140ème dîner de wine-dinners au restaurant Laurent jeudi, 7 octobre 2010

Le 140ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Laurent. Lorsque j’arrive au restaurant, par une chaude journée ensoleillée de début octobre, le lieu ressemble à une ruche bourdonnante, car le déjeuner s’est tenu dans le jardin et le dîner se tiendra en salle. Daniel, fidèle sommelier rompu à mes dîners apporte les bouteilles d’abord pour la photo de groupe des vins de ce soir, puis pour leur ouverture.

Le nez du Haut-Brion 1982 me donne une occasion qui n’a jamais été aussi nette de sentir le cuir. Sa densité olfactive est extrême. Son bouchon vient facilement car il adhérait peu au goulot, le liquide étant remonté haut, alors que celui du Latour 1982 est difficile à extirper tant il est serré. Le nez du Latour est salin. Le bouchon du magnum de Mouton 1990 est d’une magnifique qualité. Il est très serré dans le goulot. Le nez est de fruits rouges. Le bouchon du Pétrus 1976 est parfait et le vin a un nez de truffe. Le bouchon de La Tâche 1983 est tellement serré que je n’arrive pas à le tirer avec la mèche longue que j’utilise habituellement. Il me faut le limonadier qui fait surgir un bouchon qui double presque de volume lorsqu’il est libéré. Le nez salin est très prometteur.

J’avais annoncé un Jurançon autour de 1959 en l’absence d’indication de millésime. Le bouchon me permet de lire 1957. Le nez d’écorce d’orange est discret mais subtil. L’Yquem 1966 a un nez éblouissant, tonitruant de fruits bruns confits. Je fais sentir le vin au chef Alain Pégouret qui accepte de modifier le dessert prévu au profit de mangues tiédies.

Tout le monde est à l’heure et l’apéritif se prend dans le jardin car il fait encore assez chaud. Arrive alors un incident qui est le premier du genre sur tant de dîners : l’un des convives, arrivé le premier et avec qui j’avais à peine commencé de parler m’annonce un événement majeur qui le conduit à s’éclipser, ce qu’il fait sans que j’aie le temps de formuler la moindre phrase. Philippe Bourguignon, le célèbre directeur du restaurant fait au plus vite dresser la table pour neuf couverts au lieu de dix. J’avais rajouté un vin au programme déjà copieux. Nous ne manquerons pas de quoi boire.

Nous sommes neuf dont ma fille et mon gendre invités par un couple d’amis, une dynamique sommelière, un ami de longue date du temps de ma vie industrielle venu avec un collègue et ami, un célèbre animateur de relations publiques dans le monde du vin et de gastronomie et moi. Il y a quatre nouveaux participants.

Le Champagne Mumm Cuvée René Lalou 1971 est d’une couleur ambrée légèrement grise. La bulle est presque éteinte mais le pétillant est présent. Le nez évoque une discrète tisane de fruits bruns, parfum très raffiné, et en bouche ce sont des fruits jaunes et bruns délicats qui enchantent le palais. Ce champagne est un Fregoli car il va changer de saveurs tout au long de sa dégustation. C’est sa délicatesse qui le caractérise le mieux. Il se boit sur des allumettes au parmesan et des beignets de merlan à la sauce tartare.

Nous quittons le jardin qui aurait pu accueillir notre dîner malgré le léger fraîchissement et nous passons à table. Le menu créé par Alain Pégouret est ainsi conçu : Coquilles Saint Jacques marinées au curry / Tronçon de turbot nacré à l’huile d’olive, bardes et légumes verts dans une fleurette iodée / Selle et carré d’agneau de Lozère rôtis en persillade, fleurs de courgettes farcies d’une mousseline aux girolles, une pointe d’oseille / Joues de veau fondantes, moelle, risotto à la truffe blanche d’Alba / Perdreau aux cèpes / Filet de Chevreuil relevé au poivre de Sarawak, betteraves jaunes caramélisées au coing, mille-feuille de pomme gaufrette au chou rouge / Macaron à la poire / Mangue tiédie.

Le Champagne Dom Pérignon 1964 est d’un ambre plus doré que celui du Mumm. Son nez est plus intense, et en bouche, il est tout ce qu’était le Mumm mais en plus voluptueux et généreux. C’est un immense champagne. Mon amour pour ces champagnes anciens est sans limite. Avec la coquille Saint-Jacques sucrée-salée, le champagne trouve une longueur infinie. C’est un régal fait de jolis fruits, comme trempés dans un sauternes.

Le Chevalier Montrachet Bouchard Père & Fils 2001, après deux champagnes kaléidoscopiques, est totalement rassurant. C’est un vin "pullman". Car on s’installe avec lui dans un canapé profond, on le déguste sans histoire tant son goût est rassurant. C’est un vin blanc élégant, fruité, de plaisir, très jeune encore. Il accompagne le plat qui est sans doute le meilleur du repas avec la joue. La cuisson du turbot est parfaite et le plat est d’une cohérence absolue. Le Guide Michelin serait bienvenu de s’en apercevoir.

Sur l’agneau nous avons deux vins dont un magnum. Nous ne manquerons de rien. Le Château Mouton-Rothschild magnum 1990 a un nez assez simple, mais profond. En bouche, s’il est un peu monocorde, je trouve qu’il délivre un message beaucoup plus profond que ce que j’attendais. Les tannins sont présents et bien dosés. C’est un vin de grand plaisir qu’une des participantes gratifiera d’une place de premier. A côté le Pétrus 1976 est d’une richesse et d’une complexité plus marquées. C’est un vrai vin de plaisir, avec une belle noblesse. Ce vin combine force, profondeur et souplesse. Le bois est présent, la truffe est sensible, la longueur est remarquable. C’est un vin de grand plaisir.

Mais notre intérêt se tourne vers un couple diabolique, mis en valeur par un plat magistral. Le nez du Château Haut-Brion 1982 fait une OPA sur le risotto. Car le parfum du Haut-Brion devient truffe blanche, alors que le parfum du Château Latour 1982 reste totalement indifférent au tsunami odorant du tubercule. Le nez du Latour est d’une subtilité rare. Si le Haut-Brion s’accouple avec le risotto, le Latour conte des madrigaux charmants à la moelle délicieuse, le gras mettant en valeur sa finesse. Le Haut-Brion est droit dans sa définition historique, avec une densité de trame unique, et le Latour est d’une finesse et d’une élégance spectaculaires. A cet instant, je sens qu’une majorité de la table penche vers le Haut-Brion. Je trouve le Latour absolument sublime, une expression exceptionnelle de la pureté d’un bordeaux de 28 ans. Il tutoie les sommets du vin de Bordeaux, et sera dans vingt ans une icône indéboulonnable. Le fameux 100/100 Parker est déjà pour lui. La joue de veau est un délice majeur qui met en valeur les deux vins.

Depuis quelque temps, j’ajoute des vins aux dîners, parce que ça me fait plaisir, sans que je le considère comme une obligation. Ce dîner comportant un nombre significatif de vins dits "vins d’étiquettes", j’ai voulu ajouter une icône bourguignonne, ce qui a fort enchanté mes hôtes. Avec La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1983 on tourne une page de la beauté du vin. Pour le Domaine, l’année 1983 n’est pas considérée comme une grande année, et cette Tâche a tout pour contredire les archives. Car ce vin est magistral. Salin, il évoque la rose au nez et en bouche de la plus persuasive des façons. Qu’on est bien avec ce vin clairet, rose, follement bourguignon, à l’extrême longueur. C’est un vin d’une belle sensualité. Comme cela arrive souvent, ce vin allume des tas de petites lumières dans mon cerveau, rappelant les meilleurs souvenirs que j’ai eus avec les vins du domaine de la Romanée Conti, avec son sel, sa rose, et toutes ces amertumes contrôlées, signes de pureté de ces vins mythiques.

Arrive maintenant un vin gratifié d’un 100/100 par Parker, qui fait partie, pour moi, des plus grandes réussites des vins que j’appelle jeunes. La Côte Rôtie La Mouline Guigal 1990 est un monument. Ce vin est en train d’évoluer. C’est la première fois que je le trouve si bourguignon. Car il a moins la pétulance du fruit et joue plus sur l’élégance saline. C’est un vin dont je ne cache pas mon amour, qui prendra un jour un statut de légende. Il est généreux, ample, vivant, et diffuse du bonheur. Le chevreuil est goûteux et se marie merveilleusement bien.

Il y a toujours un ou deux fantassins dans ces dîners, aussi est-ce le rôle du Jurançon Clos Prat 1957 que j’avais annoncé proche de 1959, et daté précisément par son bouchon. Sa couleur est très belle, d’un orange pur ensoleillé. Le nez est discret et ce vin très pur joue dans une discrétion qui n’exclut pas la personnalité. Le macaron est diaboliquement bon et l’accord se trouve, le plat dominant le vin mais l’acceptant.

Patrick Lair, tel un Vatel contrit, vient confesser qu’il n’y a pas de mangue et que le dessert sera à la pêche. Va pour la pêche. Le Château d’Yquem 1966 à la couleur divine d’abricot et d’acajou a un nez à se damner. En bouche il est soleil, riche, profond, merveilleux Yquem en pleine possession de ses moyens, avec un final en fanfare. Ce qui est à noter, c’est que l’Yquem ne range pas le Jurançon au rang des accessoires. Il avait sa place dans ce repas.

Nous sommes neuf à voter. Seuls deux vins n’ont pas de vote, le Chevalier-Montrachet et le Jurançon. La Tâche obtient sept votes. Les vins qui ont eu des places de premier sont La Mouline avec quatre votes de premier, La Tâche et Latour avec deux votes de premier et le Mouton avec un vote de premier.

Impressionné par les quatre votes de premier de la Mouline, c’est lui que j’ai annoncé champion or en faisant un calcul au lieu d’une estimation, les quatre votes de second pour La Tâche, alors que la Mouline n’en a pas eu, conduisent au vote du consensus suivant : 1 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1983, 2 – Côte Rôtie La Mouline Guigal 1990, 3 – Château Latour 1982, 4 – Château Haut-Brion 1982.

Mon vote est : 1 – Château Latour 1982, 2 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1983, 3 – Côte Rôtie La Mouline Guigal 1990, 4 – Château d’Yquem 1966.

Il y avait ce soir des vins de renom en nombre plus élevé que d’habitude. Aux sourires de joie des convives, on s’aperçoit que l’on s’habitue très bien au statut de "buveur d’étiquettes". Le service du restaurant Laurent est toujours d’une efficacité remarquable. Daniel a été attentif au service des vins réalisant comme d’habitude un sans faute. La cuisine d’Alain Pégouret nous a offert deux plats du niveau de trois étoiles. Le restaurant Laurent est une des grandes tables parisiennes.

Pétrus 1948 lundi, 4 octobre 2010

Voici une Pétrus 1948 mise en bouteille par un négociant, Ricard et Doutreloux à Bordeaux

Les négociants ont mis "chateau", ce qui se faisait, et la bouteille est cirée.

Elle sera bue prochainement (voir le compte-rendu au 15 octobre)

déjeuner à Lyon les vins samedi, 2 octobre 2010

le restaurant Le Verre et l’Assiette à Lyon Vaise 9ème

Champagne Mumm Rosé 1955

Champagne Billecart Salmon NF 1964 (pas de photo)

Pavillon Blanc Château Margaux 1928

Montrachet Marquis de Laguiche 1966 Drouhin

Bâtard Montrachet 1979 Ramonet

Château Montrose 1921

Clos Vougeot Cuvée Liger Belair 1923 Nicolas.

Château Mission Haut Brion 1934 (difficile à reconnaître avec la cellophane)

Echezeaux 1966 Henri Jayer

Château Troplong Mondot 1947

Côte Rôtie La Mouline 1976 Guigal

Y d’ Yquem 1959

Vouvray Clos Petit Mont 1928 Allias

Une Tarragone des Pères Chartreux années 1910/1920

« liqueur du Père Kermann », puis sur une feuille collée au dessus de l’étiquette de la liqueur, « Grenage » mot titre dont la signification est un mystère, Bonafos Jean et 1902

on note la très jolie forme du goulot

tout ça pour de l’eau !!!!!

Rhum « Trois Rivières » 1953

La photo de groupe, sans les champagnes

déjeuner à Lyon les plats samedi, 2 octobre 2010

cubes de saumon Gravlax

au moment de passer à table, cette mobylette se gare devant la porte. Vive les pizzas !

(ce n’était pas pour nous !!!)

panacotta d’oursins, émulsion d’eau de mer aux œufs de harengs fumés

velouté d’artichauts de Jérusalem, pulpe de boudin noir de la maison Bobosse, demi homard rôti

rouget barbet sur une galette aux deux quinoas, réduction de jus d’arêtes tout simplement

ris de veau rôti, fricassée de champignons des bois, jus infusé à la fève de Tonka

superposition de céleri, foie gras et pigeon rosé et, à la paille, petit pot de lentilles fumées

dos de lièvre, racines d’Antan, jus de carcasse émulsionné au cassis

stilton, vieil Ossau (déjà mangé à la photo)

dans un verre, compotée de figues de Solliès-Pont, riz au lait déstructuré infusé au tilleul

assortiment de chocolats épicés « Bernard Dufoux » (sans photo)

Un passionné m’invite à Lyon avec des vins rares samedi, 2 octobre 2010

Florent a autour de trente ans. Je ne lui ai jamais demandé son âge. Il recherche les vins les plus rares dont il apporte un témoignage joliment analysé. Nous avons dégusté beaucoup de vins ensemble et une amitié est née, qui de mon côté a une dimension d’affection paternelle. Si la passion des vins anciens pour laquelle j’ai un rôle « militant » pouvait me survivre par Florent, j’en serais ravi.

Mais il n’a pas besoin de moi, et le repas que je vais raconter permettra de répondre à la question : « qui est l’élève et qui est le maître ? ». La réponse s’imposera à l’évidence : il n’y a ni élève ni maître. Nous sommes deux passionnés. Deux ? Je devrais dire trois ou plus car Florent chasse la bouteille rare avec Olivier son compère. Florent invite avec son épouse et avec Olivier ses parents, son frère, des amis cavistes, les deux collectionneurs suisses avec lesquels j’avais partagé cinq vins du 19ème siècle au château de Beaune avant les vacances, un journaliste et moi.

Nous nous rendons pour déjeuner au restaurant Le Verre et l’Assiette à Lyon Vaise, tenu par Maryline et Olivier Delbergues. Dans ce petit restaurant qui ne paie pas de mine, Olivier le chef a réalisé un repas de grande qualité ciselé pour les vins avec l’aide de Florent, qui a suggéré des choix pertinents : cubes de saumon Gravlax / panacotta d’oursins, émulsion d’eau de mer aux œufs de harengs fumés / velouté d’artichauts de Jérusalem, pulpe de boudin noir de la maison Bobosse, demi homard rôti / rouget barbet sur une galette aux deux quinoas, réduction de jus d’arêtes tout simplement / ris de veau rôti, fricassée de champignons des bois, jus infusé à la fève de Tonka / superposition de céleri, foie gras et pigeon rosé et, à la paille, petit pot de lentilles fumées / dos de lièvre, racines d’Antan, jus de carcasse émulsionné au cassis / stilton, vieil Ossau / dans un verre, compotée de figues de Solliès-Pont, riz au lait déstructuré infusé au tilleul / assortiment de chocolats épicés « Bernard Dufoux ».

Pour chacun des vins, j’accolerai à son nom la remarque de Florent pour justifier son choix, lorsqu’elle figurait sur son mail d’invitation. Elle sera en italique.

Le champagne G.H. Mumm & Co Rosé 1955 a une couleur d’un or profond. Son nez est superbe de thé et de fruits discrets orangés. Le goût est splendide de belle acidité. Il n’y a plus de bulle mais un beau pétillant. Le fruit est très beau et élégant. Le final est un peu raccourci par le gravlax délicieux mais asséchant le vin. Le champagne a une belle râpe. C’est un très grand vin. A ce stade, je n’ai toujours pas remarqué qu’il s’agisse d’un rosé, car je n’ai pas regardé le menu. Et c’est vrai que rien n’indique qu’il s’agit d’un rosé, situation fréquente pour les champagnes vieux. Le vin est doucereux, avec cette richesse que seuls les champagnes anciens peuvent avoir et l’acidité le rend délicat et grand.

Champagne Billecart Salmon NF 1964 A priori aussi mythique que le 1959 élu plus grand Champagne du siècle. Sa couleur est jeune, de miel clair. Le nez est à « tomber par terre ». Il est explosif et la bulle est belle et fine. Florent nous dit qu’à l’ouverture, le bouchon avait sauté, ce qui montre la conservation de toute sa bulle. Le nez est jeune de citron confit. En bouche, ce qui frappe sous la bulle active, c’est son extrême jeunesse. Il n’y a pas de signe d’évolution mais des signes de plénitude. La panacotta fouette le champagne, qui serait un peu discret en bouche sans elle. Il s’anime et affiche une belle race. La longueur est extrême et l’émulsion d’eau de mer donne de l’iode au goût du vin. Trouvant de l’expansion dans le verre il est réveillé, emplit la bouche, champagne quasi parfait. Le plat, lui aussi, a une belle persistance aromatique.

Pavillon Blanc Château Margaux 1928 Le plus rare et le préféré du Château. La couleur est très foncée, ambrée. Le nez est celui d’un sauternes sec. Il y a du thé, des fruits compotés. En bouche, on sent le thé, une eau de vie très douce. Le vin est astringent, d’une belle fraîcheur épicée. Le final est salin. Le vin se transforme avec le plat qui arrive assez tard. Il devient brillant et si le nez perd l’aspect sauternes, c’est en bouche qu’il le retrouve. Ce vin excellent, étrange, est un grand bonheur.

Le Montrachet Marquis de Laguiche 1966 Drouhin a un nez incroyable. Il évoque immédiatement la perfection du montrachet. En bouche, c’est la complexité absolue. Il est pur, d’une complexité extrême et d’une élégance rare. Il est fort, mais sait jouer en douceur. Le bouquet de saveurs est unique, avec citron, fruits confits, épices. C’est un vin parfait dans l’élégance et le Margaux 1928 ne perd rien lors de la confrontation. Le boudin est parfait, le homard à la chair intense souffre un peu de la place prise par le boudin, et l’artichaut qui rend le plat cohérent n’apporte rien aux vins. Le plat va plus sur le 1928 que sur le 1966.

Le Bâtard Montrachet 1979 André Ramonet, le plus abouti des Bâtard de Ramonet pour Clive Coates, est d’un jaune citron. La minéralité du nez est impressionnante. On croirait un 2005. En bouche, c’est la fluidité, la perfection, l’impression que le vin coule en bouche comme une cascade chantante. L’impression qui domine, c’est celle de rencontrer la perfection absolue, celle qui fait que l’on donne une note de 100/100 sans hésitation. Le vin est délicat, citronné, minéral, élégant, puissant et fluide, et sa rémanence est celle d’un vin profond. De la cuisine, je sens les effluves du plat qui va être servi et de loin, je dis : « ce plat serait un plat de vin rouge ». Je n’ai pas lu le mail !

Et Florent dit : « pour toi, connaissant tes goûts, j’ai mis aussi sur ce plat le Château Rayas (Rouge) 1979 Clin d’oeil pour François car servi sur du poisson… L’égal du 1978 pour Bettane. Le nez de ce vin est évolué mais d’une richesse rare. On imagine un coulis de quetsche. La couleur est un peu trouble. En bouche, la richesse du fruit est immense. Le vin est puissant et évolue.

Le Bâtard est moins adapté au plat que le Rayas, qui est beau, mais pas aussi parfait que le Bâtard. Le rouge est un peu sérieux mais j’aime. Il n’est pas très sophistiqué, mais présent en bouche. La lie me montre qu’il n’est pas totalement équilibré, ce qui avait gêné un ami suisse pendant sa dégustation.

Le Chateau Montrose 1921 est d’une couleur d’un beau rouge doré, si l’on peut dire. Le nez est un peu torréfié. Il y a beaucoup de bois dans ce nez un peu poussiéreux. En bouche il y a de l’acidité mais aussi une douceur extrême. La trame est incroyable. Voilà un grand vin qui va se révéler. Avec le délicieux ris de veau, spécialité du chef, le vin exprime de la rose avec une grande délicatesse. Autour de la table, trop longue et étroite pour que nous discutions tous ensemble, j’entends que le vin est rustique. Je trouve au contraire qu’il est tout en finesse, délicat mais au final un peu limité. Il s’assemble de plus en plus et devient très grand.

Quand on boit le Clos Vougeot Cuvée Liger Belair 1923 Nicolas, on s’embarque vers le bonheur. La couleur est trouble et un peu laiteuse. Le nez est très épanoui. La bouche est riche. Il y a un fruit imposant, fruit rouge délicat. Le vin est ample et plein de charme. Son grain est velouté. Il exprime la grandeur du pinot noir et je reconnais pleinement tout ce que j’aime de 1923.

Le Château Mission Haut Brion 1934 est de l’année la plus élégante chez Mission pour Michael Broadbent. La couleur est d’une densité peu croyable. Le rouge est sanguin. Le nez est imposant, lui aussi d’une densité extrême, où la mine de crayon domine. Florent voulant que les vins ne soient pas chauds a donné un coup de froid au vin, que je ressens. Quand le vin s’étend, il est truffe, mine de crayon, et surtout d’une densité incomparable. Le pigeon goûteux fait « exploser » le Mission.

L’Echézeaux 1966 Henri Jayer a une couleur clairette. Le nez est austère mais précis. L’élégance des vins d’Henri Jayer se retrouve ici, avec des notes de café subtil, non torréfié et de léger cacao. Expressif, élégant, c’est un grand vin. La crème de lentilles fumée donne du fumé au vin. La juxtaposition du 1934 et du 1966 sur le plat est quasi naturelle sans aucune nuisance entre les deux. La pureté du vin de Jayer est exceptionnelle. Un ami qui l’a connu dit : « c’est le fruit de Jayer ». La largeur de ce vin est exceptionnelle. C’est un témoignage, la quintessence du pinot noir.

Château Troplong Mondot 1947 L‘un des 5 plus grands 1947 pour le critique Suisse Allemand R. Gabriel. Très rare ! Nul d’entre nous n’a de repère sur ce vin qu’il est impossible de trouver. Sa couleur est très belle, représentative de celles des 1947. C’est un beau rouge intense. Le nez est très précis, pointu, de fruits rouges et d’épices. En bouche l’équilibre est beau, le fruit est dosé, l’épice est aguichante et le final fruité est grand. C’est cependant un vin qui ne peut pas aller jusqu’à l’extrême, car il lui manque un petit « je ne sais quoi ». Il a la beauté des 1947 bien maîtrisés. C’est un grand vin, au beau fruité, au bel équilibre et au fruit dosé.

Côte Rôtie La Mouline 1976 Guigal Le Cheval Blanc 1947 du Rhône pour Parker... La couleur est d’un beau rouge brillant. Le nez est époustouflant. Il est profond, « énorme ». En bouche le vin est riche, opulent, pas très complexe, mais tellement complet. La bouteille est parfaite, venant directement du domaine. Ce n’est que du bonheur. On sent l’alcool, le bois trempé dans de la décoction de fruits, le fruité est presque irréel tant il est grand. C’est un vin colossal.

Y d’ Yquem 1959 Le tout premier Y de l’histoire. La couleur est ambrée, avec un léger gris. Le nez explose d’alcool avec des traces d’amande. On dirait un madère. En bouche, l’alcool domine et le mimétisme avec un madère est confondant. Avec l’Ossau, l’accord est parfait. C’est à ce stade du repas le seul vin dévié que nous buvons. Il est bon, mais ce n’est pas un « Y ».

Florent chouchoute son Vouvray Clos Petit Mont 1928 Allias. Bettane le vénère, et le classe Top 5 de l’histoire. Introuvable. Le domaine n’en possède plus… C’est avec un regard gourmand qu’il nous le sert. Le nez est beurre, miel et litchi, très Vouvray. En bouche, quand d’autres pensent mangue, je trouve litchi, kiwi, figue de barbarie. Le vin est frais, léger, citronné, délicat. Il est très beau et va bien avec le stilton. Il est élégant et intemporel. L’évocation du tilleul dans le dessert lui convient. C’est un grand vin, mais pas le rêve que Florent avait conçu.

Ayant compris que Florent ne souhaitait pas que j’apporte un vin car sa composition d’ensemble, d’un raffinement extrême, aurait été troublée par une ajoute, j’ai apporté une bouteille de Une Tarragone des Pères Chartreux années 1910/1920. Cette Chartreuse a un nez qui soignerait toutes les maladies par les plantes, car il est envahissant de pureté de fleurs de printemps. Et pour reprendre la comparaison faite tout à l’heure, on sait avant même de la goûter que l’on est dans le 100/100, la perfection divine. En bouche c’est un péché tant c’est bon. J’en suis amoureux et j’ai fait des émules.

J’avais apporté en cadeau à Florent une bouteille mystérieuse qui m’avait été offerte il y a près de dix ans. La bouteille dit « liqueur du Père Kermann », puis sur une feuille collée au dessus de l’étiquette de la liqueur, « Grenage » mot titre dont la signification est un mystère, Bonafos Jean et 1902. Florent me demande de l’ouvrir. Le bouchon est sec et fait bien son âge. La couleur est transparente. Le liquide ne sent rien. Je le goûte, et c’est de l’eau ! Mon ami pourrait croire que je lui passe une patate chaude, mais il n’en est rien. Est-ce moi qui ai reçu une patate chaude ? La méprise, impossible à imaginer est trop drôle.

Olivier, le complice de Florent, fait passer fort opportunément une bouteille de Rhum « Trois Rivières » 1953 de 45° absolument merveilleux, un régal qui se marie divinement avec les beaux chocolats variés.

Nous n’avons pas classé les vins aussi mon classement (extrêmement difficile) est fait après coup. Je mettrais hors compétition la Tarragone, nectar olympien et ensuite : 1 – Bâtard Montrachet 1979 Ramonet, 2 – Côte Rôtie La Mouline 1976 Guigal, 3 – Echézeaux 1966 Henri Jayer, 4 – Montrachet Marquis de Laguiche 1966 Drouhin, 5 – Clos Vougeot Cuvée Liger Belair 1923 Nicolas.

Le chef a fait une cuisine exemplaire, avec des produits aux goûts profonds. Florent a imaginé des accords d’une belle intelligence, et son ordre des vins, peu conventionnel, s’est révélé cohérent. Autour de la table il n’y avait que des fous de vins. C’est l’amitié qui gagne le premier prix.

Chaire UNESCO « Culture et Tradition du Vin » vendredi, 1 octobre 2010

Lors d’un grand dîner de l’Ordre des Coteaux de Champagne, j’avais rencontré une femme qui est responsable de la Chaire UNESCO « Culture et Tradition du Vin ». Nous avions bavardé et l’idée que je fasse une conférence lors de la session annuelle de cette Chaire a pris de la consistance.

Le jour venu, ou plutôt le lendemain du début de programme, je me présente au Château de Clos Vougeot, la magnifique bâtisse du 15ème siècle qui accueille les célèbres réunions des chevaliers du Tastevin, pour écouter des conférences d’un grand intérêt. Les conférences couvrent de multiples sujets, comme un musée du vin dans le Valais, l’émergence d’une viticulture dans des zones tropicales du Brésil, avec trois récoltes par an, le rôle du tonneau de bois dans la personnalité du vin, le rôle du consultant auprès des vignerons, ces deux sujets contribuant à réfléchir sur la notion de terroir. Nous avons eu une conférence de Jacky Rigaut sur la dégustation géo-sensorielle et des contributions scientifiques sur le goût en liaison avec nos organes sensoriels, avec la variation des réactions, selon que l’on est professionnel ou dégustateur amateur. J’ai donné envie aux participants en parlant de vins anciens et en parlant de la façon de comprendre et mettre en valeur les vins anciens, et l’envie s’est carrément transformée en faim quand un grand chef a donné des exemples de menus dans lesquels les recettes font appel au vin dans leur mise en œuvre.

Nous avons eu deux déjeuners dans une salle du château de Clos Vougeot avec une très convaincante cuisine. Un maître d’hôtel m’ayant pris en amitié, trouvait le temps de venir me raconter les vins anciens qu’il avait adorés. L’un des dîners se fit au restaurant Chez Guy où la cuisine est bonne, et un autre au château de Gilly où la cuisine n’est pas du même niveau, compensée fort heureusement de grands vins de bordeaux apportés par le présentateur de l’ouvrage "Grands Crus Classés – Grands Chefs Etoilés" que j’avais déjà lu puisqu’il a été couronné par le prix Edmond de Rothschild, dont je suis membre du jury. Nous avons pu boire des vins différents disséminés à chaque table, dont un convaincant Palmer 2001, un joli Léoville-Poyferré 2004 et un beau Rauzan-Ségla 2003. J’ai quitté le groupe sympathique de chercheurs, d’universitaires, d’historiens et de philosophes passionnants, car un rendez-vous urgent, dont le programme a fait saliver mon auditoire, m’attendait à Lyon.

le petit roman du vin de Christian Millau chez Guy Savoy mardi, 28 septembre 2010

Christian Millau a commis un charmant petit livre, petit seulement par la taille, qui s’appelle « le petit roman du vin », plein d’anecdotes riches de son expérience. Son éditeur organise un déjeuner de presse au restaurant Guy Savoy. Nous sommes une trentaine autour de Christian et son épouse, amis, confrères et journalistes.

Guy Savoy a préparé un menu classique de belle facture : petits amuse-bouche / rouget barbet « rôti-farci » comme un gratin / autour du veau et des cèpes / exotique / mignardises.

Madame Catherine Péré-Vergé, propriétaire de vins prestigieux, nous fait goûter deux vins de ses domaines, qui sont élaborés par elle-même, car elle s’occupe dans le détail de faire le vin de ses propriétés, et par Michel Rolland qui la conseille en France et en Argentine.

Le Lindaflor Chardonnay Argentine 2009 a une couleur d’un jaune intense. Le nez est riche. Le vin est puissant, très travaillé et un peu monolithique. On comprend qu’il correspond à une évolution de vins modernes, faciles à comprendre et très plaisants. La vigneronne est particulièrement volontariste et dynamique, arc-boutée sur sa vision de son vin.

Son Château Le Gay 2003 me plaît beaucoup. C’est un vin moderne, fait de grains très mûrs, avec un élevage poussé, mais dont le final frais, évoquant la violette, comme son autre vin, le Château La Violette, est un véritable plaisir. Ses vins sont faits pour plaire à une clientèle internationale, mais ce pomerol de 13,5°, réussit à garder une belle âme de pomerol, élégante, au final souriant.

J’ai apporté du champagne Laurent Perrier Grand Siècle des années 60. Les trois bouteilles sont très homogènes en qualité. Les bouchons pourraient être de la fin des années 50 ou début des années 60. La couleur du champagne est d’un ambre légèrement gris. La bulle a quasiment disparu, le nez est un peu vert. C’est en bouche que tout se joue. Le pétillant est encore là, surtout sur le rouget dont la sauce réveille à la fois le pétillant et le doucereux du champagne à la persistance aromatique extrême. J’adore ces champagnes riches de saveurs qui surprennent. Ce fut un plaisir de voir que beaucoup des convives ont apprécié ce champagne évolué qui n’a plus rien à voir avec les champagnes jeunes, mais qui fait voyager dans un monde de saveurs doucereuses irisées et changeantes comme les couleurs de la nacre.

Sur le dessert comportant des copeaux de mangues fort opportuns, le Château d’Yquem 1970 que j’avais aussi apporté, très brun pour son âge encore jeune, a tout d’un grand Yquem, car sa douceur est pénétrante, et la signature d’Yquem est réussie.

Le livre de Christian Millau plait aux journalistes présents. Mes vins ont plu, sur la cuisine d’un grand chef. Que demander de plus ?

Voici la table avec le petit livre au centre

les plats de la cuisine traditionnelle de Guy Savoy

Le vin du repas

Les trois photos qui suivent sont au crédit de Le BeauKal Christian de Brosses

Bertrand de Saint Vincent a fait un compte rendu sur le Figaro "Et vous" du 2 octobre. Un plaisir de plus !

deuxième journée gastronomique photos samedi, 25 septembre 2010

Astérix en Corse (ou son ancêtre)

Les vins du dîner

Champagne Dom Pérignon 1996 / Corton Charlemagne Bonneau du Martray 1989

Chevalier Montrachet La Cabotte Bouchard Père & Fils 1998 / Domaine Comte Abbatucci Cuvée Général de la Révolution 2007

Château Haut-Brion 1950

Château d’Yquem 1935

Les bouchons

Amuse bouche : marinato de mérou, gingembre, huile d’olive vierge sur un pané caraçao, bouillon de bonite et de soja, sucette à la tomate cerise caramélisée

Foie gras à l’absinthe, gelée cacao, mantecato noix de pecan / Fregola au tourteau frais, écume laurier girofle / Langoustines croustillantes, émulsion poivron-pomelos-menthe

deuxième langoustine / Saint-pierre poché, pois chiches, topping, sauce muscat / Agneau glacé à la moutarde, parfum orange-mandarine, nems de châtaigne

Cannolo pamplemousse ananas / La boule violette (entière et entamée)

deuxième journée gastronomique à Casadelmar samedi, 25 septembre 2010

(pour lire le récit complet du séjour au Casadelmar, il faut commencer par le texte du 22 septembre et remonter)

La pluie tombe toute la nuit. Au matin, le vent est tellement violent que les bateaux que l’on peut louer à l’hôtel sont tous déplacés sur l’autre rive de la baie, de peur qu’ils n’arrachent leurs amarres. Un remorqueur, qui paraît minuscule à côté du bateau de la SNCM qu’il tire, l’empêche de dériver car il offre une prise au vent gigantesque. Dans la salle à manger, Jean-Philippe bavarde avec Davide avec lequel « ils refont le match », commentant les plats et les accords de la veille. Je me joins à la conversation et constate que mes remarques portées sur le blog ont été lues par le chef. On sent que Davide recherche la perfection et est avide de partager les analyses et suggestions. Davide ne pourra pas être avec nous ce soir car il s’est engagé à une partie de pêche nocturne en mer. Il regrette cette absence.

Nous partons tous les sept de notre petit groupe gastronomique admirer les paysages de la Corse du Sud, avec les alignements de mégalithes qui montrent qu’il y a cinq mille ans, les corses travaillaient.

De retour à l’hôtel, une rapide collation me permet d’enchaîner avec l’ouverture des bouteilles. Les odeurs des trois blancs et du Haut-Brion 1950 sont plus que prometteuses, celle du Haut-Brion étant éblouissante. Nous décidons de ne pas ouvrir l’Yquem 1935 sans l’assentiment de l’ami qui l’a apporté, pour éviter une éventuelle extinction de ses feux par une ouverture trop précoce.

Le deuxième dîner gastronomique au Casadelmar commence. Le menu composé par Davide Bisetto est : Foie gras à l’absinthe, gelée cacao, mantecato noix de pecan / Fregola au tourteau frais, écume laurier girofle / Langoustines croustillantes, émulsion poivron-pomelos-menthe / Saint-pierre poché, pois chiches, topping, sauce muscat / Agneau glacé à la moutarde, parfum orange-mandarine, nems de châtaigne / Cannolo pamplemousse ananas / La boule violette.

Pour ne pas démarrer par un Dom Pérignon 1966, nous avons commandé au restaurant un Champagne Bollinger R.D. 1996. Et Davide qui venait de recevoir un gros mérou a décidé que ce champagne se prendrait sur un marinato de mérou, gingembre, huile d’olive vierge sur un pané caraçao. Le mérou est léché d’une trace de poutargue et sa chair crue est parfaite pour le champagne à l’énorme présence. Le caractère japonisant de cette entrée est accentué par un petit bouillon de bonite et de soja très subtil et déroutant. Une sucette à la tomate cerise caramélisée apporte sa petite touche de fête à cet amuse-bouche impromptu. Le champagne est pénétrant. Son final est riche. Le fruit qu’il affiche est insistant. C’est un champagne de forte personnalité.

Le foie gras à l’absinthe, est d’une extrême subtilité et il faut mêler toutes les composantes du plat pour en profiter au mieux. Je vois une coquille sur le menu puisque l’on annonce : Champagne Dom Pérignon 1996 et je signale l’erreur à Jérémie. L’air gêné, il me dit que c’est bien cela. Honte sur moi ! Je croyais offrir à mes amis un 1966 et celui qui est servi est un 1996 ! Je me dissimule sous la nappe, rouge de honte. Et l’explication est simple. Dans les cases de ma cave, ce que l’on voit des bouteilles est le cul. Dans la case où j’ai prélevé cette bouteille, c’est le col qui attendait ma prise. L’année lue rapidement à l’envers m’a poussé à cette inversion de chiffres. Faute de grive, que raconte ce champagne ? Par une chance extrême, il est en phase totale avec l’évocation de cacao. Il colle au plat de façon remarquable. L’absinthe, le cacao, la noix de pécan et la badiane de la brioche trouvent des échos réactifs dans ce merveilleux champagne, très différent du Bollinger. Le premier servi est l’affirmation de soi. Le second est la flexibilité gastronomique absolue. L’accord est merveilleux et le champagne nous enchante, mais quelle honte !

La fregola au tourteau frais est un plat tout en douceur. Chaque saveur est suggérée avec délicatesse. Et la résonance se trouve merveilleusement avec le Corton Charlemagne Bonneau du Martray 1989 car chaque qualificatif qui convient au plat s’applique aussi au vin : délicat, fin, subtil. Le nez du vin est riche et en bouche, c’est un festival d’élégance, combinant le minéral, le citron sur des fruits jaunes. La persistance du Bonneau est accentuée par le poivre. L’attaque est fraîche et citronnée, le vin prend de l’ampleur avec le poivré et le final garde le citron vert.

La langoustine croustillante est superbe la sauce propulsant ses saveurs à des hauteurs rares. Le Chevalier Montrachet La Cabotte Bouchard Père & Fils 1998 est un vin imposant, d’une richesse infinie, mais qui garde la capacité de capter les saveurs du plat. J’aime le caractère kaléidoscopique du fruité de ce Montrachet puisqu’il est plus que Chevalier. L’accord est sublime. Faisant remarquer avec humour à Marie-Charlotte au sourire toujours aussi brillant que « ça manque un peu de langoustine », toute l’équipe s’organise pour qu’en un temps record le plat soit doublé, la deuxième version étant encore meilleure que la première, la cuisson de la langoustine étant plus pertinente. Quelle réactivité ! La Cabotte est d’une rare diversité et Jean-Philippe, poète, nous dit qu’il a : « le beurre du chardonnay et le menthol du terroir ».

Le saint-pierre poché est un peu trop cuit. Par un clin d’œil rappelant l’un des dîners de l’an dernier, nous buvons un Domaine Comte Abbatucci Cuvée Général de la Révolution 2007, vin original, au beau fumé et à la grande fraîcheur. Il est imprégnant, solide et frais. Je le trouve très bien fait et très adapté au plat, notamment avec le pois chiche. Le vin est très puissant en milieu de bouche et son final est plus mince. Son caractère fumé est ce qui convient au plat.

Pendant la pause, j’ouvre l’Yquem 1935 à la capsule sans année et très neuve qui indique un rebouchage. Mais le haut du bouchon est très sombre et poussiéreux. Extirpé, il a de sales traces de moisi vert, sauf dans sa partie basse et le nez confirme que rien n’a été altéré dans ce vin. Il n’y a aucune indication d’année de rebouchage. Il n’est pas exclu que l’on ait utilisé le bouchon d’origine au rebouchage.

Nous reprenons le cours du repas avec l’agneau glacé à la moutarde qui est un plat à la cuisson parfaite. La chair est sanguine avec une lourde pellicule de jus réduit. Le Château Haut-Brion 1950 a un nez extraordinaire. Il annonce une richesse hors du commun. Et le vin est en bouche un festival de distinction. C’est un Haut-Brion « pure race », complexe, avec de petites notes d’agrumes qui réagissent à la sauce. Le vineux est extrême. C’est un très grand vin. Et l’accord est merveilleux. C’est le meilleur accord et le meilleur vin de notre séjour. Les notes poivrées du vin et un léger fumé cacaoté sont d’une délicatesse ravissante.

Le Cannolo pamplemousse ananas accompagne le Château d’Yquem 1935. Son nez évoque les Yquem qui n’ont plus de sucre, très fréquents dans les années trente. Il faut donc « lire » ce vin avec les lunettes qui conviennent car les saveurs subtiles où le thé a sa place sont absolument charmantes. C’est sur la subtilité qu’il faut profiter de cette belle évocation d’Yquem.

La boule violette est une création diabolique où se mêlent des saveurs précieuses à base de myrte et de myrtille, dans des tons qui sont ceux de l’hôtel Casadelmar. Nous finissons les dernières gouttes du Porto Niepoort 1957 qui a bien profité d’un jour de plus.

Nous applaudissons une équipe qui a fait un travail remarquable. Ce séjour gastronomique fut un enchantement.