journée mémorable – les photos jeudi, 24 juin 2010

1 – visite à la Romanée Conti

Cette photo, c’est pour montrer que "j’y étais" :

Quand Bernard Noblet écoute une question, il écoute attentivement. Et quand il boit du vin, il boit attentivement

une vue partielle sur le stock du domaine

2 – visite au Chateau de Vosne-Romanée, domaine du Comte Liger-Belair

Je n’ai pas pris de photos en cave

3 – déjeuner à Loiseau des Vignes à Beaune

les vins : Bâtard Montrachet Domaine Leflaive 1999

Vosne-Romanée aux Reignots Domaine Liger-Belair 2002 (on voit l’effet sur l’étiquette d’un seau d’eau pour rafraîchir le vin)

Côte Rôtie La Landonne Guigal 1986

les trois beaux bouchons

les plats

mon ami James et Louis-Michel Liger-Belair

4 – dégustation des Chevalier Montrachet La Cabotte Bouchard Père & Fils

Les bouteilles prêtes pour la dégustation dans le caveau du chateau de Beaune

5 – dîner extraordinaire à l’orangerie du Chateau de Beaune

Les vins

Le Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs magnum 1959 bu sur la terrasse du chateau

Château Margaux 1929 (on note qu’un petit choc sur la capsule peut être la cause de la baisse de niveau dans la bouteille)

Fleurie Château de Poncié 1929 qui avait appartenu à Bouchard à cette époque, l’a quitté et se trouve de nouveau "cousin" de Bouchard, dans le portefeuille vinicole de Joseph Henriot.

Château Lafite 1858

Château Lafite 1844 (qui n’était pas "Rothschild" à ce moment là)

Beaune Grèves Vigne de l’Enfant Jésus 1865, une des plus glorieuses bouteilles de la collection Bouchard

Château La Tour Blanche 1869. On voit une petite coulure à la suite de mon voyage de Paris à Beaune. ça n’a pas empêché ce vin de briller.

On arrive à lire sur cette contre étiquette du La Tour Blanche : "E. Mortier / de Chateau Lafite / Bordeaux France". Je serais heureux si quelqu’un pouvait identifier ce type d’étiquette.

la bouteille de Vin de Chypre 1841, toute petite, est d’une rare beauté

l’ensemble des vins du dîner. Je crois que ce ne sera pas souvent que je verrai un aussi prestigieux rassemblement. Les cinq bouteilles de droite ont plus de 140 ans !

Quelques photos prises à l’apéritif et au repas

L’orangerie qui est accolée au château de Beaune

vision de la forteresse et ses jardins

le repas était si passionnant que je n’ai photographié qu’un plat, celui du poisson

les verres restant sur la table ne donnent pas l’ampleur de l’événement qui comptera dans nos vies d’amateurs de vins rares et anciens

La journée la plus mémorable de ma vie de passionné de vins jeudi, 24 juin 2010

Cette journée est probablement la plus mémorable dans ma vie de passionné de vins. Je vais la raconter comme je l’ai vécue. Comme il y a eu trois dégustations en cave de domaines, je les ai racontées dans des sujets distincts ci-dessous. J’en donne les liens dans le texte.

Il y a des jours qui pèsent plus que d’autres. Ce 24 juin est un poids super lourd, heavy weight selon la classification de la boxe anglaise. Un dîner a été préparé avec quelques amis collectionneurs, sous l’aile bienveillante de Stéphane Follin-Arbelet, directeur général de Bouchard Père & Fils. Ce sera ce soir. Un ami américain dont j’aime la subtilité d’approche des vins et de la cuisine, m’annonce qu’il sera en Bourgogne pendant quelques jours qui incluent le 24 juin. Il paraît assez naturel de déjeuner avec son épouse et lui ce même jour. Il m’annonce que le matin, il visite la Romanée Conti. Il est tentant de me joindre à eux et je préviens le domaine que je serai de cette visite. J’ai aussi envie de rencontrer Louis-Michel Liger-Belair, que j’invite à rejoindre notre déjeuner. Le niveau de remplissage de mon agenda atteint le maximum acceptable. Je réfrène donc toute nouvelle envie de rencontrer d’autres amis bourguignons.

A 10 heures précises, le groupe de visite se forme au domaine de la Romanée Conti.

Le récit de la dégsutation des 2009 est faite ………….. ICI.

Avec mon ami américain et son épouse, nous n’avons que quelques pas à faire pour sonner à la porte du château de Vosne-Romanée. Dès que je sonne un grand chien accourt pour se manifester, suivi d’une petite fille à peine plus grande que le chien, mais le dépassant en autorité. Louis-Michel Liger-Belair vient nous ouvrir et nous propose de goûter quelques vins avant de partir déjeuner.

La dégustation de plusieurs 2009 du domaine Liger-Belair est faite …………….. ICI.

Pendant toute la dégustation, je pressais Louis-Michel d’accélérer, car mon ami James posant des questions pertinentes, il voulait légitimement y répondre. Mais il fallait aller vite au restaurant Loiseau des Vignes à Beaune en faisant un crochet pour que je dépose de précieuses bouteilles à mon hôtel, car avoir trois bouteilles de plus de 140 ans dans un coffre quand il fait chaud, mérite que l’on abrège le supplice des vins. Nous passons à mon hôtel en convoi de trois voitures. Je fais vite à décharger et prendre la bouteille que j’ai prévue pour le repas. Cela se passe trop vite. Nous cherchons des places de parking dans un Beaune très visité par des touristes en un jour de grande chaleur. A l’arrivée au restaurant, on nous propose de déjeuner dans le jardin ou à l’intérieur. Il est plus raisonnable pour les vins d’être à l’intérieur.

J’enlève le papier journal qui entoure ma bouteille et catastrophe : je me suis trompé de bouteille. Celle-ci est un vin de 145 ans. Il serait hors sujet dans ce que nous avons prévu. Compte tenu des difficultés de parking, je suis découragé d’aller chercher ma bouteille et j’envisage de commander un vin sur la carte des vins. Avec une gentillesse remarquable, Louis-Michel me propose d’aller chercher mon vin. C’est vraiment un geste que j’apprécie.

Le menu que nous choisissons après avoir demandé l’avis du directeur de salle en fonction de nos vins est : Jambon Iberico de Bellota, tartine à la catalane / Spaghetti au homard européen à l’estragon / Suprêmes et cuisses de pigeon caramélisés, poêlée de girolles.

David, jeune sommelier formé à Saulieu, est très motivé de servir nos vins, pour lesquels j’avais demandé la permission de Dominique Loiseau de les apporter, qui m’a fait une réponse positive très amicale.

Le Bâtard Montrachet Domaine Leflaive 1999 est d’une folle jeunesse. Il y a une saveur lactée comme celle que l’on trouve dans les tout jeunes vins. Le vin est riche et équilibré, il est jeune et puissant. C’est pour mon goût un vin idéal. L’accord avec le jambon espagnol, que l’on aurait aimé servi un peu plus froid par ce temps estival, pour adoucir le gras, est un accord de première grandeur. Le citron et le beurre qui sont sensibles en goûtant le vin sont remarquablement équilibrés.

Le Vosne Romanée 1er Cru Aux Reignots Domaine Liger-Belair 2002 a été carafé puis remis dans la bouteille par Louis-Michel ce matin. Il a donc une belle aération. Il y a beaucoup de fruits dans ce vin. Le vin est jeune, riche et c’est un vin que l’on aime boire. Je ressens qu’il n’est pas tout à fait complet, qu’il lui manque un petit détail qui donnerait un équilibre plus assumé. Mais c’est un détail, peut-être l’effet de la jeunesse, car ce vin est diablement bon à boire. Il y a une belle longueur et une grande précision, et l’amertume sensible est jolie. Le homard qui nous est servi est particulièrement copieux. Sa chair est parfaite. La sauce épicée dans laquelle s’enroulent les spaghettis est très épicée, mais il lui manque du poivre que nous faisons rajouter en grains, ce qui donne un coup de fouet à l’accord. C’est la chair du homard qui complète bien le vin très bourguignon.

La Côte Rôtie La Landonne Guigal 1986 a une robe un peu trouble, car elle a voyagé dans ma voiture. Aussi, les arômes ne sont pas stabilisés. Mais quand le vin s’assied dans le verre, tout s’assemble et le vin est agréable à boire. Louis-Michel est très étonné de sa jeunesse. Il est frais comme un jeunet. Je trouve personnellement que La Landonne met en valeur les Reignots 2002, en faisant ressortir la précision du vin bourguignon. Boire les deux vins ensemble profite aux deux. Ils se marient tous les deux avec le pigeon qui est remarquable de chair et de préparation. Sa sauce est idéale.

Le restaurant, qui a été couronné d’une étoile, la mérite. Le pigeon est d’une facture à signaler. Le service est agréable, et nos discussions auraient pu durer encore longtemps. J’ai quitté mes amis américains et Louis-Michel comme un voleur car le temps passait. Il me fallait une petite sieste, car ce soir, c’est le dernier dîner de mon année scolaire, et ce sera très probablement le plus grand.

A l’hôtel des Remparts où je suis un habitué, je plonge sous la couette, espérant grappiller quelques minutes de sommeil. Il est 16 heures, et j’ai promis d’ouvrir les bouteilles du dîner à 17 heures. Si ma sieste a existé, et j’en doute, elle n’a pas dû dépasser une minute. C’est une bonne douche, car je connais maintenant le mode d’emploi de cet appareil, qui me requinque. A 17 heures précises, je suis prêt à ouvrir les bouteilles qui sont toutes présentes dans l’arrière cuisine du château de Beaune.

Un ami suisse veut absolument photographier les bouteilles avant leur ouverture. Il est venu avec un petit tabernacle en polystyrène pour faire des photos de précision en gérant les éclairages. J’admire ce raffinement, mais on constate que mes photos ont une définition de points divisée par cinquante entre la photo que je prends et celle que je mets sur mon blog, car il faut les réduire. Le surcroît de précision a-t-il tant d’intérêt ?

Mon ami suisse ouvre les deux bouteilles qu’avec son ami suisse ils ont apportées, et il joue sur du velours car les Lafite 1844 et Lafite 1858 ont été rebouchés au château en 1983. Leurs parfums, très proches, sont prometteurs. Ma tâche est plus rude, car je dois affronter des bouchons beaucoup plus vieux. Le bouchon du Margaux 1929, d’origine, est d’une magnifique qualité. Il est souple, mais il ne collait pas assez au verre, ce qui explique une baisse de niveau à mi-épaule que j’ai jugée acceptable. L’ami qui l’a apporté a une bouteille de réserve. Malgré un nez un peu torréfié, il m’a semblé inutile de faire appel au vin de secours.

La partie se complique pour ouvrir le bouchon de La Tour Blanche 1869 que j’ai apporté. Du fait de la chaleur, le vin a un peu suinté et entouré le pourtour de la bouteille d’un liquide gras. Mais le niveau dans la bouteille est exceptionnel pour une bouteille au bouchon d’origine : il est à la base du goulot. Le bouchon se brise en de nombreux morceaux. Stéphane Follin-Arbelet aimerait m’aider, mais je préfère finir sans aide. Toutes les morceaux brisés sortent et l’odeur qui envahit la pièce est extraordinaire. On sent les agrumes qui vont se libérer. Le vin semble parfait. Je suis heureux. J’ouvre ensuite la toute petite bouteille du vin de Chypre 1841 et le bouchon est complètement collé aux parois. Aussi, quand je tire le tirebouchon, je ne retire qu’un petit cylindre du centre déchiré, et il me faut séparer le bouchon du goulot en coupant avec une pointe acérée de tout petits morceaux. Inévitablement des miettes tombent dans le vin, que j’enlèverai au moment du service avec une cuiller directement dans les verres. Le parfum de ce vin est à se damner. Je n’ai jamais vu quelque chose d’aussi capiteux et poivré.

Stéphane nous presse pour aller au caveau du château faire une dégustation verticale du Chevalier Montrachet La Cabotte Bouchard Père & Fils.

La dégustation verticale des Cabotte est faite ………………… ICI.

Nous remontons avec nos verres de la Cabotte 1992 sur la belle terrasse qui surplombe les jardins implantés dans d’anciennes douves de la ville forteresse. Joseph Henriot nous rejoint, tout sourire, et gratifie chacun d’aimables compliments. Il y a dans notre groupe, de la maison Bouchard, Stéphane directeur général et Philippe l’homme qui fait et connaît tous les vins sur le bout des doigts, deux amis suisses, grands collectionneurs, un des principaux clients de la maison Bouchard qui vend du vin à grande échelle mais organise aussi des grandes dégustations aux quatre coins de la planète. Il y a aussi Allen Meadows, l’homme qui connaît le mieux les vins de Bourgogne, qui vient de sortir un livre sur les vins de Vosne Romanée. Deux journalistes vont filmer des moments de notre repas, pour les archives de la maison Bouchard.

Sur la terrasse, nous buvons un Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs magnum 1959, vin que j’apprécie au plus haut point. Une grande peur nous prend, car il y a en bouche mais pas au nez, un petit début de bouchon. Fort heureusement ce petit défaut disparaît et la richesse de ce champagne beurre et citron, charnu et charmeur, me ravit. Ce champagne est d’abord un vin. Joseph Henriot est passionnant car il nous confie ses interrogations sur des choix stratégiques et nous sommes fiers d’être dans la confidence, mais il en profite aussi pour insister sur notre responsabilité pour développer l’amour des vins de qualité.

Le menu composé par Stéphane et réalisé par Marie Christine est – je pense – le plus abouti de tous ceux des dîners auxquels j’ai été invité dans l’Orangerie de Château de Beaune. Le menu est : Gougères / médaillon de lotte au curry / volaille de Bresse aux morilles et riz sauvage / grenadin de veau, jus de cuisson et petits légumes / Cîteaux et comté / choco- passion. Ce fut très élégant.

Le Corton Charlemagne Bouchard Père et Fils 1961 est une valeur sûre. Il a un nez de citron. En bouche, c’est magique car se mêlent les fruits confits et le citron. Le final de ce vin est extrême, avec du citron confit. Le curry va bien au vin. Ce Corton Charlemagne déborde de poivre. Ce qui est étonnant c’est le mariage d’une délicatesse et d’une grande puissance.

Le Château Margaux 1929 se présente avec un nez assez fatigué. Mais on sent qu’il va s’améliorer. A côté de lui, le Fleurie Château de Poncié 1929 a un nez très frais. Je m’étonnais que ce domaine ait gardé des 1929, mais l’explication existe : ce domaine a appartenu à la maison Bouchard qui avait une stratégie de conservation d’une « bibliothèque » de millésimes de ses vins. Il est donc normal qu’ils aient gardé des 1929. Le château de Poncié a quitté le groupe Bouchard et c’est Joseph Henriot qui l’a acheté récemment pour l’intégrer à son groupe.

En bouche le margaux est très joli et velouté. Il a un charme très féminin. Et ses petites faiblesses disparaissent miraculeusement avec les morilles. Le Poncié a des aspects mentholés. Il est très joli, vieux bois, avec beaucoup de charme dû à sa longueur. Il y a du bois et du café. Ce vin remarquablement conservé est un exemple de l’intérêt des beaujolais de garde. L’amertume est compensée par la belle densité.

Lorsqu’on nous sert côte à côte le Château Lafite Rothschild 1844 et le Château Lafite Rothschild 1858, nous prenons conscience que nous entrons dans un monde qui est le Graal de tout amateur de vin. J’ai bien observé les bouteilles qu’ouvrait mon ami. Les bouteilles d’origine sont très anciennes. Les étiquettes récentes ne montrent rien de particulier, sauf le millésime et il y a une contre étiquette qui indique que les vins ont été rebouchés au château en 1983. Tout m’est apparu authentique.

La couleur des vins est irréelle, car il n’y a pas un gramme de tuilé. Il y a même du rubis sur les bords. Les nez sont élégants. Les vins sont très acides, mais vraiment élégants. Leur jeunesse est confondante. Je trouve le 1844 beaucoup plus brillant, avec une richesse qui m’évoque Lafite 1961. Il a une structure folle, une densité incroyable. Je trouve cela complètement fou. On nage dans l’irréel, avec des structures invraisemblable et une puissance aromatique rare. Le nez du 1858 est délicat. Certains préfèrent le 1858 et je leur dis que c’est parce qu’il est le plus bourguignon des deux. Le 1844 a la race et la puissance d’un grand 1961 et le 1858 s’épanouit mieux et se montre progressivement plus élégant. Mais le 1844 m’a conquis. Pendant que je déguste, mes sens sont en éveil pour essayer de dépister une éventuelle ajoute à ces vins. Mais à mon sens il serait impossible d’avoir ces équilibres avec des vins qui ne seraient pas complètement homogènes.

Joseph Henriot est un agronome, aussi s’interroge-t-il sur ce qui expliquerait une spécificité des vins préphylloxériques qui leur donnerait cette longévité. Je ne suis pas un expert de cette question, mais mes amis suisses et moi avons bu beaucoup de vins préphylloxériques et il est indéniable qu’il y a en eux une aptitude au vieillissement qui est spectaculaire. Est-ce parce que présentes depuis un millénaire, ces variétés se sentaient bien dans ces couches géologiques qui leur convenaient ? Cette idée me plairait.

L’heure est venue pour le Beaune Grèves Vigne de l’Enfant Jésus 1865. Joseph Henriot et Stéphane rappellent l’histoire de la jeune carmélite qui avait prédit qu’Anne d’Autriche aurait un enfant et dont sa congrégation fut gratifiée de ce bout de vigne baptisé Enfant Jésus. Le nez du vin est extrêmement bourguignon, avec un charme confondant. Ce qui me frappe, c’est l’équilibre parfait de ce vin à la jeunesse aussi irréelle. Je trouve que ce vin sublime n’est pas le meilleur des trois que j’ai bus de cette année. Mais on est au sommet de ce que la Bourgogne a donné dans cette année historiquement grandiose.

Tous mes amis sont quasiment K.O. assis tant le Château la Tour Blanche 1869 est d’une perfection infinie. Le parfum est d’une puissance rare. En bouche, le vin est d’un charme inouï. Malgré sa couleur noire, il n’y a quasiment pas de caramel et ce sont les agrumes qui dominent. On parle souvent de sauternes qui mangent leur sucre et je me souviens d’un Filhot 1858 bu en ce même lieu qui avait perdu son sucre. Ce vin de 1869 a gardé tout son sucre et il est tellement puissant qu’on dirait un grand Yquem et il m’évoque un peu le 1861 que j’ai adoré et pour mon ami suisse c’est l’Yquem 1869 qu’il a déjà bu trois fois. Il estime que les deux se ressemblent. A mon sens ce vin est « le » sauternes parfait, avec une jouissance en bouche incomparable. Le gras de ce vin sur un fond sucré et agrumes est unique.

Il est temps de partager avec mes amis le Vin de Chypre 1841. C’est la seule bouteille de cette année que j’ai et le l’ai prise par jeu, pour offrir un vin plus vieux que le 1844 ! Le parfum de ce vin est d’une puissance incroyable. La sensation d’alcool est très forte. Et ce qui fait le charme, unique pour moi qui en suis fou, c’est que l’alcool fort est rafraîchi par un poivre dominant. Et le vin est une délicatesse, mêlant puissance, force alcoolique à une finesse créée par le poivre. Il n’existe aucun autre vin qui ait cette longueur infinie.

Nous sommes tous conscients que nous venons de vivre quelque chose d’unique. Car la qualité de tous les vins était au rendez-vous. Nous avons pu constater que les vins peuvent approcher l’éternité. N’étant pas l’organisateur de ce dîner, je n’ai pas demandé que l’on vote. Mon vote serait : 1 – Château la Tour Blanche 1869, 2 – Château Lafite Rothschild 1844, 3 – Beaune Grèves Vigne de l’Enfant Jésus 1865, 4 – vin de Chypre 1841, 5 – Château Lafite Rothschild 1858.

Si je n’ai pas mis en premier le Beaune Grèves 1865 qui était parfait, c’est essentiellement parce qu’il n’y avait pas la nouveauté que ce sauternes 1869 à la perfection absolue m’a offerte. Et le 1844 est tellement au dessus de ce que j’attendais de ces Lafite qu’il devait être couronné en bonne place.

La maison Bouchard a créé cette occasion unique de boire certains de leurs trésors chéris et de réunir des amoureux de vins anciens autour de bouteilles de légende. Dans ma vie de collectionneur – et buveur – de vins anciens, c’est peut-être le plus grand dîner auquel j’aie pu assister. Merci à la maison Henriot et à mes amis présents à cet événement inoubliable.

Dégustation verticale de quelques millésimes de la Cabotte de Bouchard jeudi, 24 juin 2010

Stéphane Follin Arbelet DG de Bouchard nous invite à aller au caveau du château faire une dégustation verticale du Chevalier Montrachet La Cabotte Bouchard Père & Fils.

Le Chevalier Montrachet La Cabotte Bouchard Père & Fils 2008 a un fort nez de noix et de noisette. Il est d’une densité énorme. Ce vin est beau. Il y a un peu de fumé. Philippe, l’homme qui fait les vins, dit qu’il est plus Chevalier que Montrachet. Il y a du fruit confit et du bonbon anglais et du poivre. La mise en bouteille est de mars 2010, il y a trois mois. On sent la noix et l’abricot sec. Ce vin est d’une forte personnalité.

Le Chevalier Montrachet La Cabotte Bouchard Père & Fils 2007 a aussi un nez d’amandes. Il est plus léger, élégant, un peu laiteux. Il est un peu court (tout est relatif, à ce niveau de qualité), mais le final citronné est très élégant. J’aime ces vins moins puissants qui vont vers l’élégance, ici florale et de citron. Dans la finale, il y a un peu d’amande pilée sur du citron.

Le Chevalier Montrachet La Cabotte Bouchard Père & Fils 2006 a un nez d’amande comme le 2007. Il commence à s’arrondir. Le vin est plus intégré. C’est un vin plus chaud. Il y a un peu de fumé, de beurre, de gras. Le final citronné est joli. Les arômes sont plus lourds, donnant un caractère assez capiteux.

Le Chevalier Montrachet La Cabotte Bouchard Père & Fils 2005 a un nez plus tendre au premier abord, plus citron. Le vin est frais, plus léger, pêche blanche. Un ami signale le miel d’acacia. Le final est de citron vert et de poivre. Je le trouve assez différent des trois précédents. La puissance se découvre maintenant et le final est mentholé. Son charme s’étale maintenant.

Le Chevalier Montrachet La Cabotte Bouchard Père & Fils 2002 est le premier vin a avoir vraiment un nez bourguignon. C’est un parfum de grande classe. Il y a de la noisette, du citron, de l’amande et ce petit « je ne sais quoi » qui fait la Bourgogne. En bouche le vin coule de source avec une insolente évidence. Il est frais et grand. Le panier de viennoiseries se sent avec du beurre, mais le final est citronné. C’est un vin immense, à l’équilibre spectaculaire.

Le Chevalier Montrachet La Cabotte Bouchard Père & Fils 2000 a un nez plus discret mais fin. En bouche, il est le plus chaleureux. C’est celui qui a le moins d’acidité. Malgré moins de présence que le 2002, je le trouve très fin et élégant. C’est un beau vin d’élégance.

Le Chevalier Montrachet La Cabotte Bouchard Père & Fils 1992 est servi en magnum. C’est le premier millésime de ce vin. Car ce vin qui géographiquement est dans l’emprise des Montrachet, n’en a pas le nom, pour des raisons administratives. Il a été jugé intéressant de le vinifier pour lui-même, sans l’inclure dans le Chevalier Montrachet, du fait d’une personnalité qui justifie qu’on lui donne son indépendance. Le nez de ce vin est magique. Il y a de la morille et du sous-bois. Ce vin est beau. Il y a du toasté, du fumé, et une complexité certaine. Le final est en fanfare, avec des fruits jaunes fumés. Il a une grande fraîcheur. Quand on reprend du 2002 derrière le 1992, on sent que le 2002 est plus racé, mais qu’il raconte moins de choses. Et l’expérience saisissante, c’est de boire le 2008 après le 1992, car la continuité gustative est spectaculaire. Le 2008 est plein de richesse, si frais et si long en bouche.

Cette dégustation est convaincante. J’ai un faible pour ce vin.

dégustation de quelques 2009 du domaine Vicomte Liger-Belair jeudi, 24 juin 2010

Après la dégustation des 2009 de la Romanée Conti, avec mon ami américain et son épouse, nous n’avons que quelques pas à faire pour sonner à la porte du château de Vosne-Romanée. Dès que je sonne un grand chien accourt pour se manifester, suivi d’une petite fille à peine plus grande que le chien, mais le dépassant en autorité. Louis-Michel Liger-Belair vient nous ouvrir et nous propose de goûter quelques vins avant de partir déjeuner.

Nous admirons la belle demeure et le joli parc et nous nous rendons dans la cave qui est sous la maison.

Le Vosne Romanée 1er Cru Les Chaumes Domaine Liger-Belair 2009 a un joli nez, très épicé et chaud. Le vin est très droit, et très différent des vins du DRC. Il est élégant mais un peu monolithique.

Le Vosne Romanée 1er Cru Les Petits Monts Domaine Liger-Belair 2009 a un nez joli. En bouche, il est un peu perlant mais joli. C’est un vin élégant même s’il est un peu moins ouvert que Les Chaumes.

Le Vosne Romanée 1er Cru Les Suchots Domaine Liger-Belair 2009 est plus lourd, plus assis. C’est un vin de plaisir.

Le Vosne Romanée 1er Cru Aux Reignots Domaine Liger-Belair 2009 est très élégant. Il y a beaucoup de cohérence et une belle densité de tous ces vins. Le final du Reignots est très élégant avec une pointe de cassis. C’est très joli.

L’Echézeaux Grand Cru Domaine Liger-Belair 2009 a un joli nez. Le vin est plus léger, plus romantique. On est dans la légèreté avec un beau poivre et de l’élégance.

La Romanée Grand Cru Domaine Liger-Belair 2009 est d’une spectaculaire élégance. Tout est parfait dans ce vin. Il est beau, et dix fois plus lisible que la Romanée Conti 2009. Le final est charnu. C’est un vin de plaisir.

Je ne suis pas un expert des vins de Liger-Belair, mais cette dégustation des vins d’une grande année est très probante.

Dégustation des 2009 DRC, deux Echézeaux plus anciens et un Bâtard jeudi, 24 juin 2010

A 10 heures précises, le groupe de visite se forme au domaine de la Romanée Conti. En plus de mes amis, il y a environ huit autres américains, de Houston, de Californie et de Chicago. Il y a de lourds collectionneurs et des professionnels du vin aux caves exponentielles. Après un petit mot de bienvenue d’Aubert de Villaine, la visite est conduite par Bernard Noblet, l’homme qui fait les vins du domaine depuis de nombreuses années, à la suite de son père. L’anglais de Bernard Noblet est assez succinct, aussi ai-je joué le rôle de traducteur. Que se serait-il passé si je n’avais pas rejoint ce groupe ? Je ne sais pas. Les métaphores de Bernard sont éminemment poétiques, ce qui rend la traduction difficile, et quand Bernard se lance dans des envolées lyriques sur les charmes féminins des vins du domaine, la pudeur me commande de ne pas traduire tout ce qui est dit.

Nous descendons en cave et commençons par le Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 2009, et Bernard nous indique que l’Echézeaux est dans une autre cave. Bernard insiste sur le fait que les vins sont dans des phases très différentes de leur fermentation malo-lactique et nous précisera pour chaque vin l’état de fermentation que Bernard compare au moment de la puberté. Le Grands-Echézeaux donne une sensation de perlant. Sa « malo » comme on dit n’est pas finie. Le vin est très vert mais il a beaucoup de matière. Il est puissant et riche.

La Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 2009 est un vin plus doucereux, au nez nettement plus agréable. Sa malo est plus avancée. Ce vin a de la finesse et un final plus poivré. Bernard signale l’acidité des tannins et compare ce vin à une femme féline. J’aime le poivre et la délicatesse.

Le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 2009 a un nez superbe de force. En bouche, le vin est droit et musclé. C’est le vin le plus en retard dans sa fermentation malo-lactique. Bernard signale un peu de réduction dans ce vin. Je l’aime beaucoup.

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 2009 a un nez plus fermé. Sa malo est aux trois quarts faite. Le vin est plus fluide, mais a quand même de la richesse et beaucoup de matière. Bernard dit qu’il est très exubérant et monumental. Il est plus anguleux que le Richebourg qui est plus sphérique. Ce vin me semble être un monument, très beau à boire. Le final est très signé DRC, avec des feuilles vertes que l’on mâche et du poivre.

La Romanée Conti DRC 2009 a fini sa malo. Il n’est donc plus impubère. La couleur est traditionnellement plus claire et Bernard compare avec une jolie femme qui n’a pas besoin de maquillage pour paraître belle, la couleur du vin étant le maquillage dans sa métaphore. Le vin est très féminin, au nez subtil. En bouche, le vin est frais, complexe, léger et subtil. Son toucher est soyeux et Bernard dit qu’il a la légèreté de la soie et parle de dentelle. Le final est très persistant et on retrouve la complexité du terroir. Bernard parle de spiritualité, et je m’évertue à essayer de traduire ! Je dois avouer que ce vin n’est pas si facile à lire que cela, car ses complexités vont s’ordonner sous d’autres formes.

Bernard considère que 2009 est plus grand et plus complet que 2005 et il situe ce millésime dans la continuité de 1999.

Nous changeons de cave pour la traditionnelle dégustation en cave de vins en bouteilles et non en fût comme le 2009. Cet exercice se fait à l’aveugle.

Bernard Noblet nous indique que le premier vin vient d’une année qui est très bonne et dont les quantités sont abondantes. Je lui trouve une belle matière. Il est très soyeux avec un beau final très frais. Je le trouve très puissant et quand Bernard donne la réponse : Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1999, tout le monde est étonné qu’un Echézeaux puisse avoir ce coffre et ce beau final. Certains ont même pensé qu’il s’agissait de La Tâche.

Le second vin a vraiment un nez du domaine. Là, je retrouve ce que j’aime. En bouche, le vin est beau et c’est la définition de ce qui est gravé dans ma mémoire. C’est un vin féminin – et je n’ai pas traduit tout ce que Bernard a dit – à la belle fraîcheur et aux belles épices. Là aussi c’est une belle surprise, car je n’attendais pas un Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1990 à ce niveau.

Le troisième vin est un blanc, qui est riche, beau, au final minéral. On reconnaît un peu de caramel, de beurre, mais aussi de l’iode. Comme à chaque fois, tout le monde se trompe. Quand j’ai dit : « je sais quel est ce vin », tout le monde m’a dit : « nous savons que vous savez » et j’ai répondu : « oui, mais nous ne pensons pas au même vin ». Car il s’agit du Bâtard Montrachet Domaine de la Romanée Conti 1995 qui n’est pas commercialisé et dont beaucoup ignoraient l’existence, pensant au Montrachet. Mais en fait, le Bâtard passe plus en force, quand le Montrachet joue plus sur son charme. J’ai adoré ce vin brillant, pétulant, de grande complexité.

J’ai remarqué que dans cette cave à la jolie voûte, quand on boit de si bons vins, on arrive toujours à trouver des affinités avec les gens que l’on rencontre. Nous avons échangé des cartes de visite, avec l’envie de nous revoir. Je retiens deux choses : la beauté et la richesse du millésime 2009, et la belle performance des deux Echézeaux de grandes années, que je n’attendais pas aussi glorieux.

dîner au Crillon – photos mardi, 22 juin 2010

Photos de groupes de bouteilles

On note le bas niveau de La Tâche 1957 ce qui rend encore plus intéressant le commentaire fait sur sa dégustation

les bouchons

Le bouchon de La Tâche 1957 est en charpie. Le bouchon du vin de 1911 est récent

L’inscription sur le bouchon du Montracher Lupé Cholet 1943 est : Boillereault de Chauvigny

Bouchon du Climens et l’ensemble. Le bouchon de La Tâche 1950 est à gauche de la deuxième assiette du haut.

Les plats (voir menu)

Tous les verres n’étant pas restés sur place, il n’y a pas eu la traditionnelle photo de la "forêt" de verres.

137ème dîner de wine-dinners au restaurant Ambassadeurs de l’hôtel de Crillon mardi, 22 juin 2010

Le 137ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Ambassadeurs de l’hôtel de Crillon. Je souhaitais depuis longtemps faire un dîner dans cette salle à manger magique, mais les stratégies ne s’accordent pas toujours. Ayant dîné au restaurant le premier soir où le nouveau chef Christopher Hache officiait, j’ai été conquis par sa cuisine. Et grâce à l’efficacité de Loïc Launay, directeur de la restauration, nous avons pu faire aboutir ce projet.

A 16 heures, au moment où l’équipe de France de football allait vivre la dernière station de son chemin de croix, j’arrive pour ouvrir les bouteilles. Par les aléas des inscriptions, qui ont fait du yoyo, ce sont douze personnes qui vont participer. Boire une bouteille à douze peut être frustrant car la quantité paraît assez faible. J’ai donc ajouté à mon programme initial cinq vins, pour satisfaire mes amis.

Parmi les cinq ajoutes, il y a une bouteille de Montrachet de Lupé Cholet à l’étiquette quasi neuve qui se décolle quand je prélève le vin en cave. Sur l’étiquette, il y a une inscription en danois. La capsule est marquée du département 21 et semble récente, alors que la bouteille est ancienne, avec une poussière épaisse qui explique le décollement de l’étiquette. J’ai inscrit sur mon menu, que personne ne connaît encore, que le vin est des années 80. Mais l’inscription danoise trotte dans ma tête. Et je me souviens qu’un cousin danois m’offrait toujours des vins de mon année de naissance. Quand j’ouvre les vins, j’ai envie de vérifier et c’est effectivement un Montrachet de 1943, dont le bouchon porte l’inscription : Boillereault de Chauvigny.

Les bouchons viennent généralement bien. Les deux sauternes ont des odeurs merveilleuses. Le Montrachet du domaine de la Romanée Conti a un parfum impérial, mais celui du Montrachet 1943 est encore plus enivrant. Il y a quatre La Tâche, et deux au moins ont une incertitude forte, dont celui qui devrait être le clou de ce dîner, le magnum de La Tâche 1950. Il y a l’équivalent de quinze bouteilles pour douze, chacun aura ainsi de quoi trouver son content de plaisir.

La réunion est cosmopolite, car trois pays asiatiques sont représentés. Tous les participants sont des amis ou amis d’amis. Le Champagne Bollinger Grande Année 1990 a une couleur déjà ambrée, marquant une évolution que l’on sent en bouche. Le nez est racé, la bulle active, et le vin est extrêmement vineux. C’est un grand champagne qui commence à quitter sa belle jeunesse pour une maturité plus doctrinaire.

Le menu créé par Christopher Hache est ainsi présenté : Coques et couteaux à la crème d’artichauts et espuma marinière / Le Foie Gras de canard des Landes rôti en cocotte lutée / L’Ormeaux sauvage de Stéphane Feret, petit pois et mousserons relevés au lard fumé / La Morille farcie au jambon ibérique, écume de noisette / Ris de veau de Corrèze doré, étuvée de choux / Le Pigeon de Vendée oignons grelots façon Tatin, les cuisses en raviole dans un bouillon / Plateau de vieux fromages affinés (comté 18 ou 24 mois, vieille mimolette, Salers) / Ile flottante gaspacho d’ananas, mangue et passion / Le Finger ‘chocolait’ glace à la banane, croustillant noisette et mousse " Jivara ".

Je n’ouvre pas les champagnes à l’avance aussi est-ce l’incertitude quand on me verse la première gorgée du Champagne Heidsieck Monopole Magnum 1952. La bouteille est d’une rare beauté. La couleur du champagne est presque plus jeune que celle du Bollinger, de 38 ans son cadet. La bulle est entière, riche, puissante et joyeuse. Et en bouche, c’est un coin de paradis qui s’ouvre. Je suis tellement heureux que ce champagne soit parfait que je laisse exploser ma joie. Ce champagne est d’une perfection absolue. Je dis que si la note de 100 sur 100 doit exister, c’est pour ce champagne et un ami qui écrit sue le vin et la gastronomie dit : il mérite mille, ou peut-être 997, si l’on veut être critique. Il y a des fruits jaunes opulents dans ce champagne mais surtout un équilibre dans la complexité. On peut aussi trouver du toast et des viennoiseries. La coque réagit joliment sur ce champagne.

Le Montrachet Boillereault de Chauvigny Lupé-Cholet 1943 va-t-il confirmer son odeur merveilleuse à l’ouverture ? La réponse est oui. Ce Montrachet est extraordinaire. N’étaient les bulles, il y a un fort cousinage avec le Heidsieck. La couleur est joliment dorée, le nez évoque le citron vert assagi de douceur et en bouche, le citronné est sous contrôle, le vin joue sur un registre de fruits jaunes délicats, avec une noblesse que donne l’année. Le foie gras qui était prévu pour le champagne trouve avec le Montrachet un accord charmant.

Le Montrachet Domaine de la Romanée Conti 1999 est d’une belle puissance, mais pas autant que je ne le croyais, car après deux vins extrêmes, il montre les boutons de son acné. Il est définitivement puceau, même si c’est le plus grand puceau du monde. Car toute sa complexité que nous aimons manque de mise en place après la spectaculaire expression glorieuse des deux vins précédents. Une femme Master of Wine classera ce vin premier, car son quotidien est de goûter des vins à ce stade de leur vie. Ce grand vin, qui serait impérial en d’autres circonstances, a pâti de suivre deux triomphes.

J’ai annoncé que deux au moins des quatre La Tâche poseront sans doute des problèmes. Aussi suis-je fébrile à chaque fois que David Biraud, sommelier dont j’apprécie la compétence, me sert un vin. La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1986 me rassure dans l’instant. Son nez est de fruits rouges et en bouche, la framboise abonde. Le vin est bourguignon à l’extrême, avec la salinité propre aux vins de la Romanée Conti. Sa joie de vivre est conquérante, et je ne l’attendais pas à ce niveau. Il est plus directement joyeux que la Romanée Conti 1986 que j’ai bue il y a peu, mais c’est un autre vin. La morille est parfaite, et son goût crée un écho avec ce vin comme avec le suivant. C’est le fruit riche qui caractérise ce 1986.

Avec La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1957 dont le niveau était très bas, nous voilà de plain pied dans le monde des vins qui ne se livrent que si on les écoute. Car la première gorgée est d’une fatigue certaine. Va-t-on laisser tomber ce vin, l’ignorer pour passer au suivant ? Ce serait une erreur, car le vin connaît une remontée à la surface digne du Grand Bleu (pas l’équipe de foot de la France au Mondial). C’est spectaculaire car la transformation au nez et en bouche peut se suivre à vue d’œil, si l’on accepte de mélanger ainsi tous nos sens dans cette expression. Ayant demandé à David de me servir les lies, je fais sentir le vin et goûter à la Master of Wine qui avait grimacé au début de ce vin. Elle est surprise que le vin dans mon verre n’ait plus aucun défaut. S’il est un point dont je tire fierté et joie, c’est que mes amis ont su profiter de ce vin comme il fallait : un vin à la première gorgée rebutante a recueilli quatre votes de premier lors de nos votes finaux. Mes amis, vous êtes géniaux.

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1983 est un vin que j’ai ajouté pour le cas où. Son année n’est pas des plus glorieuses, et le vin donne un coup de pied dans les tables de la loi. Car cette Tâche est tout simplement charmante. Il est évidemment tentant de comparer 1986 et 1983 et la table se range en deux camps à peu près opposés. Mon cœur penche pour le 1986, plus solide, alors que mon ami écrivain avec qui j’adore partager des vins, penche pour le 1983, plus romantique et gracieux.

C’est pour moi le grand moment : l’arrivée de La Tâche Domaine de la Romanée Conti magnum 1950 dans une bouteille poussiéreuse d’une grande beauté. Le vin sentait la fatigue à l’ouverture, mais le retour à la vie me semblait probable. La première gorgée est toujours la plus amère. Il y a une fatigue évidente, mais on sent que le vin va se réveiller. Il suffit d’attendre, et le jus de la raviole de pigeon va jouer les infirmières réanimatrices. Et c’est une grande Tâche, dont le fruit est faible, mais dont la salinité « continienne », est une merveille. On lit des pages de l’histoire de La Tâche en buvant ce vin, encore un peu fatigué, mais diablement plaisant.

A ce stade, je fais « ouf ». Car mes vins sont comme mes enfants. J’ai envie qu’ils brillent quand ils montent sur la scène, et quand des fatigues ne gênent pas la compréhension par mes amis, je suis heureux. J’étais heureux après le Montrachet 1999, et la table avec moi, car nous pensions que la performance des quatre premiers vins est un miracle. Les quatre La Tâche qui ont suivi sont plus irrégulières, mais le panorama qu’elles ont offert valait le voyage. Que dire après ces quatre La Tâche ? Il est assez difficile de définir un type bien précis du fait des écarts de conservation de ces vins, qui jouent beaucoup plus que tout autre critère. Mais la magie bourguignonne et ‘continienne’ opèrent, et nous immergent dans un monde de délicatesse, de subtilité et de ferveur.

A l’ouverture, j’avais été étonné que Blanc Vieux d’Arlay caves Jean Bourdy 1911 ne soit pas plus tonitruant au nez. Or six heures plus tard, tout s’est assemblé. Ce vin, qui est un blanc des Côtes du Jura, n’est pas un jaune, comme dirait M. de la Pallice, ce qui explique le nez un peu discret à l’ouverture. Il est d’une jeunesse éternelle malgré ses 99 ans. Ses saveurs sont étranges, inhabituelles, mais profondément séduisantes. Nous sommes nombreux autour de la table à aimer ce vin, qui cousine avec le comté car il préfère le fromage de sa région. Les notes un peu fumées, de paille brûlée de soleil, et une longueur infinie, signent un grand vin.

L’envie est grande d’essayer la mimolette sur le Château Climens 1966. Ce vin est insolent de charme évident. C’est Brigitte Bardot quand elle venait d’être créée par Dieu ou par Vadim, je ne sais plus. La couleur est d’abricot et en bouche tout respire la jubilation. C’est du plaisir pur, facile. Avec le dessert, c’est une aubaine.

Par contraste, le Château de Fargues 1989 expose ses biscotos. Il joue sur sa puissance riche quand le Climens joue de ses œillades assassines. Et si le sauternes est d’une exactitude extrême, le cœur penche pour le Barsac au charme emballant. Ce Fargues a une opulence digne d’Yquem 1989, quand le Climens, qui joue à l’abricot, a un air de fruit défendu.

Nous avons tellement bu, et il est tard, car le service fut un peu lent, aussi me permets-je de suggérer que nous ne prenions qu’un champagne, en laissant de côté celui que j’ai rajouté, le 1975. Mais voici qu’arrive David portant les deux champagnes ouverts. Nous rions de cette situation comique, mais David a, sans le savoir, visé juste, car le Champagne Moët & Chandon Brut Impérial rosé 1955, dont je ne savais pas qu’il était rosé et le menu n’indique pas sa couleur, est définitivement mort. S’il a peut-être quelque chose à dire, nous n’avons plus envie d’écouter, d’autant plus que le Champagne Moët & Chandon Brut Impérial 1975, blanc celui-ci, est, à cette heure tardive, follement jeune et charmant. C’est un beau champagne de soif avec des notes de citron charnu, pour finir en beauté. Je lui trouve une charpente supérieure à ce que j’attendais.

Le moment des votes est toujours l’occasion de grandes surprises. Nous sommes douze votants pour treize vins. Un seul vin n’a pas eu de vote, malgré sa qualité, c’est le Champagne Bollinger Grande Année 1990. Même le Champagne Moët & Chandon Brut Impérial rosé 1955, véritablement mort a eu droit à un vote, pour une question de date de naissance, caprice d’un ami. Sept vins, tous placés à la suite, du deuxième au huitième servi, ont eu au moins un vote de premier. C’est assez extraordinaire que douze personnes à une même table puisent leur premier, leur chouchou, dans sept vins différents. Avec un étonnement que l’on devrait fortement méditer, c’est La Tâche 1957 qui a recueilli quatre votes de premier. C’est une surprise et une sacrée leçon. Le Montrachet 1943 et le Montrachet DRC 1999 ont eu deux places de premier, et ensuite le Champagne Heidsieck 1952, La Tâche 1986, La Tâche 1983 et la Tâche 1950 ont eu chacun un vote de premier.

A chaud, avec des neurones affaiblies par ce dîner, le classement provisoire donnait approximativement ceci : 1 – Champagne Heidsieck Monopole Magnum 1952, 2 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1983, 3 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1957, 4 – Montrachet Boillereault de Chauvigny Lupé-Cholet 1943, 5 – Blanc Vieux d’Arlay caves Jean Bourdy 1911.

En refaisant à tête reposée le calcul en donnant 20 points au premier, 15 au second, 11 au troisième, 8 au quatrième et 6 au cinquième, le classement serait : 1 – Champagne Heidsieck Monopole Magnum 1952, 2 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1986, 3 – Montrachet Boillereault de Chauvigny Lupé-Cholet 1943, 4 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1983, 5 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1957. En prenant des points de 10, 8, 6, 4, 2, on arrive au même résultat, le quatrième et le troisième étant ex-aequo.

Mon vote est : 1 – Montrachet Boillereault de Chauvigny Lupé-Cholet 1943, 2 – Champagne Heidsieck Monopole Magnum 1952, 3 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1986, 4 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1983, 5 – Blanc Vieux d’Arlay caves Jean Bourdy 1911.

Ce dîner est important, car pour plusieurs vins, l’écart de sensation a été considérable entre la première gorgée et la dernière, épanouie dans le verre. Des vins, probablement trois, qui auraient été refusés à une table où un sommelier les aurait proposés, ont été non seulement acceptés, mais compris et couronnés de votes. La volonté d’être accueillant au message d’un vin est une de mes croisades. Beaucoup d’amateurs passeraient à côté de messages extraordinaires, qui ne s’écoutent que si on a la volonté de les entendre.

Dans cette salle merveilleuse, avec des amateurs de vin de talent, nous avons passé un dîner unique. Christopher Hache a réalisé des plats dont la philosophie convient aux vins anciens. Ses deux plus beaux plats ce soir sont le foie gras et la morille, et le petit bouillon de la raviole du pigeon a joué un rôle majeur pour un vin. Le service, même s’il fut un peu lent, a été exemplaire. David Biraud a entouré nos vins avec une grande classe. Les Ambassadeurs, avec un nouveau chef et une équipe rodée méritent leur nom, car ils sont les ambassadeurs d’une gastronomie à la française dont nous ne pouvons qu’être fiers.

137ème dîner de wine-dinners – les vins lundi, 21 juin 2010

Champagne Bollinger Grande Année 1990

Champagne Heidsieck Monopole Magnum 1952

Montrachet Lupé Cholet 1943

Montrachet Domaine de la Romanée Conti1999

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1986

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1957

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1983

La Tâche Domaine de la Romanée Conti magnum 1950

Blanc Vieux d’Arlay caves Jean Bourdy 1911

Chateau Climens 1966

Château de Fargues 1989

Champagne Moët & Chandon Brut Impérial 1955

Champagne Moët & Chandon Brut Impérial 1975

dîner chez un ami – les vins samedi, 19 juin 2010

champagne Alexandra rosé Laurent Perrier 1998

Champagne Krug Vintage 1990

Vin de l’Etoile Chateau de l’Etoile Vandelle 1959

l’étiquette de ce vin de Mascara des années 40 crée en moi une grande émotion. C’est si beau et si évocateur !

Chateau Cheval Blanc 1983 et Chateau Haut-Brion 1975

Richebourg, Domaine de la Romanée Conti 1973

Ermitage le Pavillon Chapoutier 1991

Chateau d’Yquem 1986

Chateau Filhot 1972

repas chez un ami avec la cuisine sublime de Jean-Philippe samedi, 19 juin 2010

Jonathan ayant quitté sa nouvelle Australie pour un court séjour parisien, il enchaîne à un rythme endiablé les grands repas. Ce soir, il nous reçoit au domicile parisien de son père, et confie la cuisine à Jean-Philippe. La salle de la cuisine est immense, toute en longueur, très haute de plafond, et équipée comme la force de frappe nucléaire française. Au moment où nous arrivons, ma femme et moi, une gentille brigade commandée par Jean-Philippe s’affaire autour de produits merveilleux.

Lorsque j’avais annoncé les deux vins que j’apporterais, Jean-Philippe, suivi par Jonathan, a fait la moue soit du snob, soit de l’enfant gâté (vous cochez la case qui vous paraît la plus appropriée). Vexé comme un pou, caractéristique caractérielle de cet insecte un peu tirée par les cheveux, je viens avec cinq bouteilles dans ma besace, en tonitruant : « à vous d’en choisir deux, puisque vous n’aimez pas mes vins ». Mais à force de vanter les mérites de chacun pour convaincre de leur pertinence, j’ai fini par ouvrir les cinq, doublant presque le nombre de vins de cette olympiade gastronomique.

Jonathan a invité deux de ses amis dont j’avais fait la connaissance chez Yvan Roux, Jean-Philippe a invité deux de ses amis que j’ai connus en diverses circonstances, et mon épouse qui redoutait un dîner où l’on parle de vins a été servie !

Pensant que démarrer par un champagne sublime est un départ trop rapide, j’ai insisté pour que l’on boive « mon » Champagne Laurent Perrier rosé Cuvée Alexandra 1998 pour se faire le palais. J’y étais conduit par la présence de copeaux de saucisse de Morteau que Jean-Philippe agrémenta de mizuna. Le rose du champagne est joli, frais, alors que le champagne ne l’est pas, puisqu’il a été mis au froid tardivement. La bulle est belle et je suis agréablement surpris de voir que c’est un bon rosé. Il a de la consistance, et il manque un peu de folie. C’est un exercice de style très appréciable, mais qui ne crée pas une grande émotion. L’accord avec la saucisse est très pertinent.

Dès qu’est servi le Champagne Krug Vintage 1990, nous montons quatre à quatre les marches de l’ascenseur gustatif, et cette phrase me plaît tant elle est dans la ligne des légendaires discours du maire de Champignac. Ce champagne est d’une classe extrême, délivrant un flot de complexité dont on saisit des bribes sans jamais embrasser la totalité des messages. Le foie gras poêlé, fève Tonka et fleur de coriandre est parfait, goûteux, d’une extrême qualité. Mais ce qui est curieux, c’est que si la logique de l’accord est respectée, il n’y a aucune valeur ajoutée pour l’un comme pour l’autre. Pas de changement de niveau.

Lorsque j’avais fouiné dans la cuisine, au moment des préparatifs, j’ai mis mon nez dans une casserole pleine de coques. Et une réminiscence à l’évidence criante m’est venue : il faut Yquem pour ces coques. Jean-Philippe les avait prévues en accompagnement du cabillaud. Il fut d’accord de scinder son plat. Aussi le dos de cabillaud est-il accompagné d’épinards à la poire, sur le merveilleux Meursault 1er Cru Perrières – Domaine Coche-Dury 1997. C’est divin. Le cabillaud est un millimètre trop cuit pour mon goût, mais il est goûteux et délicieux. Le meursault a un nez de gaz paralysant. Il nettoie les narines comme on nettoie les banlieues. Et en bouche, il montre une fois de plus le talent extrême de Jean-François Coche-Dury. Ce vin est une bombe gustative, qui trouve dans le cabillaud le répondant parfait. Ce meursault aux variations nacrées, irisées, infinies est un bonheur.

Le homard, céleri, sauce à l’anis et à la réglisse est prévu pour mon chouchou, le Vin de l’Etoile, Château L’Etoile, Vandelle 1959. La chair du homard est parfaite, mais de Jean-Philippe, on s’attend à ce que l’idéal soit standard. Le trait de génie, c’est le céleri, qui apporte au vin du Jura une dimension galactique. Le plat est un rêve avec un céleri diabolique, le vin est un rêve, car il emmène dans des saveurs intouchables et le tout est un rêve.

On s’en souviendra de l’accord entre les coques au bouillon iodé et le Château d’Yquem 1986. Car la correspondance est parfaite. La coque, mais encore plus le bouillon, arrive à accrocher l’iode d’un Yquem puissant, impérieux, presque insolent de charme assumé. Je suis particulièrement heureux d’avoir suggéré cette entorse au programme, qui se justifie pleinement et donne un rare plaisir.

Le lard de Colonnata est présenté sur un pain grillé et c’est l’occasion de servir le Vin de Mascara, vin d’Algérie de Herber-Préau à Oran et à Sète, des années 40. La datation n’est pas évidente, mais le vin est sûrement entre 1930 et 1950. Son nez est impérieux, riche, costaud. En bouche, ce vin annoncé à 13° est d’une puissance certaine, d’une couleur noire, et d’une conviction indestructible. Par son côté légèrement torréfié, café et chocolat, il me fait penser au Vega Sicilia Unico. C’est un vin simple, mais d’une richesse souriante et l’accord avec la Rolls du lard est joyeux.

Tout le monde se recueille quand il nous est donné de goûter une viande transcendantale, un Wagyu, sauce au boudin noir, poêlée de girolles. Ce bœuf venu dans les bagages de Jonathan est d’une qualité qui est introuvable en Europe. On le mange comme une hostie, tant on veut communier avec ce privilège. Et, comme la chance sourit à ceux qui la méritent, nous buvons un Château Cheval Blanc 1983 qui est exceptionnel. Carafé depuis longtemps, ce vin est aérien, gracieux mais aussi noble et racé. Il emporte nos papilles en des cieux inaccessibles. Ce vin sera unanimement couronné comme le plus grand de cette soirée. La sauce crée un pont merveilleux avec le vin. Nous sommes dans l’exception gastronomique.

Lorsque nous sommes servis du Château Haut Brion 1975 le vin fait pataud, collant à la glaise alors que le précédent était sur un petit nuage. Et par la magie de l’accord avec le ris de veau à la cubaine, le vin gagne en hauteur de façon spectaculaire. Cette transformation est inouïe. Le ris est d’une qualité extrême et l’accord crée de la valeur ajoutée.

Le quasi de veau basse température, est accompagnée d’une sauce que Jean-philippe aime à appeler Grand Cru, alors qu’il n’y a pas une goutte de vin. Cette sauce est rose, et la petite pointe de framboise rappelle l’odeur des bondes de fûts en Bourgogne. Ce plat est le velours qui convient au Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1973. Tout en ce vin est subtil, mais un peu timide. On sent qu’il a des choses à dire, mais qu’il reste sur le pas de la porte pour ne pas déranger. C’est un grand vin mais qui joue un peu discrètement malgré la sauce divine qui lui va comme un gant.

Le suprême de pigeon à la goutte de sang, poêlée de févettes est une merveille de la cuisine de Jean-Philippe. En lui associant un Ermitage "Le Pavillon" M. Chapoutier 1991, on sait qu’on a acheté un ticket gagnant. Le vin est sûr de lui, lisible comme une évidence, plein, équilibré, parfait. Et le plat n’a pas besoin de faire d’effort pour coller à lui comme tenon et mortaise. C’est de la gastronomie pullman, fondée sur une dextérité du cuisinier et du vigneron.

Le Stilton est goûteux. Peut-être un peu trop fort et trop salé, mais goûteux. Il en faudrait plus pour faire vaciller le Château d’Yquem 1986 qui est toujours un roc, dans la définition d’un Yquem puissant, archétypal.

Et ce qui est intéressant, c’est que l’Yquem ne porte pas du tout ombrage au Château Filhot 1972 dont le nez était renversant à l’ouverture, avec des notes de poivre et de menthol. La raviole de mangue au pamplemousse rose est née pour Filhot. Dès que je goûte, je demande à Jean-Philippe d’ajouter une jetée de poivre sur la mangue, car le Filhot appelle ce poivre. Et l’accord est merveilleux, confondant, au point que l’on ne sait pas si le goût vient du mets ou du vin. Le Filhot 1972, ayant mangé une partie de son sucre, donne une image du sauternes frais et délicat qui est aussi merveilleuse que celle de l’Yquem, plus guerrier et conquérant.

La tarte Tatin du pâtissier fétiche de Jean-Philippe est bonne, mais elle n’ajoute rien au sauternes. J’aurais aimé qu’on double la portion de mangue plutôt que ce très bon dessert.

L’ennui, quand on « fait du social » en invitant le cuisinier à table, c’est que quand il est à table, il n’est pas en cuisine. Aussi est-ce vers trois heures du matin que nous avons fini un repas qui restera dans nos mémoires comme un moment de justesse culinaire extrême et de choix de vins variés faisant voyager nos papilles dans des jungles inviolées. Quand on y rajoute la mayonnaise de l’amitié souriante et joyeuse, on est très proche du bonheur parfait.