dîner de Noël vendredi, 24 décembre 2010

Ma femme m’a demandé d’acheter truffes et caviar pour les repas de Noël. Etant d’un naturel assez excessif, j’ai acquis à peu près dix fois plus que ce qu’elle attendait. Au-delà de la sévère réprimande que j’essuie, que faire de tout cela ? Au repas de midi du 24, où une partie de la famille des trois générations déjeune de façon frugale, il y a des brocolis. Je tranche de fins lamelles de truffe, et avec mon gendre, nous entamons le "stock". La truffe a un parfum intense, et avec le brocoli tiède, la truffe se positionne bien.

A 16heures, je descends en cave avec mon gendre pour choisir parmi les vins que j’ai sélectionnés pour ces deux jours. Mon gendre regarde et son œil est attiré par un Champagne Krug Grande Cuvée en 1/2 bouteille des années entre 83 et 95, car son étiquette, qui a évolué au fil des ans, permet de le dater dans cette période. Il la prend en mains et je lui dis : "allez, on se fait notre petit quatre heures".

Nous remontons, j’ouvre une boîte de caviar, et, chacun armé d’une cuiller en nacre, nous mangeons goulûment un caviar spéciale réserve Alverta qui est un osciètre royal. A noter que cette mention finale que j’ai trouvée sur internet n’est pas marquée sur la boîte. Est-ce cela, je ne sais. Le caviar est superbe par son gras et surtout par sa longueur inextinguible. Le sel est remarquablement dosé.

Le champagne montre un bouchon sur lequel est marqué " For U.S. export". La couleur est d’un ambre gris, la bulle est faible et le nez est riche et profond. En bouche le champagne, bien que peu dosé, donne, du fait de l’âge, une onctuosité exceptionnelle. Mon gendre adore ces champagnes à la maturité avancée, qui déclinent d’innombrables parfums. On dirait un panier de fruits rouges, jaunes et orange, longuement exposés au soleil, qui exhalent des parfums chauds. Le fait de boire ce champagne avec ce caviar est un luxe dont nous jouissons. L’accord est poli, mais il faudrait un champagne plus jeune pour accrocher avec le caviar. Cela ne diminue pas le plaisir.

Les petits-enfants s’amusent. Vers 18 heures, la plus jeune de mes filles a faim. Ma femme lui propose de croquer un fruit. Je lui propose de lui ouvrir un caviar. Elle me regarde d’un œil étonné et je lui dis : "lequel de tes deux parents préfères-tu ?". Elle prend le caviar. Je n’en tire pas de conclusion. C’est un Caviar Shassetra provenant d’esturgeons Shrenki. Ma science s’arrête là. Les grains sont plus déliés et gris clair. Ce caviar est plus précis mais moins gras et moins profond que le précédent. Pour un petit casse-croûte avant le dîner, ça va.

Les petits enfants dînent en premier. Ils s’émerveillent des cadeaux qui leur sont faits. Lorsque leur excitation est retombée démarre notre apéritif. La bouteille du champagne Charles Heidsieck Royal 1962 a une forme d’une rare élégance. L’étiquette est d’un vieil or, comme des bouteilles de rhums du 19ème siècle. Le bouchon fait pschitt à l’ouverture. La couleur du champagne est d’un ambre soutenu. Le nez est plaisant et joyeux. En bouche c’est surtout le citron, l’orange et la clémentine qui envahissent le palais. Le champagne est très fruité, surtout d’agrumes, et le citron est l’évocation de l’acidité bien maîtrisée. Sur le foie gras que l’on tartine avec gourmandise, l’accord est parfait. La question se pose : est-ce que le champagne qui va suivre sera aussi bon ?

Le deuxième champagne d’apéritif est le Champagne Comtes de Champagne Blanc de Blancs Taittinger 1966. Alors qu’il y a des couleurs et des odeurs très proches, ce champagne est totalement différent. Il a moins de fruit et moins de citron mais il a une complexité et une assise qui le placent en tête. Il est charmant mais aussi viril. Il s’impose. Sur la poutargue, très nettement meilleure que celle que nous achetons dans le sud, l’accord est plaisant, car il donne une coloration iodée au champagne. Arrivent alors quelques langoustines juste poêlées qui exacerbent la délicatesse du champagne. Mais c’est avec le corail des coquilles Saint-Jacques que l’accord est absolument grand. La sérénité des coraux et la sérénité du champagne se répondent dans une symbiose rare. Deux nouvelles assiettes de gambas et de langoustines permettent de faire le tour de la flexibilité gastronomique du Taittinger 1966. C’est un très grand champagne qui justifie l’amour que nous portons aux champagnes évolués.

Nous passons à table pour trouver une association étrange : des langoustines crues avec du filet de veau. Cette recette, puisée dans l’arsenal de Christian Le Squer, le chef du restaurant Ledoyen va accueillir un Montrachet Marc Rougeot-Dupin 1994. Sur l’étiquette il y a marqué "Le Montrachet" et je ne sais toujours pas pourquoi, pour certains vins, on ajoute l’article. Par ailleurs, la contre-étiquette dit : "récolte 1994, mise en bouteille par Marc Rougeot-Dupin". Est-ce possible que l’implication de Marc Rougeot-Dupin ne soit que la mise en bouteille ? Le vin est d’une rare précision. Sa structure est très belle, le fruit est gris jaune, et l’on sent que c’est un Montrachet subtil. Il n’a pas la puissance envahissante de certains Montrachet, mais il faut dire que le plat a tendance à le rétrécir, à jouer plus sur sa distinction que sur son opulence. J’adore ce Montrachet qui joue de son élégance et n’en fait pas trop.

Il est associé à des coquilles Saint-Jacques crues recouvertes des caviars des deux boîtes que j’avais ouvertes pour les casse-croûtes d’avant repas. L’association coquille et caviar est d’une suavité extrême. C’est presque orgasmique. Le Montrachet réagit bien, mais n’arrive pas à se départir de sa rigidité. On sent bien que ce plat appellerait un champagne, et par exemple un Dom Pérignon, qui convient toujours sur ce plat.

Les filets de rougets aux pommes de terre violettes, des Vitelottes noires, s’accordent très bien avec le Montrachet du fait de la cuisson. Il se trouve que j’ai ouvert pour ma fille qui ne boit que du rouge un Château Trotanoy 1973. Le niveau dans la bouteille était dans le goulot et ce vin que j’ai depuis plus de trente ans en cave méritait un essai, malgré une année peu engageante. Lorsque je verse le vin, la couleur est étonnante de jeunesse. Le nez est pur, et quand on boit ce vin, on est obligé de constater qu’il n’y a pas l’ombre d’une faiblesse que l’on pourrait imputer au millésime. Tout dans ce pomerol est d’une joie de vivre et d’une puissance de grand millésime. C’est un étonnement qui montre une fois de plus qu’après un certain stade de vieillissement, les caractéristiques de faiblesse de certains millésimes peuvent ne plus exister. Et il faut se précipiter à toute vitesse vers l’accord pomerol et rouget, car il est sans commune mesure avec l’accord provoqué par le montrachet. Nous sommes aux anges car le "théorème" rouget – pomerol est une fois de plus démontré. C’est même renversant de bonheur.

Pour le dessert qui est des pamplemousses roses à la gelée d’agar-agar, j’ouvre une bouteille de sauternes ancien qui ressemble comme une sœur à la bouteille d’Yquem 1874 que j’avais ouverte récemment. Elle n’a pas d’étiquette, et la capsule permet de lire sans ambiguïté Filhot. Le bouchon est très ancien et l’on voit des traces d’écriture, mais il est impossible de lire le millésime. Comme le verre de la bouteille est soufflé avec des bulles dans le verre, ce qui montre un âge certain, et comme la couleur est très proche de l’ancien Yquem, ce Filhot pourrait être d’une année comprise entre 1875 et 1905 (pour fixer des bornes). Je l’appellerai Château Filhot 1885. Comme cela arrive très souvent, le vin qui dans la bouteille a une couleur caramel devient d’un or soutenu et radieux dans le verre. Le nez est discret et en bouche, je reconnais les saveurs qui m’avaient enchanté des Filhot 1858 et 1869 que j’ai eu la chance de boire. Alors que le 1869 était opulent et vraiment liquoreux, le 1885 de ce jour, comme le 1858 de naguère, a perdu son sucre. Mais ce qu’il a gardé est d’une sensibilité qui m’enchante. Comme le pamplemousse est assez acide, l’accord se trouve bien avec ce sauternes profond, au goût devenu sec, d’une longueur qui me ravit et d’une finesse de discours qui ajoute à mon enchantement.

Mon gendre a du mal à comprendre ce vin et je peux le comprendre. L’habitude plus grande des sauternes très anciens qui ont mangé leur sucre me permet de goûter la grande pureté de ce vin qui n’a pas dévié, sauf d’avoir évolué vers le statut de sauternes sec. Les redoutables madeleines au miel de châtaignier faites avec la recette de Pascal Barbot, le chef du restaurant Astrance, et des arlettes parachèvent de leurs délices les joies de ce repas.

Le point final sera donné par une Tarragone des Pères Chartreux du début du siècle dont je me demande aussi pourquoi le nom sur l’étiquette est "Une Tarragone". L’usage de l’article est surprenant. Ce qui ne l’est pas, c’est la puissance aromatique infinie de cette liqueur aux myriades de fleurs des champs.

Dans l’ordre des saveurs, si la Tarragone est hors concours, et de loin, je mets en premier le Filhot 1885 suivi du Taittinger 1966, alors que selon mes filles et mes gendres, la palme reviendra au Trotanoy 1973 ou au Taittinger 1966.

Ce repas de Noël où manquaient mon fils et sa famille qui vivent outre-Atlantique aura été un dîner de grand raffinement.

restaurant Le Petit verdot – photos jeudi, 23 décembre 2010

Le champagne Comtes de Champagne 1973 est joli dans ce seau

Et l’on voit apparaître, par la magie des réfractions dans l’eau, le profil d’Hidé

La Romanée, Monopole de mise du domaine de la Romanée, réserve A. Bichot 1969

Les plats

Le dessert et une Folle Blanche 1996 du domaine Boignières pour écrire le mot "FIN" à cet amical dîner

dîner au restaurant le Petit Verdot mercredi, 22 décembre 2010

Il y a longtemps que nous n’avions pas vu Jean-Philippe, ce médecin qui cuisine comme un chef trois étoiles et qui nous a cornaqués dans des endroits de haute gastronomie. Le rendez-vous est pris au restaurant le Petit Verdot, tenu par un ancien sommelier et directeur de talent que tout le monde appelle Hidé. De retour de voyage, Jean-Philippe n’a pas le temps d’aller chercher un vin. J’en fournis deux, et Jean-Philippe nous invitera. Le Champagne Taittinger Comtes de Champagne 1973 n’est pas assez frais à l’ouverture, aussi quelques défauts apparaissent qui disparaîtront dès que le champagne sera frappé. Hidé l’aime immédiatement. J’aurai besoin de quelque temps pour l’apprécier, car le début est très champignon, sous-bois, avec la joliesse de l’âge, mais un petit coup de fatigue. Quand il a atteint sa température idéale, le pétillant prend de l’ampleur, ainsi qu’un vrai coup de jeunesse. Il a éliminé ses défauts, et le champagne est assez strict, minéral, marqué aussi par l’onctuosité d’un dosage assez fort. L’élégance du champagne est certaine, avec une jolie retenue d’amertume, et la pureté en bouche est certaine. On imagine volontiers des fruits violets comme la quetsche.

Le menu d’Hidé est ainsi composé : mousse de girolles et sot-l’y-laisse / ris de veau rissolés, salsifis aux oignons, jus de veau aux épices / lièvre au foie gras, sauce vin rouge / bavarois de mangue et gelée d’agrumes.

Les champignons sont exactement calibrés pour faire vibrer le Taittinger 1973 qui s’améliore de seconde en seconde. Il finira sa trajectoire sur le dessert.

La Romanée, Monopole de mise du domaine de la Romanée, réserve A. Bichot 1969 a un nez à se damner. Que peut-on imaginer de plus noble que ce nez là, minéral, d’une tension extrême, promettant un grand vin. Quand je le goûte, j’ai le type de frisson qui signe un grand vin. Il est d’une expression d’intense accomplissement. Il est minéral. Il a un fruit serré. Sa longueur est extrême et ce qui frappe, c’est l’élégance du discours. Je suis aux anges et Jean Philippe aussi. Ce qui va nous marquer, c’est que son parcours ne subira aucun fléchissement. J’avais peur que le lièvre très prononcé ne tue le bourgogne mais il n’en est rien. C’est le vin qui domestique le plat viril et délicieux et pas l’inverse.

Ce vin est d’une subtilité à nulle autre pareille, Il a la noblesse et l’élégance qui conviennent à sa rareté. Hidé nous dit qu’il n’a jamais bu une Romanée de ce niveau. C’est vrai qu’elle est exceptionnelle de raffinement. Le dessert cohabite très bien avec la fin du champagne qui a atteint son plateau d’excellence, où les défauts de départ se sont estompés. Je persiste à penser que le champagne n’est pas parfait malgré tout, alors que La Romanée est à un niveau d’excellence extrême. Savoir que Jean-Philippe et moi, nous avons vibré de la même façon sur ce vin, c’est un plaisir de plus. C’est déjà un cadeau de Noël.

déjeuner au restaurant Dessirier mardi, 21 décembre 2010

Je suis invité au restaurant Dessirier qui est la propriété depuis plusieurs années du grand chef Michel Rostang. La décoration a évolué et s’améliore au fil des ans. A trois tables serrées comme des sardines – restaurant de la mer oblige – à ma gauche et à ma droite il y a aussi deux personnes qui sont arrivées avant leur convives. Alors, on papote entre deux consultations de mails sur son smartphone. Avec un voisin inconnu, nous commandons des crevettes grises, qui sont le seul passe-temps qui ne consomme pas de calories. Mais les doigts s’en souviennent. Les tables demandent des contorsions pour s’installer et j’ai pu constater qu’une fois que la conversation s’est installée avec son convive, on n’entend plus rien autour de soi.

Une coupe de champagne nous est offerte par la fille de Michel Rostang et nous commandons notre repas. J’offre à mon invitante un Champagne Dom Ruinart 1996 d’une minéralité assez exemplaire. Ce beau champagne expressif est d’une grande personnalité, encore sauvage, très tendue, mais très enrichissante. Nous commençons par des huîtres bretonnes expressives mais un peu monotones et le champagne est délicieux sur les parfums iodés. Je goûte ensuite le sandwich à la truffe, véritable réussite culinaire emblématique de Michel Rostang. L’équilibre et le dosage du gras, du pané et de la truffe sont exemplaires. Le champagne accompagne l’émerveillement.

Cette brasserie d’hommes d’affaires pressés est une halte solide et convaincante.

Les 2007 de DRC avec Aubert de Villaine vendredi, 17 décembre 2010

Chaque année, la société "Grains Nobles" organise une dégustation des vins du domaine de la Romanée Conti.

C’est Aubert de Villaine qui présente ses vins, assisté de Michel Bettane et Bernard Burtschy. Il nous présente les 2007. Le millésime 2007 est un millésime hors normes. On avait l’impression d’être "battus" par la nature, et il y a eu le miracle du pinot noir. Avril a été très chaud et le vent des Rameaux a fait penser à une année sèche. Mai a été très mauvais, suscitant le mildiou, l’oïdium et le botrytis très précoce. La floraison a été très longue et la récolte de moyenne quantité, très millerandée. Il y a eu de très petits raisins, signes de qualité. Les véraisons et les qualités se sont étagées. Il y a eu un fort décalage entre le pinot noir et le chardonnay, en retard de dix jours, alors que c’est normalement très différent. Le botrytis s’est développé en août, freiné par le froid. A partir du 20 août, le soleil arrive et le vent du nord arrête le botrytis. Les raisins mûrissent et la maturation est très rapide ainsi que la concentration, grâce au vent du nord. Les vendanges ont commencé le 1er septembre, sur dix jours. Il y a eu 15 à 20% de botrytis à éliminer à la vigne puis à la table de tri. La vendange s’est faite en deux temps : les raisins les plus fins, puis les plus grosses grappes. Le Montrachet moins attaqué par le botrytis a été vendangé à partir du 17/09, une semaine après la fin des rouges, avec des raisins très sains.

Cet exposé où Aubert de Villaine a jalonné le temps de ses choix successifs est passionnant.

Pour nous faire la bouche, nous commençons par un Bourgogne Générique de Dominique Laurent 2007 à la couleur rose rubis, a nez très pur, de belle amertume, droit. Le vin est très poivré, strict et très vert, mais très prometteur.

L’Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 2007 est d’un rouge très clair et très pur. Le nez est celui d’un vin très jeune, pas très défini. La bouche est très fruitée mais verte. Michel Bettane dit que les raisins sont plus mûrs que ce qu’on imagine. Le final est très vert avec une astringence nette. C’est un vin pur, sans concession. La mâche est très délicate et l’acidité sera la base de la longévité. Aubert dit que le vin est aérien. C’est un vin marqué par la pureté, la finesse, la droiture, la fraîcheur au final très long.

Le Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 2007 est d’un rouge un peu plus profond. Le nez est plus profond, très droit et pur. En bouche, le strict prend le dessus. Il est poivré, tendu. Lui aussi est très vert et manque un peu de fruit. Je ressens plus la rigueur de la vinification que le fruit. C’est un vin ascétique, très concentré, avec de la matière. Il durera éternellement. Quand le vin s’échauffe, un joli fruit apparaît.

La Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 2007 est d’un rouge encore plus profond. Le nez est élégant. On sent plus le sel. Le nez est très fort. Il est Romanée et plus sauvage aussi. Le nez est plus profond. En bouche, il y a une râpe qui est très Domaine de la Romanée Conti. Qu’est-ce que c’est bon ! Il y a un charme énorme. Le fruit est beau. On est dans le domaine de la séduction et de la volupté. C’est la vie sous Louis XV ! Dans le final, il y a le sel que j’adore dans les vins du Domaine.

Le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 2007 a un rouge de rubis superbe. Le nez est encore plus profond, mais il est moins Domaine de la Romanée Conti que la Romanée Saint-Vivant. Le goût est plus guerrier, plus viril, et le final est glorieux. Il y a moins de fruit, mais le final est spectaculaire. Il y a le sel du Domaine. J’aime la Romanée Saint-Vivant pour son charme et le Richebourg pour son sel et son final glorieux.

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 2007 est fait de vignes qui en 2007 ont une moyenne d’âge de 52 ans. Le rouge est encore plus profond. Le nez est impérial, montrant encore plus d’équilibre. Le nez est beaucoup plus riche. Le fruit explose à l’attaque. Puis le sel arrive et le final est en sel, avec du poivre. Ce vin est une promesse extrême. Il a la puissance, l’équilibre et la trace saline où le fruit va se découvrir avec le temps. Ce vin promet énormément. Aubert évoque vanille et réglisse. Le fruit se développe et ce vin est imprégnant, possessif. Il est très La Tâche. Michel parle de son toucher de bouche énorme.

La Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 2007 est d’une robe plus claire, mais pas si claire que cela, comme elle en a la réputation, Bernard Noblet estimant que pour ce vin, la couleur serait un maquillage trop fardé. Oui, on retrouve au nez les pétales de rose et le sel. On y est ! C’est le charme absolu. Le final fou est plus grand que celui du Richebourg. Même si je suis conditionné pour l’aimer, et je ne peux pas m’empêcher d’avoir un petit frisson quand je bois cette Romanée, ce vin est immense. Il y a le fruit, le sel et surtout la complexité. Il n’est pas facile à comprendre, ne se livre pas tant que cela, et mon voisin d’en face me dit qu’il n’arrive pas à vibrer sur ce vin alors qu’il a compris tous les autres. Le final du vin, c’est le sel et les roses, avec des fruits rouge pâle. Il a le charme et l’équilibre. Il faudra attendre avant qu’il n’atteigne la gloire de la Romanée Conti.

Le Montrachet Domaine de la Romanée Conti 2007 est un vin qui ne se fait que depuis 1966. Il est d’un jaune d’or et son nez est opulent. La richesse est exceptionnelle. Les raisins ont été cueillis très mûris, car Aubert estime que cela conserve la fraîcheur. Cela donne des vins au style opulent. Celui que nous buvons est encore fermé mais grand. Il est strict, mais élégant. Il a de la présence et du fruité. Il s’ouvre et montre qu’il est riche, au final merveilleux d’élégance et de persistance. La minéralité (on retrouve le sel) est assortie de poivre, de zestes de citron. Il est grand, sel et épices. Sa fraîcheur est remarquable. C’est un vin sans défaut.

Aubert de Villaine est impressionnant quand il expose sa démarche vers l’excellence absolue, avec humilité et le doute du scientifique. La dégustation est une démonstration éclatante du talent du Domaine de la Romanée Conti en matière de choix des raisins et de vinification. Les vins de 2007 sont graciles, assez stricts, et nous combleront de joie par leur élégance d’une année légère dans au moins une dizaine d’années.

déjeuner en hommage à Gérard Besson jeudi, 16 décembre 2010

Nous avions envisagé un Casual Friday, qui, au nom des droits à l’égalité et à la libération des jours de la semaine, devait se tenir un jeudi. C’est l’un d’entre nous qui avait proposé de fournir le plus grand nombre de vins. Tout occupé au 143ème dîner et au voyage pour des obsèques, je n’ai pas bien compris que la séance soit annulée. Elle a été remplacée par autre chose. Aussi est-ce dans une configuration différente des séances précédentes et avec des participants différents que nous nous sommes retrouvés à sept au restaurant Gérard Besson pour le déjeuner d’adieu que j’avais suggéré et souhaité pour rendre un dernier hommage à un grand monsieur de la cuisine française.

Lorsque j’arrive, des bouteilles alignées ont été débouchées par Gilles. Les bouchons sont torturés comme cela arrive avec des vins très anciens. Certains vins ont des niveaux un peu bas, et les odeurs des vins un peu chauds ne sont pas très engageantes. Il est demandé à Gilles de descendre les bouteilles dans la cave, car il serait désagréable de boire des vins trop chauds.

Gérard Besson nous a concocté ce menu : amuse bouche de gougères et saucisse coupée au couteau / Saint-Jacques d’Erquy aux lames de truffe / oreiller de la belle Aurore, sauce fumet plumes et poils / oiseau, figue et champignons / oiseau comme le faisait "Georges Garin" / Brie de Melun, lames de truffe / tarte d’automne aux quatre fruits.

Il était exclu que nous quittions Gérard Besson, que nous reverrons bien sûr, sans qu’il exécute l’oreiller de la belle Aurore, plat emblématique de la cuisine française, tourte de douze chairs différentes, de gibiers de toutes sortes.

Lorsque l’ami qui a apporté le plus grand nombre de vins se présente, avec la diplomatie qui me caractérise, je lui dis : "tu sais, il y aura du déchet". Les faits montreront que j’ai bien eu tort, car les performances furent belles. Et je trouve justifié de rendre hommage à son choix de vins.

Le Champagne Moët & Chandon Brut 1964 est magnifique. Ce qui est bien avec ce champagne dans cette année, c’est qu’il est confortable, facile à vivre, donnant l’image du champagne serein. Si on prend ses lunettes pour critiquer, on trouvera toujours un petit détail qui manque. Mais si on l’accepte comme un ami, il renvoie son amitié. C’est très agréable de boire un tel champagne qui démontre avec facilité l’intérêt des champagnes anciens.

Le Champagne le Diamant Bleu Hiedsieck Monopole 1964 est d’une extraction supérieure. Doté de plus de bulles, d’une couleur plus claire qui indique une jeunesse mieux préservée, ce vin est moins dosé, plus strict et plus profond, avec une longueur qui fait rebondir le goût. Alors bien sûr on se moque de moi car je manifeste ma joie de boire ce vin qui est mon apport, mais il est évident que si le Diamant bleu est plus grand, les deux champagnes de 1964 sont deux vrais plaisirs.

Le Pouilly-Fuissé "les Champs" Georges Burrier 1955 a une couleur qui commence à ambrer, un nez extrêmement séducteur, car il combine le parfum du zeste de citron vert avec des fraîcheurs mentholées. En bouche il est bien rond, ne montre pas trop son âge. C’est un très bon vin assez simple et de plaisir. Il a un final entraînant.

Le Meursault 1ère J. Faiveley 1919 d’une amie est une bouteille rare. Le risque est assez grand avec une bouteille de 91 ans et effectivement le nez fait très âgé, à la limite (non franchie) du bouchonné. Le palais est plus agréable et l’on note même une belle rondeur. Ce vin est fatigué mais va montrer au fil des heures un beau retour à une vie possible.

Le Château Rausan Ségla Margaux 1928 est très peu marqué par l’âge, mais il l’est quand même un peu. Sa couleur est un peu trouble, le nez est élégant et en bouche il se boit agréablement, riche dans sa structure. On pourrait être moins critique mais le Château Nénin Pomerol 1955 est tellement éblouissant que le cœur ne retient que lui. Tous les vins de 1955 sont grandioses en ce moment, cela se vérifie à chaque essai. L’oreiller est magnifique et sa sauce est redoutable. Nous l’aimons tellement que nous réclamons un supplément, car à l’œil, nos sept tranches sont loin d’épuiser le long oreiller, presque de lit double. Gilles nous dit que le reste a été partagé en cuisine, ce qui est une belle attention de la part du chef.

Lorsque l’on verse le Chambolle Musigny Albert Brenot 1926 nous nous souvenons de la phrase indélébile de notre ami, dont nous nous moquons, qui est : "je n’ai jamais été déçu avec les 1926". C’est le petit côté élitiste, voire l’aspect "secte des sachant" que nous stigmatisons. Et en fait, ce 1926 lui donne raison. Il a une rondeur de grand cru, alors qu’il ne l’est pas. J’adore ce vin chaleureux. Les oiseaux sont servis par des sauces absolument exceptionnelles, car le chef est le prince des sauces. Les vins en profitent.

Au contraire, le Chambertin Cuvée Héritiers Latour Domaine Louis Latour 1935 fait franchement fatigué. On peut lui trouver des circonstances atténuantes, car le message est encore lisible, mais il vaut mieux se tourner vers l’Aloxe-Corton P. A. André négociant au Château de Corton 1959, vin absolument resplendissant et sans défaut. Voilà un vin que j’aime.

L’Hermitage E. Vérilhac 1945 montre moins de signes de fatigue que ce que le bas niveau faisait craindre. Il est pur, équilibré, solide comme un hermitage, et se boit avec plaisir si on enlève le voile de fatigue.

Le Caillou blanc du Château Talbot 1959 est parfait, ne lésinons pas sur le commentaire. Ce que je veux exprimer, c’est qu’il n’a aucun défaut, l’année merveilleuse lui donnant une jeunesse éternelle. Equilibré, serein, il n’a peut-être pas le coffre des plus grands, mais il se boit comme un grand. Le Puligny-Montrachet les Pucelles Bouchard Père & Fils 1976 est aussi une belle surprise, d’un vin qui apporte un joli fruité. Ces deux blancs sont purs.

Le Champagne Salon 1997 est une belle récompense sur le brie et sa truffe. Charmant, floral à souhait, il se révèle comme un Salon qui joue plus sur l’élégance que sur la force.

Le Château Rayne-Vigneau 1928 est grand, bien campé solidement sur un squelette irréprochable. Sa sérénité est conquérante et sur la sublime tarte de Gérard Besson, c’est un régal. Bravo l’ami pour tes choix de vins.

Gérard Besson vient nous rejoindre et nous fait servir un Gewurztraminer Sélection de Grains Nobles Clos des Capucins Domaine Weinbach Théo Faller 1983. Le vin est riche, frais, fluide, avec la légèreté des grands liquoreux alsaciens. Nous trinquons avec Gérard en évoquant quelques grands souvenirs de gastronomie. Les voix s’éraillent sous le poids de l’émotion. Nous imaginons une rencontre nouvelle chez un autre chef ami de Gérard, pour que le cordon ombilical ne se coupe pas.

Les amis s’en vont, je reste seul pour embrasser Gérard Besson et son épouse, et là, les larmes sont au bord des yeux. Prince des sauces, prince des gibiers, grand connaisseur des accords mets et vins, Gérard est devenu au fil des ans un ami. Il part en plein succès car tout le monde veut l’honorer, au point que le service a du mal à suivre. Tant mieux, car Gérard partira en sachant que de nombreux gourmets lui doivent des souvenirs impérissables.

déjeuner au Gérard Besson – les vins, les plats jeudi, 16 décembre 2010

Champagne Moët & Chandon Brut 1964

Champagne le Diamant Bleu Hiedsieck Monopole 1964

Pouilly-Fuissé "les Champs" Georges Burrier 1955

Meursault 1ère J. Faiveley 1919

Château Rausan Ségla Margaux 1928

Château Nénin Pomerol 1955

Chambolle Musigny Albert Brenot 1926

Chambertin Cuvée Héritiers Latour Domaine Louis Latour 1935

Aloxe-Corton P. A. André négociant au Château de Corton 1959

Hermitage E. Vérilhac 1945

Caillou blanc du Château Talbot 1959

Puligny-Montrachet les Pucelles Bouchard Père & Fils 1976

Champagne Salon 1997

Château Rayne-Vigneau 1928

Gewurztraminer Sélection de Grains Nobles Clos des Capucins Domaine Weinbach Théo Faller 1983

les vins dans l’ordre de service

les bouchons

les plats (au centre et à droite l’oreiller de la belle Aurore)

le grand chef Gérard Besson, à qui nous avons rendu hommage pour les grands moments de gastronomie qu’il nous a fait vivre