134ème dîner de wine-dinners au restaurant Arpège jeudi, 27 mai 2010

Le 134ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Arpège. Nous avions depuis longtemps évoqué avec Alain Passard de faire ensemble un dîner de wine-dinners. C’est aujourd’hui la première fois. Lorsque j’arrive à 17h30, le lieu bruisse d’une activité de ruche. Ici, tout est minuscule, pauvre en espace. Mes vins sont dans une petite cave, riche de beaux vins, et une méchante conduite ou fuite a distillé de l’eau dans la caisse. On m’annonce qu’il n’y aura aucun guéridon pour accueillir les vins qui doivent à un moment prendre la température ambiante. La solution trouvée avec la charmante Armelle est de mettre au sol dans un coin sans passage une caisse en bois pour les vins en attente. J’apprends qu’il n’y a pas assez de verres pour les vins du repas. Il faudra donc en cours de route laver les verres qui ne pourront plus servir à conserver la mémoire des parfums et témoigner de leur évolution. La photo finale avec une forêt de verres est exclue.

Avant d’ouvrir les vins, je ne peux pas les disposer sur une table large pour faire la traditionnelle photo de famille. Un aspirateur virevolte autour de moi. Les résultats à l’ouverture sont très variables. Ayant anticipé d’éventuels problèmes, j’ai pris des vins de réserve. L’odeur la plus désagréable, c’est celle du Chambolle-Musigny Domaine Clair-Daü 1961. Il y a un gros gibier qui sommeille dans cette bouteille, mais le pire n’est pas sûr.

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1960 a une odeur incertaine. Le vin du Rhône est prometteur. Le Château Palmer 1928 a une odeur de grande promesse, par un joli framboisé, mais là aussi, le meilleur n’est jamais sûr, aussi la décision est d’ouvrir un vin de réserve qui me semble être un Château Pichon Baron 1904 d’un très beau niveau dans sa bouteille soufflée à la main. Son odeur est extrêmement belle. Par prudence, je rajoute aussi un Vega Sicilia Unico 1960 à la sérénité impressionnante, au moins égale à celle du Lafite 1990.

Le parfum le plus extraordinaire que je fais sentir à Armelle et à Hélène, c’est celui du Rayne Vigneau 1904. Au stade actuel des premières odeurs, mon tiercé serait Rayne Vigneau 1904, Vega Sicilia Unico 1960, Lafite 1990, sachant que le Palmer mériterait d’être dans le tiercé, mais tiendra-t-il jusqu’au repas ? Il faut que je sois attentif aux températures des vins. J’annonce aux jeunes femmes qui sont présentes que je vais me changer avant que les convives n’arrivent. Fort curieusement, deux d’entre elles sont descendues aux vestiaires pour se changer en même temps que moi. L’histoire retiendra que la décence et la morale furent sauves. Il est temps pour moi de donner les consignes de service à Gaylord, le sommelier, qui fera ce soir un service exemplaire.

Paris étant traditionnellement le siège de manifestations destinées à montrer qu’en France, c’est la rue qui commande, les arrivées se font comme dans les courses cyclistes, certains participants franchissant la ligne loin derrière les échappés. Deux femmes ravissantes illuminent la table beaucoup mieux que les chandeliers, les huit hommes sont de professions de conseil, de juristes, de banque, suisse de surcroît, de journalisme, de communication et même de distribution grand public. Mille liens peuvent les réunir mais le plus fort est évidemment le vin et le bien manger.

Le menu créé par Alain Passard est : Tartelettes fenouil et ail nouveau / Jardinière Arlequin et semoule à l’huile d’argan / Langoustines de Loctudy au thé vert Matcha et épinards / Homard des Iles Chausey grillé et pommes de terres fumées au vieux chêne / Agneau de la Baie de Granville grillé entier, choufleurisotto, chou fleur mauve et petits pois / Ris de veau grillé au bois de réglisse pomme de terre et navet / Stilton / Tarte aux pommes Bouquet de Roses.

Le Champagne Moët & Chandon Brut Impérial 1955 est d’un jaune assez clair. La bulle a quasiment disparu mais le pétillant est vivace. L’impression de champagne est agréable, mais je ressens un léger défaut, comme si le champagne était poussiéreux en milieu de bouche. Cela ne gêne pas mes convives qui apprécient le Moët. L’évolution du champagne, bien aidé par l’ail nouveau, est spectaculaire : la poussière disparaît et le fuit qui était caché à l’arrière-plan apparaît, joyeux, donnant à ce champagne une belle cohérence.

Le Champagne Canard Duchêne Cuvée Charles VII brut 1973 est une immense surprise. Je suis conquis. Un ami explique que Canard Duchêne était une marque assez ordinaire qui disposait d’une cuvée d’exception, la Cuvée Charles VII. La bouteille est très belle, de forme originale, qui met en valeur la couleur or et miel. Le nez est intense, la bulle est encore joliment active, et ce champagne est la démonstration de l’intérêt majeur des champagnes évolués, car il n’a pas de défaut, et son caractère joyeux est remarquable. Tout est en délicatesse.

J’avais prévu qu’au cas où l’un des champagnes anciens serait défaillant, l’on ouvre un Champagne Salon 1996. La vocation des réserves, comme pour le pétrole, c’est de s’épuiser. Aussi, sur la jardinière à la semoule, le Salon rejoint le Charles VII. C’est assez fou de boire ces champagnes ensemble. Car la bulle du Salon est d’une puissance extrême et son goût fait brutal, envahissant. Le Salon fait encore plus ressortir la délicatesse du 1973. Il est son faire-valoir. Quand on s’intéresse au Salon seul, on découvre sa merveilleuse palette florale qui donne du romantisme à sa puissance vineuse conquérante. Ce Salon 1996 est une merveille, mais dans ce contexte, c’est le 1973, magnifiquement en accord avec la semoule légère et les légumes délicats, qui m’a réellement conquis.

Je ne sais franchement pas pourquoi j’ai choisi ce vin blanc en cave, Savigny-lès-Beaune blanc Domaine Pierre Guillemot 1994. Cela fait partie des découvertes que l’on doit faire à côté d’icônes. Le vin est agréable, mais sans grande imagination. Son final est court. Les langoustines au thé vert et épinards sont tellement délicieuses, que j’ai envie d’essayer le Château Lafite Rothschild 1990, puisqu’il restera encore deux rouges pour le plat à venir. Cette intuition se révèle une divine surprise. Le Lafite est un immense vin au sommet de la maturité de sa jeunesse, puisqu’il connaîtra d’autres maturités. J’oserais dire qu’il est parfait. Charnu, au nez impérieux, à la longueur immense qui prolonge sa chaude générosité sans perte d’intensité, ce vin à la mâche forte est un vrai bonheur. L’épinard l’excite élégamment, contre toute attente, et la langoustine répond aussi très bien au vin riche et épanoui.

Qu’il est agréable de voir arriver une assiette où le homard est présenté dans une quasi nudité, avec des pommes de terre qui forment un contrepoint charmant. Le Château Palmer 1928 dont le parfum framboisé était riche à l’ouverture et envoûtant m’avait fait craindre que tant de perfection ne dure pas. Elle dure. Le parfum est riche, capiteux, framboisé, et le vin en bouche, à la couleur d’une grande jeunesse, sans l’ombre de tuilé, est d’un velouté redoutable. Quel grand vin ! Il rejoint le peloton de tête des plus grands Palmer que j’ai bus. A côté, le vin d’une bouteille ancienne soufflée à la main n’offre aucune indication autre que Cruse, à la fois sur la capsule et sur le bouchon. J’ai imaginé que c’est un Château Pichon Baron 1904 car il y en a plusieurs dans la cave que j’ai achetée dont j’ai extrait cette bouteille supplémentaire. Mais il se pourrait aussi qu’il s’agisse d’un Pontet-Canet. Faute de preuve, appelons-le Château Pichon Baron 1904. Ce vin n’a pas non plus la moindre trace de tuilé. Il est rouge sombre, sans le petit filet rouge sang du Palmer. Le nez est discret. Par opposition au Palmer, on dirait volontiers que ce vin est strict, sérieux, quand le Palmer est tout en rondeur et en joie de vivre. Mais ce vin est grand, précis, bien défini. Strict mais grand.

Sur l’agneau en deux services nous allons goûter quatre vins qui sont tous de la première moitié de la décennie 1960. Le Chambolle-Musigny Domaine Clair-Daü 1961 m’avait fait très peur à l’ouverture du fait d’une odeur fort désagréable. Le vin pouvait se reconstituer, mais il aurait du mal. Gaylord me sert le premier verre et ce qui éclate dans mes narines, c’est une odeur pénétrante de morilles. Le vin est devenu morilles. C’est une déviation bien sûr, mais en bouche le vin, qui a capté le goût de la morille, n’est pas trop déplaisant.

La mauvaise surprise, même si ce vin est meilleur que le 1961, c’est La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1960. Car si ce vin est agréable, on est à cent coudées de ce que La Tâche peut être. Aussi, le décrire n’apporterait pas grand-chose. Il est buvable mais ne cache pas sa fatigue. Les deux bourgognes sont fatigués, aidés par un agneau ferme et intense à faire presque bonne contenance, mais l’intérêt va se porter sur deux merveilles.

Le Châteauneuf-du-Pape Domaine de Beaucastel 1964 n’a pas les signes de fatigue que l’on trouve souvent chez ces Châteauneuf-du-Pape dépassant les quarante ans. Celui-ci est parfait. D’un niveau haut dans le goulot, d’une couleur d’un rouge franc un peu clairet, il est clair en bouche, juteux, lisible, et de franc plaisir. C’est un grand Beaucastel. Mais à côté de lui, la bouteille que j’ai rajoutée – et Gaylord n’en revient pas que j’aie rajouté une telle merveille – c’est Vega Sicilia Unico 1960. Disons-le d’emblée, c’est, je crois, le plus grand des Vega Sicilia Unico que j’aie jamais bus. Il n’y a pas un gramme de torréfaction que l’on trouve souvent, et la pureté, la franchise, m’évoquent plus les grands vins de Guigal, quand ils ont un peu d’âge, que le Royal Kebir avec lequel je voulais un jour comparer Vega Sicilia. Ce vin est une bombe de bonheur, si compréhensible et si envoûtant.

Il faut se souvenir qu’à l’ouverture des vins, c’est le Château Rayne-Vigneau 1904 qui était le plus extraordinaire. Avant même d’être servi, il embaume déjà la salle. Il est nécessaire que je précise à certains convives qu’il s’agit d’un vin blanc, car le liquide, d’un caramel foncé, est d’une rare densité. Le parfum enivre, où se mêlent les agrumes et les fruits confits. Et le choix que j’ai fait de le mettre en confrontation avec un ris de veau est une réussite absolue. Certains des présents voteront pour ce vin à cause de l’accord d’anthologie. Le ris de veau par sa surface croquante enlève tout gras au vin, alors que bu seul, il est d’une richesse onctueuse sans égale. De longueur infinie, c’est un des plus grands sauternes que l’on puisse imaginer, où tout, puissance, richesse, longueur, poivre, émotion, est de totale perfection. Je suis sur un nuage en buvant ce vin.

Ce qui est intéressant, c’est que le Château d’Yquem 1970 qui lui fait suite n’est pas du tout diminué d’être placé à cet instant. Au contraire, il montre sa jeunesse, la magnifique couleur dorée d’un épanouissement guilleret, et le goût inimitable qui n’appartient qu’à Yquem, avec une aisance d’enfant béni des dieux. Avec le Stilton il s’amuse, et avec la divine tarte aux pommes, il met nos papilles dans des coussins profonds.

Eh bien, que de miracles successifs et que de crescendos à répétition. Autour de la table, je vois des yeux émerveillés. Il est temps de voter.

Le vote a laissé sur le bas côté quatre vins sur treize. Et parmi les neuf qui ont eu des votes de premier à quatrième, quatre vins se détachent de loin. Rayne Vigneau 1904 a eu quatre votes de premier, et trois autres sont nommés deux fois premiers, Palmer 1928, Lafite 1990 et Vega Sicilia Unico 1960.

Le vote du consensus serait : 1 – Château Rayne-Vigneau 1904, 2 – Château Palmer 1928, 3 – Vega Sicilia Unico 1960, 4 – Château Lafite Rothschild 1990.

Mon vote est : 1 – Château Rayne-Vigneau 1904, 2 – Château Lafite Rothschild 1990, 3 – Vega Sicilia Unico 1960, 4 – Château Palmer 1928.

La palme des accords revient au ris de veau envoûté par le Rayne Vigneau et l’originalité la plus grande est celle de la langoustine aux épinards mariée de façon impromptue au Lafite. Alain Passard a réussi une adaptation de sa cuisine et de ses recettes au-delà de toutes des attentes qui ont suivi l’examen que j’ai fait il y a peu de tous les plats de ce soir. Et ce fut d’une intelligence, d’une dextérité et d’un sentiment qui méritent les plus grands éloges. Quand en plus l’amitié a coiffé le tout, car Alain a couvé notre table de sa bienveillance, on peut dire que pour un coup d’essai, ce fut un coup de maître.

Au bord de la mer – photos dimanche, 23 mai 2010

Deux vivaneaux qui attendent d’être cuits. Entre eux le Jort, camembert essayé sur le champagne Henriot

Champagne Henriot 1996 en magnum

les toasts au foie gras poêlés de mon épouse

Château La Conseillante 1981 et Le Corton Bouchard Père et Fils 1988

Coteaux du Layon Villages Domaine Lecomte 1990

premier dîner de l’année en plein air face à la mer dimanche, 23 mai 2010

Cette journée de mai est certainement la plus chaude depuis le début de l’année. Nous sommes invités chez des amis, et ce que nous avons proposé, c’est que je prenne en charge les vins et que ma femme compose tous les mets de l’apéritif. C’est la première fois de l’année que nous dînons dehors, face à la mer.

Le Champagne Henriot magnum 1996 a une magnifique couleur dorée. Le nez est intense, et comme souvent le goût est celui de la couleur, c’est-à-dire des fruits jaunes. Sur des petits toasts au foie gras poêlé, le champagne est d’une grande douceur. Et il épouse le foie gras en trouvant une belle longueur. Sur une pâte brisée aux sardines broyées, le champagne prend de la hauteur. Il gagne en intensité et en richesse mais perd un peu de sa longueur. Sur des palets au parmesan, c’est sans doute ainsi que le champagne trouve sa personnalité, combinant la densité et le doucereux. Un camembert Jort coulant est mangé à la petite cuiller. L’accord est intéressant sans être vibrant. Une tarte à l’oignon est assez excitante, car l’oignon est à la fois sucré et salé. Il titille bien le champagne. Je dirais que dans tout ce qu’a préparé ma femme, la complémentarité avec le champagne Henriot est, selon mes préférences, la sardine, le foie gras et le parmesan.

Notre ami Claude a préparé deux beaux vivaneaux roses, pour lesquels j’ai apporté Château La Conseillante 1981. Ce millésime est souvent considéré comme neutre et limité, aussi la vivacité de ce vin est surprenante. La couleur du vin est d’une folle jeunesse, d’un rouge rubis et le niveau est haut dans le goulot. Le nez est typique de pomerol, et il se confirme une fois de plus que les pomerols épousent les poissons roses à la perfection. Je suis très étonné de la richesse et de la matière de ce vin de 1981, qui est mis en valeur par le poisson de façon saisissante.

Le vin qui est prévu pour la suite est Le Corton Grand Cru Bouchard Père & Fils 1998. Nous l’essayons sur le poisson et c’est évident qu’il y a un rejet très net. C’est sur les fromages que nous jouissons de l’extrême fruité de ce vin, dont je n’attendais pas autant de fruits rouges et noirs. Encore jeune, ce vin est joyeux, de belle mâche. C’est sur un fromage de brebis des Pyrénées très jeune, donc faiblement typé, que le vin s’est délicieusement épanché.

Le dessert qui m’avait été annoncé était une glace de chez Ré à Hyères, sans qu’on me dise le parfum. Ma femme avait préparé de délicieux palets au sucre. La glace est à la vanille, traitée de façon très légère.

Le Coteaux du layon Village Domaine Lecomte 1990 met un sourire sur tous les visages. Ce vin est délicat. Il est doux, et tout en finesse. Tout est suggéré, raffiné, enveloppant de douceur romantique. C’est un vin éminemment agréable, un vrai vin de dessert.

Alors qu’il était bien tard, le froid humide de la nuit est tombé d’un coup, nous obligeant à mettre de chauds pull-overs. Nous n’avons pas voté pour les vins mais il est tentant de les classer non pas sur la valeur intrinsèque, qui mettrait Le Corton en premier, mais sur l’adéquation des vins au moment et au repas. Et cela donne : 1 – Coteaux du Layon Village, 2 – La Conseillante, 3- Champagne Henriot et 4 – Le Corton. Ce repas préfigure avec brio les futures fêtes de l’été.

Galerie 1924 samedi, 22 mai 2010

Une bouteille de forme bourguignonne, soufflée à la main

un cul très profond de bouteilles ancienne et un très beau niveau

Et voici l’étiquette : "Grand Corbin blanc 1924". De quoi s’agit-il ?

dîner chez Yvan Roux vendredi, 21 mai 2010

Une dégustation chez Krug, un repas dans un grand restaurant, ma journée aurait dû s’arrêter là ! Or, me trouvant le soir à l’aéroport pour aller dans le sud, je rencontre un ami, sa femme et ses enfants qui vont prendre le même avion que moi. Ils vont dîner ce soir chez Yvan Roux où ils retrouveront un autre ami qui m’avait demandé de passer chez Yvan.

Nous voilà donc à 22h40, du fait du retard de l’avion pour un dîner chez Yvan Roux. J’annonce d’emblée : je ne mangerai quasiment rien et même chose pour la boisson. Mais hélas, l’enfer est pavé de bonnes intentions. Car une assiette de chorizo fait avec du Pata Negra et une coupe de Champagne Laurent Perrier Grand Siècle sont capables de briser toutes les résistances. Le champagne n’a pas la complexité de Krug, mais c’est un champagne de soif. Et que faire quand il y a des tranches de chorizo ? Boire !

Yvan nous montre un immense homard qui va permettre de faire des portions pantagruéliques. La cuisson est divine et l’accompagnement de feuilles d’épinard et une sauce au curry se mange à part, avec gourmandise. Pour le mérou accompagné par une purée d’aubergines, nous avons bu un « R » de Rimauresq Côtes de Provence magnum 2005. Ce vin puissant, riche, avec une râpe typée et gourmande accompagne bien le poisson. Et c’est la râpe qui s’accroche bien à la chair intense du poisson.

C’est tard dans la nuit que nous avons quitté la table d’hôtes d’Yvan Roux, avec le plaisir de nous être enivrés de promesses d’été.

Krug au restaurant l’Assiette Champenoise vendredi, 21 mai 2010

Après la dégustation de quatre champagnes de la maison Krug dans la salle de dégustation du siège de Krug, nous partons en convoi au restaurant l’Assiette Champenoise du château de la Muire à Tinqueux.

Lorsque j’arrive, Arnaud Lallement, le jeune chef de ce restaurant deux étoiles m’accueille avec un large sourire, m’indiquant qu’il est heureux de me rencontrer. Cela fait toujours plaisir. Nous passons à table dans la belle salle du restaurant. Eric Lebel préside la table, puisque Olivier Krug ne nous rejoindra qu’au moment du dessert. Tout le repas se fera avec des magnums de Champagne Krug Grande Cuvée. La température de service est idéale et le champagne, pas seulement à cause de l’effet du format, est infiniment plus chaleureux que celui dégusté au siège. Ce champagne est doré, et donne une image joyeuse. Il a la complexité, la subtilité de Krug, et une mâche que n’avait pas le précédent.

Arnaud Lallement a conçu un menu qui est son inspiration du moment : petit pois et lard confit / asperges vertes de R. Blanc, truffe noire en purée, vin jaune / homard bleu, ail violet, cébette rouge / turbot breton, bulots, pois gourmands / pigeonneau en tourte, épinard et tomate / fraise-citron, croquant acidulé, glace fraise.

Le petit pois est d’une rare densité et le lard confit met en valeur de façon spectaculaire le champagne. C’est saisissant et confirme bien l’aptitude à la gastronomie de ce champagne. La purée de truffe jongle aussi avec le Krug. La cuisson du turbot est exemplaire, et la crème de bulots est tout simplement renversante de profondeur, trouvant un écho déterminant avec le Krug. Comme cela se produit dans les repas à un seul vin, il est un moment où le palais se lasse un peu et c’est le cas sur le pigeonneau très goûteux pour lequel l’envie d’un rouge très lourd est pesante sur la langue. Le champagne revient en force sur le dessert.

Nous avons vu tout au long du repas le talent de ce Krug, flexible sans jamais aliéner sa personnalité. Quelques années de cave de plus lui conviendraient car la Grande Cuvée vieillit merveilleusement bien. Olivier est venu nous rejoindre et nous avons longuement bavardé avec le chef. Arnaud est solidement installé sur le niveau de deux étoiles, avec une mise en valeur du produit qui est d’une belle maturité. A son jeune âge, tout pourra le conduire à la troisième étoile car le cadre est d’un confort idéal, sa vision des produits, avec une lisibilité rassurante, et son talent des cuissons et des dosages lui promettent le plus grand des parcours. Tout naturellement nous avons évoqué la possibilité de faire un de mes dîners de vieux vins chez lui. Cette perspective m’enchante.

L’assiette champenoise – photos vendredi, 21 mai 2010

Arnaud Lallement a conçu un menu qui est son inspiration du moment :

petit pois et lard confit

asperges vertes de R. Blanc, truffe noire en purée, vin jaune

homard bleu, ail violet, cébette rouge

turbot breton, bulots, pois gourmands

pigeonneau en tourte, épinard et tomate

fraise-citron, croquant acidulé, glace fraise

Tout cela est très appêtissant !

dégustation de Krug au siège de Krug vendredi, 21 mai 2010

Avec mon gendre, nous avons fait un achat massif de champagnes Krug, car nous considérons que ce champagne profite merveilleusement bien de son vieillissement. Il faut donc en avoir en cave. Le caviste qui avait permis l’opération est invité au siège de la maison Krug avec mon gendre, pilote de l’opération, et quand je le sais, je décide de me joindre à eux. Quelle n’est pas ma surprise, quand j’arrive sur place un peu après eux, de constater que ma fille est présente ! Nous visitons les chais et les caves avec les explications brillantes d’Eric Lebel, chef de caves, qui fait partie du comité de dégustation des champagnes pour décider les assemblages, formé de quatre personnes qui s’étend parfois à sept, si les membres de la famille Krug se joignent à eux.

Après la visite, Olivier Krug tout sourire nous rejoint pour la dégustation. A ma grande surprise, le premier vin qui nous est servi est le Champagne Krug Clos du Mesnil 1998. Je me dis que si l’on commence comme ça, dans quelles mers inconnues allons-nous naviguer ? Olivier nous explique que le chemin sera fait en finissant par la Grande Cuvée, ce qui me semble curieux.

Le Champagne Krug Clos du Mesnil 1998 est très floral, de fruits blancs et roses, et l’espace d’un instant, le goût des groseilles à maquereau que je dévorais dans mon enfance, malgré les piquants acérés, revient à ma mémoire. Ce champagne combine longueur, fraîcheur, finesse et précision. C’est vraiment un très grand champagne. Le Champagne Krug Millésimé 1998 est moins floral. Il joue plus sur la puissance. Il est plus assis, moins frêle et moins romantique. Mais on sent en lui un potentiel de puissance immense.

Le Champagne Krug Millésimé 1995 est plus minéral au nez, alors qu’Eric lui trouve du pain d’épices. Il est déjà gastronomique, tant c’est un champagne gourmand. Il a des aspects toastés montrant un début d’évolution. Il est très rond et très charmeur, plus proche de mes désirs de gastronomie. Le nez du Champagne Krug Grande Cuvée est le plus expressif des quatre. Ce nez est le plus grand. Mais en bouche, je suis frappé par le fait que la matière est plus limitée. Il manque un peu de largeur, même si, à l’éclosion, on prend conscience de sa complexité. Je demande donc pourquoi l’on finit sur un champagne moins plein que les trois autres. Mon gendre donne un explication qui est intéressante : il estime que les trois premiers permettent d’aborder le Grande Cuvée avec un œil différent, lorsque l’on a exploré des complexités variées. Et je comprends des explications d’Eric et Olivier que la maison Krug tient sa force de ses assemblages. Et les assemblages les plus délicats sont faits pour la Grande Cuvée. C’est ce travail de composition qu’Olivier tient à mettre en avant dans cet ordre de dégustation.

Si je n’ai pas été totalement convaincu, car pour mon goût, les meilleurs sont dans l’ordre l’infiniment raffiné Clos du Mesnil 1998, puis le Millésimé 1995 déjà prêt pour la haute gastronomie, puis le Millésimé 1998 très prometteur et le Grande Cuvée, au nez brillant mais au coffre plus étroit.

Nous allons goûter à nouveau la Grande Cuvée au déjeuner. Et là, la Grande Cuvée, épanoui et brillante, très au dessus du champagne de dégustation, m’a fait comprendre pourquoi Olivier a choisi cette ordre : la Grande Cuvée, c’est le vaisseau amiral de la maison Krug.

visite chez Krug – photos vendredi, 21 mai 2010

alignement de barriques d’âges canoniques

le nom Kug sur un tonneau et l’alignement de bouteilles dans des caves interminables

avec ma fille et mon gendre

la couleur du champagne est belle, et l’on peut deviner le délicat graphisme sur les verres de dégustation

la salle de dégustation

Maury et chocolat à l’Institut Supérieur du Goût vendredi, 21 mai 2010

Chaque année, je fais une conférence devant les élèves de l’Institut Supérieur du Goût, école qui est dans la mouvance de la Fondation Cartier. Cette fois-ci, le directeur a élargi l’audience à des élèves de l’Institut Supérieur du Luxe, autre école du même groupe. La participation ayant été suscitée sous la forme du volontariat, une trentaine d’élèves assistent à ma présentation, avec une majorité de jeunes filles. Après l’exposé et les réponses aux questions, nous dégustons un Maury, les Vignerons de Maury 1947 et un Maury distribué par Terres du Sud 1937. Les quatre bouteilles apportées sont très récentes, car la mise en bouteille a été faite il y a moins de dix ans. Les élèves doivent se représenter la différence entre les deux Maury, et voir quelle est l’influence d’abord d’un chocolat noir, puis d’un chocolat au lait sur le goût de chacun des deux Maury.

Le Maury 1947 est plus noir, plus profond, de plus belle structure. Le Maury 1937 est plus marron, plus léger, et l’alcool est plus présent. On perçoit une nette différence entre les deux, le 1937 faisant notoirement plus vieux que le 1947. L’influence du chocolat noir est déterminante sur les deux Maury et beaucoup d’élèves sont surpris de la pertinence de l’association. C’est le 1937 qui réagit le mieux au chocolat noir, et il prend une dimension insoupçonnée par rapport à la première image qu’il avait donnée. Le 1937 profite nettement plus que le 1947 et devient beaucoup plus charmeur. Les élèves font des remarques très intéressantes.

Le chocolat au lait crée presque une opposition avec le 1947 et le 1937 est chatouillé mais reste indifférent. On voit donc nettement que pour les deux vins le chocolat au lait n’est pas un apport pertinent et que le chocolat noir est un rehausseur de goût, conduisant le 1937 à dépasser en plaisir le 1947 qui semblait de qualité supérieure. Les élèves étaient intéressés et motivés, et c’est toujours un grand plaisir pour moi de dialoguer avec des jeunes pleins d’avenir. Un groupe de sept s’est déjà formé, que je reverrai pour d’autres dégustations dans très peu de temps.