dîner de Pâques chez des amis dimanche, 4 avril 2010

Le soir même, nous finissons de fêter Pâques chez des amis. Nous commençons à goûter un Champagne Charles Heidsieck mis en cave en 1996, qui est un assemblage de quelques années antérieures. Le champagne est d’un bel or frais. Sa bulle est active. Il est résolument jeune, avec un charme serein. A côté de lui, le Champagne Veuve Clicquot brut 1976 fait entrer dans un monde nouveau. La couleur est plus ambrée, le parfum est subtil, mêlant le minéral et la douceur de fruits jaunes. La bulle est plus rare mais le pétillant est intact. En bouche, une trace évoque une vieille armoire ou le gris des greniers, mais en arrière-plan, un joli fruit discret donne une grande élégance. Il faut le boire religieusement.

Sur du jambon enserrant un fagot de haricots verts, le Château Simone, Palette 2006 est d’une belle jeunesse. Il ne joue pas trop fort, apportant la joie brute de sa jeunesse. Sur de beaux pagres la Côte Rôtie La Turque Guigal 2000 explose de joie. Le Palette sert de faire-valoir, tant la puissance du vin du Rhône est spectaculaire. Ce vin, beaucoup plus affirmé que le 1997 du déjeuner est un hymne au bonheur. Le vin accompagne aussi des fromages variés.

La tarte aux fraises accueille un Champagne Ruinart brut sans année qui est fort courtois à cet instant du repas, champagne de soif bien dessiné. Un Klein Constantia d’Afrique du Sud 2002 titrant 13,5° donne des notes doucereuses bien dosées qui m’évoquent les trésors que pouvait donner ce vin il y a deux siècles. La renaissance de ce vin mythique, dont les vignes ont été déplantées pendant un siècle me semble convaincante, si l’on prend le soin d’accorder au vin un long passage en cave, pour qu’il capte les vertus que l’âge peut lui donner.

Ça chauffe pour l’agneau pascal ! dimanche, 4 avril 2010

C’est Pâques, il fait froid. La pluie empêche de cacher des œufs sous les arbustes que les petits-enfants cherchent en riant ou en pleurant, selon leurs réussites. Ce n’est pas la même chose de chercher sous un rideau, un canapé ou un coussin que sous un laurier ou un abricotier.

Après une semaine de repos et de jeûne, une assiette de Pata Negra a autant de pouvoir que le bouton réservé au Président de la République pour actionner la Force de Frappe. Fort heureusement, la stratégie à long terme de la défense de notre territoire familial a prévu qu’il y ait au frais un Champagne Krug 1989. Quel beau champagne ! On imagine très volontiers que George Clooney aurait autant de pertinence à défendre ce champagne qu’il le fait pour une marque de café. Car en ce champagne, tout est facile et tout coule de source. C’est grand, circulez, il n’y a rien à discuter. Et l’astuce, c’est de le boire par millilitre. Plus on le rationne, et plus son caractère s’impose, avec une personnalité diablement affirmée.

Quand le four fait des siennes, même le jour de Pâques, les scènes de ménage poignent à l’horizon. A peine ai-je le malheur de dire que les épaules d’agneau ne sont pas cuites, qu’un retour cinglant me cueille et m’asphyxie : « toi, de toute façon, tu ne sais pas ce que c’est que la cuisine ». Ma fille risque un : « intéressants tes sushi d’agneau ». Mon gendre, plus diplomate : « on pourrait les poêler juste deux minutes ». Ce fut le point de départ d’une innovation culinaire : un agneau à basse température pendant quatre heures sur un four défaillant, saisi ensuite juste ce qu’il faut, cela donne une chair parfaite.

L’appel d’un vin rouge est évident. La Côte Rôtie La Turque Guigal 1997 est exceptionnelle. La première expression, sur le vin juste ouvert est celle du velouté. Tout est satin, tout est velours dans ce vin délicat, subtil, à l’expression mesurée. Ce vin suggère. Le vin change ensuite et des notes plus râpeuses apparaissent. Mais ce qui est une constante, c’est que le vin explose de jeunesse. Il est comme une esquisse de vin non encore assemblée et on l’aime pour cette naïveté juvénile. C’est un grand vin porteur de joie, comme il convient à Pâques.

La querelle sur la cuisson se met en basse température. Et ce sont les petits qui sont au centre de la joie familiale, soulignée par deux immenses vins.

une journée champenoise de folie grâce à P. E. Taittinger samedi, 27 mars 2010

On excusera, je l’espère, un rappel peu romantique, mais il est le point de départ de cette grande journée. C’est dans les toilettes d’un endroit public que je me trouve par hasard en même temps que Pierre-Emmanuel Taittinger. Après avoir satisfait les besoins que commande notre mère Nature, nous nous mettons à papoter. Pierre-Emmanuel Taittinger m’annonce qu’il reçoit prochainement un groupe d’américains et d’anglais qui sont de grands amateurs. Il m’indique que le déjeuner sera suivi du dîner de l’Ordre des Coteaux de Champagne. Pierre-Emmanuel Taittinger en est le président aussi me propose-t-il de me joindre au groupe anglophone au déjeuner, puis de m’introniser. Comme je le suis déjà, il me suggère que je monte d’un grade. Je donne mon accord, la chose est emballée et qu’on n’aille pas chercher dans cette expression une allusion quelconque à ce que nous faisions.

Le jour dit, je pars de chez moi pour me rendre à Reims. Peu de temps après mon départ, je prends conscience de l’absence de mon appareil photo. Je fais vite demi-tour, car il serait triste de ne pas avoir des souvenirs de cette grande journée. Cet oubli explique que lorsque j’arrive aux caves Taittinger, le groupe est déjà en cave. Une élégante hôtesse me conduit sous terre dans une salle carrée qui m’évoque un antique haut-fourneau, car la pièce est comme la partie vide d’une pyramide qui serait très haute et très étroite de la base au sommet. La salle est cernée sur ses bords par des alignements denses de bouteilles, presque jusqu’à hauteur d’homme, aux couleurs sombres, qui donne à l’aréopage présent l’image de comploteurs clandestins cachés dans un réduit obscur. Sur une table en bois, de grandes assiettes de jambon espagnol, de saucissons français et de boudin blanc sont une invitation pour un mâchon convivial. Il y a autour de la table Pierre-Emmanuel Taittinger, les six amateurs américains et anglais, un français ami de notre hôte, le chef des caves et des œnologues. Pierre-Emmanuel Taittinger nous annonce que nous allons goûter des Comtes de Champagne, que les américains appellent C.D.C., des années 1970, 1976, 1985, 1990 et le 2000, champagne qui n’est pas encore commercialisé. Les bouteilles sont dégorgées sur place, à la volée, et n’ont aucun dosage.

Le Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1970 est le premier que nous buvons, puisque Pierre-Emmanuel Taittinger aime que l’on goûte du plus vieux au plus jeune. Ce champagne est superbe de construction, de grande jeunesse du fait qu’il n’a jamais été dégorgé. Il est très strict, ne jouant en aucun cas sur le charme, et sa longueur est remarquable.

Le Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1976 est beaucoup plus flatteur et plus facile à comprendre. Il est généreux. Je demande à Pierre-Emmanuel Taittinger lequel des deux il préfère, et Pierre-Emmanuel Taittinger, pensant sans doute au consommateur final, dit qu’il préfère le 1976 alors que je préfère le 1970, beaucoup moins charmeur, mais plus racé et plus interpellant.

Le Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1985 est un très grand champagne. Son parfum est superbe. Nous sommes au niveau des très grands champagnes, et le saucisson est le faire-valoir idéal.

Le Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1990 est encore plus grand, d’une race extrême et d’un nez spectaculaire. Tom Black, restaurateur à New York ayant un amour particulier pour le 1996, ce champagne est ouvert. Une discussion s’instaure sur les millésimes les plus réussis de ces Taittinger et je suis impressionné par l’érudition gustative des membres de ce groupe, collectionneurs, restaurateurs, bistrotiers ou vendeurs du champagne qu’ils consomment à rythme soutenu. Bruce Fingeret affirme que ce champagne est, sur une période de cinquante ans, le plus consistant de tous les champagnes d’assemblage. Nous dissertons longtemps sur ce concept, en évoquant des concurrents possibles en termes de régularité. Les anglophones convaincus persistent et signent en faveur du champagne de notre hôte.

Le Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1996 est manifestement trop jeune dans cette présentation sans dosage. Il est un peu acide. Mais dès qu’il s’élargit dans le verre, on sent qu’il sera très grand, voire magnifique, même s’il est un peu raide maintenant. Si l’on ouvre le 1996, pourquoi ne pas comparer avec le 1995 ?

Le Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1995 est moins grand que le 1996, mais c’est un grand champagne. Le Champagne Comtes de Champagne Taittinger 2000 qui est une première pour Pierre-Emmanuel Taittinger qui ne l’a encore jamais bu, est manifestement « non fini ». Son nez est superbe, et sa bouche est encore dans les limbes. Pierre-Emmanuel Taittinger dit qu’il sera commercialisé probablement en 2011.

Nous remontons à l’étage des bureaux et Pierre-Emmanuel Taittinger dit à des hôtesses que le groupe qu’il accueille représente les plus grands acheteurs de ses champagnes à Londres et à New York. Nous nous rendons dans le grand bureau de Pierre-Emmanuel Taittinger riche de souvenirs de sa famille qui a compté dans l’histoire du pays. Devant la porte d’entrée de l’immeuble, une automobile Renault 1914 attend ses invités. Deux jeunes cadres de direction, qui nous avaient rejoints en cave et représentent le futur de la société, font démarrer l’antique moteur, et nous nous rendons en convoi vers un petit immeuble implanté au milieu des vignes.

Là, un repas a été préparé pour notre petit groupe par M. Lange, traiteur des « Saveurs du Sablon ». Avant de passer à table, nous buvons un Champagne Comtes de Champagne Taittinger magnum 1971. Je suis complètement estomaqué par ce champagne. Sa couleur est d’un jaune citron prononcé, qui indique bien qu’il n’y a aucune évolution vers des teintes dont l’or et l’acajou seraient des signes de mûrissement. Il n’y a plus aucune bulle et plus de sensation pétillante. C’est donc un vin que nous buvons, dont la qualité est incommensurable. Il est rare qu’un champagne ancien me fasse autant d’effet. Je suis conquis, ravi, anesthésié par cette perfection.

Nous passons à table et le menu élégamment composé est : la terrine de sandre aux asperges vertes / le grenadin de veau aux truffes / le gratin de poires en crumble. J’ai dans ma besace un Château Chalon Jean Bourdy 1947 que je souhaite partager avec le sympathique et enjoué groupe d’amateurs. La seule possibilité me semble être avec l’entrée. Je demande à mes nouveaux amis de croquer un peu d’asperge pour goûter ce vin jaune. Pour certains, c’est une découverte et pour d’autres une confirmation. Ce vin au parfum envoûtant est d’une force rare. Il est délicieux. Sur l’entrée, le vin du Jura est associé avec le Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1973 qui est une vraie merveille de champagne. Contrairement au 1971, celui-ci, dont la couleur est plus claire, a toute sa bulle. Il est merveilleux et d’une longueur infinie. Alors que pour d’autres champagnes une osmose s’était créée avec le Château Chalon ici, le champagne et le vin suivent des trajectoires qui ne se rencontrent pas. C’est intéressant mais pas fusionnel. Sur le grenadin de veau, nous goûtons deux vins. Un Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1975 qui est bon, mais un peu léger après l’éblouissant 1973, et un Château Cheval Blanc magnum 2004 dont la qualité m’étonne, car il est bien plus riche que l’image que j’en avais. Est-ce que la succession des champagnes prépare le palais à lui conférer de l’ampleur ? Ce n’est pas impossible. Sur le dessert, nous buvons un Champagne Comtes de Champagne Taittinger rosé 1999 qui est sans doute très bon, mais je ne suis pas un fan des champagnes rosés.

Après ce repas ponctué de rires et de complicité, nous repartons dans nos hôtels pour une sieste réparatrice. Il faut ensuite s’habiller, puisque le smoking est de rigueur. Le rendez-vous est au Palais de Tau, ancienne demeure qui jouxte la cathédrale, dans la salle où les rois se préparaient avant leurs couronnements. Cette haute salle aux statues royales de hauteurs impressionnantes, et aux lourdes tapisseries racontant des épisodes de l’histoire, Pierre-Emmanuel Taittinger, dans ses habits de commandeur de l’Ordre des Coteaux de Champagne, intronise, avec les dignitaires, une bonne vingtaine de nouveaux gradés. Je monte d’un grade dans la hiérarchie de l’Ordre et Pierre-Emmanuel Taittinger a la gentillesse d’un mot aimable en me présentant comme un égal de Robert Parker ! Jusqu’où va l’amitié !

Nous nous rendons ensuite dans une salle en sous-sol, qui est le cellier de l’évêché, situé en dessous de la salle d’apparat des réceptions de l’évêque. La salle est d’une beauté rare, avec des colonnes et des chapiteaux de grande élégance. L’apéritif est debout, avec des stands des champagnes de plusieurs dignitaires. Je goûte un Champagne Beauchamp Carte d’Or non millésimé qui est un peu dosé. Le Champagne Blanc de Blancs Delamotte non millésimé est plus dans la tendance de mes goûts, habitués aux subtilités de Mesnil-sur-Oger. J’ai devisé avec Didier Depond, président de Salon-Delamotte, et dignitaire de l’Ordre.

Le dîner est conçu et réalisé par le traiteur Franck Philippet et sa brigade : foie gras de canard, chutney de fruits aux raisins blonds / blanc de turbot, julienne de céleri et courgettes / filet d’agneau en croûte, cannelloni de champignons / moelleux au chocolat Guanaja, mirepoix de poires tièdes. Je l’ai trouvé d’une qualité rare pour un dîner de cette nature.

Le Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1999 est extrêmement plaisant et agréable sur table. Sa finesse est sensible et réconfortante. Le Champagne Femme Duval-Leroy 1996 m’apparaît moins structuré mais Pierre-Emmanuel Taittinger le juge meilleur que ce que j’exprime. Et lorsque le champagne s’épanouit, c’es vrai qu’il devient plus plaisant, sans avoir la grâce du vin du commandeur. Une très belle surprise est celle du Champagne Mumm Cuvée rené Lalou 1998 qui est un champagne racé et de grand plaisir. J’aime retrouver ce champagne dont j’ai adoré le 1979, qui avait disparu pendant peut-être une vingtaine d’années et revit aujourd’hui. C’est une belle idée que de l’avoir ressuscité. Le filet d’agneau est très goûteux, trouvant dans le Mumm un écho convaincant. Le Champagne Brochet-Hervieux brut rosé non millésimé attire de ma part le même commentaire que ce midi : il est peut-être bon, mais ce n’est pas dans les goûts que je cherche, car l’acidité du rosé occupe le palais.

Il était l’heure pour moi de rentrer au logis, à la fin d’une journée d’une grande densité. Des onze millésimes de C.D.C. bus aujourd’hui, je retiens, dans l’ordre : 1971 pour son côté extraterrestre et unique, 1973 pour sa pure définition, 1990 pour sa race, 1985 pour sa plénitude, 1996 pour sa promesse de perfection et 1970 pour son absence de concession.

Merci à Pierre-Emmanuel Taittinger pour sa générosité et son amitié qui m’a offert de grands moments et de grands vins.

dégustation du champagne Taittinger – photos samedi, 27 mars 2010

Dans la cave, règne une atmosphère de conspiration

Conspirer ne veut pas dire que l’on s’impose le jeûne

dans cette impressionnante cave, tout le millésime 2000 du Comtes de Champagne

le pain et le vin

j’aurais préféré goûter un champagne de 1914 que de suivre cette automobile Renault 1914, qui roule !

le merveilleux Comtes de Champagne Taittinger 1971

le château Chalon 1947 fait presque rose sur la photo

magnum de Cheval Blanc 2004

Chateau Chalon Jean Bourdy 1947

chamapgne rosé de fin de repas après les blancs de blancs

Ordre des Coteaux de Champagne samedi, 27 mars 2010

La cathédrale de Reims est royale !

Le Grand Conseil de l’Ordre des Coteaux de Champagne dont le président au centre est Pierre Emmanuel Taittinger

L’assistance est attentive dans la salle aux souvenirs royaux

Le magnifique cellier où se tient le dîner

Le Guide Michelin et Sarkozy vendredi, 26 mars 2010

Il y a une grande similitude entre ce qui arrive au guide Michelin et ce qui arrive à Nicolas Sarkozy.

Attention : mon blog n’a rien de politique. C’est donc un billet d’humeur.

Quand un président se présente comme étant le seul qui pense, le seul qui agit, le seul qui comprend les choses, disant pis que pendre de ses adjoints, ça passe lorsqu’il y a des résultats.

Lorsqu’une élection est une sanction, le modèle de l’omni-président tombe de lui-même.

Je n’ai jamais remis en cause le Michelin, car c’est une œuvre humaine qui n’a pas besoin de créer le buzz. Le Michelin est une institution, qui doit être crédible sur la durée.

Aujourd’hui les langues se délient, les approximations incompréhensibles du Michelin ne sont plus acceptées.

L’institution se lézarde, et si elle n’y prend pas garde, elle va mourir.

Voilà deux challenges intéressants :

un guide qui a tout pour être l’institution incontournable sur la planète et qui s’auto-détruit

un président qui avait tout pour réussir et qui est en train de détruire son image, lui tout seul.

L’un des deux est capable d’un sursaut.

Lequel ?

Les paris sont ouverts.

130ème dîner de wine-dinners au Carré des Feuillants vendredi, 26 mars 2010

Le 130ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Le Carré des Feuillants. Au fond d’une cour couverte où émerge d’un trou une gigantesque bouteille en forme de périscope égrenant des millésimes, une porte s’ouvre comme un hublot sur l’univers culinaire d’Alain Dutournier. Un faux-plafond discret masque que la salle centrale est une courette sous verrière. De nombreuses œuvres aux couleurs vives, au sein desquelles le mouvement Cobra (Copenhague, Bruxelles, Amsterdam) est bien représenté, sont renforcées par de lourdes amaryllis couleurs de sang. La table de forme rectangulaire se terminant en deux demi-cercles est déjà dressée. Je demande à Vanessa de revoir l’ordonnancement pour que l’on casse ce plan strict et militaire. Nous sommes arrivés à faire un schéma dont les effets sur l’ambiance de la table furent sensibles.

J’ouvre les vins et aucune odeur ne me parait vraiment suspecte, et je ne vois pas de raison d’ouvrir l’une des bouteilles de réserve. L’odeur la plus spectaculaire est celle du Pichon Comtesse 1921 qui est miraculeuse. Je la referme tout de suite en remettant un bouchon sur la bouteille. La seule vérification qui est faite en buvant une goutte – ce que je ne fais quasiment jamais – est celle du Rayne-Vigneau 1914. Car à travers le verre de la bouteille, légèrement vert, le vin est ambre gris. Versé dans un verre, le liquide est d’un bel or sans trace de gris. Le vin sera bon à boire. Tout va bien.

Les convives sont tous à l’heure, ce qui me plait particulièrement. Nous sommes dix. Si je me compte dans le premier groupe il y a six chefs d’entreprises de tailles diverses, dont une femme, trois avocats dont une femme, et la femme d’un des entrepreneurs, qui travaille avec son mari. Comme toujours on s’aperçoit que le monde est petit car il y a des souvenirs communs qui surgissent entre convives qui ne se connaissaient pas. Autour de la table, cinq convives viennent pour la première fois.

Le menu conçu par Alain Dutournier est ainsi rédigé : Huîtres de Marennes, caviar d’Aquitaine et algues marines / Le homard bleu vapeur, royale coraillée, pince en rouleau croustillant, julienne potagère, herbes parfumées – nougatine d’ail doux / La belle truffe noire entière a l’étouffée – foie gras de canard snacké / La caille des prés en fine croûte de noisettes, chartreuse d’asperges vertes cromesquis de raisins / Fougeru briard affiné a la truffe / Macaron a la rose, fraises des bois andalouses et litchis.

Nous passons à table et commençons à boire le Champagne Bollinger Vieilles Vignes Françaises 1999. Ce champagne est d’une belle élégance et d’une grande subtilité. Tout en lui est suggéré et l’on peut penser que c’est un champagne intellectuel, car il faut aller chercher ses complexités de blanc de noirs pour les comprendre.

Au contraire, le Champagne Perrier Jouët Blason de France 1966 est d’une lecture limpide, d’une couleur légèrement ambrée discrète, avec une bulle rare mais un pétillant intact, ce champagne n’est que bonheur. Il est rond, joyeux, avenant et se marie bien avec les petites variations sur le thème du foie gras. Je suis perturbé car je me suis perdu dans les prolégomènes et amuse-bouche qui précédaient l’entrée dédiée à ces deux champagnes. Que faire ? J’appelle à la rescousse un champagne que j’avais pris en réserve et fait mettre au frais : un Champagne Moët & Chandon Brut Impérial 1975. Et c’est clairement lui qui ramasse la mise. Ne différant que de neuf ans avec le précédent, il y a un monde entre eux. Le Moët est encore d’une folle jeunesse, quand le Perrier-Jouët fait évolué. Le Moët est serein, en pleine possession de ses moyens, fort de sa belle jeunesse adoucie par sa maturité. Un grand champagne qui trouve un écho particulier dans l’huître délicieuse et le caviar discret.

Comme souvent, les plats d’Alain Dutournier sont commandés par le nombre trois. En voyant le plat de homard, je sais qu’un des tiers sera merveilleux sur le Corton Charlemagne Bouchard Père & Fils 1997 et que les autres tiers requièrent un rouge. Alors que j’avais prévu que le 1904 serait un intermède entre deux plats, je le fais servir à ce moment. Le Corton Charlemagne a le côté rassurant de sa belle jeunesse et son année plutôt calme lui permet d’être délicat. C’est un grand vin. Le Château Beauséjour Bécot Saint-Emilion 1904 s’appelle peut-être Bécot mais peut-être aussi Beauséjour tout simplement, car seul le premier nom est lisible. Le nez de ce vin est spectaculaire. Il est d’une richesse et d’une jeunesse qui stupéfient notre table. Quand l’on se rend compte que ce vin a 106 ans, la surprise est encore plus grande. En bouche, ce vin pourrait donner lieu à deux interprétations. Si l’on s’arrête aux signes de fatigue qui sont évidents, le vin n’aurait pas d’intérêt. Si l’on accepte de lire un peu plus loin derrière le voile de fatigue, on aperçoit un noble fruit, une trame riche et une structure maintenue. Ce vin est plaisant à boire, mais il ne peut pas faire l’unanimité car il est évident qu’il eût dû être bu il y a quelques décennies. Mais l’ouvrir ce soir, c’est lui donner enfin la chance de s’exprimer. Les convives me font le grand plaisir d’entrer dans le monde de ce vin en essayant d’en percer les secrets.

La truffe noire est si divine qu’elle mettrait en valeur n’importe quel vin. Mais elle est honorée par de grands vins. Le Château Haut-Brion rouge 1948, d’une année rare parce que tous les 1948 ont été bus depuis longtemps, a la couleur d’un vin de moins de vingt ans. C’est d’ailleurs assez spectaculaire, comme si, pour deviser avec la truffe, il s’était habillé de noir. Là aussi, comme pour le 1904, il faut accepter de dépasser les signes de fatigue, pour retrouver la richesse d’un vrai Haut-Brion, que je n’aurais jamais imaginé à ce niveau de puissance. C’est un beau grand vin, si l’on dépasse sa légère fatigue. Les votes montreront que la table en est capable.

De fatigue, le Château Pichon Longueville Comtesse de Lalande 1921 n’en a pas le moins du monde. Ce vin est beaucoup plus jeune que son puîné de vingt-sept ans ! Il a tout pour lui. Il n’a pas de défaut, son parfum est envoûtant, très féminin. En bouche il est presque doucereux tant il est charmeur. C’est un immense témoignage d’un très grand millésime. Sa longueur en bouche est spectaculaire.

Le Nuits-Saint-Georges Camille Giroud 1928 est très clairet en haut de la bouteille, la densité se trouvant dans le dernier tiers. Ce bourgogne est charmant, apaisant, donnant de la Bourgogne une image colorée. A ses côtés, la couleur du Grand Chambertin Sosthène de Grésigny 1913 est beaucoup plus dense. Si le Nuits est plus aimable, le Chambertin est plus profond. C’est un grand vin que j’ai eu souvent l’occasion de boire et qui n’est jamais pris en défaut. Ces deux expressions de la Bourgogne sont réjouissantes, mais plus « faciles » que les témoignages raffinés du bordelais.

Le Château Rayne-Vigneau Sauternes 1914 est servi avant le plus jeune sauternes car il a « mangé » son sucre et serait plus difficile à comprendre après l’Yquem. Ce vin de 1914 est subtil et délicat. Il joue dans les nuances fines. Le fougeru est intéressant, mais il est préférable de boire ce vin seul pour en saisir toutes les nuances diaprées. Le Château d’Yquem 1986 est maintenant d’une belle maturité. C’est un Yquem classique et rassurant. Sa cohabitation avec les litchis et fruits rouges est tout à fait possible, mais avec le sorbet, c’est trop difficile pour moi.

Un ami fidèle, lors d’un repas précédent avait fait de l’humour sur les vins que l’on achèterait à Félix Potin, symbole d’une distribution surannée. Pour répondre à son humour, j’ai apporté une « eau de vie Félix Potin » qui doit avoir au moins 80 ans, si je me fie au bouchon complètement rétréci dans sa partie basse. Je décachette la capsule où est écrit : « exigez le timbre Félix Potin », et, ce qui pourrait être perçu comme un gag devient une leçon. Cette eau de vie est une merveille. Lorsque je l’ai fait goûter à Christophe, notre sommelier, il n’en est pas revenu. Comment une telle eau de vie peut-elle être aussi raffinée ? Est-ce seulement l’effet de l’âge ? Qui pourrait prétendre qu’il ne se passe rien pour les alcools en bouteille ? Nous sommes tous estomaqués, et malgré l’heure tardive et ce repas copieux, il y a eu du « revenez-y » ! L’alcool n’a pas été inclus dans les votes, mais il aurait fait carton plein.

Les votes de ce soir sont ma fierté, oserais-je dire si j’étais pompeux, mon triomphe. Car les onze vins figurent tous dans les votes, alors qu’on ne vote que pour ses quatre préférés. Encore plus fort, six vins ont eu l’honneur d’être au moins une fois nommés premiers d’un vote. Encore plus fort, dans le vote du consensus, on retrouve les deux bordeaux qui avaient des signes de fatigue ce qui montre que mes convives ont su – comme il convient – dépasser les petites imperfections qui pourraient masquer l’essentiel. Ce soir la table était experte.

Le Pichon 1921 a eu quatre votes de premier, le Haut-Brion 1948 deux votes de premier, le Perrier Jouët 1966, le Beauséjour 1904, le Nuits 1928 et l’Yquem ayant chacun un vote de premier.

Le vote du consensus serait : 1 – Château Pichon Longueville Comtesse de Lalande 1921, 2 – Château Beauséjour 1904, 3 – Château Haut-Brion rouge 1948, 4 – Grand Chambertin Sosthène de Grésigny 1913. C’est intéressant de constater que les trois bordeaux sont aux trois premières places. C’est une première.

Mon vote : 1 – Château Pichon Longueville Comtesse de Lalande 1921, 2 – Champagne Moët & Chandon Brut Impérial 1975, 3 – Champagne Perrier Jouët Blason de France 1966, 4 – Grand Chambertin Sosthène de Grésigny 1913.

La cuisine d’Alain Dutournier est parfois un peu complexe pour des vins aussi vieux (nous avons eu 1904, 1913, 1914, 1921 et 1928..), mais elle produit des saveurs miraculeuses, comme l’huître, le homard ou la sublime truffe agencée comme ces sphères d’ivoire incrustées les unes dans les autres. Dans une atmosphère particulièrement joyeuse, fervente et amicale, nous avons passé une mémorable soirée.

130ème dîner de wine-dinners – les vins jeudi, 25 mars 2010

Champagne Bollinger Vieilles Vignes Françaises 1999

 

 

Champagne Perrier Jouët Blason de France 1966

 

 

Corton Charlemagne Bouchard Père & Fils 1997

 

 

Château Haut-Brion rouge 1948 (on remarque que ce vin était distribué à Madrid par P. Pecastaing. De telles étiquettes ne veulent pas forcément dire que le vin est allé à Madrid)

 

 

Château Pichon Longueville Comtesse de Lalande 1921

 

 

Château Beauséjour Saint-Emilion (basse) 1904

 

 

Nuits-Saint-Georges Camille Giroud 1928

 

 

Grand Chambertin Sosthène de Grésigny 1913 (on note les irrégularités du verre de la bouteille soufflée)

 

 

Château d’Yquem 1986

 

 

Château Rayne-Vigneau Sauternes 1914 (l’année se lit sur le bouchon, mais c’est assez difficile de le rendre net sur la photo)

 

 

 

130ème dîner de wine-dinners – photos jeudi, 25 mars 2010

Photos de groupe des bouteilles du dîner (il manque le champagne Moët & Chandon 1975 ajouté en cours de repas

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Le bouchon du Rayne Vigneau 1914. Un ami m’a raconté l’anecdote suivante : pour faire des économies, les propriétaires du château ont fait imprimer une grande quantité d’étiquettes sans année. Le bouchon est donc la preuve du millésime

les plats du dîner :

Huîtres de Marennes, caviar d’Aquitaine et algues marines

Le homard bleu vapeur, royale coraillée, pince en rouleau croustillant, julienne potagère, herbes parfumées – nougatine d’ail doux

La belle truffe noire entière a l’étouffée – foie gras de canard snacké (pas de photo hélas)

La caille des prés en fine croûte de noisettes, chartreuse d’asperges vertes cromesquis de raisins

Fougeru briard affiné a la truffe

Macaron a la rose, fraises des bois andalouses et litchis

J’ai ajouté cette délicieuse eau de vie. On note que cette eau de vie est le trois de trèfle ! La capsule indique : "exiger le timbre Félix Potin"

le joli cadeau d’Apollonia Poilâne, pour immortaliser ce dîner, en forme de bouteille, avec cet écusson en pain :