académie – quelques photos jeudi, 10 juin 2010

Quelques vins du groupe 1 (à gauche le magnum de Moët commun aux trois groupes)

Les vins du groupe 2 (entre le groupe 1 et le groupe 3)

Les vins du groupe 3

Les trois groupes, mis sur trois arcs de cercles

Le Clos Montmartre 1979 dont la vigne appartient à la mairie du 18ème arrondissement de Paris

Quelques photos de plats

Académie des vins anciens – 13ème séance jeudi, 10 juin 2010

L’académie des vins anciens tient sa treizième séance. Il me semble que malgré les aléas, ce numéro lui a porté chance. Cette réunion est particulière à plus d’un titre. Elle se tient pour la première fois au restaurant de l’hôtel Bedford dans le 8ème arrondissement. L’hôtel n’assure pas le dîner et j’avais déjà constaté en m’y rendant avec un ami qu’à peine le déjeuner fini, les tables sont dressées pour le petit déjeuner du lendemain. Ce n’est pas le cas aujourd’hui, car nous avons privatisé la très amusante salle du restaurant. Amusante, car sa décoration est surchargée, avec des stucs lourds comme ceux de la plus audacieuse des pâtisseries, mais charmante aussi, car elle dégage une atmosphère bucolique et confortable.

Christophe le chef, passionné de vins et notamment d’Yquem (il n’y en aura pas ce soir) est heureux de faire cette expérience, et je sens que Gilles le sommelier et Franck sont motivés à faire un service de qualité sur un schéma très inhabituel.

D’autres facteurs ont influencé cette réunion. Les inscriptions ont été très tardives, moins de dix membres ayant répondu à l’appel un mois avant la réunion. Pour accélérer le rythme il m’est apparu qu’il faudrait que je sorte de ma cave des bouteilles emblématiques. Par ailleurs, un de mes amis, Juan-Carlos, est en train de ranger ma cave. Il y découvre les bouteilles qui nécessitent d’être bues en urgence, parce que les niveaux ont baissé. L’occasion était trop belle de réaliser un projet que j’ai depuis longtemps, faire une réunion de « bas niveaux ». Dans la cave, Juan-Carlos riait de mon attitude, car à chaque bouteille, je disais : « oh, j’ai envie qu’ils goûtent cela ». C’est enfantin, car je ne cessais de rajouter des bouteilles.

Un autre élément a modifié l’effectif habituel de notre réunion. A la suite des conférences que j’ai tenues devant des élèves de Sciences Po et de l’Institut Supérieur du Marketing du Luxe et du même institut pour le goût, plusieurs se sont inscrits, que je dispensais de l’obligation d’apporter des bouteilles de vins anciens.

Au final, nous sommes 36 inscrits, mais 32 présents à la séance de l’académie, avec 65 vins annoncés, mais 62 présents, dont 46 en provenance de ma cave. Cette réunion est donc particulière, par son site nouveau, par la présence de douze étudiants ou élèves ravis d’entrer dans un monde inconnu et par le nombre très élevé de vins, puisque le ratio habituel d’une bouteille par personne est aujourd’hui doublé.

A 16 heures la salle de restaurant est étouffante, car la jolie verrière à vitraux a l’effet d’une serre. Il faut vite mettre en marche la climatisation pour que je puisse effectuer l’ouverture de ces 62 bouteilles. Juan-Carlos et un autre ami fidèle, Jean, seront d’une aide précieuse, car je ne serais sans doute jamais arrivé seul à extirper tous les bouchons dont de nombreux sont venus en charpie.

Quand le niveau dans une bouteille baisse, c’est que le bouchon a un problème. La nature du problème est variable, certains devenant secs, d’autres graisseux, mais généralement, les bouchons se brisent en mille morceaux. C’est ce qui s’est produit. Parfois, des bouchons ne tenaient plus qu’à un fil et la simple pression de la pointe du tirebouchon les fait tomber dans la bouteille. Avec Jean et Juan-Carlos, nous échangeons nos impressions olfactives, et le moins qu’on puisse dire, c’est que ce n’est pas encourageant. A vue de nez j’estime qu’un tiers des vins sont morts ou quasi morts, surtout les blancs secs qui ont souffert. Jean est le plus optimiste de nous trois. Jamais mes mains n’ont été aussi noires tant abondaient les bouchons graisseux. Des goulots étaient recouverts de traces noires, dont particulièrement celui de La Tour Blanche supposé 1896, au goulot dont l’intérieur est touché comme un pélican lors d’une marée noire. Cette bouteille m’a réservé une surprise. Au moment où je l’ouvre, le nez se caractérise par de la poussière, du parchemin, mais je pressens un retour possible. Je prends la bouteille et traverse la pièce pour faire sentir ce vin au chef amoureux d’Yquem qui dîne dans la salle. A peine ai-je fait quelques mètres que des odeurs sympathiques d’agrumes deviennent sensibles. Une éclosion aussi rapide est rare. Le chef et le sommelier sentent ces odeurs sympathiques. Je prends la bouteille pour la reposer sur la console où sont alignés tous les vins. Je sens une dernière fois avant de reposer, et alors, une odeur de bouchon envahit mes narines. L’odeur de bouchon était absolument inexistante pendant les deux premières minutes. Et maintenant, elle s’impose. Cette survenance tardive est une énigme.

Les académiciens arrivent en ordre dispersé, ce que la circulation parisienne explique. Nous commençons par un Champagne Moët et Chandon en magnum des années 50. C’est quand même un peu dommage de démarrer par une bouteille faible, car malgré un niveau très beau dans la bouteille, le bouchon qui se tire sans résistance indique une absence de bulle. Et comme j’ai la première gorgée, c’est la plus amère. Fort heureusement le reste de la bouteille est moins désagréable et je constate avec plaisir que chacun, y compris les plus jeunes, accepte bien ce champagne, parfois gouleyant mais objectivement fatigué. L’ouverture d’esprit des présents est un bon signe.

Nous nous plaçons à table, en six tables de cinq à six personnes. Après la séance d’ouverture et ce champagne, j’oriente mon discours sur la nécessité de bien se mettre à l’écoute des vins, pour en saisir les messages encore audibles. Et j’annonce que très probablement nous rejetterons des bouteilles mortes.

Nous sommes répartis en trois groupes de vins, chacun des académiciens devant goûter plus d’une vingtaine de vins. Ils sont listés par ordre de service :

Les vins du groupe 1 : Champagne Soutiran Brut 1er cru Alexandre non millésimé, Schramsberg méthode champenoise blanc de noirs Californie 2004, Champagne Houdart de la Motte années 80, Sancerre rosé AOC 1976, Puligny-Montrachet Grands Chais de Dijon années 50, Château Haut Brion blanc 1966, Domaine de Chevalier 1952, Clos Fourtet 1959, Château Pichon Comtesse années 20, Château La Mission Haut-Brion 1929, Château Lafite 1900, Grands-Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1956, Vosne-Romanée Beaumonts Charles Noëllat 1961, Clos des Papes Paul Avril Châteauneuf-du-Pape 1979, Clos Montmartre blanc 1979, Château Chalon Perron 1967, Cérons 1943, Château la Tour Blanche Sauternes fin du 19ème siècle, probable 1896.

Les vins du groupe 2 : Champagne Soutiran grand cru millésimé 2003, Champagne Houdart de la Motte années 80, Champagne Prince de Bourbon Parme Abel Lepitre 1975, Château de la Grave bordeaux blanc années 40, Bourgogne Aligoté Les Caves Unies 1960, Santenay blanc Réserve de le Reine Pédauque années 50, Puligny-Montrachet Grands Chais de Dijon années 50, Château de Cavailles Bergerac 1982, Château Bourgneuf Vayron Pomerol 1971, Château Langoa Barton 1966, Château Haut-Brion 1963, Château Margaux 1962, Château La Gaffelière Naudes 1934, Château Chauvin Caves Nicolas 1929, Macon reine Pédauque années 1950, Mercurey Clos du Roi Antonin Rodet 1943, Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1957, Château de Beaucastel Châteauneuf-du-Pape 1986, Clos de la Coulée de Serrant Nicolas Joly 1979, Château Laurette Sainte Croix du Mont 1983, Loupiac Georges Audy 1945.

Les vins du groupe 3 : Blanc Foussy Vin vif de Touraine années 80, Champagne Houdart de la Motte années 80, Champagne Houdart de la Motte années 80, Krug Grande cuvée datant des années 70, Puligny-Montrachet Vincent Vial 1962, Santenay blanc Réserve de le Reine Pédauque années 50, Puligny-Montrachet Grands Chais de Dijon années 50, Château Carbonnieux Blanc 1966, Château Fontaine Montaguillon 1964, Château Brane Cantenac 1966, Cheval Noir –St Emilion 1959 , Château Malartic Lagravière 1953, Château Haut-Brion 1963, Château Haut-Brion 1942, Château Mouton-Rothschild 1970, Château La Gaffelière Naudes 1934, Chambolle-Musigny Morin 1945, Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1942, Bonnes Mares Louis Gasquiel 1943, Vin jaune 1964, Château Doisy-Daëne 1967.

Le menu composé pour nous par Christophe Frugier est certainement le plus abouti de toutes les séances : terrine de foie gras au naturel / chair de tourteau aux légumes croquants / filet de bar poêlé, émulsion de crustacés / médaillon de volaille fermière farcie aux morilles / agneau rôti, jus réduit, purée à l’huile d’olive / Stilton / glace fine aux pommes, glace vanille. Ce fut très élégamment réalisé.

Le Champagne Soutiran Brut 1er cru Alexandre non millésimé fait un grand contraste avec le champagne d’apéritif. Il est jeune, plein de belles bulles et se boit agréablement Je ne sais pas qui m’a offert le Schramsberg blanc de noirs méthode champenoise Californie 2004. C’est amusant de voir que c’est un ami champenois à ma table qui défend les couleurs de ce vin que l’on aimerait sans doute si nous étions californiens. Mais le vin très alcoolique, à la bulle lourde et au dosage élevé n’entraîne pas de ma part une grande adhésion.

Le bonheur revient avec le Champagne Houdart de la Motte années 80 qui est exactement ce que doit être un champagne ancien : avoir encore du pétillant et disposer d’une gamme chromatique joyeuse et étendue. C’est le cas de celui-ci. Mais il y a encore mieux, car on me tend un verre de Champagne Prince de Bourbon Parme Abel Lepitre 1975, qui est encore plus élevé dans la grâce et la joie de vivre. C’est un très grand champagne de gastronomie.

Qui d’autre que moi a encore en cave un Sancerre rosé AOC 1976 dont le nom du vigneron est absent ? Le pire serait à craindre mais pas du tout. La couleur rosée est très belle, de rose frêle, le nez est convaincant et le goût est très agréable, simple, direct et appétissant. Il se boit bien.

Comme je l’avais supputé, les blancs ont un rôle difficile à jouer, mais j’entends aux tables voisines que les choses se passent beaucoup mieux que prévu. Le Puligny-Montrachet Grands Chais de Dijon années 50 est objectivement fatigué, mais il n’entraîne aucune grimace. Il est à noter que la chair du tourteau lui donne un coup de fouet restructurant. On passe très vite au Château Haut Brion blanc 1966 qui est absolument magnifique. Voilà un vin vivant d’une couleur jaune de belle jeunesse, au goût dans la plénitude de sa maturité. C’est un grand vin, très dans la ligne des grands Haut-Brion blancs.

Une belle surprise nous attend avec le Domaine de Chevalier 1952 qui est d’un charme velouté inimaginable. Jamais nous n’aurions pensé que ce vin aurait ce niveau. Et la chair du poisson accentue son velouté et lui donne de la densité. Ce qui est intéressant, c’est de comparer avec le vin suivant. Le Clos Fourtet 1959 est mieux dessiné, plus pur et plus délicatement charpenté, mais c’est vers le Domaine de Chevalier que notre cœur penche.

La bouteille de Château Pichon Longueville Comtesse de Lalande des années 20 n’a pas d’étiquette et le vin est reconnu par sa capsule à l’écusson ovoïde, d’un rouge éclatant. Le vin est délicieux comme les 1921 savent le faire, ce qui pourrait être son millésime. Solide, vaillant, encore dense, ce vin est grand. Mais le Château La Mission Haut-Brion 1929 est d’une autre trempe. Pour les jeunes palais qui assistent pour la première fois à une séance de l’académie, le fait qu’un vin de 81 ans puisse avoir cette force, cette présence carrée, et ce goût à la longueur inextinguible, c’est vraiment entrer dans un monde irréel. Je lis l’étonnement sur les visages. C’est un très grand Mission.

Mais maintenant, ce sont tous les convives qui regardent mon visage, car je suis le premier servi d’un vin mythique. Et tout le monde sourit de mon expression béate. Je suis lou ravi, le benêt du village qui découvre l’apparition divine du Château Lafite 1900. Cette bouteille était à la limite basse de l’épaule. Et le vin est tout simplement sublime, irréel, incroyable, avec une complexité que je n’ai que rarement rencontrée. Ce vin est divin, kaléidoscopique, car il est impossible d’en saisir toutes les nuances. Ça bouge en bouche de façon incroyable. Il y a des fruits noirs et rouges délicatement enrobés dans un vineux joyeux. Franck me verse la lie dans un verre, et c’est un nirvana eucharistique, si l’on peut oser cette expression. Je suis sur un petit nuage.

Pas question d’en redescendre, car c’est une nouvelle irréalité qui arrive. Le Grands-Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1956 est tout simplement parfaitement Conti. A mille lieues des impressions données par le Lafite, on est bercé par la douceur saline toute en grâce d’un vin à la sensualité raffinée. Quel tir groupé de six vins de suite qui sont dans une forme parfaite !

Nous redescendons sur terre avec le Vosne Romanée Beaumonts Charles Noëllat 1961 qui fait torréfié, cuit, buvable sans doute, mais fatigué et dévié. Je n’ai pas gardé le souvenir du Clos des Papes Paul Avril Chateauneuf-du-Pape 1979 et je ne sais même pas si je l’ai bu. Il sentait très bon à l’ouverture. J’espère qu’il fut bon. Il faut dire que je me déplaçais de table en table, et dans la forêt de verres que j’avais à ma place, il n’est pas impossible que j’aie omis ce vin.

C’est la première fois que je goûte un Clos Montmartre blanc 1979. La couleur est d’un jaune orangé trouble. Le nez évoque les vins jaunes, ce qui explique que je l’aie placé à ce moment du repas. Et ce vin picote l’intérêt car il ne ressemble à rien. Et j’adore ces vins indéfinissables. A l’inverse, le Château Chalon Perron 1967 est totalement conforme à ce qu’on en attend, c’est-à-dire excellent.

Le Cérons Château du Haut-Mayne 1943 est d’une belle jeunesse et d’une densité qui le rend séduisant. Vient alors ce qui devait être après Lafite le clou de notre groupe, le Château la Tour Blanche Sauternes fin du 19ème siècle, probable 1896. Il a gardé son sale goût de bouchon. La couleur est d’un or orangé légèrement trouble, et rien en bouche ne confirme le nez de bouchon. Le vin est fatigué, mais suffisamment plaisant pour qu’on finisse son verre. Un ami jurassien a sorti de sa besace un vin de paille qui n’a qu’un succès d’estime.

A toutes les tables, tout le monde est joyeux. Des verres s’échangent, les discussions sont passionnées et chacun a conscience de vivre des instants uniques. Ceux qui ont bu un vin de 110 ans, le Lafite 1900 se demandent si un jour ils auront la chance de boire à nouveau un vin aussi rare.

J’ai perçu ici ou là pendant le repas quelques grimaces, mais le bilan me semble impensable par rapport au sentiment à l’ouverture. Notre groupe n’a écarté aucun vin et aux autres tables, ce sont peut-être quatre ou cinq bouteilles au maximum qui ont été jugées difficilement buvables.

Des réflexions s’imposent après cette incroyable dégustation. D’abord, qu’il faut intensifier, grâce à l’académie, le mouvement pour que les vins anciens se boivent. Beaucoup de vins de ce soir ont été bus au-delà de la période où ils auraient dû l’être. L’autre constatation est l’incroyable pouvoir curatif de l’oxygène sur des bouteilles apparemment mortes. J’avais prévu que chaque groupe puisse boire une bouteille du Domaine de la Romanée Conti, et j’avais annoncé que l’une d’entre elles serait certainement imbuvable. Or elle fut appréciée et même notée à un bon rang dans les préférences. Ceci veut dire que le pire n’est jamais sûr, et qu’il ne faut jamais condamner une bouteille à l’ouverture. Les miracles sont le quotidien des vins anciens.

Le classement que je ferais des vins de mon groupe est : 1 – Château Lafite 1900, 2 – Grands-Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1956, 3 – Château La Mission Haut-Brion 1929, 4 – Château Pichon Comtesse années 20, 5 – Domaine de Chevalier 1952, 6 – Château Haut Brion blanc 1966, 7 – Sancerre rosé AOC 1976. Le champagne Abel Lepitre que j’ai bu par ailleurs viendrait en quatrième position si je l’incluais.

Cette séance de l’académie est sans doute la plus brillante de celles que nous avons vécues, par le cadre, le repas, la qualité des vins malgré leur apparence et par l’atmosphère créée par des amateurs jeunes et moins jeunes, tous enthousiastes. La grande leçon est qu’un vin ne doit jamais être jugé mort, tant qu’on ne lui a pas donné une chance de revivre, et que les miracles sont plus fréquents qu’on ne le croit, grâce à Saint Oxygène, patron des vins anciens. Cette académie nous a donné une grande leçon et beaucoup de plaisir.

Académie des Vins Anciens – 10 juin lundi, 7 juin 2010

Notre séance se tiendra le 10 juin à l’hôtel Bedford.

Hôtel Bedford – 17, rue de l’Arcade – F – 75008 PARIS

L’heure d’arrivée des participants doit être entre 19h et 19h30.

A ce jour nous sommes 36.

Pour les inscrits :

Il ne faut plus m’adresser vos paiements. Me les remettre le jour de la réunion.

Chèque à l’ordre de « François Audouze » à l’adresse François Audouze – 18 rue de Paris 93130 NOISY LE SEC.

Merci de vérifier cet ordre, et de ne pas en inventer un autre.

La participation est de 120 € avec vin fourni et 240 € sans vin. Aucun chèque ne peut être envoyé par la poste après le 4 juin. La présence à la réunion suppose que le paiement a été reçu.

Les vins doivent m’être proposés et agréés par moi. Les bouteilles sont à déposer chez Henriot 5 rue la Boétie 75008 Paris – 2ème étage – 01.47.42.18.06

Notre contact sur place est Martine Finat : mfinat@champagne-henriot.com. Aucune bouteille ne pourra être livrée après le 7 juin.

Comme quelqu’un est en train de ranger ma cave, j’ai apporté un nombre très élevé de bouteilles, dont des prestigieuses, mais dont le niveau impose de les boire vite. Il y aura peut-être du déchet, mais il y aura à boire plus que nous ne le pourrons.

Voici ce qui est prévu :

Champagne Houdart de la Motte années 80; Champagne Houdart de la Motte années 80; Champagne Houdart de la Motte années 80; Champagne Houdart de la Motte années 80; Krug Grande cuvée datant des années 70; Magnum Moët et Chandon des années 50; un autre champagne Moët à définir; Clos Montmartre blanc 1979; Château de la Grave bordeaux blanc années 40; Château Carbonnieux Blanc 1966; Santenay blanc Réserve de le Reine Pédauque années 50; Santenay blanc Réserve de le Reine Pédauque années 50; Puligny-Montrachet Grands Chais de Dijon années 50; Puligny-Montrachet Grands Chais de Dijon années 50; Puligny-Montrachet Grands Chais de Dijon années 50; Château Bourgneuf Vayron Pomerol 1971; Château Langoa Barton 1966; Pape-Clement 1970; Domaine de Chevalier 1952; Château Malartic Lagravière 1953; Château Haut-Brion 1963; Château Haut-Brion 1963; Château Haut-Brion 1953; Château Haut-Brion 1942; Château Mouton-Rothschild 1970; Château Margaux 1962; Cheval Noir -ST EMILION 1959 ; Clos Fourtet 1959; Château La Gaffelière Naudes 1934; Château La Gaffelière Naudes 1934; Château Chauvin Caves Nicolas 1929; Probable Château Lafite années 20; Château La Mission Haut-Brion 1929; Château Lafite 1900; Chambolle-Musigny Morin 1945; Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1956; Grands-Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1957; Clos des Papes Paul Avril Chateauneuf-du-Pape 1979; Château de Beaucastel Chateauneuf-du-Pape 1986; Château Chalon 1967 de chez Perron; Jurançon 1956; Loupiac Georges Audy 1945; Château Doisy-Daëne 1967; Château la Tour Blanche Sauternes fin du 19ème siècle, probable 1896

D’autres bouteilles se sont rajoutées à cette liste.

A la date du 7 juin, il ne faut plus rien envoyer. Toute bouteille non livrée le 7 et tout chèque non envoyé le 7 seront apportés le jour même, à la réunion au Bedford (et pas au Macéo).

Les bouteilles apportées le jour même seront ouvertes par les académiciens eux-mêmes, avec leurs outils ou ceux du restaurant, car après l’ouverture des vins par mes soins, je ne prends plus en charge ces opérations au dernier moment.

Très cordialement

séjour à Yquem – les photos jeudi, 3 juin 2010

J’arrive à Yquem le 1er juin pour redresser les bouteilles qui sont en cave à Yquem depuis un mois.

Les rosiers sont en fleurs sur les murs de la cour carrée du chateau. Ce rosier fuchsia sur le puits au centre de la cour émet des odeurs enivrantes.

Je me rends ensuite au relais du Chateau d’Arche, à un jet de pierre (avec un onagre) d’Yquem

Les rangées de vignes ont comme initiales de jolis rosiers. La vigne, liane expansive, déroule ses jeunes pousses que l’on va bientôt rogner.

On ne manque pas d’humour au chateau d’Arche, car voici des oies expressives faites de branches et de troncs

au restaurant "le Saprien" à Sauternes, où j’ai dîné à l’eau, la coquille est abondante et la lamproie au sauternes goûteuse. Un sympathique endroit.

Le 2 juin au matin, je me présente au chateau. La façade orientée nord vers les bureaux d’accueil et la porte façade ouest de la cour carrée du chateau

deux vues que j’adore de l’architecture militaire du chateau

voici la table que Christiane a dressée pour nous pour le déjeuner à quatre

la bouteille d’Y d’Yquem 2007

Quand Valérie m’a annoncé un Petit Cheval, ma réaction furieusement snob a fait corriger le tir !

la bouteille d’Yquem 1941 que je veux faire découvrir au staff d’Yquem. J’ai cherché de l’inédit, car ce millésime est rarissime. On voit bien le verre bleu.

l’ambre à travers le verre bleuté n’a rien à voir avec l’or du vin dans un verre. On note le bouchon très court, sans doute parce qu’on manquait de liège vers 1945, date d’embouteillage

Christiane a fait un repas succulent : clafoutis d’asperges, pintade et frangipane; les photos montrent que c’est un appel à la sieste !

Notre groupe joyeux. De gauche à droite, Sandrine Garbay, maître de chai, qui adore la frangipane, moi, qui tiens l’yquem 1941, Valérie Lailheugue, assistante du président d’Yquem, organisatrice hors pair, et Francis Mayeur, directeur d’exploitation, qui fait le vin en collaboration avec Sandrine. Il a été marqué par la perfection de l’Yquem 1941.

il est temps de faire la sieste. Voici ma chambre. Il y a un petit salon dans la tour sud ouest où je suis allé capter de bonnes ondes pour la future ouverture des vins.

la vue de ma chambre :

petit détour par le chateau; le grand salon que nous n’utiliserons pas

le petit salon où nous prendrons l’apéritif

des roses de mariées. elles sont si belles !

il est temps d’ouvrir les vins avec mes amis comme spectateurs. Le niveau de la Romanée Conti est bas, mais cela n’affectera pas son goût.

une autre vue des vins de ce soir

Champagne Krug Clos du Mesnil 1982

Champagne Dom Pérignon 1964

Montrachet Domaine de la Romanée Conti 1972

Château Chauvin 1929 de mise Nicolas, grande cave prestigieuse

ouverture du Chateau Chauvin 1929 qui doit être faite avec minutie

Château Cheval Blanc 1943. L’étiquette est magnifique de délicatesse, la capsule est belle et le bouchon d’un liège parfait.

Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1962

Musigny Coron Père & Fils 1899 (j’ai cette bouteille depuis trente ans dans ma cave. On me la proposerait aujourd’hui, je tiquerais sur son aspect beaucoup trop propre et parfait)

Château Chalon Jean Bourdy 1921. On note que le verre est coupé au ciseau comme cela se faisait au 19ème siècle. le mot "Chateau Chalon" est gravé dans le verre.

Château d’Yquem 1890 et Château d’Yquem 1899. la 1899 est un cadeau de Pierre Lurton

le bouchon du 1890 porte clairement l’année, comme on le faisait à la date de rebouchage en 1988

les bouchons des vins ouverts. Aucune miette n’est tombée dans les bouteilles

Après les ouvertures, nous nous faisons tous beaux pour la soirée qui commence par un petit tour autour du chateau, avec les couleurs du soleil de soirée

Une photo de groupe face au soleil

Les 2009 avant assemblage, et les 2008 dans le grand chai, en mûrissement

l’escalier qui descend vers le grand chai est une oeuvre d’art

dégustation à la sortie des chais, de trois Yquem prometteurs : 2009, 2007 et 2001. Je suis étonné de la date de prélévement du 2009, le 4 mai, ce qui semble bien lointain…

la belle table de notre dîner

Foie Gras de Canard aux Amandes

Medley de St Jacques et Truffes

Turbotin et Petites Pâtes à l’Encre

Navarin de Homard

Fondant de Pigeon Miroir (j’étais tellement concentré sur les deux bourgognes que j’ai oublié de photographier ce plat. C’est dommage)

Fromages

Gratin de mangues

Le lendemain, ceux qui ont couché au chateau se retrouvent au petit déjeuner

Les dernières photos pour que le souvenir de ce séjour inoubliable s’imprime un peu plus encore dans nos esprits éblouis

Déjeuner, dégustation et 135ème dîner au château d’Yquem mercredi, 2 juin 2010

Il est recommandé de lire d’abord "le jour d’avant" ici

Ce soir, un grand dîner va se tenir au château d’Yquem. Je me réveille au relais du Château d’Arches, et le petit déjeuner que je prends avec appétit pour tenter de contrer un rhume tenace est plus ciblé sur « relais » que sur « château ». Car tout ressemble au service minimum. On veut bien faire bien sûr, mais les flèches atteignent le bas de la cible. Rien à voir avec les attentionnés petits-déjeuners amoureusement préparés par la propriétaire de chambres d’hôtes où je me rends généralement quand mes rendez-vous sont au sud de Bordeaux. On y a le sourire, le « fait maison » et l’accueil chaleureux.

Le ciel est couvert ce qui rendra la température agréable. Tant mieux. J’arrive au château d’Yquem pour régler avec Valérie les derniers détails. Pendant la nuit, j’avais pensé que le château n’a peut-être pas de verres adaptés aux bourgognes prestigieux. Valérie y avait aussi pensé et a trouvé dans la journée une solution. Quelle efficacité ! Christiane avait ouvert comme je lui ai demandé les premiers vins du déjeuner et j’ouvre l’Yquem 1941 que je veux partager, selon la tradition, avec l’état-major d’Yquem. La cuisine du château a une chambre froide réglée à 4°. Il va donc falloir gérer les températures à la minute près.

A 12h30 nous sommes quatre à déjeuner dans la petite salle à manger du château, Francis Mayeur, Sandrine Garbay, Valérie Lailheugue et moi. Christiane a préparé le repas : clafoutis aux asperges / pintade, haricots palettes et pommes de terre sautées / fromages / frangipane.

Le « Y » d’Yquem 2007 a un nez que je trouve très monocorde. Il faut vraiment que notre relation soit amicale pour que j’ose dire à ceux qui ont fait ce vin : « le nez est vraiment très simple ». Heureusement, l’impression en bouche est très nettement supérieure, ce vin donnant beaucoup de plaisir. Citronné, pur, c’est incontestablement un vin de Graves, avec une proportion de sauvignon nettement plus forte que dans le passé. Il coule très bien en bouche, vin de soif qui se marie à merveille au clafoutis d’asperges. Je préférais les « Y » plus doux, qui cousinaient avec Yquem.

Le Château Cheval Blanc 1995 a un nez d’une autre trempe. C’est un vin noble. En bouche, il est impérieux. La densité de sa trame est exemplaire et son final rebondit sans cesse. C’est un grand vin.

J’avais choisi un Yquem que probablement très peu de gens ont bu, avec l’espoir que ce soit une première pour mes hôtes et j’ai vu juste. Car personne n’avait bu Château d’Yquem 1941. J’observe Francis au moment où il porte le verre à hauteur de son nez. Et voir le choc qu’il ressent est mon grand plaisir. Francis avait consulté des notes et avait écrit ceci : « Yquem 1941 : année glaciale en permanence, vendanges très tardives entre 13/10 et 22/11 ». Comment une année aussi froide peut-elle donner un nez aussi puissant, avec un alcool fort ? La bouteille avait un bouchon d’origine, ce qui est toujours un gage de qualité du vin. Le verre étant bleuté comme cela s’est produit dans les années de guerre, l’ambre du vin dans la bouteille est un peu gris. Dans le verre, c’est une révélation, car l’ambre devient d’un or brillant et soutenu. En bouche, c’est un voyage dans l’extrême, dans l’inhabituel. Cet Yquem s’inscrit dans la lignée des Yquem de la période 1931 – 1942 qui sont tous, à l’exception du 1937 des Yquem plutôt secs, au sucre mesuré. Et j’adore ces Yquem. Francis explique que cette période correspond à une climatologie particulière d’années plus froides que la moyenne. Nous sommes tous surpris qu’un 1941 puisse être aussi grand. Christiane, qui n’a pas son nez dans sa poche, et qui goûte ce vin avec nous, dit que c’est l’abricot qui domine dans cet Yquem et elle ajoute d’un ton péremptoire : « moi, j’aime bien le 1947 ». On ne la contredira pas !

Il y a dans cet Yquem de l’abricot, des fruits au sirop et du thé. Et j’aime les Yquem qui ont cette tendance de thé. Comme il reste du 1941, il sera ajouté aux vins du dîner. Nous avons tous les quatre l’impression d’avoir ouvert une très belle page de l’histoire d’Yquem, avec un vin qui surclasse en puissance, en longueur et en intensité tout ce que les archives conduiraient à penser. Francis indique à propos des archives qu’à ces époques, les vins étaient répartis en trois classes : Yquem – Sauternes – Bordeaux. L’Yquem est le grand vin, le sauternes est le déclassé générique et le bordeaux est le vin sec, ancêtre de l’Y.

A 16h30 il est temps d’ouvrir les vins du dîner. Ayant proposé à mes amis d’assister à l’ouverture, six d’entre eux sont auprès de moi pour prendre des photos et sentir les vins ouverts. Le Montrachet a une odeur miraculeuse, le Château Chalon a un parfum à succomber, les bouchons des bourgognes se cassent en mille morceaux mais aucune miette ne tombe dans le liquide. Les odeurs sont prometteuses. Pour l’ouverture de l’Yquem 1890, j’ai demandé à Francis et Sandrine de nous rejoindre, car je souhaite vérifier s’il s’agit d’un vrai Yquem. J’ai fait beaucoup d’achats d’une même source et c’est une belle occasion de contrôler l’authenticité d’une de ces bouteilles. Sandrine regarde et nous constatons sur le bouchon que le vin a été rebouché en 1988. La capsule et les inscriptions sur le bouchon sont conformes aux usages en vigueur à cette date. Tout indique que cette bouteille est authentique. J’ouvre la bouteille et le vin sent le bouchon. Francis pense que ce pourrait être lié à l’ouverture et imagine que cela disparaisse. Je sens le vin une deuxième fois et pour en être sûr, je verse quelques gouttes dans un verre. Le nez est bouchonné et en bouche, une impression giboyeuse désagréable m’ennuie. Francis se veut plus rassurant. La crainte est quand même là. Le bilan global de l’ouverture est bon, ce qui n’impose pas d’ouvrir les bouteilles de réserve.

A 18h30, Sandrine conduit notre groupe en une promenade autour du château. Il fait beau et le paysage et les vignes se montrent sous leur plus beau jour. Elle nous fait découvrir les chais, où repose le millésime 2008 et où les différentes barriques des vins de 2009, correspondant à des parcelles précises et à des journées précises de vendange seront assemblées dès les jours prochains. Ce travail d’assemblage est une des missions les plus excitantes et motivantes de Francis et Sandrine. Sandrine nous abandonne et c’est Pierre Lurton venu nous rejoindre qui dirige la dégustation de jeunes millésimes.

Le Château d’Yquem 2009 est étourdissant. Le fruit est confit et lourd, promettant de beaux caramels, et le vin envahit nos palais. Il est tellement bon maintenant qu’on n’a aucune envie de le laisser vieillir. Je ressens en ce vin éblouissant des accents de 1988 que j’adore et de 1921. Il me rappelle aussi le 2001 au même stade de sa vie. Le Château d’Yquem 2007 qui lui succède fait effacé. Le nez est nettement moins expressif et en bouche le vin est plutôt frêle. Curieusement, je lui trouve un côté salin. Il est très probablement dans une phase un peu fermée, et s’inscrira certainement dans la ligne des Yquem en « 7 ».

Le Château d’Yquem 2001, mon chouchou adoré, se présente sous une forme beaucoup plus calme que l’exubérant phénomène que j’avais trouvé jusqu’alors. Il est donc très probable qu’il entre maintenant dans une phase plus fermée, avant de redevenir le champion des champions. Le gagnant incontesté de cette dégustation, c’est l’ébouriffant 2009, qui promet d’être un nouveau 2001, mais n’en sera pas la copie conforme, car il trouvera sa personnalité propre.

Nous passons au petit salon du château, de l’aile la plus ancienne et historique. Ayant prévu que le premier champagne serait un Krug Clos du Mesnil, il n’est pas question de le boire avec la mémoire des jeunes Yquem en bouche aussi débutons-nous l’apéritif avec un Champagne Moët & Chandon 2003 qui joue exactement son rôle de calibrer le palais. Il est clair, limpide, sans incertitude et se boit bien.

Le Champagne Krug Clos du Mesnil 1982 est une pure merveille. Le nez est délicat et racé, et en bouche, c’est un festival de romantisme. La bulle est souriante et petite, le citron se mêle joyeusement à la groseille à maquereau et le final se déploie en dentelle. Les petits amuse-bouches sont excellents, dont une minuscule huître de la taille d’un pétoncle et c’est le caviar qui trouve le plus bel écho sur le remarquable Krug, ciselant ses saveurs par la salinité.

Nous passons à table dans la belle salle à manger. Nous somme onze, dont un couple de japonais, un couple d’italiens, deux couples d’amis issus du monde des affaires, un ami avocat, Pierre Lurton et moi. Nous somme dix à boire puisque la charmante japonaise ne boit pas. Le menu mis au point avec Marc Demund et réalisé par lui est ainsi conçu : Foie Gras de Canard aux Amandes / Medley de St Jacques et Truffes / Turbotin et Petites Pâtes à l’Encre / Navarin de Homard / Fondant de Pigeon Miroir / Fromages / Gratin de mangues. Marc, qui connaît mes désirs, a fait un repas exemplaire.

Le Champagne Dom Pérignon 1964 est d’une belle couleur acajou. La bulle est présente même si elle se fait discrète, et le charme de ce champagne se montre tellement naturel qu’il paraît presque évident à tous qu’un champagne de 46 ans doive être comme cela. Il est très différent du Krug. Le Clos du Mesnil, c’est la sophistication romantique, alors que le Dom Pérignon est le charme naturel de l’équilibre. On le sent comme un dandy, à l’aise dans toutes les situations. Certains amis ont aimé l’accord avec les amandes grillées. C’est l’accord que j’ai le moins aimé à cause d’une sauce trop citronnée.

Comme autour de la table il n’y a que des amis, l’ambiance est volontiers chahuteuse, avec deux amis de part et d’autre de la table qui ne cessent de me chambrer aussi me faut-il des efforts colossaux pour prier mes amis de se recueillir sur un vin exceptionnel, le Montrachet Domaine de la Romanée Conti 1972. Le nez de ce vin est peut-être le plus diabolique que j’aie jamais rencontré. Il est d’une intensité rare. Et en bouche, ce vin est miraculeux. Ce midi, l’Yquem 1941 avait brillé, sans faire partie des Yquem puissants. Ici, ce 1972 ne fait pas partie des Montrachet puissants, mais il s’impose par sa délicatesse, sa subtilité extrême, sa complexité inégalable. Le final est très grand. L’accord est magistral, car la coquille et la truffe font rebondir le citronné du vin. Ce vin est d’une rare fraîcheur, qualificatif qui s’appliquera à de nombreux vins de ce dîner, car grandeur et fraîcheur se retrouvent souvent ensemble.

Dans mes dîners il y a toujours un fantassin. C’est le rôle du Château Chauvin 1929. J’observe Pierre Lurton, car si quelqu’un connaît Saint-Émilion, c’est bien lui. Et c’est la surprise qui se lit sur le visage de Pierre, car ce vin est une réussite rare. La couleur du vin est d’un rouge vif d’une folle jeunesse, le nez est précis et chaleureux, et le vin est d’un velouté charmant et d’une présence de grand vin. Le mot qui convient à ce vin est « réussite ». L’accord avec le turbotin est d’une grande pertinence, mettant en valeur le vin au-delà de toute espérance. Pierre ne l’attendait jamais à ce niveau.

Eh bien, Pierre allait être surpris deux fois. Si j’ai choisi de mettre à ce dîner un Château Cheval Blanc 1943, c’est en m’inspirant de la phrase de Laurent Fabius : « lui, c’est lui, et moi, c’est moi », pour signifier que Cheval Blanc, c’est lui, et 1943, c’est moi. Et le vin est tout simplement immense. Il est la forme parfaite de ce que Cheval Blanc peut devenir. Car contrairement à 1947, qui est un Cheval Blanc atypique, hors norme, celui-ci a toutes des caractéristiques de ce que Cheval Blanc peut devenir. En goûtant à nouveau le Chauvin qui nous avait tant plu, on est obligé de constater la classe extrême du 1943. Et en pensant au 1995 du déjeuner, on souhaite pour ce « bambin » qu’il devienne un jour aussi parfait que ce gigantesque 1943, velouté, riche, frais et d’un équilibre total. Le homard est exactement ce qui convient pour magnifier le Cheval Blanc.

A ce stade nous sommes tous groggy, car nous venons de boire à la suite trois vins qui se présentent sous la forme la plus parfaite qu’ils puissent offrir et avec trois accords exceptionnels qui mettent en valeur les vins. Est-il possible que cela continue ?

Dès qu’un me sert un verre de Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1962, l’odeur qui s’exhale me rassure : c’est gagné. Cette Romanée Conti est « la » perfection de la Romanée Conti. Tout en elle est gracieux, romantique comme, il y a peu, le Clos du Mesnil. Les saveurs complexes se découvrent avec élégance, et il faut les lire comme on lit un poème. Le salin que j’aime est discret, et il faut aller chercher les pétales de roses qui se cachent dans les recoins des saveurs variées que ce vin chante. Je suis heureux, car cette Romanée Conti fait partie des plus grandes que j’aie bues.

C’est en décalé que je fais servir le Musigny Coron Père & Fils 1899 qui accompagne lui aussi le pigeon. J’avais servi ce vin le 31 décembre 1999 à 23H 50, pour changer les chiffres de 1999 en 2000 avec un vin de cent ans. Et ce vin m’avait conquis. Le plaisir qu’offre celui-ci est immense. C’est un bourgogne de sérénité. Comme le Dom Pérignon 1964 du début de repas, il a cette assise rassurante des vins équilibrés. Penser qu’il a 111 ans est presque impossible tant il a du ressort, de la gouaille, et de la joie de vivre. C’est un vin de toute première catégorie et notre table se divisera entre ceux qui comme moi penchent pour la Romanée Conti et ceux qui préfèrent le vin plus serein et plus compréhensible de Musigny. Ces deux bourgognes dissemblables sont des trésors.

Il fallait bien qu’il y eût un flop. Ce fut avec le Château Chalon Jean Bourdy 1921. J’avais choisi une année que je chéris, et ce Château Chalon sur une tête de moine et sur un comté de dix-huit mois est un bonheur de première grandeur. Mais si Pierre dit qu’il a du mal avec les vins oxydatifs et si un des amis dit haut et fort qu’il n’aime pas les vins jaunes, ça devient très compliqué de profiter à cent pour cent d’un vin jaune exceptionnel de richesse et de profondeur.

Le reste du Château d’Yquem 1941 dégusté à midi est venu trouver sa place sur le stilton, confirmant la joliesse de sa prestation du déjeuner. C’est un Yquem émouvant. Ce que je redoutais est arrivé : le Château d’Yquem 1890 est bouchonné. Mais ce que je n’attendais pas, c’est que les deux amis qui ont été servis du fond de bouteille m’ont tendu leurs verres, vierges de toute trace de bouchon. Aurait-il fallu attendre encore ? En bouche, le vin est bon. Mais je suis incapable d’aimer un vin lorsque la barrière nasale est inévitable. C’est triste de ne pas avoir pu comparer ce millésime d’une année tardive, vendangé du 1er au 31 octobre, d’une récolte très peu abondante, avec le Château d’Yquem 1899, d’une année de belle phase végétative, d’une récolte moyenne mais de belle qualité, vendangé du 19 septembre au 21 octobre. Ce vin là est un lingot d’or. La couleur est d’un or parfait, vivant. Le nez est merveilleux, et le vin est la définition de ce qu’un grand Yquem riche doit être. Car il a le gras, la mangue, l’abricot, une fraîcheur de grand vin et une longueur à n’en plus finir, que je garderai longtemps dans la nuit. Cet Yquem est comme le Cheval Blanc 1943, une forme aboutie de ce que ce vin peut devenir dans l’absolu de la perfection.

Voter pour ces vins qui furent tous parfaits sauf un, c’est particulièrement difficile. Pour une fois nous avons nommé cinq vins, contre quatre habituellement. Neuf vins sur dix ont été cités, le seul non présent étant comme on s’en doute le 1890. Trois vins seulement ont eu des votes de premier, mais on comprend facilement pourquoi : Romanée Conti quatre fois premier, Musigny et Yquem, les deux 1899, trois fois premiers chacun.

Le vote du consensus serait : 1 – Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1962, 2 – Château d’Yquem 1899, 3 – Musigny Coron Père & Fils 1899, 4 – Montrachet Domaine de la Romanée Conti 1972, 5 – Château Cheval Blanc 1943.

Mon vote est : 1 – Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1962, 2 – Château d’Yquem 1899, 3 – Château Cheval Blanc 1943, 4 – Montrachet Domaine de la Romanée Conti 1972, 5 – Musigny Coron Père & Fils 1899. Au plan des accords, les deux vedettes sont le turbotin et le homard, chacun avec un bordeaux

Nous n’arrivions pas à quitter la salle à manger, tant nous avions d’étoiles dans les yeux, et tant de souvenirs à garder à jamais. Nous nous sommes retrouvés à sept pour le petit-déjeuner dans la petite salle à manger. L’impression d’avoir vécu un moment grandiose illuminait nos sourires. Le rendez-vous est pris avec Pierre pour l’an prochain !

dîner à Yquem : J – 1 mardi, 1 juin 2010

L’histoire du 135ème dîner de wine-dinners débute il y a quelques mois. Le club d’œnologie de Sciences Po m’avait demandé d’animer une dégustation de vins en même temps que Pierre Lurton qui présentait les vins d’Yquem. Après d’affectueuses embrassades nous avons regretté avec Pierre que nos emplois du temps – surtout le sien – ne nous permettent pas de nous voir autant que nous l’aimerions. Pierre m’invita pour la première présentation officielle d’Yquem 2009, mais je ne pus m’y rendre, et il nous apparut urgent de refaire un dîner au château d’Yquem.

Pierre est très occupé, tenu par un emploi du temps dévorant, et les relations qu’il entretient avec ceux qu’il appelle plaisamment ses deux tontons, Bernard Arnault et Albert Frère, le conduisent à devoir changer tous ses plans si l’un d’eux le réclame. Il me fallait donc déterminer avec Valérie, l’efficace gardienne de ses agendas, une date qui ne soit pas susceptible de changer. Nous en prîmes une, croisant les doigts.

Un mois avant, mes vins sont apportés au château d’Yquem, où ils reposeront dans la petite cave du château. Les vins que j’ai choisis sont prestigieux, aussi la demande pour ce dîner, dont personne ne connaît encore le lieu, est très forte. L’amitié me commande de le réserver aux plus fidèles des habitués de mes dîners, amis amoureux des grands vins.

La table se constitue très vite. Le repas est échafaudé avec Marc Demund, traiteur attitré d’Yquem qui connaît bien mes souhaits pour les vins anciens. Tout semble au point. Le séjour de mes convives est organisé. J’ai invité pour le déjeuner du jour même Francis Mayeur, directeur d’exploitation, Sandrine Garbay, maître de chai et Valérie Lailheugue, la fidèle collaboratrice de Pierre. Alors que des bouteilles de sécurité sont déjà présentes au château, j’en prends dans ma cave une de plus la veille, par peur de manquer, et je me rends à Sauternes, tout fébrile, excité de faire pour la troisième fois un de mes dîners dans le plus bel endroit du monde lorsqu’il s’agit de vin : Yquem.

Lorsque j’arrive, le ciel est gris, mais prometteur d’un lendemain qui chante. Dans la petite cour intérieure du château, les rosiers grimpant le long des murs sont couverts de fleurs qui embaument de parfums lourds. Que c’est beau ! Dans la cave, je redresse mes vins, et tous les détails sont réglés avec Valérie et la fidèle Christiane qui nous préparera le déjeuner de demain et servira le dîner prévu pour mes vins.

Ma chambre est réservée au relais du château d’Arche, au milieu des vignes. Par la fenêtre je vois les rangées de vignes qui se terminent sur des rosiers de roses rouge sang, dont la couleur fait écho à celle de coquelicots qui apparaissent au hasard dans les allées des vignes. Je prends un rapide dîner à l’eau au restaurant le Saprien à Sauternes, avec des coquilles Saint-Jacques au bacon et une lamproie cuite au sauternes aux poireaux fondants. C’est une bonne cuisine goûteuse qui mérite qu’on s’y arrête si l’on n’a pas d’autre point de chute dans la région.

Il fait encore jour quand je rentre dans ma chambre. Je sais que je dormirai mal, car demain est un grand jour.

134ème dîner – photos des vins jeudi, 27 mai 2010

Champagne Moët & Chandon Brut Impérial 1955

Champagne Canard Duchêne Cuvée Charles VII brut 1973

Champagne Salon 1996

Savigny-lès-Beaune blanc Domaine Pierre Guillemot 1994

Château Lafite Rothschild 1990

Château Palmer 1928

Château Pichon Barton de Longueville 1904

Chambolle-Musigny Domaine Clair-Daü 1961 (niveau trop bas)

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1960

Chateauneuf-du-Pape Domaine de Beaucastel 1964

Vega Sicila 1960

Château Rayne-Vigneau 1904

Château d’Yquem 1970

134ème dîner – photos jeudi, 27 mai 2010

Les bouchons des vins

Tartelettes fenouil et ail nouveau

Jardinière Arlequin et semoule à l’huile d’argan

Langoustines de Loctudy au thé vert Matcha et épinards

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Homard des Iles Chausey grillé et pommes de terres fumées au vieux chêne

Agneau de la Baie de Granville grillé entier, choufleurisotto, chou fleur mauve et petits pois

Ris de veau grillé au bois de réglisse pomme de terre et navet

Stilton

Tarte aux pommes Bouquet de Roses