le bouchon du Latour et de la Romanée, alors qu’une seule année les sépare

On voit sur la photo de droite la graisse que j’ai remontée à la curette, le long du goulot, par les traces que j’ai laissée sur la coupe

Les plats du dîner (on note la truffe abondante)

Les verres et les bouteilles vides

Notre sympathique groupe en fin de repas

repas d’amateurs au restaurant Laurent jeudi, 17 février 2011

Des amateurs écrivant sur un forum de vin ont souhaité partager des vins avec Jean-Philippe et moi. Pourquoi pas ? Le vin, c’est le partage et la convivialité. Pour que l’expérience soit aussi un plaisir, elle aura lieu au restaurant Laurent, car ici, on sait que c’est une équipe qui gagne.

Pour les vins que j’ai annoncés, Philippe Bourguignon a prévu le menu suivant : amuse-bouches / toast melba aux truffes noires / Coquilles Saint-Jacques poêlées, lard fondant et blettes au jus / Carré d’agneau de lait des Pyrénées grilloté, rognon poêlé en persillade, pommes soufflées « Laurent » / « Fregola Sarda » truffée / Caille dorée en cocotte, rôtie aux abats, côtes de céleri mitonnées aux olives noires / Crème légère de pamplemousses roses litchis dans une cristalline / Café, mignardises et chocolats.

J’arrive peu après 17h30 au restaurant pour ouvrir les vins. Il n’y en a que trois, car nous avons fait la part belle aux champagnes avec ces amoureux des champagnes. Le Latour 1971 a un bouchon magnifique, plein et souple qui vient d’une seule pièce. Le nez est prometteur. Je sens que nous allons nous régaler. Le bouchon du Larcis Ducasse 1945 sort un peu trop facilement, alors que le niveau du vin dans la bouteille est excellent. Comme dans les carottages des géologues, on voit nettement trois parties. Le tiers du haut est très sec, poussiéreux, rétréci. Le petit tiers du centre est d’un bouchon normal, souple. Le grand tiers du bas est noir et gras. Le vin ne sent pas bon. Il faut laisser du temps au temps, et se garder de tout diagnostic.

La bouteille de la Romanée Saint Vivant 1972 est verte comme les bouteilles de guerre. Le haut du bouchon, sous la capsule, sent la terre, comme cela arrive avec les bouteilles du Domaine de la Romanée Conti. Le bouchon se brise en plusieurs morceaux en montant, mais sort entier, à part un morceau collé à la paroi, que je lève avec une curette. Le bouchon est en deux parties. Le haut est plutôt sec. Le bas est incroyablement noir et gras, et tout le goulot est gras et noir. Il me faut longuement nettoyer ce goulot très sale. L’odeur est terreuse et colle au vin. Sera-t-il encore malade quand ce sera son tour ? L’évolution semble rapide. Attendons.

Un des convives arrive, et après trois quarts d’heure de discussions, il fait soif. Nous commandons un Champagne Krug Grande Cuvée en demi-bouteille qui joue comme un appeau car les autres convives arrivent et peuvent trinquer avec nous sur ce joli champagne au goût beurré et laiteux, très précis et noble.

Nous prenons à l’apéritif le Champagne Mumm Cordon rouge 1979, dans le joli salon rond qui sert d’antichambre au restaurant. Le champagne est d’un jaune encore pâle. La bulle est belle et fine. Le nez est marqué pour moi par une poussière certaine, mais ce sont sans doute les premières gouttes au contact du goulot qui entraînent de petites particules laissées par le bouchon. En bouche, on ne sent aucun défaut et nous sommes même surpris de la précision du champagne, d’une belle acidité. Il est très équilibré, droit, de belle tension et sur un akra d’agneau aux épices douces, il se place très bien. C’est agréable de constater que Mumm Cordon Rouge puisse atteindre ce niveau.

Nous passons à table et nous commençons par le Champagne Moët & Chandon Brut Impérial 1945. J’avais encensé ce champagne ouvert lors d’un dîner au château d’Yquem. Sera-t-il aussi bon ? Le bouchon est sorti entier et il sent bon. Dès qu’on me sert le premier verre, je sais que c’est gagné. La couleur est d’un bel ambre doré, la bulle est invisible. Le nez est noble, doucereux. En bouche, c’est un festival de complexité. Il va changer tout au long de sa dégustation, s’épanouir, et changer en permanence de complexité. Pour qui aime les champagnes anciens, c’est la réalisation d’un rêve, car 1945 est une année de parfaite réussite. Les fruits sont jaunes et orangés, la bulle absente n’empêche pas le pétillant. L’accord avec les toasts à la truffe abondante est un accord de mise en valeur, mais sans réelle interpénétration entre le plat et le champagne.

Le Champagne Krug Grande Cuvée années 60/70 dont l’étiquette de commercialisation est celle qui fut en vigueur de 1978 à 1982 a un bouchon très droit, déjà complètement chevillé, de belle qualité. Comme il reste encore du 1945 dans nos verres, nous pouvons nous livrer à un exercice intéressant : le Krug, d’un jaune ambré et doré aussi prononcé que le 1945, à la bulle forte et envahissante, lorsqu’il est bu sur la coquille Saint-Jacques et lorsqu’il est suivi du Moët, met en valeur le Moët d’une façon spectaculaire. Et l’on constate ainsi que la complexité du 1945 dépasse celle du Krug. Ce champagne à la bulle puissante est un beau champagne évolué et ancien, qui s’écarte un peu de l’ADN de Krug. Il est extrêmement riche et plaisant, mais n’a pas la flamboyante imagination du Moët & Chandon, champagne d’immense talent.

L’apporteur du Château Latour 1971 nous raconte les conditions d’acquisition de cette bouteille et on peut le féliciter d’avoir fait une aussi bonne pioche, car ce Latour est tout simplement parfait. Quand je bois ce vin, je suis au paradis. Et nul n’est besoin de disséquer ce breuvage, car il a tout pour lui. Il est merveilleusement velouté, soyeux, équilibré et riche, au final inextinguible, et aussi bien le carré d’agneau que les pommes soufflées lui vont comme un gant. Ce vin est d’un plaisir incommensurable. Vaut-il 100 points Parker ? Je ne le crois pas, mais il est à un rare niveau de perfection, confirmant la pertinence de son millésime.

Qui dirait qu’avec le Château Larcis-Ducasse Saint-Emilion 1945 nous allons encore plus loin ? La couleur est d’un rouge du plus beau rubis, d’une jeunesse extrême. Le nez est la pure définition du saint-émilion parfait et aucune trace d’imperfection ne subsiste. Et en bouche ce vin n’est que plaisir. Il est en féminin ce que Latour est en masculin. Son charme est infini. J’avais envie d’apporter deux 1945 pour montrer les ressources extrêmes de cette année. Je ne m’attendais pas à ce que ce Larcis-Ducasse se montre aussi brillant. Un grand vin de grande mâche, plein et très saint-émilion. Un pur bonheur.

Ayant raconté les odeurs affreuses de la Romanée Saint-Vivant Marey-Monge Domaine de la Romanée Conti 1972 à Jean-Philippe, il a bien peur de ce qui va se passer avec le vin qu’il a apporté, d’autant que le bouchon posé sur table a une odeur insupportable. Alors ? Dès que je sens le premier verre qui m’est versé, c’est un large sourire qui barre mon visage : tous les défauts olfactifs ont disparu. C’est la magie de l’oxygénation lente, docteur miracle de tant de vins. Pour les trois convives que je ne connaissais pas il y a quatre heures, c’est leur première incursion dans le monde de la Romanée Conti, et ils ont la chance de démarrer par un vin qui représente toute la subtilité du domaine. La couleur est plus pâle que celle des bordeaux, le nez est d’un charme sans pareil, le charme du pinot noir. En bouche, le vin est tout en subtilité avec les belles notes salines que j’adore. Joliment fruité et délicat, ce vin au charme fou est envoûtant. Sur les cailles, c’est un bonheur.

Le Champagne Dom Ruinart rosé 1988 est un joli champagne rosé, très classique, élégant, mais qui ne m’entraîne pas dans le rêve que m’ont apporté les autres vins.

Nous ne votons pas formellement, parce que l’heure est tardive. C’est assez délicat pour moi de mettre en premiers mes deux vins, mais je crois qu’ils le méritent. Aussi mon vote sera : 1 – Champagne Moët & Chandon Brut Impérial 1945, 2 – Château Larcis-Ducasse Saint-Emilion 1945, 3 – Château Latour 1971, 4 – Champagne Krug Grande Cuvée années 60/70 ex aequo avec la Romanée Saint-Vivant Marey-Monge Domaine de la Romanée Conti 1972.

La cuisine d’Alain Pégouret est rassurante, avec des saveurs qui embellissent les vins. Les trois jeunes convives, jeunes parce qu’ils sont à peine sinon point encore trentenaires, sont de vrais amoureux de vins, la seule femme de notre table ayant autant de passion que les autres.

C’est amusant de constater que lorsque des contacts virtuels sur un forum se transforment en contacts réels, la passion commune crée instantanément des liens forts. Ce fut une belle soirée d’amateurs enthousiastes et compétents. Les vins furent tous grands et de haut niveau. Ce dîner fait partie des moments qui comptent.

déjeuner au Bistrot du Sommelier mercredi, 16 février 2011

Il y a longtemps que je n’avais pas rejoint mon groupe de conscrits. C’est à mon tour d’inviter, aussi est-ce le Bistrot du Sommelier de Philippe Faure-Brac que je choisis pour notre déjeuner. Nous disposons de la jolie petite salle dans la cour de l’immeuble où nous sommes huit.

Le menu conçu par Philippe Faure-Brac comprend une langoustine à la sauce épicée, un brick de foie gras, une pièce de bœuf, des fromages et un dessert à l’ananas, à la pomme, avec un biscuit au gingembre.

Le Champagne Delamotte à Mesnil sur Oger 1990 est un blanc de blancs qui n’est pas le petit frère de Salon, mais un champagne qui vit sa vie et la vit bien. Il est d’une belle acidité, frais, et l’année 1990 lui donne une assise sereine. C’est un grand champagne de belle personnalité qui se boit bien.

Le Champagne Dom Ruinart 1990 est plus dosé. Il a une structure plus opulente, un charme certain. Certains amis préfèrent le Delamotte et j’avoue que c’est difficile de choisir tant ils sont différents. Le Dom Ruinart fait plus évolué et met en valeur la jeunesse du Delamotte. Le foie gras donne une tension au Ruinart qui accentue sa grandeur et me fait le préférer maintenant, confirmant que 1990 est une grande réussite de Dom Ruinart. J’avais envie que mes amis puissent comparer deux 1990 et constatent à quel point l’âge magnifie ces deux champagnes, l’un très jeune et l’autre plus accompli.

Il y a deux bouteilles de Château Mouton Rothschild 1987 et Philippe Faure-Brac a fait ouvrir ce matin vers dix heures une seule des deux. Ce Mouton a un nez très riche, dense, plein de séduction. En bouche, il montre une plénitude supérieure à ce qu’on attendrait de l’année. J’adore ce Mouton qui a une grande noblesse, de la finesse, de jolis tannins et combine ces qualités en un message délicat. La puissance est supérieure à ce que l’on pourrait attendre et le final est élégant. Philippe Faure-Brac nous explique en quoi 1987 est meilleur que l’image qu’on a généralement donné à cette année. Quand la viande est servie, par un phénomène assez compréhensible mais d’une grande intensité, le vin devient frêle et plus conforme à son année, car il a du mal à soutenir le choc de la viande délicieuse. Il faut rapidement ouvrir la deuxième bouteille, qui, dans sa fraîcheur est plus intense que la première, aux tannins lourds. Ces deux expressions de Mouton me plaisent beaucoup.

Le Chambertin Denis Mortet 1993 n’aurait pas cohabité sur la viande avec les bordeaux, aussi est-il bu sur un Saint-nectaire. Là encore, ce chambertin est très au dessus de ce qu’on attendrait de l’année. Il est charmant. Il a le velouté, le soyeux délicat d’un beau chambertin, peu puissant, à la longueur mesurée, mais à l’effet en bouche de grand plaisir. J’aime ce bourguignon.

Le Château Salins 1ères Côtes de Bordeaux 1941 est une grande surprise. Sa robe est d’un jaune d’or comme les blés d’été. Le nez est discret. En bouche il est plaisant comme un bonbon. Il n’a pas une grande complexité, mais il est tout simplement charmant. Un de nos amis le choisit comme son favori. Il cohabite très bien avec une fourme et un fromage des Pyrénées.

Le Château Rayne Vigneau Sauternes 1988 a une étiquette presque illisible sur laquelle on voit distinctement le sceau de la Tour d’Argent, puisque j’ai acheté ce vin à la vente d’une partie de la cave de ce restaurant. Le sauternes a une couleur encore pâle, de grande jeunesse. C’est un beau sauternes d’une grande année, mais encore bien bambin. On reconnaît la vigueur de Rayne-Vigneau sous un discours mesuré de jeune sauternes.

La cuisine du Bistrot du Sommelier est simple mais juste. C’est une belle cuisine agréable qui sied bien aux vins. L’accord du dessert avec le Rayne-Vigneau est d’une exactitude exemplaire. Je voulais que mes amis entrent dans le monde de ma passion. De leurs sourires, je crois que but fut atteint.

Bistrot du sommelier – photos mercredi, 16 février 2011

La salle privative du Bistrot du Sommelier

Les vins

Champagne Delamotte Mesnil sur Oger 1990

Champagne Dom Ruinart 1990

Château Mouton Rothschild 1987

Chambertin Denis Mortet 1993

Château Salins 1ères Côtes de Bordeaux 1941

Château Rayne Vigneau Sauternes 1988 (on voit le marquage de La Tour d’Argent)

Les plats

Saint-Valentin au Laurent lundi, 14 février 2011

La Saint-Valentin, c’est la Saint-Valentin, qu’on se le dise. Souvent sollicité pour des dîners où nous sommes nombreux, avoir un prétexte pour être seul avec ma femme, je souscris immédiatement. Où allons-nous ? Au restaurant Laurent bien sûr, puisque c’est "chez nous", tant nous nous y sentons bien. Les colonnes agencées en rotonde nous rappellent irrésistiblement l’hôtel du Palais à Biarritz où, avec nos enfants, nous avons passé des étés de rêve. Cette réminiscence ajoute à notre plaisir.

Je suis en avance, puisque ma femme me rejoindra plus tard, aussi ai-je le temps de regarder la carte des vins et de goûter un cocktail excellent du barman du Laurent. Il s’agit d’un jus d’oranges de Malte, les meilleures du monde en ce moment si j’écoute ce qui m’est dit, versé sur une liqueur de rhum à l’orange titrant 40° et sur le champagne Deutz maison. Le cocktail est frais mais je le préfère quand du jus d’orange est rajouté, car la bulle du champagne, lorsque celui-ci est trop présent, représente un frein à l’équilibre. Ainsi dosé, ce cocktail est un régal.

Nous passons à table et, c’est la loi du genre, la quasi-totalité des tables sont de deux convives. Tous les âges sont représentés, des jeunes, forcément sans cravate, aux séniors élégants. A ma gauche, c’est un vigneron de l’Académie du Vin de France. A ma droite, c’est un couple de people, récemment séparé qui se reforme ce soir peut-être. Pour des précisions, il faut voir Gala ou Voici.

Il est assez invraisemblable de constater à quel point le téléphone portable – en plus chic smartphone – envahit les tables parisiennes. Un couple de russes, malgré un gigantesque bouquet de fleurs rouges apporté sur les genoux de la belle, passe son temps au téléphone. Une table de six personnes d’origine africaine compte des jolies femmes qui essémisent à tour de bras. Un couple qui a connu Léon Blum tapote le clavier comme des djeunes. Il semblerait que nous soyons les seuls à qui la planète n’a rien communiquer ou à entendre ce soir.

Le menu unique est ainsi composé : palette de légumes raves relevés d’huiles aromatiques et épicées / "Fregola-sarda" aux truffes noires / homard blondi et mangue caramélisée, sauce coralline / carré d’agneau de lait des Pyrénées grilloté, asperges vertes de Provence / gaufrette fourrée à la crème de lait d’amandes et fraises des bois.

Comme toujours, c’est élégant et raffiné. Dans les légumes, au croquant réjouissant, j’ai adoré un sorbet à la betterave associé à une crème, dont le goût est à se damner. Alors que ma femme a aimé le homard, je l’ai trouvé un peu trop cuit à mon goût. L’agneau est un plat divin, et le croquant des asperges est démoniaque. La gaufrette fourrée est trop simple pour entraîner un ravissement, alors que des macarons à la réglisse en mignardises, me font fondre de bonheur.

Inutile de dire que nous sommes ravis de cette cuisine si intelligente, rassurante et raffinée.

On ne change pas une équipe qui gagne. Une de mes règles de choix de vins est que si le prix affiché est inférieur au prix que je peux obtenir, je ne fais ni une ni deux, je commande. C’est ce qui se passe au Laurent, au Senderens, ou chez Jean-Paul Jeunet à Arbois tout récemment. Et, comme il y a une justice, j’offre plus de marge au restaurant que lorsqu’il pratique des coefficients insensés, ce que l’on trouve beaucoup trop souvent dans les trois étoiles, car cela me pousse à y jouer petit bras.

Alors, avec un manque d’imagination totalement assumé, j’ai pris une Côte Rôtie La Turque Guigal 2005. C’est un infanticide, je sais, mais tant qu’il ne concerne pas ma cave, mon péché me paraît plus véniel. Guigaliens mes frères, je vous annonce que la Turque 2005 est en train de se refermer. Elle est toujours redoutablement belle, mais on voit moins de fruit et plus d’alcool et de bois. Le charme est toujours là, mais il faut maintenant être raisonnable, et fermer les caisses de Turque 2005 pour les rouvrir après 2015.

Chaque gorgée de cette Turque me plaît, et, sortie froide de cave, à chaque minute elle m’apporte quelque chose de plus. Je glousse à chaque gorgée. Le vin est riche, plein, faisant éclater les bajoues. Il est excitant sur la mémoire du sorbet de betterave, excipant un poivre inattendu. Il est confortable sur la Fregola-sarda, il flirte avec séduction sur le homard. Il est d’une rare sérénité sur l’agneau et surtout sur son rognon. Mais c’est sur le croquant des asperges que le contraste de l’amertume du légume fait ressortir le caractère le plus noble du vin.

La Turque 2005 est un monument. Attendons au moins cinq ans avant de le revisiter.

En quittant ce lieu qui nous enchante, nous étions heureux d’avoir profité de notre intimité.