Les 2007 de DRC avec Aubert de Villaine vendredi, 17 décembre 2010

Chaque année, la société "Grains Nobles" organise une dégustation des vins du domaine de la Romanée Conti.

C’est Aubert de Villaine qui présente ses vins, assisté de Michel Bettane et Bernard Burtschy. Il nous présente les 2007. Le millésime 2007 est un millésime hors normes. On avait l’impression d’être "battus" par la nature, et il y a eu le miracle du pinot noir. Avril a été très chaud et le vent des Rameaux a fait penser à une année sèche. Mai a été très mauvais, suscitant le mildiou, l’oïdium et le botrytis très précoce. La floraison a été très longue et la récolte de moyenne quantité, très millerandée. Il y a eu de très petits raisins, signes de qualité. Les véraisons et les qualités se sont étagées. Il y a eu un fort décalage entre le pinot noir et le chardonnay, en retard de dix jours, alors que c’est normalement très différent. Le botrytis s’est développé en août, freiné par le froid. A partir du 20 août, le soleil arrive et le vent du nord arrête le botrytis. Les raisins mûrissent et la maturation est très rapide ainsi que la concentration, grâce au vent du nord. Les vendanges ont commencé le 1er septembre, sur dix jours. Il y a eu 15 à 20% de botrytis à éliminer à la vigne puis à la table de tri. La vendange s’est faite en deux temps : les raisins les plus fins, puis les plus grosses grappes. Le Montrachet moins attaqué par le botrytis a été vendangé à partir du 17/09, une semaine après la fin des rouges, avec des raisins très sains.

Cet exposé où Aubert de Villaine a jalonné le temps de ses choix successifs est passionnant.

Pour nous faire la bouche, nous commençons par un Bourgogne Générique de Dominique Laurent 2007 à la couleur rose rubis, a nez très pur, de belle amertume, droit. Le vin est très poivré, strict et très vert, mais très prometteur.

L’Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 2007 est d’un rouge très clair et très pur. Le nez est celui d’un vin très jeune, pas très défini. La bouche est très fruitée mais verte. Michel Bettane dit que les raisins sont plus mûrs que ce qu’on imagine. Le final est très vert avec une astringence nette. C’est un vin pur, sans concession. La mâche est très délicate et l’acidité sera la base de la longévité. Aubert dit que le vin est aérien. C’est un vin marqué par la pureté, la finesse, la droiture, la fraîcheur au final très long.

Le Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 2007 est d’un rouge un peu plus profond. Le nez est plus profond, très droit et pur. En bouche, le strict prend le dessus. Il est poivré, tendu. Lui aussi est très vert et manque un peu de fruit. Je ressens plus la rigueur de la vinification que le fruit. C’est un vin ascétique, très concentré, avec de la matière. Il durera éternellement. Quand le vin s’échauffe, un joli fruit apparaît.

La Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 2007 est d’un rouge encore plus profond. Le nez est élégant. On sent plus le sel. Le nez est très fort. Il est Romanée et plus sauvage aussi. Le nez est plus profond. En bouche, il y a une râpe qui est très Domaine de la Romanée Conti. Qu’est-ce que c’est bon ! Il y a un charme énorme. Le fruit est beau. On est dans le domaine de la séduction et de la volupté. C’est la vie sous Louis XV ! Dans le final, il y a le sel que j’adore dans les vins du Domaine.

Le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 2007 a un rouge de rubis superbe. Le nez est encore plus profond, mais il est moins Domaine de la Romanée Conti que la Romanée Saint-Vivant. Le goût est plus guerrier, plus viril, et le final est glorieux. Il y a moins de fruit, mais le final est spectaculaire. Il y a le sel du Domaine. J’aime la Romanée Saint-Vivant pour son charme et le Richebourg pour son sel et son final glorieux.

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 2007 est fait de vignes qui en 2007 ont une moyenne d’âge de 52 ans. Le rouge est encore plus profond. Le nez est impérial, montrant encore plus d’équilibre. Le nez est beaucoup plus riche. Le fruit explose à l’attaque. Puis le sel arrive et le final est en sel, avec du poivre. Ce vin est une promesse extrême. Il a la puissance, l’équilibre et la trace saline où le fruit va se découvrir avec le temps. Ce vin promet énormément. Aubert évoque vanille et réglisse. Le fruit se développe et ce vin est imprégnant, possessif. Il est très La Tâche. Michel parle de son toucher de bouche énorme.

La Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 2007 est d’une robe plus claire, mais pas si claire que cela, comme elle en a la réputation, Bernard Noblet estimant que pour ce vin, la couleur serait un maquillage trop fardé. Oui, on retrouve au nez les pétales de rose et le sel. On y est ! C’est le charme absolu. Le final fou est plus grand que celui du Richebourg. Même si je suis conditionné pour l’aimer, et je ne peux pas m’empêcher d’avoir un petit frisson quand je bois cette Romanée, ce vin est immense. Il y a le fruit, le sel et surtout la complexité. Il n’est pas facile à comprendre, ne se livre pas tant que cela, et mon voisin d’en face me dit qu’il n’arrive pas à vibrer sur ce vin alors qu’il a compris tous les autres. Le final du vin, c’est le sel et les roses, avec des fruits rouge pâle. Il a le charme et l’équilibre. Il faudra attendre avant qu’il n’atteigne la gloire de la Romanée Conti.

Le Montrachet Domaine de la Romanée Conti 2007 est un vin qui ne se fait que depuis 1966. Il est d’un jaune d’or et son nez est opulent. La richesse est exceptionnelle. Les raisins ont été cueillis très mûris, car Aubert estime que cela conserve la fraîcheur. Cela donne des vins au style opulent. Celui que nous buvons est encore fermé mais grand. Il est strict, mais élégant. Il a de la présence et du fruité. Il s’ouvre et montre qu’il est riche, au final merveilleux d’élégance et de persistance. La minéralité (on retrouve le sel) est assortie de poivre, de zestes de citron. Il est grand, sel et épices. Sa fraîcheur est remarquable. C’est un vin sans défaut.

Aubert de Villaine est impressionnant quand il expose sa démarche vers l’excellence absolue, avec humilité et le doute du scientifique. La dégustation est une démonstration éclatante du talent du Domaine de la Romanée Conti en matière de choix des raisins et de vinification. Les vins de 2007 sont graciles, assez stricts, et nous combleront de joie par leur élégance d’une année légère dans au moins une dizaine d’années.

déjeuner en hommage à Gérard Besson jeudi, 16 décembre 2010

Nous avions envisagé un Casual Friday, qui, au nom des droits à l’égalité et à la libération des jours de la semaine, devait se tenir un jeudi. C’est l’un d’entre nous qui avait proposé de fournir le plus grand nombre de vins. Tout occupé au 143ème dîner et au voyage pour des obsèques, je n’ai pas bien compris que la séance soit annulée. Elle a été remplacée par autre chose. Aussi est-ce dans une configuration différente des séances précédentes et avec des participants différents que nous nous sommes retrouvés à sept au restaurant Gérard Besson pour le déjeuner d’adieu que j’avais suggéré et souhaité pour rendre un dernier hommage à un grand monsieur de la cuisine française.

Lorsque j’arrive, des bouteilles alignées ont été débouchées par Gilles. Les bouchons sont torturés comme cela arrive avec des vins très anciens. Certains vins ont des niveaux un peu bas, et les odeurs des vins un peu chauds ne sont pas très engageantes. Il est demandé à Gilles de descendre les bouteilles dans la cave, car il serait désagréable de boire des vins trop chauds.

Gérard Besson nous a concocté ce menu : amuse bouche de gougères et saucisse coupée au couteau / Saint-Jacques d’Erquy aux lames de truffe / oreiller de la belle Aurore, sauce fumet plumes et poils / oiseau, figue et champignons / oiseau comme le faisait "Georges Garin" / Brie de Melun, lames de truffe / tarte d’automne aux quatre fruits.

Il était exclu que nous quittions Gérard Besson, que nous reverrons bien sûr, sans qu’il exécute l’oreiller de la belle Aurore, plat emblématique de la cuisine française, tourte de douze chairs différentes, de gibiers de toutes sortes.

Lorsque l’ami qui a apporté le plus grand nombre de vins se présente, avec la diplomatie qui me caractérise, je lui dis : "tu sais, il y aura du déchet". Les faits montreront que j’ai bien eu tort, car les performances furent belles. Et je trouve justifié de rendre hommage à son choix de vins.

Le Champagne Moët & Chandon Brut 1964 est magnifique. Ce qui est bien avec ce champagne dans cette année, c’est qu’il est confortable, facile à vivre, donnant l’image du champagne serein. Si on prend ses lunettes pour critiquer, on trouvera toujours un petit détail qui manque. Mais si on l’accepte comme un ami, il renvoie son amitié. C’est très agréable de boire un tel champagne qui démontre avec facilité l’intérêt des champagnes anciens.

Le Champagne le Diamant Bleu Hiedsieck Monopole 1964 est d’une extraction supérieure. Doté de plus de bulles, d’une couleur plus claire qui indique une jeunesse mieux préservée, ce vin est moins dosé, plus strict et plus profond, avec une longueur qui fait rebondir le goût. Alors bien sûr on se moque de moi car je manifeste ma joie de boire ce vin qui est mon apport, mais il est évident que si le Diamant bleu est plus grand, les deux champagnes de 1964 sont deux vrais plaisirs.

Le Pouilly-Fuissé "les Champs" Georges Burrier 1955 a une couleur qui commence à ambrer, un nez extrêmement séducteur, car il combine le parfum du zeste de citron vert avec des fraîcheurs mentholées. En bouche il est bien rond, ne montre pas trop son âge. C’est un très bon vin assez simple et de plaisir. Il a un final entraînant.

Le Meursault 1ère J. Faiveley 1919 d’une amie est une bouteille rare. Le risque est assez grand avec une bouteille de 91 ans et effectivement le nez fait très âgé, à la limite (non franchie) du bouchonné. Le palais est plus agréable et l’on note même une belle rondeur. Ce vin est fatigué mais va montrer au fil des heures un beau retour à une vie possible.

Le Château Rausan Ségla Margaux 1928 est très peu marqué par l’âge, mais il l’est quand même un peu. Sa couleur est un peu trouble, le nez est élégant et en bouche il se boit agréablement, riche dans sa structure. On pourrait être moins critique mais le Château Nénin Pomerol 1955 est tellement éblouissant que le cœur ne retient que lui. Tous les vins de 1955 sont grandioses en ce moment, cela se vérifie à chaque essai. L’oreiller est magnifique et sa sauce est redoutable. Nous l’aimons tellement que nous réclamons un supplément, car à l’œil, nos sept tranches sont loin d’épuiser le long oreiller, presque de lit double. Gilles nous dit que le reste a été partagé en cuisine, ce qui est une belle attention de la part du chef.

Lorsque l’on verse le Chambolle Musigny Albert Brenot 1926 nous nous souvenons de la phrase indélébile de notre ami, dont nous nous moquons, qui est : "je n’ai jamais été déçu avec les 1926". C’est le petit côté élitiste, voire l’aspect "secte des sachant" que nous stigmatisons. Et en fait, ce 1926 lui donne raison. Il a une rondeur de grand cru, alors qu’il ne l’est pas. J’adore ce vin chaleureux. Les oiseaux sont servis par des sauces absolument exceptionnelles, car le chef est le prince des sauces. Les vins en profitent.

Au contraire, le Chambertin Cuvée Héritiers Latour Domaine Louis Latour 1935 fait franchement fatigué. On peut lui trouver des circonstances atténuantes, car le message est encore lisible, mais il vaut mieux se tourner vers l’Aloxe-Corton P. A. André négociant au Château de Corton 1959, vin absolument resplendissant et sans défaut. Voilà un vin que j’aime.

L’Hermitage E. Vérilhac 1945 montre moins de signes de fatigue que ce que le bas niveau faisait craindre. Il est pur, équilibré, solide comme un hermitage, et se boit avec plaisir si on enlève le voile de fatigue.

Le Caillou blanc du Château Talbot 1959 est parfait, ne lésinons pas sur le commentaire. Ce que je veux exprimer, c’est qu’il n’a aucun défaut, l’année merveilleuse lui donnant une jeunesse éternelle. Equilibré, serein, il n’a peut-être pas le coffre des plus grands, mais il se boit comme un grand. Le Puligny-Montrachet les Pucelles Bouchard Père & Fils 1976 est aussi une belle surprise, d’un vin qui apporte un joli fruité. Ces deux blancs sont purs.

Le Champagne Salon 1997 est une belle récompense sur le brie et sa truffe. Charmant, floral à souhait, il se révèle comme un Salon qui joue plus sur l’élégance que sur la force.

Le Château Rayne-Vigneau 1928 est grand, bien campé solidement sur un squelette irréprochable. Sa sérénité est conquérante et sur la sublime tarte de Gérard Besson, c’est un régal. Bravo l’ami pour tes choix de vins.

Gérard Besson vient nous rejoindre et nous fait servir un Gewurztraminer Sélection de Grains Nobles Clos des Capucins Domaine Weinbach Théo Faller 1983. Le vin est riche, frais, fluide, avec la légèreté des grands liquoreux alsaciens. Nous trinquons avec Gérard en évoquant quelques grands souvenirs de gastronomie. Les voix s’éraillent sous le poids de l’émotion. Nous imaginons une rencontre nouvelle chez un autre chef ami de Gérard, pour que le cordon ombilical ne se coupe pas.

Les amis s’en vont, je reste seul pour embrasser Gérard Besson et son épouse, et là, les larmes sont au bord des yeux. Prince des sauces, prince des gibiers, grand connaisseur des accords mets et vins, Gérard est devenu au fil des ans un ami. Il part en plein succès car tout le monde veut l’honorer, au point que le service a du mal à suivre. Tant mieux, car Gérard partira en sachant que de nombreux gourmets lui doivent des souvenirs impérissables.

déjeuner au Gérard Besson – les vins, les plats jeudi, 16 décembre 2010

Champagne Moët & Chandon Brut 1964

Champagne le Diamant Bleu Hiedsieck Monopole 1964

Pouilly-Fuissé "les Champs" Georges Burrier 1955

Meursault 1ère J. Faiveley 1919

Château Rausan Ségla Margaux 1928

Château Nénin Pomerol 1955

Chambolle Musigny Albert Brenot 1926

Chambertin Cuvée Héritiers Latour Domaine Louis Latour 1935

Aloxe-Corton P. A. André négociant au Château de Corton 1959

Hermitage E. Vérilhac 1945

Caillou blanc du Château Talbot 1959

Puligny-Montrachet les Pucelles Bouchard Père & Fils 1976

Champagne Salon 1997

Château Rayne-Vigneau 1928

Gewurztraminer Sélection de Grains Nobles Clos des Capucins Domaine Weinbach Théo Faller 1983

les vins dans l’ordre de service

les bouchons

les plats (au centre et à droite l’oreiller de la belle Aurore)

le grand chef Gérard Besson, à qui nous avons rendu hommage pour les grands moments de gastronomie qu’il nous a fait vivre

Gare de Tokyo et Gare de Lyon mercredi, 15 décembre 2010

Après avoir dormi seulement trois heures, je prends avec mon épouse un train en direction d’Avignon pour assister aux obsèques d’une cousine très chère emportée par une maladie incurable. Lorsqu’on a le souvenir des gares de Tokyo, Kyoto et Fukuoka, arriver à la Gare de Lyon fait un choc. Comment un pays comme la France peut-il revendiquer le rang de grande puissance ou se croire encore dans le peloton de tête des pays de la planète, s’il accepte que l’on vive dans une telle saleté. Tout ici est sale. Les abords de loueurs de voitures sont des pièges à saleté et croulent sous les odeurs d’urines des voyageurs qui ne veulent pas payer pour se soulager.

Des toilettes publiques sont fermées, sans doute parce que la dame-pipi a pris ses RTT. Bon. Nous allons à d’autres toilettes, et là, le spectacle est assez édifiant. Une femme plantureuse est assise derrière une grande vitre trouée d’un hygiaphone. Autour d’elle, des fleurs en plastique qui n’ont pas connu de plumeau depuis des lustres. Elle dialogue avec un micro donnant du volume à sa voix, et sa seule préoccupation est de recueillir les 50 centimes nécessaires aux hommes pour une place debout ou la somme correspondant aux places assises. J’imagine volontiers que les feuilles de papier sont données au compte-goutte, car les distributeurs sont tous vides. On est obligé de passer par un tourniquet étroit qu’elle libère si l’on a payé. Les jeux de valises qui ne passent pas par le tourniquet sont assez cocasses. Et à l’intérieur, c’est la saleté congénitale des français qui nous a tellement dépréciés aux yeux des étrangers. Il est évident que cette femme est d’abord caissière – on imagine assez bien les problèmes des étrangers sans monnaie – et en aucun cas nettoyeuse de ces édicules. C’est honteux, indigne, et montre que notre pays s’enfonce en courant dans son sous-développement.

Les TGV eux-mêmes sont sales, les toilettes dans les trains sont d’une grande saleté. Qui aura un jour l’envie de redonner à la France l’envie d’être fière d’elle-même ? Et rien ne peut se construire s’il n’y a au départ la recherche de la propreté, de l’amabilité, du respect des autres. Penser qu’il y a des princes qui nous gouvernent qui considèrent comme une chance d’ajouter encore en France dix millions de personnes de plus dans les trente ans à venir ! On aimerait bien qu’ils remettent les pieds sur terre, passant plus de temps à observer la France telle qu’elle est devenue, plutôt que de doser si une alliance avec les centristes sera plus porteuse de voix au moment des régionales ou de la présidentielle qu’une alliance avec le diable frontiste.

France, qu’es-tu devenue ?

143ème dîner – les vins mercredi, 15 décembre 2010

Champagne Laurent Perrier 1973

Champagne Krug Clos du Mesnil 1988

Montrachet Bouchard Père & Fils 1939 (étiquettage pour la livraison par Bouchard, rebouchage déjà ancien)

Château Mouton-Rothschild 1944

Château Ausone 1959

Echézeaux Henri Jayer 1984

Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1981

Richebourg Morin Père & Fils 1923

Hermitage La Sizeranne Grande Cuvée sans année

Château d’Yquem 1874 (année très lisible sur le bouchon d’origine)

Château d’Yquem 1967 (ajouté de peur que l’Yquem 1874 ne soit pas à la hauteur)

Vin de Chypre 1845 (ajouté de peur que l’Yquem 1874 ne soit pas à la hauteur)

143ème dîner – photos mercredi, 15 décembre 2010

photos de groupe

les vins rouges

le bouchon du Montrachet 1939 est curieux, car le haut est "brûlé"

le bouchon de la Romanée Conti montre un problème en haut de boucho, mais qui n »a pas affecté le bas du bouchon

le magnifique bouchon de l’Ausone 1959 et le bouchon du vin d’Henri Jayer

les bouchons des deux Yquem, le 1967 et le 1874

ce bouchon minuscule est celui du Chypre 1845. Il a parfaitement joué son rôle

tous les bouchons

Tomo et Akiko qui sont venus en kimonos en honneur de ce repas

Les plats

Les ors et les stucs

143ème dîner de wine-dinners au restaurant Les Ambassadeurs du Crillon mardi, 14 décembre 2010

Lorsque Jésus-Christ a ressuscité Lazare, on peut imaginer assez volontiers qu’il ait éprouvé une certaine fierté en pensant : "ce pouvoir, c’est moi qui l’ai". Toutes proportions gardées j’ai ressenti une immense fierté lorsque des vins que tout le monde eût rejetés, écartés, vidés à l’évier ont non seulement vécu mais brillé au firmament. Les vignerons ont fait des vins. Leur mort était annoncée au moment de l’ouverture. Et par le miracle de l’oxygénation lente, ils ont ressuscité. Ce sera le signe majeur du 143ème dîner de wine-dinners qui se tient au restaurant Les Ambassadeurs de l’hôtel de Crillon.

L’ouverture des vins commence à 17 heures. Les odeurs du Mouton 1944 et de l’Ausone 1959 sont rassurantes et subtiles. Celle du vin d’Henri Jayer est prometteuse, et je jubile en sentant la Romanée Conti 1981, car elle sera brillante ce soir. Les fragrances du Montrachet 1939 sont encore incertaines. Lorsque je coupe le haut de la capsule du Richebourg 1923, le bouchon est recouvert de poussière noire, et la bouteille exhale une odeur de terre, de la terre riche et lourde. J’enlève le bouchon et l’examen olfactif dans la bouteille est faussé, car le col est encore imprégné de cette forte odeur de terre, qui pourrait avoir marqué le vin.

Lorsque j’avais fait les photos des bouteilles en cave il y a une semaine, j’avais remarqué une goutte perlant sur la capsule de l’Yquem 1874. Je l’avais portée à mes lèvres, et ce n’était pas franchement engageant. De peur d’une contreperformance de ce vin qui m’avait intéressé puisqu’il a encore son bouchon d’origine, ce qui promet généralement des goûts plus purs, j’avais ajouté dans ma livraison pour ce dîner un Yquem 1967 et un vin de Chypre 1845. Ouvrant le 1874, j’ai hélas la confirmation que mes craintes étaient fondées, car la puanteur qui se dégage n’a aucune chance de se résorber. Un nouveau participant de mes dîners, venu assister à l’ouverture des vins, constate l’ampleur des dégâts olfactifs. C’est le seul vin pour lequel je verse un peu dans un verre. Le nez est détestable, l’attaque en bouche est assez agréable, mais le final est affreux, laissant une trace en bouche très désagréable. Pour moi, la cause est entendue. L’Yquem 1967 est glorieux, le vin de Chypre 1845 est un péché mignon. Je replie mes outils en pensant à l’incertitude du Montrachet 1939, à la trace de terre du Richebourg 1923 et à la déroute annoncée de l’Yquem 1874.

Mes amis japonais arrivent en avance, habillés tous les deux en kimonos. Celui d’Akiko est d’une rare beauté. Je fais goûter à Tomo l’Yquem 1874 et il est quasi certain que le final du vin ne se reconstituera pas.

Les convives se regroupent dans la magnifique salle presque aussi haute que large, aux stucs et marbres caramel. Nous sommes dix dont deux seulement sont des nouveaux.

Le menu composé par Christopher Hache est ainsi énoncé : Amuse bouche: Le suprême de caille au foie gras / Le saumon bio cuit à l’étouffée, chips de salsifis et sabayon aux épices / Le Saint-Pierre doré, carottes grenailles étuvées au gingembre / Le Ris de veau, poêlée de champignon de saison / La Tourte de Gibier, accompagnée de coulis de truffe noire / Plateau de vieux fromages affinés / Ile flottante gaspacho de mangue, passion et pamplemousse rose / Financiers parfumés à la réglisse.

Le Champagne Laurent Perrier 1973 a une couleur d’un ambre légèrement grisé, la bulle est peu active, le nez délicat et le vin a le charme de l’âge, belle démonstration de la richesse évocatrice des champagnes anciens. Je ne le trouve pas tout à fait parfait, car il a un léger manque d’équilibre, mais cela ne semble gêner personne. L’amuse-bouche lui donne une ampleur certaine et finalement ce champagne est porteur de plaisir.

Quand arrive le Champagne Krug Clos du Mesnil 1988 on ne peut que faire "wow", car c’est une explosion de jeunesse. Ce champagne est à l’apogée de ce que peut être un champagne encore jeune, ou plutôt toujours jeune. Son acidité est exceptionnelle. Le saumon bio a été cuit à basse température. Christopher nous dira plus tard : "à température du corps". Il est moelleux et fondant mais c’est avec le sabayon discrètement acidulé que nos goûterons l’un des accords les plus réussis de ce dîner. Le Krug est immense, puissant, fruité, joyeux et à l’acidité bien trempée. Le repas démarre bien.

Je suis servi des premières gouttes du Montrachet Bouchard Père & Fils 1939 et instantanément je sais que ce sera le plus grand des 1939 que j’ai bus de ce vin. Le nez est plein de charme et en bouche, c’est la sérénité qui en impose. Il est fruité, bien construit, et comme il est d’une année froide, c’est par sa précision qu’il emporte notre adhésion. L’accord avec le saint-pierre divinement cuit fait partie, avec le précédent, des deux plus beaux.

Jamais je n’aurais imaginé qu’un Château Mouton-Rothschild 1944 puisse être aussi brillant. Sa couleur est d’un rouge rubis intense, sans trace de vieillissement. Qui dirait qu’un 1944 puisse avoir cette puissance, cette charpente solide ? C’est un beau Mouton très Pauillac, à un niveau que nous n’attendions pas. A côté de lui, le Château Ausone 1959 a une couleur noire, un parfum impératif et révèle un goût proche de la perfection absolue. C’est un très grand vin riche, très rive droite, qui ne fait pas d’ombre au Mouton, les deux reprenant les caractéristiques archétypales de leurs terroirs. La texture du ris de veau, un peu molle, n’a pas permis un accord enrichissant les vins.

Comme chaque fois lorsque les bordeaux sont parfaits, on se demande si les bourgognes vont supporter le choc. Nous allons en aligner trois sur une tourte magnifiquement exécutée, mais dont la sauce lourde serait plus adaptée à des vins du Rhône qu’a des bourgognes délicats. L’Echézeaux Henri Jayer 1984 a une robe d’un joli rose pâle. Le nez est distingué et tout en ce vin révèle le talent de celui qui l’a fait. C’est le pinot noir dans sa gloire. Il est fluide, distingué, strict et élégant.

Le premier contact avec la Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1981 m’a donné, j’ose le dire, des frissons. Le plaisir de rencontrer une Romanée Conti parfaite devient physique. Le nez est noble et les roses sont d’une évidence criante. En bouche, les roses et le sel sont le socle du discours courtois et élégant. Tout en ce vin est d’une exquise séduction.

Les évocations de terre ont complètement disparu lorsque l’on sent le Richebourg Morin Père & Fils 1923. Le temps d’oxygénation a fait son œuvre. Les nouveaux sont consternés et se demandent comment il est possible qu’un vin de 87 ans puisse avoir une telle jeunesse. Ce 1923 est le plus puissant et le plus fruité des trois vins, avec une mâche gourmande de jeune vin. Il est brillant et me rappelle les joies que j’ai eues avec les Nuits Cailles du même Morin de 1915. La tourte serait nettement appréciée si elle avait été seule sans sauce. Elle aura voyagé seule sans entraîner les trois vins splendides. Un des piliers de mes dîners, volontiers taquin, plus porté vers l’humour qui chambre que sur le compliment a salué la série des huit vins bus jusqu’alors en signalant leur niveau extrême. Un sans faute.

J’ai ajouté dans le programme un Hermitage La Sizeranne Grande Cuvée sans année que je subodore être des années 70. Facile à lire, serein, sans la moindre complication, il est extrêmement plaisant. Il accompagne les fromages, pour moi un saint-nectaire.

Mes avertissements de début de repas sur la mort certaine de l’Yquem 1874 sont renouvelés, aussi, quand on me sert le Château d’Yquem 1874, chacun attend le verdict. Je n’en crois ni mon nez ni mon palais, car le vin n’a plus le moindre défaut dans son final. C’est à peine croyable. Un des convives qui en est à son deuxième dîner me soupçonne de cultiver un effet de style, car chez Patrick Pignol, La Tâche 1982 avait été annoncée morte et avait aussi montré un spectaculaire retour à la vie. Heureusement, le nouvel ami qui avait assisté à l’ouverture a confirmé que l’Yquem tout à l’heure était vraiment mort. Le vin que nous buvons a un vrai nez d’Yquem. Il n’est pas flamboyant, mais il est précis. Et en bouche, c’est un bel Yquem, onctueux, dont le fruit est en partie masqué par des traces de caramel. Le dessert est très adapté à ce vin.

Le Château d’Yquem 1967 est d’une insolente jeunesse et d’une perfection qui nous nargue. Il n’y a pas une fausse note et c’est "le" bel Yquem dont on rêve, à la longueur infinie. Mais ce jeunot ne fait pas ombrage au 1874 qui continue de briller et de s’assembler encore. La succession des sans faute est saisissante.

Ne me demandez pas d’être objectif envers le Vin de Chypre 1845, je ne peux pas. Rien dans mon firmament ne brille autant. Ce vin lourd comme un parfum, capiteux comme aucun autre est en fait un vin sec. Il a une fraîcheur désarmante, un poivre raffiné, et cette petite touche de réglisse qui ajoute à son élégance. A ce stade, nous sommes tous impressionnés de constater que tout a fonctionné sans faute.

Les votes ne sont pas faciles. Ils sont extrêmement variés, ce qui me plait. Sur douze vins dix ont eu des votes sur les bulletins comprenant cinq vins. Je jubile de constater que six vins ont eu au moins un vote de premier pour neuf votants. L’Yquem 1874 a eu quatre votes de premier, ce qui est renversant lorsqu’on songe à son ouverture. Cinq autres vins ont été couronnés d’un vote de premier : Ausone 1959, Romanée Conti 1981, Richebourg 1923, Yquem 1967 et Chypre 1845.

Alors que je m’attendais à ce que tout le monde me suive pour couvrir le vin de Chypre de lauriers dorés, il fut très peu choyé dans les votes, ce qui montre bien que mon enthousiasme n’influence pas les votes des convives aux préférences variées et différentes.

Le vote du consensus est : 1 – Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1981, 2 – Château d’Yquem 1874, 3 – Château d’Yquem 1967, 4 – Château Ausone 1959, 5 – Vin de Chypre 1845.

Mon vote est : 1 – Vin de Chypre 1845, 2 – Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1981, 3 – Montrachet Bouchard Père & Fils 1939, 4 – Château Ausone 1959, 5 – Château d’Yquem 1874.

Les vins de ce soir ont été très brillants, avec de divines résurrections. La cuisine de Christopher Hache est très assurée et agréable, car elle est naturellement compréhensible. Il y a encore des accords à améliorer mais deux ou trois furent de belles réussites. Le service est toujours aussi attentionné, celui du vin étant exemplaire. En nous quittant, nous savions que nous avions vécu un moment unique avec des saveurs inoubliables.