découverte du Citrus Etoile mercredi, 15 septembre 2010

Nicolas de Rabaudy, écrivain du vin et journaliste qui a été un des premiers à montrer un intérêt pour mes dîners et l’académie des vins anciens, me propose de temps à autre de découvrir des restaurants qui montent. Il me suggère que nous allions déjeuner au Citrus Etoile, près de l’Etoile à Paris, restaurant de Gilles Epié.

L’ambiance créée par la décoration est très agréable et intime. Il n’y a aucun problème de proximité, ce qui est à signaler. Le service est jeune et attentionné. Nicolas a fait mettre au frais un Côtes de Provence Cuvée Clarendon Domaine Gavoty blanc 1998. Alors que je pensais que ces vins ne brillent que dans leur région, j’en serai pour mes frais, car ce vin épanoui, très aidé par la maturité que lui donne son âge, tout en gardant tous les signes de la jeunesse, est plus que plaisant à boire. Il est franchement bon. Sa précision et la profondeur de sa structure en font un grand vin, au citronné intelligent.

L’entrée que j’ai prise est un énorme cèpe dont la texture est nettement plus engageante que celle des cèpes mangés récemment au restaurant Taillevent. Et la sauce citronnée met en valeur le champignon. C’est un très grand plat. Je suis un peu moins séduit par le cabillaud dont la cuisson raffinée adoucit le râpeux naturel du poisson. On perd de son originalité. Le soufflé au chocolat est excellent. Avec Nicolas nous avons bavardé sur les dernières nouvelles qui agitent le monde du vin et de la gastronomie. Dans l’atmosphère agréable de ce restaurant à la bonne cuisine, ce fut un bon moment d’amitié.

Le menu du restaurant (à 39 € il n’est pas cher, mais nous avons déjeuné à la carte, pour le double)

les plats

le vin

maison Faiveley au restaurant Taillevent lundi, 13 septembre 2010

Tous les ans, au mois de septembre, Bipin Desai, le célèbre collectionneur américain, emmène avec lui en France un groupe d’amateurs américains. C’est l’occasion, pendant une dizaine de jours, de visiter des grands restaurants de France, d’Espagne et de Belgique, avec des thèmes précis de vins pour certains dîners. Ce soir, le groupe se retrouve au premier étage du restaurant Taillevent pour une dégustation de vins de la maison Faiveley, célèbre vigneron bourguignon. Erwan Faiveley, le jeune dirigeant de cette maison liée à un grand groupe industriel possédé par sa famille et Bernard Hervet, son bras droit, l’une des personnes qui connaît le mieux le vin de Bourgogne, nous font goûter dix-sept vins de leur maison.

Nous sommes 24. Il y a deux bouteilles pour chaque vin. On imagine les problèmes d’intendance que représente le service de plus de quatre cents verres. La maison Taillevent en a l’habitude, Jean-Claude dirigeant le ballet des serveurs avec une bonne humeur légendaire.

Nous prenons l’apéritif debout avec un Champagne Taillevent non millésimé, que je trouve beaucoup plus agréable que lors du dîner que j’avais organisé ici il y a moins de cinq jours. Il se boit bien, et la coupe est souvent resservie, les gougères servant de multiplicateur d’intérêt et d’envie.

Le menu composé par Alain Solivérès est : épeautre du pays de Sault en risotto au homard / mignon de veau de lait de Corrèze rôti aux cèpes de châtaignier / tourte de canard tradition Taillevent / fromages / cannelloni de pomme caramélisée parfumée au cidre.

Les vins sont servis par groupes de quatre ou cinq et longtemps avant le plat. Le plaisir n’en est que plus grand lorsqu’on peut enfin confronter ces grands vins avec les délicieux plats de la cuisine chaleureuse du chef.

Le Meursault Charmes Faiveley 2007 est un vin ciselé, d’une précision extrême. Le final est profond. Le vin est lourd, citronné et va bien avec l’amuse-bouche qui fleure bon la carcasse de homard. On sent le fruit confit dans ce vin élégant. C’est un grand vin, frais, au beau final. Cette dégustation démarre bien. J’aime l’équilibre entre la fraîcheur, le citronné, le fruité et la profondeur.

Le Bâtard Montrachet Faiveley 2008 a un nez doucereux qui évoque le beurre. Plus Bâtard que ce vin là me semble impossible. Il en a la typicité absolue. Il y a beaucoup de poivre et une belle trace alcoolique.

Le Corton Charlemagne Faiveley 2008 a un nez élégant et discret. Passant après le Bâtard, il est vraiment discret, mais l’entrée va le révéler. Son citronné est joli mais je le trouve un peu fermé, ce qui sera contredit plus tard, car il gagne en élégance. Il est jeune et de grande fraîcheur.

Le Corton Charlemagne Faiveley 2006 a un nez très riche, expressif et puissant. On voit que le bambin devient adolescent, avec seulement deux ans de plus que le précédent. Bernard Hervet parle d’évocations de lard fumé. Il précise qu’il y a environ 2% de grains botrytisés dans le vin, ce qui lui donne cet aspect chaleureux et profond. Il est frais, citronné avec du fruit. Le Corton Charlemagne Faiveley 2008 gagne en élégance. C’est lui qui s’accorde le mieux à l’épeautre et le Bâtard se marie le mieux au homard.

Les blancs ont été servis un peu chauds, ce qui limite l’expression de leur précision. La grâce du Corton Charlemagne 2008 est extrême.

Le Latricières Chambertin Faiveley 2008 a un nez d’une incroyable jeunesse. Je trouve ce vin très pur.

Le Latricières Chambertin Faiveley 2007 a un très joli parfum, très équilibré. Il est beau. Il possède une belle astringence, et il met en valeur le plus jeune. Le 2007 donne l’impression de ne pas avoir été éraflé. Ces deux Latricières très différents sont deux belles expressions ascétiques du grand vin de Bourgogne.

Le Chambertin Clos de Bèze Faiveley 2007 est beaucoup plus doux et séducteur que les Latricières, ce qui met d’autant plus en valeur la typicité des Latricières. Ce Chambertin est adorable d’équilibre. Ce vin est très beau avec une belle balance entre l’alcool et la pureté.

Le Corton Clos des Cortons Faiveley 2008 a un nez charmeur, doucereux. En bouche il est beaucoup plus astringent que ce que promet le nez. Il a une grande puissance et une complexité extrême. Il déroute, mais ça me convient bien. Même s’il est très vert, sa complexité me plaît. Pendant ce temps, le Clos de Bèze devient de plus en plus profond et riche.

Le Corton Clos des Cortons Faiveley 2007 est beaucoup plus doux et facile que le 2008. Il est délicat mais avec un fruit énorme. Malgré tout, je préfère le 2008. Il est parfait et surtout, malgré son jeune âge, je lui trouve de accents et des complexités de vin ancien. Bernard Hervet dit que le 2007 ressemble à l’année 1979. Je préfère le 2008.

En revenant au Clos de Bèze 2007 qui ne cesse de s’ouvrir, on perçoit mieux la rose que nous a signalée Michel Bettane en verve, qui connaît chaque parcelle de Bourgogne mieux que les vignerons !

Le Mazis Chambertin 1996 a un nez curieux qui combine la verdeur et le fruit rouge. Le verre sentant le verre, une odeur de vieille armoire me dérange. Très asséchant, ce vin ne me plaît pas.

Le Latricières Chambertin Faiveley 1993 commence à me faire entrer dans le monde des vins que j’aime. Le nez est fruité. En bouche, même si l’expression est prude, évoquant la rafle, le vin est extrêmement plaisant et j’adore, car il a le « charme discret de la bougognie ».

Le Chambertin Clos de Bèze Faiveley 1990 a un nez un peu poussiéreux. Est-ce le verre ? L’alcool est très présent. Ce vin est bon, rassurant et peu complexe. J’aurais attendu un peu plus de cette grande année.

Le Gevrey Chambertin La Combe aux Moines 1935 a une couleur très jeune. Le nez est très précis et très jeune lui aussi. Le vin est long, avec un beau final de fraîcheur. Il n’est pas exubérant, car l’année ne l’est pas, mais il plait beaucoup. Je retrouve dans le 1993 la salinité bourguignonne que j’aime. Le 1990 me semble un peu trop « facile ». Le 1935 combine complexité et longueur.

Il faut bien des 2005 pour faire contrepoids à la lourde tourte de canard, une institution du restaurant, toujours délicieuse. Le Mazis Chambertin 2005 a une couleur qui évoque la densité. Le nez est très grand. Le vin très tannique est plein de fruits rouges. Il est riche avec une amertume très faible.

Le Latricières Chambertin Faiveley 2005 a une couleur plus orangée. Il est plus astringent. Autour de moi il n’y a que des experts et les vignerons. Ils préfèrent tous le Latricières au Mazis, ce qui n’est pas mon cas. Je ne périrais pas sur le bûcher pour défendre ma foi.

Le Chambertin Clos de Bèze Faiveley 2005 a une belle couleur. Le nez est racé. Le vin est équilibré et très rond, mais Bernard Hervet tempère notre enthousiasme en disant que les trois vins ont connu des problèmes de fûts.

Pour les deux fromages, un comté de 36 mois et un brie, Bipin a voulu un vin blanc. C’est donc le tour du Corton Charlemagne Faiveley 2001. Ce vin a un nez grandiose. C’est un vin glorieux, divin. Il a tout pour lui.

Le dessert est accompagné d’un Château Coutet Barsac 1990, mais je pense que ce serait plutôt un 1999, car les accents un peu glycérinés n’appartiennent qu’aux très jeunes. Ce vin qui n’est pas encore assemblé est assez difficile à boire après la série des bourguignons.

Bernard Hervet toujours aussi passionné nous a parlé avec flamme des progrès qui sont en cours, qui promettent de très grands vins, avec des évolutions dans la ligne de ce que nous avons constaté. La maison Faiveley fait des vins purs, peu séducteurs, jouant plus sur la précision pour convaincre. La personnalité de Bernard Hervet s’inscrit parfaitement dans cette ligne historique. Erwan Faiveley , qui poursuit un MBA à New York peut étudier tranquille : son domaine, dont Michel Bettane a vanté la qualité des terroirs, est dans de bonnes mains.

J’ai fait mon vote sans le divulguer : 1 – Corton Charlemagne Faiveley 2001, 2 – Gevrey Chambertin La Combe aux Moines 1935, 3 – Latricières Chambertin Faiveley 1993, 4 – Corton Clos des Cortons Faiveley 2008.

Ces dégustations thématiques sont d’un grand intérêt. Dans le cadre prestigieux de Taillevent et une cuisine élégante et rassurante, s’y ajoute le plaisir.

dégustation Faiveley – photos lundi, 13 septembre 2010

Erwan Faiveley entouré de personnalités du monde du vin ou de journalistes : Erwan, Anthony Hanson et Frédéric Durand-bazin, puis Michel Bettane, Erwan et Anthony.

les plats du restaurant Taillevent, dont la tourte au canard légendaire

une partie des 17 verres qui ont été dégustés

adieux, toujours adieux dimanche, 12 septembre 2010

Maurice Chevalier avait pour habitude de faire ses adieux de scène à une fréquence aiguë. Lorsque j’étais enfant, les souvenirs de l’entre-deux-guerres peuplaient mon imaginaire. Les français célèbres aux Etats-Unis étaient Georges Carpentier, Jean Sablon et Maurice Chevalier. Ce dernier jouissait d’une image au firmament et pouvait donc faire ses adieux tous les deux ans.

Ma fille cadette bénéficiant d’une aura au moins identique fait avec mon gendre ses adieux pour la troisième fois. Et les adieux, ça se fête. Leur aînée étant de 2007, j’ai acheté quelques vins de ce millésime. C’est un bon prétexte pour goûter un Châteauneuf-du-Pape Domaine du Pégau, Cuvée Réservée 2007. J’ai déjà bu ce vin lors d’une réunion d’un nombre important de vignerons de cette appellation à l’occasion de la signature du livre remarquable d’Harry Karis sur les Châteauneuf-du-Pape. Nous savons donc qu’il s’agira d’un infanticide, mais nous l’assumons.

Le vin titre 14° mais en fait plus en bouche. C’est une bombe de fruits et de sirops, mais d’une intelligente fraîcheur. Ce vin est bien dessiné et nous l’aimons. Il est évident que dans vingt ans, des subtilités apparaîtront, cachées sous la gangue de jeunesse folle de ce vin. Mais il est bon à boire, chaleureux, frais et joyeux. Sur un gigot d’agneau cuit à basse température de notre traiteur préféré, accompagné de petites pommes de terre coupées en dés et gousses d’ail, ce vin est un bonheur.

Ma femme a prévu des petits fours sucrés et des macarons. Je laisse à mon gendre le choix du champagne et il prélève un Champagne Perrier Jouët rosé 1969. Le bouchon rétréci laisse la dernière lamelle de liège dans le goulot et je dois l’extirper au tirebouchon. La couleur est d’un ambre foncé. La bulle n’est pas visible mais le pétillant excite la bouche. Ce champagne discret est d’une charmante complexité, donnant l’impression d’un sauternes qui aurait fauté avec un vin mousseux. C’est un champagne très agréable à boire, avec des saveurs de fruits jaunes et dorés et des suggestions de thé. Il est parfait sur les saveurs sucrées variées.

S’agit-il du dernier adieu ? Le calendrier aura le dernier mot.

beauté vendredi, 10 septembre 2010

Quelques heures plus tard, un avion me dirige vers ma maison du sud. Encore fatigué, je me rends sur une terrasse qui surplombe la mer.

La mer est d’un bleu argenté, calme, au clapotis qui berce mon souvenir du dîner. Au bord de l’eau, face à des roches de grès rose sculptées par le vent, une jeune fille en maillot de bain se courbe et prend des poses. Un photographe mitraille ses mouvements tandis qu’une assistante tient un grand miroir pour ajouter des rayons de soleil réfléchis à l’éclairage de sa beauté. Le miroir sert aussi de paravent lorsque la belle change de maillot.

Beauté marine et beauté féminine se complètent, exactement comme dans un accord réussi de mets et de vins. Et le soleil réunit des deux, comme le fait le talent d’un grand chef.

139ème dîner de wine-dinners au restaurant Taillevent jeudi, 9 septembre 2010

Le 139ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Taillevent. Bipin Desai, le célèbre colectionneur américain participe presque tous les ans à ce repas de rentrée. Comme il aime les bourgognes, le thème de ce soir est la Bourgogne dans des années prestigieuses : 1989, 1961, 1959, 1947, 1929, 1928 et 1911. Ce matin, j’ai ajouté un vin parce que son niveau dans la bouteille nécessite qu’il soit bu vite : Vega Sicilia Unico 1941.

J’ouvre les vins à 17 heures et les trois premiers ont des bouchons extrêmement serrés dans le goulot : Yquem 1988, Caillou 1947 et le Montrachet 1989. Je me demande s’il s’agit d’un phénomène météorologique qui entraînerait l’expansion des bouchons, mais il n’en est rien, car les autres bouchons se présentent différemment. Ceux des plus vieux bourgognes, sauf le 1928 encore ferme, se brisent en de nombreux morceaux. Certaines odeurs sont merveilleuses. La plus incertaine est celle du 1929, qui évoque la serpillière humide, mais je n’ai pas trop peur.

Des amis viennent me rejoindre en fin d’ouverture des flacons. Nous bavardons en trinquant avec une coupe du Champagne Taillevent, qui est un Deutz, buvable mais peu inspiré. Sur la suggestion de Joe, ce champagne servira plus tard à nous éclaircir la bouche avant le premier champagne du repas, qui est un monument.

Notre table de dix est très cosmopolite, puisque les lieux de résidence sont Londres, Singapour, les Etats-Unis et Paris, cependant que les origines sont suisses, américaines, anglaises et russes. Nous avons le plus souvent parlé en anglais. Les profils professionnels sont variés, la banque et la finance dominant largement.

Le menu composé par Alain Solivérès est ainsi rédigé : Royale de raifort, espouma de saumon fumé / Huître Gillardeau en gelée d’eau de mer / Ravioli de langoustines, cappuccino de crustacés / Poulet jaune fermier des Landes rôti aux girolles et pommes grenailles / Mignon de veau de lait de Corrèze aux Cèpes de châtaignier / Foie gras de canard en pot au feu / Duo de roquefort, marmelade d’agrumes / Croustillant de poire au miel, glace aux amandes grillées / Palet au chocolat.

Les journaux d’aujourd’hui consacrent de très longs articles à l’avenir du restaurant Taillevent aussi fais-je en riant l’annonce du retrait de tous mes vins au profit d’un seul : Phélan-Ségur. La famille Gardinier, qui possède ce grand cru et aussi le restaurant Les Crayères à Reims dispose d’une exclusivité de négociation avec la famille Vrinat pour une prise de participation. Toute l’équipe est très sereine, car il y a peu de raisons que l’âme de Taillevent change. Personne ne croit mon changement de vin puisque les bouteilles ouvertes trônent sur une desserte.

Nous passons à table dans la magnifique salle lambrissée du premier étage et le lever de rideau se fait avec un Champagne Dom Pérignon 1966 ouvert il y a près d’une heure. La couleur est légèrement ambrée mais pleine de jeunesse. L’impression de bulle sur la langue est forte, alors que la bulle ne semble pas très active dans le verre. Ce champagne est un bouquet de complexités. Mon voisin y voit du beurre et des viennoiseries, alors que je ne les vois pas, mon palais ressentant les fruits confits comme l’abricot. Ce champagne est un grand champagne et je suis ravi que toute la table le comprenne. Le raifort l’excite fort à propos. Des convives suivront son évolution dans le verre tout au long du repas. La solidité de son maintien est impressionnante.

Le Champagne Bollinger Vieilles Vignes Françaises 2000 est servi un peu chaud, ce qui est dommage, car il perd la possibilité de contrebalancer l’huître conquérante. Le champagne plus froid aurait tenu le choc. La couleur est évidemment très jeune, les bulles courent dans le verre. Le vin est puissant solide, et c’est un des plus homogènes VVF que j’aie bu. Il est beaucoup plus fruité que les précédents dégustés, avec une élégante acidité, exacerbée par l’iode pénétrant. L’huître et le champagne trouvent à s’ajuster, mais l’huître est dominante. J’attendais un peu plus de cet accord.

Le Chablis Grand Cru Moutonne Long Dépaquit 1959 est un de mes chouchous. J’ai pour ce vin les yeux de Chimène. Et il me le rend bien. La couleur est très jeune, non marquée par l’âge, et le vin, d’une belle acidité est d’une élégance rare. Il est associé sur le plat de raviolis avec le Montrachet Bouchard Père & Fils 1989 qui est une bombe. Beaucoup autour de la table sont sensibles au charme du Montrachet, plus généreux, plus puissant, à la longueur infinie, d’autant qu’il crée avec le ravioli un accord fusionnel. Mais progressivement, alors qu’on pouvait redouter que le Montrachet n’étouffe le Chablis, la grâce subtile du Chablis commence à séduire, créant avec la sauce, comme le fait remarquer de façon judicieuse ma voisine américaine, habituée de ces dîners, un accord de pure grâce. Et les votes feront pencher la balance du côté du Chablis, du fait de son originalité confondante, plutôt que vers l’impérial Montrachet d’une solidité, d’un équilibre, d’une richesse fruitée et d’une longueur remarquables.

Bipin estime que l’on aurait dû mettre le Chablis avec l’huître mais je pense que l’intensité de l’huître aurait étranglé la belle subtilité du Chablis. Les plats qui vont suivre sont aussi accompagnés de deux vins.

Le Chassagne Montrachet rouge Poulet P&F 1961 avait à l’ouverture un nez étonnant de perfection. Il l’a gardé. Ce nez annonce un grand cru plutôt qu’un vin des classes moyennes, comme on dit en politique. En bouche le vin est beau et serein. Il n’a pas une complexité extrême, mais il est équilibré, assis, et je l’aime pour cette simplicité gentiment assumée. A côté de lui, le Mercurey Champy et Fils 1945 au nez moins percutant a montré à un moment donné le velouté d’un grand cru. J’avais l’impression de goûter un très grand vin de la Côte de Nuits et par moment, j’ai eu des flashes de grands bordeaux de 1928 comme Palmer. Mais ce plateau d’excellence extrême ne dura pas, le vin regagnant gentiment le niveau de son appellation, sans descendre plus bas. Ces deux vins de modeste extraction ont montré deux choses : l’effet de l’oxygénation lente, qui épanouit les vins ouverts il y a plus de quatre heures et non carafés, et l’effet de deux millésimes de première grandeur. Le plat a bien accompagné les vins sans créer de valeur ajoutée comme l’avait fait le ravioli.

Le mignon de veau et les cèpes, au contraire ont révélé les deux vins associés. Le Gevrey-Chambertin A. Bichot 1929 (réserve Fernandel) fait partie des bouteilles que j’adore. Car la mention « Réserve Fernandel » imprimée sur l’étiquette montre que la Maison Bichot acceptait un traitement particulier pour le grand acteur comique. Ce vin a une histoire. On pourrait chanter « Félicie aussi » en le buvant. L’odeur désagréable n’a pas complètement disparu, et le côté aqueux de son parfum n’est pas très engageant. En bouche le vin est beaucoup plus civilisé, et l’on reconnaît un agréable Gevrey. Mais la fatigue est perceptible. On verra au moment des votes que c’est sans doute l’une des plus grandes surprises de mes dîners de voir un vin, dont on ne peut pas ignorer la fatigue, plébiscité de cette façon.

Car pour moi, dans le binôme, l’ Echézeaux Joseph Drouhin 1928 d’une incroyable précision, est un vin parfait qui surclasse le 1929. Il est plaisant, facile à boire, et semble ne pas avoir d’âge. Il est riche, lisible, bien charpenté. Le fait que Bipin soit à l’origine du mouvement en faveur du 1929 m’étonne. Mais les voies des goûts en matière de vins sont impénétrables.

Alors qu’un canard de Challans m’avait été proposé par Jean-Marie Ancher, directeur du restaurant, j’ai demandé un foie gras poché, et je suis heureux de mon choix car le mise en valeur du Chambertin Audifred maison Finot 1911 est exceptionnelle. Ce vin me plait au-delà de tout. Sa rareté et la rareté de l’année jouent évidemment dans mon jugement, mais le verdict du palais est sans appel : ce vin est très grand. Ce qui m’impressionne, c’est qu’il est précis et ciselé. Nous buvons un vin d’une rare profondeur. Lui donner un âge serait impossible tant il est serein. Sa longueur est remarquable. Autant dire que je suis heureux de cette réussite.

Je n’attendais pas grand-chose de ce Vega Sicilia Unico 1941 au niveau un peu bas dans la bouteille, que j’ai ajouté. La surprise n’en est que plus belle de constater qu’il est bien vivant, torréfié élégamment, évoquant le café, dans la ligne des Vega Sicilia Unico anciens bien conservés. Ce Vega me plait beaucoup, même s’il est un peu anachronique et décalé par rapport aux subtils bourgognes.

Le Chateau Caillou Barsac Crème de Tête 1947 est d’une couleur glorieuse d’abricot doré. Le nez est subtil et le vin est très plaisant. Il n’a pas l’ampleur des plus grands, mais il se boit avec un réel plaisir. J’ai sans doute lu trop vite le menu, car je n’ai pas réagi sur le mot roquefort. Il s’est confirmé une fois de plus que même s’ils sont bons, le Papillon et le Carles sont des fromages trop forts pour ces liquoreux. C’est le territoire du stilton. Il ne faut pas le déserter.

Le Chateau d’Yquem 1988 est d’une couleur très jeune, jaune pâle. Le nez est envahissant. C’est du Yquem pur jus ! En bouche, c’est un bel Yquem riche, équilibré, conquérant et persuasif. Je l’aime beaucoup à ce stade de sa vie où il a un peu perdu de sa fougue et s’installe sur le trône. Dans cet Yquem, tout semble facile, alors que c’est un vin noble, de précision. Le dessert ne devrait pas non plus déserter son territoire peuplé de mangues ou de pamplemousses roses. L’accord fut poli, mais c’est tout.

Le palet au chocolat a accompagné le très bon cognac de Taillevent, ce qui nous a permis d’affûter nos votes, les plus surprenants qu’on pût imaginer.

Sur douze vins, onze ont eu des votes. Seul le Vega espagnol n’en a pas eu, sans doute parce qu’il n’était pas inscrit au programme. Cinq vins ont eu des votes de premier, ce qui me réjouit. Le Gevrey 1929 a eu quatre votes de premier ce qui me semble fou, le Chambertin 1911 en a eu trois, le Dom Pérignon en a eu deux et le Chablis en a eu un.

Le vote du consensus serait : 1 – Gevrey-Chambertin A. Bichot 1929 (réserve Fernandel), 2 – Chambertin Audifred 1911, 3 – Chablis Grand Cru Moutonne Long Dépaquit 1959, 4 – Champagne Dom Pérignon 1966.

Mon vote est : 1 – Chambertin Audifred 1911, 2 – Chablis Grand Cru Moutonne Long Dépaquit 1959, 3 – Chassagne Montrachet rouge Poulet P&F 1961, 4 – Echézeaux Joseph Drouhin 1928.

Puis-je exclure que certains convives aient confondu les deux verres des 1928 et 1929 ? Je ne crois pas qu’il y ait de confusion, ce qui me rend perplexe. Les accords les plus beaux sont ceux du ravioli de langoustine avec le Montrachet, du foie gras de canard avec le Chambertin 1911 et du mignon de veau avec l’Echézeaux 1928. Comme d’habitude tout fut parfait aussi bien en cuisine qu’en service, toujours attentionné.

Dans ce compte-rendu, le mot « serein » est revenu souvent, car les vins se sont montrés naturellement épanouis. C’est ainsi que pour les convives enjoués, sympathiques et très impliqués, il était presque complètement naturel qu’un chambertin de 99 ans soit parfait. Se rend-on compte de la chance que nous avons eue ?

139ème dîner de wine-dinners – photos jeudi, 9 septembre 2010

L’arrivée au premier étage de l’hôtel particulier qui abrite le restaurant Laurent

Photos de groupe des vins du dîner

Les bouchons

Les plats du repas

hélas, je n’ai pas photographié le foie gras, si subtil sur le Chambertin 1911

La table avec la forêt de verres

J’ai un peu plus de verres que les autres, car le sédiment final m’est donné dans un verre séparé

139ème dîner de wine-dinners – les vins lundi, 6 septembre 2010

Champagne Dom Pérignon 1966

Champagne Bollinger Vieilles Vignes Françaises 2000

cette bouteille est dans une boîte assez luxueuse !

Chablis Grand Cru Grenouilles Long Dépaquit 1959 (la bouteille est difficilement lisible)

Montrachet Bouchard Père & Fils 1989

Chambertin Audifred 1911

(l’année n’étant pas lisible, j’ai photographié une autre bouteille)

Gevrey-Chambertin A. Bichot 1929 (réserve Fernandel)

Echézeaux Joseph Drouhin 1928

Chassagne Montrachet rouge Poulet P&F 1961

Mercurey Champy et Fils 1945

Vega Sicilia Unico 1941 (que j’ai ajouté le jour du dîner)

Chateau Caillou Barsac Crème de Tête 1947

Chateau d’Yquem 1988

les vins, deux jours après.. vendredi, 3 septembre 2010

Il y a une suite !

Alors que je voulais me mettre à la diète totale, ma femme a invité un couple à déjeuner. Il se trouve que toutes les bouteilles du dîner n’étaient pas vides.

Suivons leur parcours : à la fin du repas, je les remets en caisse, ouvertes et debout. Arrivant à l’hôtel dans la voiture d’un ami, les caisses sont données à un concierge. Le lendemain, je repars en voiture avec les caisses dans mon coffre. Dehors, il fait 25 – 26 ° J’arrive après 2h30 de trajet et je sors les caisses que je mets dans une pièce à 22° environ. Elles restent ainsi pendant un jour environ. Je mets le reste du Krug 1982 ce matin au frais. J

e propose aux invités de boire les fonds de bouteilles, après leur avoir demandé d’accepter une offre qui n’est pas très raffinée. Mais j’ai évidemment aussi ouvert autre chose.

Le Krug 1982 a perdu beaucoup de bulle et a pris un petit coup de vieux. Mais sur du saucisson, il se réveille. Et il montre la richesse de sa structure. Le Pétrus 1976 sent bon, mais je n’en ai pas bu, réservant le peu qui restait à mon invité. Le Bouscaut 1918 est étonnamment charmant. Il est bien. On dirait qu’il n’a pas souffert d’avoir été ouvert il y a 45 heures et d’avoir été chahuté depuis. Sa solidité est bluffante. Pour le Lafite 1922, on est au niveau de la lie. On sent un peu d’acidité mais atténuée, on sent la force de la trame à côté du Bouscaut, mais le vin est nettement moins plaisant que le 1918. Le Romanée Saint-Vivant 1990 est réjouissant. Pas de défaut, pas de fatigue, et un bel équilibre bourguignon. Je le préfère presque à ce que j’ai bu lors du dîner, car il s’est épanoui. La divine surprise, c’est le Beaune Grèves Vigne de l’Enfant Jésus 1947. Le vin est glorieux. Pas le moindre défaut, comme lors du repas. La force alcoolique est là. Mais c’est surtout la plénitude en bouche qui est impressionnante. L’Yquem 1976 a un goût de fruit confit impressionnant. Il n’est pas altéré par le temps.

On a donc presque deux jours après l’ouverture et divers chahuts, la confirmation d’enseignements du dîners : la belle surprise d’un Bouscaut 1918, la déception d’un Lafite 1922 qui n’est plus ce qu’il pourrait être, la glorieuse présence du Beaune Grèves, qui justifie sa place de premier pour le consensus.

La solidité de tous ces vins après le traitement subi est à signaler.