chez mon ami Tomo, préparatifs d’un grand dîner dimanche, 27 février 2011

Mon ami Jean-Philippe cuisine comme un chef trois étoiles. Mon ami Tomo cuisine de façon très délicate. L’idée d’organiser un dîner mettant en commun les talents de mes deux amis est excitante. Si c’est l’occasion de sortir de beaux vins, le plaisir sera encore plus grand. La date est choisie. Ce sera chez Tomo.

Les ouvriers ont besoin de savoir s’ils utilisent les bons outils, aussi semble-t-il nécessaire que Jean-Philippe vérifie les équipements de Tomo. Si Jean-Philippe va visiter Tomo, pourquoi ne pas déjeuner sur le pouce ? Et si cette expédition se fait, pourquoi ne pas en profiter pour visiter ma cave ?

A 11 heures, un dimanche, Tomo et son épouse ainsi que Jean-Philippe se retrouvent dans ma cave. Ils sont comme des gamins dans une confiserie, s’émerveillant des pépites qu’on y trouve. Ma femme non présente nous a préparé un foie gras. Nous l’étalons sur des tartines de pain dans l’une des pièces de la cave. Repérant une bouteille mise de côté pour bas niveau, j’ouvre un Château Margaux en 1/2 bouteille 1970 dont le niveau est mi-épaule, mais au moment où je décapsule la bouteille, le bouchon tombe. Le nez ne traduit aucune déviation, sauf une trace de torréfié. Le goût est possible. On reconnaît un margaux, sans problème, mais le vin est dévié. Il est inutile de poursuivre l’expérience après une ou deux gorgées. J’ouvre Château d’Yquem en 1/2 bouteille 2002. La surprise est belle, car le vin est beaucoup plus généreux que ce qu’on pourrait attendre. C’est un Yquem au bel équilibre, avec de l’ampleur en bouche, porteuse de joie. Les fruits confits sont ordonnés, et ce qui me frappe, c’est l’après de l’arrière-bouche, si l’on peut dire. Après le final, il y a un retour gustatif extrêmement plaisant. Le botrytis est bien présent et cet Yquem a de belles années devant lui.

Je prends vite une bouteille pour le déjeuner et nous arrivons chez Tomo. Pour finir le foie gras, Tomo nous sert à l’aveugle un Bourgogne blanc Domaine Comte Georges de Voguë 2007. A l’aveugle, on est en Bourgogne, mais on n’ose en dire plus, car le vin est très vert et montre une acidité certaine. Dès que l’on découvre ce que nous buvons, nous accueillons avec joie ce vin qui est fait sur une terre de grands crus, et sera appelé Musigny blanc dans quelques années, dès que les vignes replantées il y a de treize à vingt-cinq ans auront les années qui leur permettent d’être appelées "vieilles vignes". Le vin s’ouvre progressivement, et ce qui frappe, c’est sa précision. Il est encore vert bien sûr mais il va s’étoffer avec quelques années de plus. Citronné, bien construit, il promet.

Tomo a tellement envie de nous faire plaisir qu’il va chercher dans sa cave des vins blancs plus intéressants les uns que les autres. On me demande d’en choisir un pour accompagner les coquilles Saint-Jacques, et mon doigt pointe le Meursault Désirée domaine des Comtes Lafon 1979. Ce vin, qui n’est pas un premier cru, a tous les attributs d’un grand cru. Sa couleur est d’un bel or glorieux. Le nez est puissant et expressif. En bouche, c’est un vin d’une belle complexité et d’un grand plaisir. J’adore ce vin qui change en bouche sur des notes citronnées, avec un bel équilibre et une longueur appréciable. Ce vin un peu imprévisible est d’un grand plaisir. Les coquilles Saint-Jacques ont été poêlées à la minute par Jean-Philippe et leur léger sucre résiduel met en valeur le blanc de belle expression.

Jean-Philippe a cuit séparément les coraux des coquilles que nous mangeons avec le Chambertin Clos de Bèze Pierre Damoy 1961 que j’ai pris en cave. Ce vin est chaque fois une réussite. Il est tout en délicatesse. Il a le charme bourguignon joyeux, naturel, qui n’exclut pas la complexité. Il a une légère amertume bourguignonne qui lui va bien. Les coraux s’ajustent très naturellement à ce vin ainsi que le délicieux pot au feu de volaille réalisé par Tomo.

Pour la tarte douce à l’orange de Philippe Conticini, Tomo nous ouvre un Scharzhofberger Auslese Egon Müller Mosel Wein 2009 qui titre 7°. Le vin est agréable, délicat pour le beau dessert, mais il est vraiment très jeune pour mon palais.

Pendant le repas, nous élaborons le programme des vins du futur dîner et les plats qui iront avec. Ce qui a été vu dans ma cave donne des ambitions. Nous concluons sur un programme assez équilibré. Dans deux semaines, ça va chauffer chez Tomo !

Champagne Krug Collection 1982 vendredi, 25 février 2011

Rentrant chez moi, je trouve peu après ma fille et mon gendre qui viennent chercher notre petite-fille qui vient de passer quelques jours chez nous. Une dinette est rapidement organisée, avec du foie gras et un Champagne Krug Collection 1982. D’emblée, on sent que l’on entre dans un palais sacré. Tout est ici luxe, calme et volupté. Le champagne est délicatement ambré d’un ton rose pâle. La bulle est très active. Le nez est intense, envahissant, de fleurs et de parfums. En bouche la complexité comprend aussi bien du vineux, que des fruits roses, des fruits confits et même des noisettes. Mais à quoi sert de décomposer les saveurs. Laissons-nous emporter dans la folle aventure de ce grand champagne d’une année de grande délicatesse.

Michel Rostang photos vendredi, 25 février 2011

Chambertin Clos de Bèze domaine Armand Rousseau 2006

les vins ajoutés par la table voisine : Montrachet Domaine Ramonet 1999 et Hermitage Les Bessards Delas 1999

avec le vin que j’ai ajouté à leur table : Chateauneuf-du-Pape Cuvée Marie Beurrier Henri Bonneau 1999

les plats

déjeuner au restaurant Michel Rostang avec des surprises vendredi, 25 février 2011

Plus ça va, plus j’adore l’imprévu. Et il faut bien convenir que le vin est un vecteur d’imprévu. J’invite à déjeuner un ami au restaurant Michel Rostang. Etant en avance, j’ai le temps de regarder la très riche carte des vins où il y a bien sûr des icônes directement intouchables, mais aussi de beaux vins accessibles. Je choisis un Chambertin Clos de Bèze domaine Armand Rousseau 2006.

Le vin m’est servi par le très compétent sommelier et je dois à la vérité de dire que si je buvais le vin à l’aveugle, je dirais "intéressant", ce qui signifie : "bon alors, où est-il, le message de ce vin?". L’image qui me vient est celle des fantasmatiques mannequins qui présentent les sous-vêtements de Victoria’s Secret. Sous un anorak de ski, leur charme est moins évident. Le Clos de Bèze, pour le moment, c’est ça.

Mon ami arrive, peu après que quatre américains se sont assis à la table voisine. Les petits amuse-bouche sont délicats et réveillent le chambertin. A la table voisine je vois comment l’américain qui me tourne le dos commente les vins avec le sommelier, et je me dis : "voilà une table où l’on aime le vin". Quand arrivent à leur table un Montrachet domaine Ramonet 1999 ainsi qu’un Chassagne Montrachet dont je ne reconnais pas le domaine à cette distance, mon impression se confirme.

L’entrée est une terrine de joue de bœuf tout à fait sympathique mais qui ne sait pas émouvoir le vin de Bourgogne. L’américain, appelons-le Murray, se tourne vers moi et dit : "oh, Armand Rousseau, ça c’est un grand vin". Comme dans une pièce de théâtre dont on connaît les répliques, je lui dis : "Montrachet Ramonet, ce n’est pas mal non plus". Et, sans attendre la prochaine réplique, je lui dis : "je vous ferai porter un verre du Chambertin". La réponse, telle qu’elle est écrite dans le livret est : "si vous voulez goûter le Montrachet, ce sera un plaisir de vous en faire porter aussi". Le français étant facétieux, la suite du dialogue est : "si je vous l’ai proposé, c’est aussi pour susciter cette réciprocité".

Lorsque Murray se lève pour regarder le millésime de l’Armand Rousseau, il me glisse : "vous savez, j’ouvre toutes mes bouteilles avec votre méthode". Je ne suis pas sûr qu’il m’ait spontanément reconnu. Un bon maître d’hôtel, ça sert aussi à ça.

Notre plat de résistance arrive, une poitrine de porc à la sauce réduite, qui propulse le chambertin à des hauteurs insoupçonnées. L’accord est divin, et le vin d’une rare subtilité, d’une couleur rose framboise, d’un parfum délicat, devient un chambertin de première grandeur, traduisant le talent de la vinification d’Eric Rousseau. C’est un bonheur. Il est serein, affirmé, élégant et subtil. On sent qu’il est encore une fleur en bouton, mais il est joliment ingambe. Sa subtilité est confondante et j’adore le style Armand Rousseau.

J’apostrophe Murray, lui disant qu’il est absolument indispensable qu’il goûte une portion de mon plat sur le verre que je lui ai fait porter. Je demande au talentueux et sympathique maître d’hôtel qu’on fasse une petite portion de ce plat pour Murray. Mais la cuisine considère ce porc comme un atome, au sens grec du terme qui veut dire : insécable. C’est donc un plat entier qui arrive devant Murray, alors que son menu a été calibré pour les blancs.

Pendant ce temps, j’essaie le Montrachet domaine Ramonet 1999 sur la poitrine de porc, et l’accord est aussi brillant, même si le plat appelle plutôt le chambertin. Le vin blanc est magistral, riche, moins sans doute que le Montrachet du domaine de la Romanée Conti de la même année, mais il est franchement épanoui et grand. Il diffère du chambertin qui est encore un jeunet impubère. Le Ramonet est déjà un adulte en pleine possession de ses moyens. Le seul qualificatif qui lui convient est : grand.

Murray goûte le chambertin et constate à quel point la poitrine de porc donne une dimension extrême au vin. A la table des quatre américains, arrive un Hermitage Les Bessards Delas 1999. Et, par une reconstitution d’un sympathique D-day, deux verres de l’Hermitage sont parachutés sur notre table. Le vin est comme un quadrupède qui aurait une patte en l’air. Il est intéressant, juteux, mais il manque objectivement d’équilibre.

Le soufflé au chocolat amer est trop lourd pour accompagner des vins, aussi l’écartons-nous. Mon ami s’éclipse assez vite, voyant l’aimantation que représente la table des américains pour moi.

Avant même son départ je m’installe à la table des quatre et je fais ouvrir un Chateauneuf-du-Pape Cuvée Marie Beurrier Henri Bonneau 1999. Pour la petite histoire, ayant découvert grâce à un forum un petit film sur Henri Bonneau, j’ai eu la curiosité d’acheter ce vin chez un caviste. Ayant acheté une caisse de douze de ce vin que je ne connais pas, dans cette cuvée et dans cette année, l’occasion fait le larron. Nous trinquons, les quatre américains et moi, et ce vin me conquiert immédiatement. Quel pouvoir de séduction ! J’ai gagné sur deux tableaux : j’ai fait plaisir à ces mordus de vins, et j’ai vérifié qu’en achetant chat en poche, j’avais fait une bonne pioche. Le vin a un équilibre joyeux redoutable. C’est un vin de séduction au charme naturel.

Nous bavardons et bavardons. Le sommelier nous dit au revoir. L’après-midi est largement entamé quand nous nous quittons avec la promesse de nous revoir.

Il n’y a que le vin pour créer de telles amitiés spontanées. La cuisine de Michel Rostang est solide et extrêmement précise. Les plats sont remarquables. Michel n’était pas là mais Caroline sa fille est venue me saluer. Voilà un bien beau repas, riche d’imprévu.

144ème dîner de wine-dinners – les vins mardi, 22 février 2011

Champagne Bollinger Grande Année magnum 1982

Champagne Veuve Clicquot Ponsardin 1943

Château Laville Haut-Brion blanc 1943

Chevalier Montrachet La Cabotte Bouchard Père & Fils 2000

Château Palmer margaux 1959 (le millésime est très difficile à lire mais c’est bien 1959)

Château Haut-Brion 1er Grand Cru classé de Graves 1918 (on note la fraîcheur de la capsule)

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1986 (de retour de Sainte Hélène !!!! )

Chambertin Domaine Armand Rousseau 1990

Château Rayne-Vigneau Sauternes 1964

Château d’Yquem 1967

144ème dîner de wine-dinners au restaurant Taillevent mardi, 22 février 2011

Le 144ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Taillevent. Les bouteilles sont remontées de la cave de Taillevent après avoir été mises debout la veille. Je commence les ouvertures à 17 heures. Le Chevalier Montrachet La Cabotte Bouchard Père & Fils 2000 a un bouchon extrêmement serré qui demande une force herculéenne pour l’extirper. L’odeur est puissante et d’une jeunesse folle. Le soufre et le pétrole envahissent le nez. Le vin devrait être une bombe d’arômes. Le Laville Haut-Brion 1943 a une couleur un peu gris vert. Je n’avais pas remarqué un détail qui compte : le verre de la bouteille est bleu, comme pour les années de guerre, par manque de plomb. Et ceci explique la couleur du vin. Le bouchon est magnifique et sort entier. Le parfum est riche et les arômes d’agrumes abondent. Il semble d’une grande subtilité. C’est un vin riche au nez.

Le Palmer 1959 a un beau bouchon. Le nez est impérial, fidèle à la réputation du margaux. Le haut du bouchon du Haut-Brion 1918 est poussiéreux et sent la terre. Le bouchon se brise en trois morceaux mais tout se lève avec mes outils miraculeux. Alors que je suis seul dans la belle salle qui va abriter notre dîner, voilà que je me mets à parler. "Ça c’est sublime" sort instantanément de mes poumons, car le parfum du vin est quasi irréel. Il est tout en fruits rouges subtils.

Les bouchons des deux bourgognes sont parfaits, celui de La Tâche 1986 étant d’un diamètre plus grand. Il n’y a rien de plus dissemblable que les fragrances de ces deux vins. La Tâche 1986 est toute en subtilité gracile et gracieuse. Alors que le Chambertin Domaine Armand Rousseau 1990 est tout en muscles, ce qui n’exclut pas le raffinement.

Les bouchons des deux sauternes sont sans histoire car il s’agit de jeunots, et à mon étonnement, il y a une grande similitude entre les nez du Rayne-Vigneau 1964 et de l’Yquem 1967. Le plus vieux est un peu plus simple, mais les deux jouent sur des registres très proches, dans les mêmes gammes d’arômes, ce qui va me pousser à les faire servir ensemble, très probablement.

Alain Solivérès souriant vient me présenter Matthieu Bijou, le nouveau pâtissier, dont j’avais appris l’arrivée par la presse. Il est jeune mais déjà très affirmé et me présente les mignardises qui pourraient accompagner les liquoreux. Il revient sans cesse me faire goûter de nouveaux essais. Tout semble en ordre. Il me reste à attendre mes amis.

Dans la salle de l’étage que je considère comme la plus belle de Paris, nous sommes onze dont neuf buveurs, car deux jolies femmes ne boivent pas. C’est un diner d’habitués puisque seules deux personnes n’avaient jamais participé à l’un de ces dîners.

Le menu créé par Alain Solivérès est : Huîtres Ecailles d’Argent en gelée d’eau de mer / Epeautre du pays de Sault en risotto au homard / Suprême de volaille de Bresse rôti, salsifis truffés / Pigeon de Racan en chausson feuilleté, fois gras et chou / Mignon de Veau du Limousin, légumes d’hiver caramélisés à la truffe noire / Duo de roquefort, marmelade d’orange / Pomme fondante et saveurs confites. Ce repas classique n’exclut pas les audaces d’un chef au registre solide et rassurant. C’est exactement ce qui convient à des vins de première grandeur.

Le Champagne Bollinger Grande Année magnum 1982 est d’un bel or clair qui est signe de jeunesse. La bulle est très active et le vin montre à la fois des signes de grande jeunesse mais aussi de maturité. Il est épanoui, assis, avec des notes de fruits compotés mais c’est aussi un champagne de soif, car il glisse allégrement en bouche. Prévu pour l’apéritif, il accueille de goûteuses gougères et sera puissamment fouetté par l’huître à l’iode envahissant.

Le Champagne Veuve Clicquot Ponsardin 1943 et d’un ambre rosé, et je précise que le champagne n’est pas rosé. La première gorgée a une légère trace poussiéreuse qui s’estompe très vite, et le champagne à l’exacte température développe la complexité de ses arômes dans les fruits rouges et roses. L’huître est tellement typée qu’on pourrait craindre un rejet du champagne, mais en fait, quand le palais s’habitue, l’huître, qui convient mieux au Bollinger au premier abord, élargit et étoffe le 1943 par une compensation que je n’aurais pas imaginée.

Le Château Laville Haut-Brion blanc 1943 est l’un des deux blancs associés à l’épeautre. C’est lui qui profite le plus de l’association avec la sauce réduite du plat. Une des convives, experte en vins, soupçonne que j’ai placé le Chevalier Montrachet La Cabotte Bouchard Père & Fils 2000 pour mettre en valeur le 1943, tant le bourguignon est d’une jeunesse folle, débridée, aux parfums brutaux de son âge mais à la bouche policée et joyeuse, car il respire la rondeur. Le Laville est parfait, et c’est un régal sur le plat, l’accord étant un des plus beaux du repas. Son or est brillant et épanoui, formant dans le verre un contraste saisissant avec la couleur du vin dans la bouteille bleue. Son parfum est raffiné, et en bouche, son élégance est éclatante, faisant dire à certains que ce Laville surpasse beaucoup de Haut-Brion blancs. Nous sentons tous l’importance de cette rencontre avec un vin de 67 ans.

Si l’association des deux blancs se justifiait, puisqu’aucun ne faisait de l’ombre à l’autre, le Château Palmer Margaux 1959 impérial et glorieux va mettre un peu d’ombre à un vin qui sait se défendre, le Château Haut-Brion 1er Grand Cru classé de Graves 1918. Ce qui frappe d’emblée, c’est la couleur des deux vins. Le Palmer est d’un rouge sang d’une rare pureté, et le Haut-Brion est d’un rouge plus noir, plus concentré. Aucun des deux vins n’a la moindre trace de tuilé. Au nez, ma préférence va au Haut-Brion, qui a conservé la fraîcheur de fruits rouges et noirs. En bouche, le Palmer est parfait, sans le moindre défaut, plein d’un équilibre exceptionnel. Il est à fois juteux et racé. Sa profondeur de trame est un modèle. La question s’est souvent posée : est-ce 1959 ou 1961 qui est le meilleur des Palmer ? Il y a vingt ans, je répondais 1959 et une confrontation des deux millésimes faite à l’académie des vins anciens a donné l’avantage au 1961. Cette bouteille va faire pencher le balancier vers 1959, sauf preuve contraire à provoquer très vite.

Le Haut-Brion 1918 serait adoré s’il ne cohabitait pas avec le Palmer. Car on accepterait sans hésiter sa trame parfaite, son goût truffé, sa profondeur, s’il n’avait à ses côtés un vin qui chante plus fort que lui. J’ai adoré ce vin car il est rare aujourd’hui d’avoir des témoignages de cette année de fin de guerre aussi brillants que celui-ci, car nul ne pourrait trouver le moindre défaut à ce beau Haut-Brion de 92 ans.

La volaille est copieuse, trop copieuse même, et son accord le plus pertinent est avec les vins blancs précédents, pour ceux qui avaient eu la prévoyance d’en garder. Pour les bordeaux rouges, l’accord n’est que poli.

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1986 a un nez d’un raffinement extrême. Ce parfum me fait fondre de bonheur, car il allume toutes les lampes qui évoquent le domaine que je chéris tant. On sent le sel que j’aime dans les vins du domaine. Le pigeon est parfait pour tirer tous les accents subtils de ce vin raffiné, séducteur, qui cumule les œillades, les petits coups d’éventail et les mouchoirs parfumés pour mieux nous attirer. Je me régale avec ce vin très représentatif d’un domaine de la Romanée Conti qui séduit, ce qui n’est pas toujours le cas, quand la rigueur académique prend le dessus.

J’avais expliqué à mes amis que j’ai déjà bu tous les vins de ce dîner, sauf un, celui qui va venir. C’est dans ce millésime que je ne l’ai pas bu, je n’en ai qu’un seul exemplaire, celui-ci. J’en attends énormément, et je leur fais part de mon inquiétude créée par le fait que l’odeur de La Tâche était plus excitante à l’ouverture.

On me sert en premier un verre du Chambertin Domaine Armand Rousseau 1990. Comme je suis incapable de maquiller mes sentiments, toute la table voit éclore un large sourire sur mon visage : ce vin est parfait. Au nez je le voyais très différent de La Tâche, mais en bouche, je retrouve des notes salines très proches. Cela peut paraître lancinant de lire que je trouve tant de vins parfaits, mais il faut convenir que ce soir, le tir groupé est assez exceptionnel. Et ce chambertin est absolument parfait. Il est même réconfortant, tant on a du plaisir à savoir le lire. Quel beau vin, serein, joyeux, pertinent. Je suis aux anges devant un tel équilibre serein qui pianote ses charmes à chaque instant. Le mignon de veau est divin et exactement ciblé pour le chambertin, mais nous avons été tellement gâtés par des quantités gargantuesques, que nous sommes prêts à rendre l’âme.

On me fait goûter les deux liquoreux, et contrairement à l’idée esquissée il y a sept heures, ils seront servis décalés, car le second pourrait faire de l’ombre au premier. Le Château Rayne-Vigneau Sauternes 1964 est riche et joyeux. Son or est acajou clair, son nez est puissant et il apprécie la marmelade d’orange qui accompagne deux roqueforts. Ce vin rassurant et juteux est sans histoire, naturellement agréable.

Le dessert conçu par Matthieu Bijou est idéal pour le Château d’Yquem 1967. Tout le monde attendait cet Yquem dont la réputation est prestigieuse. Il est grand, au parfum plein, à l’or idéalement bronzé. Il est beaucoup plus subtil que le précédent, mais, est-ce la fatigue due à l’heure tardive, je n’ai pas l’émotion que ce sauternes magistral devrait créer. C’est un grand Yquem un peu scolaire. Il est bien, mais ce soir, pas dans mon Panthéon.

Les mignardises mises au point avant le repas sont d’une grande justesse. Le macaron à la vanille de Tahiti que Matthieu a tenu à ajouter va beaucoup mieux avec le cognac tentateur de Taillevent qu’avec l’Yquem.

Il est l’heure de voter et sur les dix vins, huit figurent sur au moins trois feuilles de votes. Trois vins seulement ont eu des votes de premier. Le Château Palmer Margaux 1959 quatre fois, le Chambertin Domaine Armand Rousseau 1990 aussi quatre fois, et le Château Haut-Brion Graves 1918 une fois.

Le classement du consensus serait : 1 – Château Palmer Margaux 1959, 2 – Chambertin Domaine Armand Rousseau 1990, 3 – Château Haut-Brion 1er Grand Cru classé de Graves 1918, 4 – Château Laville Haut-Brion blanc 1943, 5 – Château d’Yquem 1967.

Mon classement est : 1 – Chambertin Domaine Armand Rousseau 1990, 2 – Château Palmer Margaux 1959, 3 – Château Laville Haut-Brion blanc 1943, 4 – Château Haut-Brion 1er Grand Cru classé de Graves 1918, 5 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1986.

Le fait marquant de ce repas, c’est le niveau qualitatif des vins. Non seulement aucun ne fut faible ou fatigué, mais en plus on ne pourrait dire d’aucun qu’il eût pu être d’une meilleure présentation. Ajoutons à cela une cuisine sereine et pertinente. Le service est d’une extrême qualité et sait être présent quand il le faut comme le montre cette anecdote : un ami affirme que tout collectionneur de vins doit avoir cassé au moins une fois une bouteille de valeur. Il raconte son anecdote et je lui signale que c’est une bouteille cassée de Margaux 1900 qui fait la couverture de mon livre. Cet ami proche n’avait jamais vu mon livre. Quelques minutes plus tard, l’un des serveurs apporte à notre table une photocopie de la couverture du livre. On savait que Taillevent a le meilleur service du monde. En voici une preuve de plus, sans oublier les performances de Jean-Claude, Diane, sommelière attentionnée, et toute l’équipe.

Le dernier point à signaler, c’est l’ambiance joyeuse et souriante d’un groupe de passionnés qui se retrouveront bien vite à cette table ou à l’une des autres belles tables de Paris.

repas au Laurent – photos jeudi, 17 février 2011

Les vins du dîner

Les deux champagnes de début

Champagne Mumm Cordon rouge 1979

Champagne Moët & Chandon Brut Impérial 1945

Champagne Krug Grande Cuvée années 60/70

Château Latour 1971

Château Larcis-Ducasse Saint-Emilion 1945

Romanée Saint-Vivant Marey-Monge Domaine de la Romanée Conti 1972 (on note la couleur du verre de la bouteille)

Champagne Dom Ruinart rosé 1988

Les bouchons. On remarque la différence entre le bouchon du Latour et de la Romanée, alors qu’une seule année les sépare

On voit sur la photo de droite la graisse que j’ai remontée à la curette, le long du goulot, par les traces que j’ai laissée sur la coupe

Les plats du dîner (on note la truffe abondante)

Les verres et les bouteilles vides

Notre sympathique groupe en fin de repas