le premier jour du nouveau chef du Crillon mercredi, 14 avril 2010

Après le départ de Jean-François Piège du restaurant du Crillon, la belle salle aux stucs imposants était bien triste. Je voulais être là le jour où le successeur serait trouvé. On m’indique la date et une table est réservée pour mon épouse et moi. Lorsque je me présente le premier jour du nouveau chef, Antoine Pétrus me dit : « nous vous attendions ce midi, un champagne était au frais pour vous ». J’avais omis de demander l’heure tant il me paraissait évident qu’une ouverture se fait à l’heure des opéras. En attendant ma femme, j’ai le temps de consulter la très exhaustive carte des vins, où je déniche quelques bonnes pioches possibles à côté de prix fortement dissuasifs, rendant les premiers grands crus de Bordeaux quasiment inaccessibles, et donc réservés à une clientèle fortunée de passage.

Il fait beau, j’attends ma femme sur le seuil de l’hôtel, observant les allées et venues de passants et touristes tous pendus à leur téléphone portable, ne portant aucun regard à l’une des plus belles places du monde.

Nous entrons dans la belle salle très surchargée mais au cachet inimitable, et Antoine apporte dans un seau une bouteille de champagne Selosse « V.O. » dégorgée le 23 octobre 2007. Le champagne est d’une couleur fortement ambrée pour son âge, mais c’est le style Selosse. Le nez est de belle personnalité, la bulle est fine et délicate et la première gorgée donne une impression cistercienne, monacale. Car la charpente est forte mais le vin est peu enveloppé et ne parle pas beaucoup. Il commence à discourir sur le petit amuse-bouche, une huître perle noire de Cancale avec une émulsion de pommes granny-smith et des copeaux de céleri. L’accord est intéressant, car le picotement de la pomme verte excite le champagne qui prend de la largeur et adopte l’iode de l’huître.

Nous étudions le menu et à ma grande surprise, ma femme choisit le menu dégustation, ce qui n’est pas dans ses habitudes. Ses désirs seront des ordres et je ne chercherai donc pas la pertinence absolue des accords avec le vin que j’ai choisi, un Chambertin Armand Rousseau 1999. Antoine me le fait goûter dans sa fraîcheur, juste sorti de cave. L’attaque est juvénile puisque le vin est frais, mais ce qui est impressionnant, c’est la longueur invraisemblable de ce vin au sortir de la cave. Chapeau bas, car c’est un signe de grandeur. Le menu est ainsi présenté : Le caviar impérial de Sologne, transparence de brocolis et crème acidulée / La morille, farcie au jambon ibérique, écume de noisette / La langoustine rôtie, fenouil craquant, jus corsé au yuzu / Le pigeon de Vendée en deux services, oignons grelots façon Tatin, les cuisses en ravioles dans un bouillon / Tarte aux fraises gariguette glacées, accompagnée de crème au citron / Le Finger chocolait, glace à la banane, croustillant noisette et mousse « Jivara ».

Le caviar est d’une qualité rare. Le brocoli est très original. La salinité du caviar donne au champagne Selosse une ampleur spectaculairement démarquée de ce qu’il offrait jusqu’alors. Il faut donc des goûts salins pour que ce champagne prenne son envol. Le jus de la morille est parfait, idéal pour prendre la vraie mesure du chambertin. Sur ce jus, le nez du chambertin est à se pâmer. Le vin est d’une sensualité sans égale. Le jambon n’est pas dominant ce qui est bien. Le plat est très équilibré et c’est le jus qui propulse le vin rouge dans la cinquième dimension.

La langoustine est cuite au millième de seconde près. Elle est divine. Le fenouil est cohérent, la sauce est parfaite. Le plat est réussi dans sa simplicité. Pour que le chambertin puisse être apprécié, il faut qu’il soit bu sur la mémoire de la sauce. La chair de la langoustine me conquiert. La réaction du chambertin sur le yuzu, c’est plutôt spécial, mais ça excite le palais. L’idée qui me vient à ce stade du repas, c’est que la cuisine du chef, c’est du John Wayne : on sait que ça ne peut qu’être gagnant. Car il y a de grands produits, une recherche de simplicité et de lisibilité, avec une exécution parfaite. C’est la clé du succès.

Le pigeon de cuisine traditionnelle est parfait et le chambertin devient follement bourguignon. Mais le vin est obligé de se battre, car la personnalité du pigeon est dominante : c’est lui qui mène le bal sur les papilles. Sans doute vexé, le chambertin se met à jouer profil bas, perd de son velouté, et devient sculptural, maigrelet. C’est assez incroyable, car il retrouve tout son charme sur le bouillon et les ravioles, car là, il peut s’imposer comme dominant. On dirait qu’il nous a joué le jeu de la jalousie. La légère salinité du bouillon excite tout le talent du vin et je me suis amusé à décortiquer le jeu de rôle que ce grand vin a si fortement vécu avec les plats. A ce stade, l’amertume bourguignonne prime sur la rondeur. Le vin est sans concession et je l’adore quand il est rebelle comme cela, même si j’ai été ému par sa longueur quand il était froid. Le Selosse est revenu en scène pour les desserts.

Christopher Hache, le nouveau chef est tout jeune et souriant. Ayant travaillé à la Grande Cascade, auprès d’Alain Senderens et d’Eric Fréchon, il a choisi une voie prometteuse de succès, fondée sur la lisibilité de plats cohérents. La morille, la langoustine sont des plats de grande cuisine. L’ouverture du restaurant ce jour s’est faite sans tambour ni trompette pour que le chef puisse vérifier si ses choix sont appréciés. Le bouche à oreille va très rapidement remplir la salle, car nous tenons avec Christopher un chef promis à tous les succès. Ma femme a envie de revenir vite. C’est un signe qui ne trompe pas.

dîner au Crillon – photos mercredi, 14 avril 2010

Champagne Selosse « V.O. » dégorgée le 23 octobre 2007

Huître perle noire de Cancale avec une émulsion de pommes granny-smith et des copeaux de céleri

Chambertin Armand Rousseau 1999

Le caviar impérial de Sologne, transparence de brocolis et crème acidulée

La morille, farcie au jambon ibérique, écume de noisette

La langoustine rôtie, fenouil craquant, jus corsé au yuzu

Le pigeon de Vendée en deux services, oignons grelots façon Tatin, les cuisses en ravioles dans un bouillon (pas de photo du bouillon et ravioles)

Tarte aux fraises gariguette glacées, accompagnée de crème au citron

Le Finger chocolait, glace à la banane, croustillant noisette et mousse « Jivara »

déjeuner d’amis au yacht Club de France mercredi, 14 avril 2010

Une fois de plus, notre petit groupe de conscrits se retrouve au siège du Yacht Club de France pour déjeuner. La cuisine vient de franchir une étape significative, car nous avons excellemment mangé. Le menu est ainsi rédigé : rôti tiède de langouste, crème de Dulce, asperges vertes juste pochées, salade de tétragone cornu / carré de veau de lait, réduction aux morilles, fleurs de courgettes, frites de patates douces, millefeuille de légumes du soleil / fromages Alléosse / savarin aux fraises parfumé au thé à la menthe. Tout fut bien exécuté.

L’apéritif se prend sur un champagne Laurent Perrier non millésimé qui se boit gentiment quand on est de bonne humeur, et nous le sommes. La langouste est accompagnée d’un Pouilly-Fuissé Vincent Girardin 2007 bien gouleyant et joyeux. Le Château Lynch Bages 1997 est scolaire. Il est techniquement au point, mais fait un peu « question de cours », engendrant peu d’émotion. Il met donc en valeur le Cos d’Estournel 1996, charpenté, de forte personnalité, vin qui a une âme. Dans une atmosphère joyeuse, voire dévergondée, nous continuons de recréer le monde avec une impertinence que notre âge nous permet.

Aujourd’hui, au Petit Nice, j’ai bu le plus grand vin du monde mardi, 6 avril 2010

Aujourd’hui, au Petit Nice, j’ai bu le plus grand vin du monde. C’est vrai que chaque fois que je bois un grand vin, c’est, au moment où je le bois, le plus grand vin du monde. Mais il y a des échelons, des nuances dans ce Panthéon et aujourd’hui, même si j’ai eu la chance d’aborder quelques vins parmi les icônes les plus rares de l’histoire du vin, j’ai tutoyé la perfection.

L’histoire commence il y a deux ans. Je déjeune avec mon épouse au Petit Nice et je repère un vin qui m’attire. Quand le prix d’un vin est de l’ordre de grandeur – voire plus bas – du prix que je paierais aujourd’hui pour l’acquérir, je mets un point d’honneur à le commander. Il faut encourager les restaurants dont la tarification est accueillante. J’ai détecté cette pépite après le déjeuner, lorsque j’ai consulté plus attentivement la carte des vins, et j’ai demandé à José Pottier de me garder la bouteille.

Le temps a passé. Soit j’estimais que les convives avec qui nous venions au Petit Nice ne comprendraient pas ce vin, soit nous n’étions pas d’humeur. De plus la crise est passée par là, mettant un frein à mes désirs de folie. Une fenêtre de tir se présente, je réserve une table au restaurant Le Petit Nice, et je demande qu’on prévoie la bouteille. J’envoie un mail pour demander que Gérald Passédat pense bien à préparer son menu en fonction du vin, qui mérite des accords parfaits.

La veille, José m’appelle et me demande s’il faut ouvrir la bouteille avant mon arrivée. J’indique que je souhaite voir l’éclosion du vin. La bouteille sera ouverte au dernier moment. Le matin José m’appelle à nouveau et me dit que Gérald souhaiterait goûter le vin pour préparer son menu. Je demande que l’on m’attende pour que les choix soient faits.

A l’heure dite, par un beau soleil de printemps, la Corniche de Marseille surplombe une mer légèrement agitée par une petite brise. La couleur des flots est vert émeraude. La bouteille est sur une petite table, portée par un panier de service. Pour préparer ma bouche, je demande à José d’avoir une coupe de champagne. C’est un Champagne Fleury, fleur de l’Europe non millésimé, fait à partir de pinot noir en majorité, élaboré en biodynamie. Le champagne est très pur, très peu dosé, et se marie bien avec les multiples petits amuse-bouche.

Pendant ce temps, je vois le sommelier qui ouvre la bouteille, se sert un verre et commence à le goûter. J’ai horreur de cela. Car à un certain niveau de vin, le centilitre vaut cher. Et, par un vieux réflexe grippe-sou, même si j’aime bien donner et partager, je n’aime pas que l’on me taxe d’un impôt retenu à la source. Car au prix du marché, la ponction du sommelier frise le billet vert de nos euros. Et j’estime – est-ce de la vanité – qu’à ce niveau de vins, mon avis sur le vin vaut bien celui du sommelier.

Je m’approche de la table et je verse un verre à Gérald Passédat afin que nous prenions connaissance de ce trésor. Je ne ferai pas durer plus longtemps le suspense, il s’agit de La Tâche, Domaine de la Romanée Conti 1990. La bouteille est à température parfaite. Le nez est exemplaire de suavité, de délicatesse comme un bouquet de roses. En bouche, c’est la perfection du Domaine de la Romanée Conti. Il y a le charme, il y a la délicate amertume saline mais à peine esquissée, et il y a une subtilité mariée à une complexité romantique. Tout est réuni pour que Gérald se surpasse. Nous échangeons deux ou trois mots. Je demande s’il y a un pigeon. On me répond que le repas sera tout au poisson. Gérald indique deux ou trois pistes que j’avais d’ailleurs repérées sur la carte, puis il me dit : « à moi de faire. Vous aurez quatre plats ».

Nous finissons l’apéritif au salon et nous passons en salle. Notre table est à l’aplomb de l’eau, avec une vue d’une rare beauté. Ce lieu est merveilleux. On m’a gardé le verre qui avait servi à taster le vin et, confortablement assis, je me mets à boire. L’image qui me vient à l’esprit est la suivante : à Versailles, la chambre du roi richement meublée et décorée est séparée du public par des barrières dissuasives qui ne masquent pas la vue. Au moment où je bois en rêve, les barrières sont enlevées, je suis seul, pieds nus, et je jouis du contact qu’ont mes pieds avec les tapis de la Savonnerie de cette vaste chambre royale, tout en me délectant du nectar. Ce vin est royal. Il y a deux jours, j’ai bu deux Côtes Rôties La Turque de Guigal, une 1997 et une 2000, que j’ai adorées pour leur générosité joyeuse. Ici, je passe du statut de comte au statut de roi. Car ce vin a tout. Il est subtil, complexe, délicat, romantique, avec une longueur qui n’en finit pas de iodler les complexités. Rien ne s’arrête, et mon plaisir est un plaisir serein, celui que l’on ne veut pas ébruiter pour qu’il ne s’échappe pas. Je suis paralysé de bonheur, et je prends conscience qu’il y une échelle dans la perfection qui n’a plus de limite avec cette Tâche 1990.

Le menu préparé par Gérald Passédat est ainsi conçu : les amuse-bouche gourmands / tourteau rôti entier au poivre, mélange mandarin, légumes sautés, araignée de mer / le loup à l’endoumoise, aubergines Barthélemy / gallinette de palangre aux sucs réduits de sa chair / les rougets de roche, jus d’entrailles comme une bécasse de mer / les fromages affinés / l’avant dessert / de fines gaufrettes croquantes et entremet minute / mignardises maison.

L’amuse-bouche comporte des asperges de Pertuis et une pince de homard. Le vin fait ses vocalises avec ces saveurs. Nous nous exerçons pour les accords à venir. Le tourteau est enduit d’un délicat et discret cacao et l’accord est absolument magique. Car le doucereux de la chair tendre mais intense excite le poivre du vin. C’est magique. Chaque plat est accompagné à sa gauche d’une petite assiette qui présente une saveur complémentaire parfois hasardeuse. Je suis prudent pour ne pas effrayer le vin, mais j’ose essayer de le goûter après un fond de sauce de roquette. Il faut oser ! Et je constate que cela fait apparaître la rectitude du vin. Il est moins long, mais affiche plus de matière en milieu de bouche.

Le loup est magnifiquement présenté, avec une douceur de chair rare. Et sa subtilité épouse celle du vin. Je prends un peu de jus de bœuf seul avec le vin et c’est miraculeux. Le loup est doucereux et La Tâche le lui rend bien. Ce vin est un miracle.

A ce stade, je demande qu’on apporte un seau d’eau pour rafraîchir le vin. Je fais enlever les glaçons, l’eau froide devant suffire.

La gallinette est très virile, très typée. Au début, la cohabitation surprend. L’accord est difficile, mais le palais se fait et ce qui est amusant, c’est que cela donne au vin un aspect beaucoup plus vieux. Il devient années 30 et plus précisément 1933. C’est cette image de 1933 qui s’impose pour moi, car j’ai partagé un Richebourg du Domaine de la Romanée Conti 1933 récemment avec Aubert de Villaine. Le jus de céleri crée un accord de rêve et le poisson se met à jouer le jeu, donnant au vin une belle rondeur par un accord de compensation.

Le vin change au fil du temps. Il s’est épanoui, prend de la rondeur, devient plus civilisé, et j’avoue que cela me plait moins. Les vingt premières minutes pendant lesquelles La Tâche était dans la fragilité de son réveil étaient sublimes. Le vin devenu plus sénatorial excite moins ma curiosité.

Le rouget est délicieux. La sauce aux entrailles ne permet pas à la chair d’accrocher le regard du vin. C’est le moins bel accord jusqu’à présent. Il y a dans la petite assiette latérale un petit rouget au jus à l’anis étoilé. Je fais goutter les filets pour avoir la chair pure, et là, le vin répond. Le rouget « menthole le vin », donnant cet aspect frais et mentholé que peuvent avoir certains bourgognes comme Clos de Tart par exemple. La petite galette au foie de rouget culbute le vin.

La cuisine de Gérald Passédat est absolument talentueuse. Mais il a présenté ses plats comme il le ferait pour d’autres vins. La grande complexité des recettes, ne livrant que rarement les chairs pures, n’a pas atteint au cœur le vin transcendantal. Mais il suffit que les accords rencontrés aient mis en valeur l’un des vins les plus raffinés que j’aie eu le plaisir de goûter pour que le plaisir soit complet. Les accords les plus beaux sont celui de la pince de tourteau au cacao, puis le jus de bœuf du loup, puis la gallinette avec son jus de céleri.

Des fromages ont permis d’accompagner le vin. J’ai offert un verre pour que le personnel de service puisse approcher la perfection vineuse la plus absolue. Et j’ai fini le dernier verre, plus lourd d’un début de lie sur la terrasse, face à la mer.

Un repas sans surprise, ce n’est pas un repas. En voici deux. Alors que je cherchais le point d’accroche entre les rougets et le vin, voici que l’on sert à une table voisine de superbes côtes d’agneau ! Pourquoi donc ce repas sans agneau ? Pourquoi se compliquer la vie alors qu’un accord parfait était possible ?

La seconde n’est pas mal non plus. Ayant réservé La Tâche il y a deux ans, je guettais toujours l’instant où je pourrais honorer mon engagement. En fin de repas, José me dit : « je n’avais qu’une La Tâche. Et il se trouve que je l’avais vendue. Aussi, quand vous avez réservé, j’ai téléphoné au Domaine de la Romanée Conti pour qu’on me dépanne, et ce fut fait ». La vie est un long fleuve qui n’est pas toujours aussi tranquille qu’on veut le dire. J’ai voulu honorer une promesse qui n’était plus à honorer. Comme dit Edith Piaf, je ne regrette rien.

Il reste de ce beau repas des instants de bonheur pur. Le cadre est magique, la vue sur la mer étant un spectacle continu sur l’infini marin. Le service est attentif et même attentionné. Gérald Passédat est un grand artiste des poissons et en extrayant la colonne vertébrale de ses recettes, La Tâche a su le reconnaître et se sublimer. Et enfin il y a La Tâche 1990, un des sommets du vin essentiellement par un raffinement où tout est dosé comme le plus élégant des textes de l’amour courtois. Oui, aujourd’hui, j’ai tutoyé la perfection du vin.

dîner de Pâques chez des amis dimanche, 4 avril 2010

Le soir même, nous finissons de fêter Pâques chez des amis. Nous commençons à goûter un Champagne Charles Heidsieck mis en cave en 1996, qui est un assemblage de quelques années antérieures. Le champagne est d’un bel or frais. Sa bulle est active. Il est résolument jeune, avec un charme serein. A côté de lui, le Champagne Veuve Clicquot brut 1976 fait entrer dans un monde nouveau. La couleur est plus ambrée, le parfum est subtil, mêlant le minéral et la douceur de fruits jaunes. La bulle est plus rare mais le pétillant est intact. En bouche, une trace évoque une vieille armoire ou le gris des greniers, mais en arrière-plan, un joli fruit discret donne une grande élégance. Il faut le boire religieusement.

Sur du jambon enserrant un fagot de haricots verts, le Château Simone, Palette 2006 est d’une belle jeunesse. Il ne joue pas trop fort, apportant la joie brute de sa jeunesse. Sur de beaux pagres la Côte Rôtie La Turque Guigal 2000 explose de joie. Le Palette sert de faire-valoir, tant la puissance du vin du Rhône est spectaculaire. Ce vin, beaucoup plus affirmé que le 1997 du déjeuner est un hymne au bonheur. Le vin accompagne aussi des fromages variés.

La tarte aux fraises accueille un Champagne Ruinart brut sans année qui est fort courtois à cet instant du repas, champagne de soif bien dessiné. Un Klein Constantia d’Afrique du Sud 2002 titrant 13,5° donne des notes doucereuses bien dosées qui m’évoquent les trésors que pouvait donner ce vin il y a deux siècles. La renaissance de ce vin mythique, dont les vignes ont été déplantées pendant un siècle me semble convaincante, si l’on prend le soin d’accorder au vin un long passage en cave, pour qu’il capte les vertus que l’âge peut lui donner.

Ça chauffe pour l’agneau pascal ! dimanche, 4 avril 2010

C’est Pâques, il fait froid. La pluie empêche de cacher des œufs sous les arbustes que les petits-enfants cherchent en riant ou en pleurant, selon leurs réussites. Ce n’est pas la même chose de chercher sous un rideau, un canapé ou un coussin que sous un laurier ou un abricotier.

Après une semaine de repos et de jeûne, une assiette de Pata Negra a autant de pouvoir que le bouton réservé au Président de la République pour actionner la Force de Frappe. Fort heureusement, la stratégie à long terme de la défense de notre territoire familial a prévu qu’il y ait au frais un Champagne Krug 1989. Quel beau champagne ! On imagine très volontiers que George Clooney aurait autant de pertinence à défendre ce champagne qu’il le fait pour une marque de café. Car en ce champagne, tout est facile et tout coule de source. C’est grand, circulez, il n’y a rien à discuter. Et l’astuce, c’est de le boire par millilitre. Plus on le rationne, et plus son caractère s’impose, avec une personnalité diablement affirmée.

Quand le four fait des siennes, même le jour de Pâques, les scènes de ménage poignent à l’horizon. A peine ai-je le malheur de dire que les épaules d’agneau ne sont pas cuites, qu’un retour cinglant me cueille et m’asphyxie : « toi, de toute façon, tu ne sais pas ce que c’est que la cuisine ». Ma fille risque un : « intéressants tes sushi d’agneau ». Mon gendre, plus diplomate : « on pourrait les poêler juste deux minutes ». Ce fut le point de départ d’une innovation culinaire : un agneau à basse température pendant quatre heures sur un four défaillant, saisi ensuite juste ce qu’il faut, cela donne une chair parfaite.

L’appel d’un vin rouge est évident. La Côte Rôtie La Turque Guigal 1997 est exceptionnelle. La première expression, sur le vin juste ouvert est celle du velouté. Tout est satin, tout est velours dans ce vin délicat, subtil, à l’expression mesurée. Ce vin suggère. Le vin change ensuite et des notes plus râpeuses apparaissent. Mais ce qui est une constante, c’est que le vin explose de jeunesse. Il est comme une esquisse de vin non encore assemblée et on l’aime pour cette naïveté juvénile. C’est un grand vin porteur de joie, comme il convient à Pâques.

La querelle sur la cuisson se met en basse température. Et ce sont les petits qui sont au centre de la joie familiale, soulignée par deux immenses vins.

une journée champenoise de folie grâce à P. E. Taittinger samedi, 27 mars 2010

On excusera, je l’espère, un rappel peu romantique, mais il est le point de départ de cette grande journée. C’est dans les toilettes d’un endroit public que je me trouve par hasard en même temps que Pierre-Emmanuel Taittinger. Après avoir satisfait les besoins que commande notre mère Nature, nous nous mettons à papoter. Pierre-Emmanuel Taittinger m’annonce qu’il reçoit prochainement un groupe d’américains et d’anglais qui sont de grands amateurs. Il m’indique que le déjeuner sera suivi du dîner de l’Ordre des Coteaux de Champagne. Pierre-Emmanuel Taittinger en est le président aussi me propose-t-il de me joindre au groupe anglophone au déjeuner, puis de m’introniser. Comme je le suis déjà, il me suggère que je monte d’un grade. Je donne mon accord, la chose est emballée et qu’on n’aille pas chercher dans cette expression une allusion quelconque à ce que nous faisions.

Le jour dit, je pars de chez moi pour me rendre à Reims. Peu de temps après mon départ, je prends conscience de l’absence de mon appareil photo. Je fais vite demi-tour, car il serait triste de ne pas avoir des souvenirs de cette grande journée. Cet oubli explique que lorsque j’arrive aux caves Taittinger, le groupe est déjà en cave. Une élégante hôtesse me conduit sous terre dans une salle carrée qui m’évoque un antique haut-fourneau, car la pièce est comme la partie vide d’une pyramide qui serait très haute et très étroite de la base au sommet. La salle est cernée sur ses bords par des alignements denses de bouteilles, presque jusqu’à hauteur d’homme, aux couleurs sombres, qui donne à l’aréopage présent l’image de comploteurs clandestins cachés dans un réduit obscur. Sur une table en bois, de grandes assiettes de jambon espagnol, de saucissons français et de boudin blanc sont une invitation pour un mâchon convivial. Il y a autour de la table Pierre-Emmanuel Taittinger, les six amateurs américains et anglais, un français ami de notre hôte, le chef des caves et des œnologues. Pierre-Emmanuel Taittinger nous annonce que nous allons goûter des Comtes de Champagne, que les américains appellent C.D.C., des années 1970, 1976, 1985, 1990 et le 2000, champagne qui n’est pas encore commercialisé. Les bouteilles sont dégorgées sur place, à la volée, et n’ont aucun dosage.

Le Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1970 est le premier que nous buvons, puisque Pierre-Emmanuel Taittinger aime que l’on goûte du plus vieux au plus jeune. Ce champagne est superbe de construction, de grande jeunesse du fait qu’il n’a jamais été dégorgé. Il est très strict, ne jouant en aucun cas sur le charme, et sa longueur est remarquable.

Le Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1976 est beaucoup plus flatteur et plus facile à comprendre. Il est généreux. Je demande à Pierre-Emmanuel Taittinger lequel des deux il préfère, et Pierre-Emmanuel Taittinger, pensant sans doute au consommateur final, dit qu’il préfère le 1976 alors que je préfère le 1970, beaucoup moins charmeur, mais plus racé et plus interpellant.

Le Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1985 est un très grand champagne. Son parfum est superbe. Nous sommes au niveau des très grands champagnes, et le saucisson est le faire-valoir idéal.

Le Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1990 est encore plus grand, d’une race extrême et d’un nez spectaculaire. Tom Black, restaurateur à New York ayant un amour particulier pour le 1996, ce champagne est ouvert. Une discussion s’instaure sur les millésimes les plus réussis de ces Taittinger et je suis impressionné par l’érudition gustative des membres de ce groupe, collectionneurs, restaurateurs, bistrotiers ou vendeurs du champagne qu’ils consomment à rythme soutenu. Bruce Fingeret affirme que ce champagne est, sur une période de cinquante ans, le plus consistant de tous les champagnes d’assemblage. Nous dissertons longtemps sur ce concept, en évoquant des concurrents possibles en termes de régularité. Les anglophones convaincus persistent et signent en faveur du champagne de notre hôte.

Le Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1996 est manifestement trop jeune dans cette présentation sans dosage. Il est un peu acide. Mais dès qu’il s’élargit dans le verre, on sent qu’il sera très grand, voire magnifique, même s’il est un peu raide maintenant. Si l’on ouvre le 1996, pourquoi ne pas comparer avec le 1995 ?

Le Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1995 est moins grand que le 1996, mais c’est un grand champagne. Le Champagne Comtes de Champagne Taittinger 2000 qui est une première pour Pierre-Emmanuel Taittinger qui ne l’a encore jamais bu, est manifestement « non fini ». Son nez est superbe, et sa bouche est encore dans les limbes. Pierre-Emmanuel Taittinger dit qu’il sera commercialisé probablement en 2011.

Nous remontons à l’étage des bureaux et Pierre-Emmanuel Taittinger dit à des hôtesses que le groupe qu’il accueille représente les plus grands acheteurs de ses champagnes à Londres et à New York. Nous nous rendons dans le grand bureau de Pierre-Emmanuel Taittinger riche de souvenirs de sa famille qui a compté dans l’histoire du pays. Devant la porte d’entrée de l’immeuble, une automobile Renault 1914 attend ses invités. Deux jeunes cadres de direction, qui nous avaient rejoints en cave et représentent le futur de la société, font démarrer l’antique moteur, et nous nous rendons en convoi vers un petit immeuble implanté au milieu des vignes.

Là, un repas a été préparé pour notre petit groupe par M. Lange, traiteur des « Saveurs du Sablon ». Avant de passer à table, nous buvons un Champagne Comtes de Champagne Taittinger magnum 1971. Je suis complètement estomaqué par ce champagne. Sa couleur est d’un jaune citron prononcé, qui indique bien qu’il n’y a aucune évolution vers des teintes dont l’or et l’acajou seraient des signes de mûrissement. Il n’y a plus aucune bulle et plus de sensation pétillante. C’est donc un vin que nous buvons, dont la qualité est incommensurable. Il est rare qu’un champagne ancien me fasse autant d’effet. Je suis conquis, ravi, anesthésié par cette perfection.

Nous passons à table et le menu élégamment composé est : la terrine de sandre aux asperges vertes / le grenadin de veau aux truffes / le gratin de poires en crumble. J’ai dans ma besace un Château Chalon Jean Bourdy 1947 que je souhaite partager avec le sympathique et enjoué groupe d’amateurs. La seule possibilité me semble être avec l’entrée. Je demande à mes nouveaux amis de croquer un peu d’asperge pour goûter ce vin jaune. Pour certains, c’est une découverte et pour d’autres une confirmation. Ce vin au parfum envoûtant est d’une force rare. Il est délicieux. Sur l’entrée, le vin du Jura est associé avec le Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1973 qui est une vraie merveille de champagne. Contrairement au 1971, celui-ci, dont la couleur est plus claire, a toute sa bulle. Il est merveilleux et d’une longueur infinie. Alors que pour d’autres champagnes une osmose s’était créée avec le Château Chalon ici, le champagne et le vin suivent des trajectoires qui ne se rencontrent pas. C’est intéressant mais pas fusionnel. Sur le grenadin de veau, nous goûtons deux vins. Un Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1975 qui est bon, mais un peu léger après l’éblouissant 1973, et un Château Cheval Blanc magnum 2004 dont la qualité m’étonne, car il est bien plus riche que l’image que j’en avais. Est-ce que la succession des champagnes prépare le palais à lui conférer de l’ampleur ? Ce n’est pas impossible. Sur le dessert, nous buvons un Champagne Comtes de Champagne Taittinger rosé 1999 qui est sans doute très bon, mais je ne suis pas un fan des champagnes rosés.

Après ce repas ponctué de rires et de complicité, nous repartons dans nos hôtels pour une sieste réparatrice. Il faut ensuite s’habiller, puisque le smoking est de rigueur. Le rendez-vous est au Palais de Tau, ancienne demeure qui jouxte la cathédrale, dans la salle où les rois se préparaient avant leurs couronnements. Cette haute salle aux statues royales de hauteurs impressionnantes, et aux lourdes tapisseries racontant des épisodes de l’histoire, Pierre-Emmanuel Taittinger, dans ses habits de commandeur de l’Ordre des Coteaux de Champagne, intronise, avec les dignitaires, une bonne vingtaine de nouveaux gradés. Je monte d’un grade dans la hiérarchie de l’Ordre et Pierre-Emmanuel Taittinger a la gentillesse d’un mot aimable en me présentant comme un égal de Robert Parker ! Jusqu’où va l’amitié !

Nous nous rendons ensuite dans une salle en sous-sol, qui est le cellier de l’évêché, situé en dessous de la salle d’apparat des réceptions de l’évêque. La salle est d’une beauté rare, avec des colonnes et des chapiteaux de grande élégance. L’apéritif est debout, avec des stands des champagnes de plusieurs dignitaires. Je goûte un Champagne Beauchamp Carte d’Or non millésimé qui est un peu dosé. Le Champagne Blanc de Blancs Delamotte non millésimé est plus dans la tendance de mes goûts, habitués aux subtilités de Mesnil-sur-Oger. J’ai devisé avec Didier Depond, président de Salon-Delamotte, et dignitaire de l’Ordre.

Le dîner est conçu et réalisé par le traiteur Franck Philippet et sa brigade : foie gras de canard, chutney de fruits aux raisins blonds / blanc de turbot, julienne de céleri et courgettes / filet d’agneau en croûte, cannelloni de champignons / moelleux au chocolat Guanaja, mirepoix de poires tièdes. Je l’ai trouvé d’une qualité rare pour un dîner de cette nature.

Le Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1999 est extrêmement plaisant et agréable sur table. Sa finesse est sensible et réconfortante. Le Champagne Femme Duval-Leroy 1996 m’apparaît moins structuré mais Pierre-Emmanuel Taittinger le juge meilleur que ce que j’exprime. Et lorsque le champagne s’épanouit, c’es vrai qu’il devient plus plaisant, sans avoir la grâce du vin du commandeur. Une très belle surprise est celle du Champagne Mumm Cuvée rené Lalou 1998 qui est un champagne racé et de grand plaisir. J’aime retrouver ce champagne dont j’ai adoré le 1979, qui avait disparu pendant peut-être une vingtaine d’années et revit aujourd’hui. C’est une belle idée que de l’avoir ressuscité. Le filet d’agneau est très goûteux, trouvant dans le Mumm un écho convaincant. Le Champagne Brochet-Hervieux brut rosé non millésimé attire de ma part le même commentaire que ce midi : il est peut-être bon, mais ce n’est pas dans les goûts que je cherche, car l’acidité du rosé occupe le palais.

Il était l’heure pour moi de rentrer au logis, à la fin d’une journée d’une grande densité. Des onze millésimes de C.D.C. bus aujourd’hui, je retiens, dans l’ordre : 1971 pour son côté extraterrestre et unique, 1973 pour sa pure définition, 1990 pour sa race, 1985 pour sa plénitude, 1996 pour sa promesse de perfection et 1970 pour son absence de concession.

Merci à Pierre-Emmanuel Taittinger pour sa générosité et son amitié qui m’a offert de grands moments et de grands vins.

dégustation du champagne Taittinger – photos samedi, 27 mars 2010

Dans la cave, règne une atmosphère de conspiration

Conspirer ne veut pas dire que l’on s’impose le jeûne

dans cette impressionnante cave, tout le millésime 2000 du Comtes de Champagne

le pain et le vin

j’aurais préféré goûter un champagne de 1914 que de suivre cette automobile Renault 1914, qui roule !

le merveilleux Comtes de Champagne Taittinger 1971

le château Chalon 1947 fait presque rose sur la photo

magnum de Cheval Blanc 2004

Chateau Chalon Jean Bourdy 1947

chamapgne rosé de fin de repas après les blancs de blancs

Ordre des Coteaux de Champagne samedi, 27 mars 2010

La cathédrale de Reims est royale !

Le Grand Conseil de l’Ordre des Coteaux de Champagne dont le président au centre est Pierre Emmanuel Taittinger

L’assistance est attentive dans la salle aux souvenirs royaux

Le magnifique cellier où se tient le dîner