Cancun, suite et presque fin vendredi, 22 janvier 2010

Les dauphins ont bon dos !

 

21 janv.-10

 

Après Chichen Itza, le programme du voyage mis au point avec l’agence de voyage est fini. Malgré l’envie que nous avions de ne plus dépendre d’horaires, j’ai pris un nouveau rendez-vous.

 

Mais, comme disait le regretté Philippe Seguin, quand ça veut pas, ça veut pas.

 

J’étais allé après le dîner prévenir la réception que nous appellerions pour le petit-déjeuner, à l’horaire de notre choix. On imagine ce qui s’est produit. A 6h30 du matin, je reçois un appel de France qui me réveille, d’un ami qu’autrement j’aurais traité avec délicatesse. Je me rendors et à 7h30, on toque à la porte. C’est le petit-déjeuner. La journée commence mal.

 

Le taxi que l’hôtel m’avait réservé et commandé devait me prendre à 10h20, pour un rendez-vous à 10h30. A l’heure dite rien. Lorsque 10h30 est déjà passé, l’hôtel me promet un taxi dans trois minutes, pour un trajet qui prend cinq minutes.

 

Le taxi vient sept minutes plus tard et le trajet dure un quart d’heure. On imagine mon stress, car ce à quoi je m’étais inscrit, c’est une heure de nage avec des dauphins. Nous arrivons dans un ensemble de vacances absolument gigantesque. Les voitures sur trois rangs patientent à l’entrée au contrôle, en formant des queues comme celles au péage lors d’un retour de week-end. Je serais prêt à manger le skaï de mon siège.

 

J’arrive enfin à la réception pour la nage avec les dauphins et le trajet qu’il faut faire pour être enfin en mesure d’intégrer le groupe est ubuesque. On est baladé d’un immeuble à un autre. Quand je paie, le préposé n’a plus de rouleau de papier dans son terminal carte bleue et je commence à me demander si je ne vais pas payer deux fois. Tout prend un temps fou et j’ai bien peur d’être en retard.

 

J’ai l’air malin, quand, ayant vu la mer ce matin très agitée, j’ai demandé à l’hôtel si cela n’influencerait pas la nage. Car devant nous, il n’y a que des bassins un peu plus grands que des piscines, où, malgré le vent, pas la moindre vaguelette ne se forme.

 

Silke m’a accompagné pour immortaliser mes acrobaties. Elle va attendre à la terrasse d’un café ce qui ressemble à un gigantesque attrape-nigauds. Le moniteur en chef fait un discours à une soixantaine de personnes, avec cet humour lourd de ceux qui savent. Ensuite le groupe se scinde et je suis dans un groupe d’une douzaine de personnes. Nous allons à pied sur une île artificielle pour regarder une vidéo de présentation de ce que nous allons faire. Avant de la lancer, notre moniteur fait de l’humour : « lorsque vous allez nager au milieu des requins » « euh, pardon, non, ce n’est pas pour vous ». On voit le niveau. Le contenu de la vidéo pourrait être compris en deux minutes, mais la vidéo en prend vingt. Et, pour nous expliquer que des photos seront prises, car la machine à fric fonctionne à plein régime dans cette marina, il faut dix minutes de plus.

 

Alors que la séance fait une heure, en voici la moitié qui est consommée. Nous arrivons dans notre bassin et le moniteur nous indique les noms des deux dauphins qui vont nager avec nous. Et des membres du groupe se mettent à poser des questions. Je rêve. Nous entrons dans l’eau et à côté de moi, il y a un moniteur qui dit qu’il y a dans le bassin de jeunes dauphins qui sont en apprentissage. Il demande qu’on ne les touche pas car ils ne connaissent pas la valeur de nos signes. Comment reconnaître un jeune dauphin d’un vieux, je ne sais, car à un moment un jeune me mordilla la main, ce qui fait une drôle d’impression.

 

Qu’avons-nous fait ? Caresser les dauphins sur la tête et sur le ventre. Leur embrasser le bout du nez pour que le photographe puisse s’acheter une nouvelle Cadillac. Se mettre en cercle pour que les dauphins se fassent caresser en continu. Enfin, les deux seules activités physiques : mettre les bras en croix, saisir les ailerons de deux requins qui nous tirent sur plusieurs mètres. Et, le plus spectaculaire, se faire pousser les pieds par deux dauphins, qui nous soulèvent et permettent que l’on ait l’impression de marcher sur les eaux.

 

C’est charmant, mais c’est un peu mince. J’imaginais que je nagerais à côté d’un dauphin en créant une complicité. Or ici, c’est une usine ou un cirque. On vous vend une impression fugitive, et non pas une rencontre avec un dauphin.

 

Ce n’est pas inintéressant, c’est évident. Mais on sent l’usine à fric, le côté cabaret et rien de plus. Une fois que chacun a fait ses petits exercices, nous sortons en applaudissant les dauphins qui font des bonds spectaculaires, et nous sommes conduits dans une salle de projection pour regarder la vidéo de nos exercices. Chacun rit de lui-même et des mimiques des autres. Ce temps supplémentaire permet au photographe de faire un tirage papier des photos qu’il a prises. On passe à la caisse, une fois de plus.

 

Nous attendons le taxi de retour, commandé à l’arrivée, et de taxi, il n’y en a pas. C’est une navette pourrie qui nous raccompagnera à l’hôtel.

 

Nous allons déjeuner au petit restaurant de l’hôtel qui est face à la mer et aux deux piscines. Des kite-surfs fendent l’eau, dirigés par des mains expertes. Les vagues sont très fortes. La nourriture est bonne, différente de celle du restaurant du soir.

 

Je vais faire une séance de hammam aux senteurs délicates et à 17h00, aussi bien Silke que moi, nous nous faisons masser dans le spa de l’hôtel. Les senteurs, les huiles, les essences créent un climat de relaxation. Ma masseuse doit avoir été championne de bras de fer, car elle tord mes muscles avec la puissance d’un rouleau compresseur. Mais le massage est efficace. Son diagnostic final à mon égard : « de temps en temps, vous devriez vous dire que tout va bien ». Apparemment, mon corps parle de façon explicite.

 

Revenu, zen, fourbu mais pas cassé, j’ouvre mon ordinateur qui n’accepte plus la connexion internet du réseau de l’hôtel. Habitué aux problèmes informatiques qui se concentrent sur moi comme les vautours sur la viande morte, je suis d’un calme olympien lorsqu’un préposé de l’hôtel arrivé avec retard semble impuissant à réparer.

 

Nous n’allons quand même pas gâcher les dernières vingt-quatre heures d’un voyage épique autant qu’unique – du moins pour nous -.

 

Après le dîner sans histoire, retour dans la chambre. L’internet marche de nouveau. Demain il faut faire les valises. Ça sent le retour.

 

Cancun – suite et Chichen Itza jeudi, 21 janvier 2010

Voyage de Silke et François Audouze janvier 2010

 

Ce compte-rendu de voyage a été rédigé pour garder la mémoire des événements qui nous ont marqués. Il n’a normalement pas sa place sur le blog, puisqu’on n’y parlera pas de vin. Il ne sera pas inclus dans les bulletins. Il a été mis dans l’année 2001, pour ne pas dévier du contenu qui est destiné au vin.

 

Suite des visites mexicaines.

 

19 janv. 10

 

Le dîner du 18 fut aussi sympathique que le précédent et le service est très prévenant. Le petit-déjeuner arrive à l’heure, ce qui est agréable. A 8h00, nous rencontrons Juan Carlos, notre guide et Ernan notre chauffeur. Nous partons visiter le site maya de Muyil situé dans une réserve de la biosphère. Au moment où nous nous arrêtons sur le site, il n’y a personne. Pas l’ombre d’un touriste. Bien sûr, cela s’explique par le fait que le site archéologique est assez mal conservé. Mais le fait d’être seuls face à ces monuments donne beaucoup plus d’émotions que sur les sites noirs de monde.

 

Après avoir visité des monuments et avoir pu, pour la première fois, entrer à l’intérieur de maisons, car il n’y a pas de cordes pour canaliser la foule, nous nous engageons sur un sentier pédestre dans une jungle protégée. C’est la réserve Sian Ka’an qui, en maya, veut dire : l’origine du ciel. Il fait chaud et humide, les espèces sont extrêmement nombreuses et cela fait forcément penser à la Vallée de Mai, aux Seychelles, qui est l’un des seuls sites au monde où la végétation n’a jamais subi l’influence de l’homme. Ici, cette jungle y fait penser. Il y a un mirador de 25 mètres de haut que le guide nous suggère d’escalader pour voir la canopée. On monte par des échelles. Ayant fait l’ascension de la plus haute pyramide, j’ai moins le goût de l’exploit, d’autant qu’ici, la protection contre les moustiques est indispensable, et j’entrevois qu’une forte suée ferait couler mon liquide protecteur comme le rimmel d’une femme qui pleure.

 

Nous poursuivons donc notre chemin pour arriver sur une plage au bord d’une lagune immense. Le site est protégé et classé au patrimoine de l’humanité. Ernan, le chauffeur, nous propose une petite collation. Il n’est que 9h45, ce qui ne nécessite pas de manger, mais nous le faisons. Silke voyant les vagues sur la lagune et la fragilité des embarcations décide de ne pas nous suivre. Elle reste avec le chauffeur et les nombreux gondoliers de ces pirogues à moteurs.

 

Nous traversons en bateau une première lagune et nous nous engageons dans un étroit chenal à l’eau limpide qui rejoint une seconde lagune. Pendant notre trajet dans le chenal un bel oiseau nous précède de vingt mètres environ et il m’est extrêmement difficile de le photographier car il bouge très vite. Je n’y arriverai qu’à la sortie du chenal.

 

Nous entrons maintenant dans un chenal, une mangrove, qui fait trente kilomètres de long et va jusqu’à la mer. Peu après être entrés dans le chenal, un embarcadère où nous nous attachons conduit à un édifice maya qui est un poste de douane. Car les mayas utilisaient ce chenal naturel pour transposter des marchandises. Juan Carlos m’annonce que nous allons nager pendant six cents mètres dans la mangrove. Je sursaute et il m’indique qu’il existe un léger courant porteur. Nous nous mettons à l’eau et nager dans une eau limpide sur un fond le plus souvent sablonneux est très agréable voire très confortable. Nous pouvons voir la flore de très près. Comme l’imagination travaille, les branches tordues dans tous les sens m’évoquent parfois des oiseaux qui s’évaporent lorsque la branche est vue sous un autre angle.

 

Nous croisons d’autres bateaux qui portent des touristes. A la fin de notre nage, un embarcadère nous attend, qui nous permet de remonter en bateau pour revenir. Cette nage dans une nature d’une rare richesse est très excitante. Ce n’est qu’au trois quarts de la nage que je me suis rendu compte que ce site nourrit plus de deux mille crocodiles. Savoir qu’ils ont ignoré ma chair que je suppose succulente a frustré mon orgueil.

 

Nous revenons au port au moment où un autre bateau de même taille va promener une bonne dizaine de touristes.

 

Juan Carlos indique qu’il n’est pas nécessaire de se rhabiller, car nous allons visiter un « cenote », une grotte remplie d’eau. Contrairement à notre visite jusqu’alors, cette grotte est très fréquentée. Nous voyons sortir de l’eau des personnages ressemblant à des extraterrestres, tant leurs combinaisons de plongée et autres appareils d’éclairage ou de respiration prennent de volume. Nous descendons les marches d’un escalier de bois et découvrons une immense grotte remplie d’eau, dont la couleur varie selon celle du fond et selon l’orientation par rapport au soleil. Sur fond sableux éclairé, l’eau est turquoise. Malgré la beauté du site, Silke n’a pas envie de se baigner. Lorsque je prends masque et tuba, je découvre un paysage marin incroyable. La grotte comprend des stalactites de grand diamètre dont certaines ont rejoint le sol. Tout le plafond de la grotte grouille d’hirondelles aux cris assourdissants. Je nage sous une longue voûte pour arriver sur une flaque quasi circulaire en plein air, comme un puits. Je reviens sur mon chemin et les couleurs changent. De nombreux petits poissons ne sont pas farouches et se prendraient facilement à la main. Ce parcours en eau douce dans une grotte aux énormes stalactites est absolument féerique. Lors d’une nage, j’ai vu au loin, au plus profond, des rais de lumière bouger, indiquant des nageurs spéléologues nageant dans une cave souterraine. Ce moment est d’une rare intensité.

 

Juan Carlos nous indique que nous allons déjeuner à Tulum au restaurant Zebra. Nous traversons une zone qui longe la mer où se succèdent des centaines d’hôtels ou résidences de loisir. Tout ici est fait pour le touriste. Le sol est sableux, d’un sable blanc et fin. Nous nous arrêtons au Zebra qui fait aussi résidence hôtelière sur une plage magnifique. Les touristes sont logés dans des cabanes qui évoquent nos yourtes de triste mémoire. Sous une grande hutte se tient le restaurant. Nous mangeons une soupe de poule meilleure que celle d’hier et je prends des gambas au gril absolument excellentes. Le serveur avait apporté des pots de sauces pimentées. Mais comme le chauffeur et le guide suçaient leurs tortillas et les replongeaient dans la sauce, je me suis abstenu de toute épice, ce que je regrette. Apprenant que notre programme était fini après ce repas, j’aurais bien fait l’économie d’un repas avec le chauffeur et le guide, qui ne cherchaient en aucun cas à s’intéresser à une discussion avec nous. Nous somme rentrés à l’hôtel, heureux de ces aventures assez folles, mais déçus par un guide peu intéressant et peu compétent en flore et faune, alors qu’il y avait matière à nous passionner. A l’entrée de l’hôtel, un pécari peu farouche nous suit à distance.

 

Alors que je me suis baigné deux fois, dans la mangrove et dans une grotte, rien ne vaut un bain dans notre mini piscine chauffée pour finir en beauté une magnifique excursion. Notre voyage est décidément riche en découvertes.

 

20 janv.-10

 

A 9 heures, après un petit déjeuner apprécié et servi à l’heure, nous retrouvons Antonio notre guide d’il y a deux jours, qui parle un français parfait, très influencé par le français québécois, appris en autodidacte, et dont l’origine maya va nous être d’un précieux secours.

 

Nous nous arrêtons sur la place centrale de Valladolid, ville de 70.000 habitants, située à mi-chemin entre Cancun et Merida. L’influence espagnole est totale, ce qui contraste avec les sites mayas que nous avons vus. Nous prenons du café dans une échoppe où Silke achète pour nos petits-enfants des témoignages de l’artisanat local. La place est carrée, dotée d’un grand parc où une déesse maya semble donner de l’eau à une vasque où elle se tient au centre. Elle porte la robe traditionnelle maya. Dans les allées, des chaises doubles disposées en « toi et moi » sont d’origine française.

 

Nous nous rendons à la maison de la culture, immense bâtisse de type espagnol où différentes activités sont proposées à la population, dont le folklore, la guitare, l’apprentissage de l’anglais ou du maya, et ce qui fait sourire : le développement de l’intelligence. Dans une très longue salle au premier étage, quatre gigantesques peintures réalisées en 1981 racontent l’histoire du Yucatan, depuis les premiers mayas jusqu’au 4 juin 1910 ou le Mexique a définitivement pacifié cette région. Il y a un petit côté « commande de circonstance » dans cette façon d’idéaliser l’histoire.

 

Antonio nous apprend la signification du mot Yucatan : lorsque les premiers espagnols sont arrivés, les mayas n’arrêtaient pas de leur dire quelque chose qui phonétiquement ressemble à Yucatan et signifiait : « je ne comprends pas ce que vous dîtes ». Les espagnols ont cru que cela désignait leur terre.

 

L’église San Bernardino est d’une architecture espagnole d’un grand classicisme. Antonio nous raconte les saints qui sont honorés dans les différentes stations de prières. Certaines histoires sont charmantes de poésie.

 

Nous repartons pour notre prochaine étape, la Cenote Samula, nouvelle grotte où nous aurions pu nous baigner. Mais l’envie aujourd’hui n’y était pas. Imaginons une des cloches de service des plats dans les grands restaurants. Cette forme de cloche est exactement celle de la grotte, mais avec plus de 40 mètres de haut. Imaginons qu’au lieu du bouton qui permet de saisir la cloche de service, il y ait un trou. Nous avons alors la grotte. Le trou ne fait pas plus de trois mètres de large. Le soleil crée un puits de lumière qui paraît presque solide car l’humidité de la grotte donne la trace du soleil comme s’il s’agissait d’un tube transparent. Pour descendre, les escaliers, d’abord en pierre puis en bois, sont raides et glissants. L’humidité crée une pesanteur moite. Contrairement à la grotte visitée hier les stalactites sont minuscules. La grotte est envahie par les hirondelles qui volent à des vitesses impressionnantes. De l’intérieur, on a l’impression qu’elles entrent et sortent de la grotte en se croisant à des vitesses folles. Mais en fait, revenus à la surface, nous voyons que les hirondelles font en fait des virages au sommet du trou, sans quitter la grotte. Tout en bas, de nombreux baigneurs s’ébattent dans l’eau claire. Une caractéristique est impressionnante. Sur le bord du trou, un arbre est en porte-à-faux. Ses racines plongent dans le trou, et, chose invraisemblable, elles ont atteint l’eau, à quarante mètres plus bas.

 

La direction est maintenant Chichen Itza, le plus beau site maya. Je connaissais le nom de ce site. J’ai lu des bribes d’informations. Mais jamais je n’aurais imaginé que nous serions saisis de cette façon par une réelle merveille du monde.

 

Si je disais que nous étions seuls pour faire cette visite, on ne pourrait pas me croire. Car le site grouille de monde. Et, chose insolite, qui porte à polémique au sein du monde maya, le site est envahi de marchands du temple, qui envoient de jeunes enfants qui comme des mouches se collent aux touristes en chuchotant ou criant « dix pesos ».

 

Nous commençons la visite par un cenote, petit lac au fond d’un trou, qui a sans doute été utilisé pour fournir de l’eau au village. Nous voyons ensuite un chemin maya qui en deux endroits est coupé, car de nouvelles grottes se sont formées par l’effondrement de plaques de calcaire. Le premier monument est le Caracol, observatoire qui intrigue les savants modernes, car sans l’aide d’aucun télescope, les mayas ont décrit les phases des planètes avec une rare précision. Nous allons ensuite à l’annexe des nonnes, dont les ornements sculptés montrent la différence des constructions de type toltèque et de type maya. Nous nous rendons ensuite au temple du grand prêtre puis au Castillo, la grande pyramide, construite par emboîtement au dessus d’une plus petite pyramide, 52 ans plus tard. Il faut dire que le calendrier maya combine un cycle solaire de 365 jours et un autre cycle divinatoire de 260 jours. Le premier jour du calendrier correspond à 3114 avant Jésus-Christ. Pour retrouver un jour ayant les mêmes positions dans les deux cycles, il faut attendre 52 ans, ce qui explique des décisions de construction intégrant ce cycle.

 

Cette pyramide est orientée de telle façon que le 21 mars, le soleil éclaire l’escalier du nord en donnant à la pierre la forme d’un serpent qui ondule, tout le long des 91 marches de cette face. Ce jour là, une foule immense de visiteurs vient pour contempler le phénomène. Antonio nous parle de 30.000 personnes.

 

Ce qui m’a abasourdi, et de loin, c’est que face à la pyramide, si l’on claque dans ses mains comme lorsqu’on applaudit, l’écho qui revient est le cri d’un oiseau. Ce pourrait être un hasard, mais Antonio nous dit que c’était voulu. Difficile à croire, mais, si c’est vrai, c’est énorme. Car tout atour de moi des milliers de mains claquent, et des milliers d’oiseaux semblent chanter. A partir de ce moment, je suis estomaqué.

 

Nous allons voir ensuite le groupe des mille colonnes, dont les carrées sont sculptées avec une précision et une conservation stupéfiantes, et les rondes, les plus nombreuses, sont en pierre brute.

 

Nous passons ensuite devant le temple des jaguars, où l’on voit des jaguars et des aigles qui portent sur une patte ou sur une serre un cœur humain. Nous voyons d’ailleurs au milieu des mille colonnes une pierre de sacrifice où une personne était posée, face vers le ciel et où on lui arrachait le cœur.

 

Plus loin, un édifice montre des centaines de crânes sculptés dans la pierre, des toltèques qui étaient sans doute, les vrais crânes, portés sur des lances.

 

Le site du jeu de balle est le plus grand de tous ceux qui ont existé. 180 mètres de long et 80 mètres de large et là aussi une acoustique qui permettait que deux personnes à l’opposé dans la grande longueur se parlaient facilement. Les parois de l’aire de jeu sont quasi verticales, légèrement inclinées vers l’aire de jeu. Il fallait lancer une balle à l’intérieur d’un anneau de pierre placé très en hauteur, et comme il n’existe aucun témoignage sur la façon dont on jouait, on suppose que l’on utilisait des battes pour taper dans la balle. La partie pouvait durer trois jours, et à l’issue, selon ce qui est dit, le capitaine de l’équipe perdante était décapité. Antonio réfute cette hypothèse et se met à interpréter pour nous les bas-reliefs du stade. Il nous commente les équipements des joueurs et les dieux invoqués, pour suggérer que le sacrifice n’était pas automatiquement celui du perdant. Tout au long de la visite, Antonio nous a expliqué les bas-reliefs, ce qui a donné plus de prix et de relief à notre visite.

 

La complexité des sites, des bas-reliefs, des bandeaux écrits selon l’écriture maya et toute la symbolique sont absolument saisissants. Une civilisation très avancée au niveau des concepts, de la numération, de la connaissance des astres est magnifiquement représentée sur ce site unique. C’est enrichissant et enthousiasmant.

 

Epuisés, nous sommes allés déjeuner dans un immense hôtel, le Mayaland, qui est une usine à touristes, qui reconstitue une sorte de palais espagnol. Le buffet est simple mais délicieux.

 

Fourbus, nous sommes rentrés à notre hôtel, conscients d’avoir fait aujourd’hui la plus extraordinaire visite de notre voyage. Pour moi, c’est du même niveau que d’avoir vu la Cité Interdite à Pékin. On est presque dans le domaine du surnaturel.

 

Cancun et les Mayas lundi, 18 janvier 2010

Voyage de Silke et François Audouze janvier 2010

 

Ce compte-rendu de voyage a été rédigé pour garder la mémoire des événements qui nous ont marqués. Il n’a normalement pas sa place sur le blog, puisqu’on n’y parlera pas de vin. Il ne sera pas inclus dans les bulletins. Il a été mis dans l’année 2001, pour ne pas dévier du contenu qui est destiné au vin.

 

Début de notre séjour à Cancun

 

Cancun

 

16 janv.-10

 

Nous partons pour Santiago. L’attente à l’enregistrement est particulièrement longue. L’avion est en retard, aussi, quand il stoppe à notre porte d’embarquement, nous avons tout loisir de regarder à travers le vitrage toutes les opérations qui sont faites lorsqu’un avion arrive. Nous voyons notamment le déchargement des colis postaux. Ils sont jetés sans ménagement, et la fragilité ou les indications de « haut » et « bas » sont absolument ignorées par le manutentionnaire qui jette tout ce qu’il décharge. Un carton protégé par des bandes adhésives se brise lorsqu’il est projeté sur le plateau de réception.

 

Nous voyons aussi le chargement des valises et nous cherchons à voir si nos bagages embarquent, car il y a deux vols distincts pour Santiago. Deux valises sont écartées par le préposé, qui ne doivent pas être de notre vol. On peut imaginer l’inverse, c’est-à-dire que des valises soient rejetées à l’autre vol car appartenant à celui-ci.

 

L’avion est plus petit et nous sommes plus serrés qu’à l’aller. Deux heures après notre départ, nous atterrissons. Cela ne correspond pas au temps qu’il faut pour aller à Santiago. On nous dit que nous sommes arrivés à Puerto Montt. Nous serions-nous trompés d’avion ? Car jamais nous n’avons été informés d’une correspondance. En fait, c’est bien une correspondance et nous poursuivrons jusqu’à Santiago. Je commence à me dire qu’un arrêt intermédiaire, c’est une occasion de plus de perdre des valises. Cela fait partie de mes petites obsessions et angoisses.

 

Nous arrivons à Santiago avec une demi-heure de retard. Il est 22 heures. Nos valises sont là, l’accueil prévu est là. Vicente parle un français parfait car il a étudié à Lyon. Il fait bon, l’air est agréable, même si la pollution se sent. Nous allons à l’hôtel Ritz-Carlton qui est dans un quartier d’affaires où les buildings poussent comme des champignons.

 

Nous l’avons enfin l’hôtel de luxe que nous recherchons depuis le début ! Hélas, nous n’aurons pas beaucoup de temps pour en profiter, car nous arrivons à 23 heures et nous repartons demain à 7 heures. Mais quand même, respirons l’odeur du luxe. La chambre est grande spacieuse, fonctionnelle, et il y a une logique d’utilisation à deux personnes d’une même chambre. Bien sûr, on pourrait faire mieux, car les toilettes, si elles sont isolées, ont leur accès par la salle de bain au lieu d’avoir un accès distinct. Mais ne chipotons pas, c’est agréable.

 

Nous allons prendre un dîner succinct sur une terrasse en plein air. L’atmosphère est agréable. Seul petit détail qui ne colle pas avec un palace : le restaurant ferme normalement à minuit. Mais deux tables dont la notre sont encore occupées sur la terrasse. Cela n’empêche pas l’un des serveurs de venir enlever toutes les bougies d’éclairage puisqu’il est minuit.

 

17 janv. 10

 

A 5h55 un appel nous réveille, comme nous l’avions demandé, et à 5h56 le chariot de petit-déjeuner pénètre dans notre chambre. Ça c’est la classe. A l’heure dite Vicente est à la réception. Il faut reconnaître que le service d’accompagnement a fait un sans-faute qui mérite les éloges.

 

Nous sommes très en avance pour les formalités à l’aéroport qui à cette heure est noir de monde. On a atteint les limites de capacité d’un tel aéroport ce qui justifie les travaux d’agrandissement en cours. J’écris de l’agréable salon d’attente de la classe affaires. Dans peu de temps, départ pour Cancun. Si Vicente nous a fait arriver si tôt, c’est parce que le 17 janvier est le grand jour de l’élection présidentielle. Il a eu peur d’une fébrilité de la circulation un jour de vote.

 

Le vol par la compagnie chilienne est direct pour Cancun. Bien que choyés en classe affaires, nous ne sentons pas la chaleur humaine et le sens du service que nous avons connu sur d’autres vols.

 

Cancun est un aéroport très actif, et l’attente au passage en douane est assez longue. Les bagages sont déjà arrivés quand nous avons franchi la douane, et comme des préposés les enlèvent de leur carrousel, la recherche n’est pas simple.

 

La corporation des porteurs a été astucieusement protégée. Car les caddies sont interdits à partir d’un certain point, très en amont de la sortie. Alors que faire avec autant de valises ? Je n’ai aucune envie de subir ce coup forcé, aussi Silke reste avec quelques valises et je sors avec deux d’entre elles. Je trouve notre chauffeur qui pour une fois n’est pas accompagné d’un guide. Quand je veux rentrer à nouveau dans l’aéroport pour retrouver Silke, on m’interdit l’accès. Cela m’énerve mais rien n’y fait. Et à ce moment, une bonne âme se présente, qui va arranger tout. Je n’aurai donc pas échappé au syndicat des porteurs, le mien m’ayant prévenu en anglais : « j’espère que vous allez me donner un gros pourboire ».

 

Nous quittons l’aéroport en direction du Tulum, vers l’hôtel Esencia. La route prend un peu plus d’une heure. Tout au long du chemin, le nombre de centres de vacances est impressionnant. Et ce qui frappe encore plus ce sont les entrées monumentales de ces paradis pour touristes. C’est le Club Méd à la puissance dix. Comme très souvent ces hôtels ou résidences sont choisis par internet, à quoi sert-il que les façades soient aussi disproportionnées ? Je ne sais.

 

Nous arrivons au petit hôtel Esencia dont l’entrée est directement sur l’autoroute, et la voiture parcourt à peine quelques mètres puis s’arrête. Voilà un hôtel bien près de la route, me semble-t-il. Erreur. Car la petite hutte en paille proche de la route n’est qu’un point d’accueil. L’agent qui nous reçoit ne nous dit quasiment rien. Il nous suggère de nous asseoir dans un rickshaw pour rejoindre notre chambre, mais c’est une plaisanterie car les pneus sont dégonflés. C’est une décoration. Voyant la hutte de paille, Silke tremble de devoir recommencer une expérience analogue à celle de nos yourtes. Nous grimpons dans une petite voiture de golf électrique qui serpente dans un jardin tropical d’une grande richesse. Ici, tout est luxuriant. Une jeune femme nous tend la main et se présente et l’homme d’accueil s’efface. Par une longue marche, nous arrivons au spa que la responsable nous fait visiter, puis nous continuons vers la maison centrale où se trouve la réception. Devant cette maison, deux belles piscines dans un beau jardin, puis une belle plage de sable fin donnant sur l’océan. La plage est quasi privative, réservée aux clients de l’hôtel. Tout est décoré avec un goût exquis et le confort semble parfait.

 

Nous accédons à notre chambre spacieuse, joliment décorée et très bien équipée. La piscine privée annoncée dans notre programme est tout au plus un mini jacuzzi. Mais tout nous plaît dans ce lieu paradisiaque. Et le fait qu’il s’agisse d’un hôtel de petite taille nous plaît encore plus.

 

Nous commençons à prendre possession de la chambre et nous allons dîner dans une grande hutte en plein air. Le repas est sommaire mais bien exécuté. Nous nous sentons vraiment en vacances. Il nous fallait absolument enfin connaître cet état.

 

La félicité n’est jamais complète, car la douche est un nouveau calvaire. Il se peut que je sois obsédé par les douches mais je ne vois pas pourquoi une douche ne remplirait pas la fonction qui lui est impartie. Ici, du fait d’un débit bas d’eau chaude, dès qu’on ajoute de l’eau froide, l’eau devient froide. Et si l’on referme l’eau froide, l’eau devient bouillante. Pourquoi ne pas préserver ce que doit être la douche, le moment privilégié où l’on reconstruit le monde, où l’on rassemble ses idées, ou bien où l’on se prend pour Pavarotti. La douche est un moment sacré qui implique impérieusement une eau de température constante. La lutte contre les robinets est un supplice.

 

18 janv. 10

 

Une nuit réparatrice est un vrai cadeau. A L’heure dite le petit déjeuner arrive. Oui, ce sont de vraies vacances qui commencent. Pendant que nous mangeons je crois apercevoir un chien curieux qui s’approche de nous. C’est en fait un coati curieux qui cherche sans doute une victuaille égarée.

 

Après ce petit-déjeuner simple mais bon, la douche me paraît plus clémente. J’ai osé choisir la pomme de douche plus large qu’une soupière, fixe bien sûr, que j’exècre normalement. Elle fut plus efficace que celle de la veille, de la taille d’une tasse à café, et orientée de biais.

 

Notre guide Antonio et le chauffeur Teodoro nous attendent à l’entrée de l’hôtel avec une camionnette qui emporterait facilement dix personnes. Heureusement elle n’est que pour nous. Antonio est un Maya, descendant des Mayas, et fier de l’être. Teodoro est un mexicain du centre du Mexique. Il conduit vite, double sans se soucier des lignes blanches continues et je vois le compteur qui indique 130 km/h quand les panneaux indiquent 60. Faut-il s’arrêter à de tels détails ?

 

Après une heure de route nous arrivons au site Maya de Coba. Ce site a commencé d’exister vers 600 après J.C., et a eu sa période de gloire entre 600 et 800. L’entrée grouille de monde de toutes nationalités. Les bus sont alignés en files impressionnantes. Antonio nous fait passer par un point de passage obligé : demander que l’on édite pour nous des dates qui comptent, présentées selon le calendrier Maya. Les affichettes seront prêtes lorsque nous sortirons de la visite.

 

Nous entrons dans le vaste parc de 70 km². Antonio nous avait promis un kilomètre de marche. Nous en ferons environ six, dans une forêt luxuriante. Dans une allée nous voyons un grand papillon aux ailes d’un bleu azur brillant absolument magnifique. Nous verrons aussi un petit perroquet ainsi que de gros iguanes.

 

Les sites archéologiques sont intéressants, même si les restes de sculpture sont assez imprécis. Il y a deux sites dédiés au jeu de balle qui consiste à envoyer une boule de caoutchouc avec l’aide des pieds et des hanches sur une pente à près de 45° pour qu’elle passe à travers un anneau de pierre. La symbolique de cette pénétration d’une balle dans un cercle de pierre évoque les éclipses et d’autres symboles mystiques. Dans certaines circonstances ces jeux de balles finissaient par des sacrifices humains.

 

Le temple de Coba est le plus haut de tous les temples Mayas. C’est aussi celui qu’il est possible d’escalader. Il est prévu que cette permission cessera dans un an, pour la préservation du site et à la suite d’un accident.

 

Je demande à Antonio si c’est dur de faire l’escalade. Il me dit oui. Puis il ajoute : montez quelques marches, vous aurez ainsi la sensation. Antonio ne me connaît pas. Car une fois sur la pente spectaculairement haute, de 42 mètres qui en paraissent plus, je décide d’aller jusqu’en haut. En haut, l’escalier est fermé par un mur. Et pour aller sur la terrasse, il faut faire un crochet sur les côtés, presque dans le vide. C’est mort de peur que je fais ce crochet, me souvenant seulement à cet instant que je suis sujet au vertige.

 

J’ai du mal à prendre des photos des marches vues du haut, car j’ai peur. Je lève les yeux, et ce qui impressionne, c’est que devant moi il n’y a que de la forêt et quelques lacs. On ne voit, dans cet axe, aucune habitation. C’est spectaculaire. Je redescends en me tenant à la grosse corde qui est posée sur toute la longueur de l’escalier. Je suis prudent et peureux, refusant de regarder vers le bas, mon champ de vision se limitant aux deux ou trois marches à venir.

 

C’est effectivement très excitant de me dire que j’ai gravi la plus haute des constructions Mayas du Honduras et que cette possibilité n’existera plus.

 

Après la visite, Antonio nous propose de déjeuner aux abords du site. J’ai peur de ces gargotes pour touristes. Le restaurant bar « La Piramide » ne paie pas de mine. Il est en face d’un lac où vivent des crocodiles, mais nous n’aurons pas la chance de les voir. Le restaurant propose un buffet. Nous avons mangé une soupe de poule très convenable et la préparation de poulet épicé que j’ai prise est délicieuse. Il faut réviser toute opinion sur les baraques à touristes.

 

Nous partons ensuite sur le site archéologique de Tulum, qui date des années 1200, donc nettement plus tard que Coba. Sa caractéristique principale est d’être sur la mer des Caraïbes et d’être un village fortifié rectangulaire dont un côté est la mer, face au récif corallien. Les architectures sont plus complexes et il y a des vestiges de fresques, dont malheureusement nous n’apercevons que des bribes. C’est l’occasion pour Antonio de nous expliquer les différents dieux, qui sont honorés dans divers bâtiments qui entourent le temple principal dédié au dieu volant.

 

L’entrée du temple est trustée par les marchands de produits artisanaux. Des mayas déguisés se font photographier près des touristes. De faux mayas dansent des danses tribales autour d’un mât qui doit servir à de périlleuses acrobaties que nous ne verrons pas. Des wagonnets tirés par un tracteur agricole nous emmènent vers l’entrée du site, pour éviter que tous les bus et les voitures ne viennent polluer le site proche de l’océan.

 

Antonio nous a donné beaucoup d’explications dans un français très pur. Nous rentrons à l’hôtel. L’heure est à la baignade. La plage de sable fin est équipée de chaises longues abritées du soleil ou des plagistes posent des serviettes douces. Nous prenons notre premier bain dans la mer des Caraïbes. Silke boit un jus d’ananas et je bois une Corona. Ces boissons ont un goût de paradis. A côté de nous un photographe de mode, flanqué de toute une équipe de maquilleurs, éclairagistes, scénaristes et autres, photographie une très jeune fille, sans doute pour un article sur les maillots de bain.

 

Nous retournons à notre chambre. Silke m’a précédé. Elle est installée dans la mini piscine privative, attachée à notre chambre. Je n’y serais pas allé spontanément, mais Silke me dit : « c’est génial ». Je m’y plonge et l’eau est aussi chaude que dans une baignoire. C’est en fait un grand jacuzzi et nous nous prélassons pendant de longues minutes dans cette eau chaude, sous un ciel de feuilles d’arbres à caoutchouc.

 

Le dîner sous la hutte est de nouveau très agréable : cocktail de crabe, côtelettes d’agneau et, pour moi, banane flambée.

 

Cette journée dans une atmosphère ensoleillée et chaude, avec une imprégnation bien présentée au monde Maya, suivie d’un farniente de luxe, c’est vraiment des vacances !

Patagonie, Torres del Paine, Cap Horn vendredi, 15 janvier 2010

 

Voyage de Silke et François Audouze janvier 2010

 

Ce compte-rendu de voyage a été rédigé pour garder la mémoire des événements qui nous ont marqués. Il n’a normalement pas sa place sur le blog, puisqu’on n’y parlera pas de vin. Il ne sera pas inclus dans les bulletins. Il a été mis dans l’année 2001, pour ne pas dévier du contenu qui est destiné au vin.

 

Il est recommandé de lire dans l’ordre du voyage.

 

Patagonie, Torres del Paine, Cap Horn

 

11 janvier 10

 

J’ai encore tellement mal au genou du fait des promenades récentes que je me suis agité toute la nuit. Nous n’avons pas dormi. Incapables de mettre une alarme en marche, nous avons guetté la pendule pour nous lever à 5h45, car notre avion est très matinal. C’est dans la précipitation que nous faisons toutes les formalités avec Christian revenu nous aider. Et quand, après nous être pressés, nous nous présentons à la porte d’embarquement, nous apprenons que le vol sera retardé d’au moins cinquante minutes. Nous restons zen, mais un peu moins quand nous voyons qu’aucune autre annonce n’est faite de notre vol et que la porte où l’on nous a dirigés embarque un vol pour La Paz.

 

Nous partons enfin et la classe économique nous redonne la mesure d’un service plus minimaliste. A Punta Arenas il fait assez frais et le ciel est couvert. Comme l’aéroport est de petite taille, tout se passe bien et nous sommes accueillis par Renato le guide et Patricio le chauffeur. Nous partons par la route vers le parc de Torres del Paine en passant par Puerto Natales.

 

Renato, chilien de Punta Arenas, parle un français remarquable. Quelle en est la raison ? Son père était un syndicaliste du temps de Pinochet ce qui lui a valu de faire de la prison à tortures dans le sud de la Patagonie. Il s’exila avec sa famille, et la France ayant été le premier pays à lui avoir répondu, ils se sont rendus à Lille, pris en charge par une organisation qui aide les exilés politiques. Renato a pu ainsi apprendre le français. Pinochet ayant organisé un référendum en 1988 avait jugé astucieux de permettre aux exilés de revenir au pays pour ajouter des votes. C’est ainsi que la famille de Renato est revenue.

 

Nous prenons conscience de l’immensité des étendues du sud du Chili. Les larges prairies sont arides et servent à l’élevage du mouton, présent partout. De temps à autre nous voyons des bovidés et de rares chevaux, contrairement à l’île de Pâques. Nous croisons des oiseaux qui tiennent plus de l’émeu que de l’autruche, des nandous, animaux sauvages protégés. Des lamas, guanacos, vigognes et alpagas sont difficiles à différencier car des croisements existent entre les races.

 

Un arbre endémique a envahi l’espace et nous constatons les dégâts faits par un lichen qui les attaque et les tue. Des millions d’arbres meurent sans remède possible. Est-ce la préfiguration de ce qui se passera pour d’autres espèces ? L’avenir à moyen terme le dira.

 

Nous traversons en voiture la ville de Puerta Natales qui ressemble à tous ces ports des régions proches des pôles. Il n’y a aucun effort architectural, et tout tend à l’efficacité. Nous faisons un crochet pour visiter la grotte du milodon, cet animal préhistorique de la même famille que le paresseux, d’une taille proche d’un ours géant. En allant vers l’immense grotte nous voyons sur un rocher deux jeunes hiboux cornus de Magellan. La visite n’a aucun intérêt puisque nous ne voyons que la représentation en plâtre de l’animal, les vestiges ayant été prélevés pour le muséum d’histoire naturelle de Londres. En sortant de la visite, nous voyons un renard peu farouche qui paresse près d’une voiture. Apparemment, tout le monde le connaît.

 

Sur le chemin, nous voyons le plus grand aigle du Chili, au ventre blanc, très proche de l’aigle qui symbolise les Etats-Unis.

 

Renato nous parle d’histoire et une fois de plus nous prenons conscience du fait que la cupidité des hommes et de leur égoïsme, des peuples ont été décimés et ont disparu. Nous savions que nous allions faire un voyage de civilisations disparues. La constatation de la façon dont cette extermination s’est produite nous donne un sentiment amer.

 

Après de longs chemins sinueux en cailloux, nous arrivons au Patagonia Camp, qui fait face au plus grand lac de la région le Lago del Toro. Là, des yourtes sont disséminées face au lac et à un panorama de carte postale. C’est assez succinct, mais le dépaysement est garanti. Il ne sera pas question de service en chambre, car les œufs mollets arriveraient froids à notre yourte. Ce soir nous dînerons dans le local central. Une nouvelle aventure commence.

 

12 janv. 10

 

Le dîner dans la salle centrale rustique est copieux et satisfaisant. Le cuisinier complique pour innover et met du jambon fumé avec du saumon, mais on s’adapte. L’ambiance est très « chalet de montagne ». Tous les gens ici ont le profil de randonneurs.

 

Nous retournons à la chambre. Même si l’on m’a annoncé à Paris qu’il s’agit de yourtes de luxe, une tente reste une tente. La douche a été frappée du syndrome de Valparaiso, c’est-à-dire qu’une pomme de douche aussi large que la baignoire est fixe. Par un hasard qui ne favorise que les chanceux, il y a à l’extérieur de la baignoire, collée à sa paroi, une douche flexible avec un tuyau suffisamment long pour qu’on puisse s’en servir. Est-ce le bon sens qui a triomphé, je ne sais, mais j’en ai usé avec bonheur. Le miroir n’est pas devant les lavabos, mais derrière, ce qui est original. Une fois les ablutions faites, nous sombrons dans un sommeil réparateur.

 

Mais lorsqu’il pleut, les gouttes qui frappent la structure légère font un raffut d’enfer. La moindre pluie paraît une tornade. Et cela a duré toute la nuit. Lors d’une accalmie j’ai pu voir par la coupole supérieure, qui est une sorte de hublot, des étoiles dans le ciel. J’ai même vu un satellite qui a traversé l’espace de la coupole et a cessé de briller dès que l’angle de réflexion du soleil n’atteignait plus mon œil.

 

Peu avant six heures, il fait jour. C’est trop tôt, aussi un sommeil de plomb me fait atteindre d’une traite huit heures. Là, il est temps de se lever car le petit-déjeuner est servi en salle jusqu’à 9 heures seulement. Nous nous dépêchons et l’on voit la différence avec l’Explora : le jus d’orange n’est pas du vrai et l’ananas n’a aucun goût comparé à celui de l’île de Pâques. On peut comprendre tout cela.

 

Après une nuit que la pluie a martelée, après avoir subi la pluie de notre yourte jusqu’à la salle centrale, après ce petit-déjeuner banal, l’humeur n’est pas au beau fixe chez les Audouze. Silke me reproche de ne pas l’avoir consultée avant de choisir cette « auberge de jeunesse ». L’envie de repartir existe, et nous sommes ronchons. Si l’on nous disait de tout annuler, il est probable que nous signerions.

 

A 9h30 Germain arrive, jeune guide français d’origine bretonne qui vit à Puerto Natales et a l’intention de s’installer pour de bon. Il a un beau sourire de jeune homme épanoui. Je le préviens d’emblée que n’ayant aucune obligation d’établir des records, nous ne ferons aucune excursion parce qu’il « faut » la faire, si c’est un calvaire de la faire. Germain nous explique que lui aussi ce matin est parti de chez lui avec l’humeur morose, car le temps est franchement exécrable. Il nous promet de ne pas nous forcer et ajoute : ici le temps n’est jamais certain.

 

Nous partons avec Pato le chauffeur d’hier. Sa voiture avait patiné hier avant l’entrée de l’hôtel, ce qui démontrait que seules deux roues sont motrices. Je m’en suis ouvert à Germain car je ne me voyais pas poussant la voiture pour sortir d’une ornière. Germain m’a rassuré.

 

Le parc Torres del Paine est une réserve naturelle classée par l’Unesco de plus de 240 km². On imagine assez mal l’immensité des paysages que nous allons traverser. Le clou de ce parc, qui justifie toutes les visites, ce sont les trois aiguilles, dont les couleurs sont impressionnantes. Le parc possède un grand nombre de lacs immenses, le plus grand étant le Lac del Toro dont la surface, est égale à celle du parc, une partie seulement du lac étant dans le parc. C’est impressionnant. Par la route, nous croyons deviner par bribes ces montagnes aux formes brisées, sortes de poignards tendus vers le ciel. Mais il fait si mauvais que jamais nous n’avons une vision globale. Le site se refuse. Attendons. Le programme de Germain est très court, du fait du temps, avec l’espoir que le lendemain nous pourrons admirer les montagnes.

 

Nous longeons des lacs bleu émeraude, le Rio Peine dont le nom est synonyme de la couleur bleue. Sur les lacs, il y a des moutons, vagues de belle taille où l’on pourrait presque surfer, tant le vent dans cette région est d’une force spectaculaire.

 

Par un phénomène curieux, un arc en ciel est quasiment collé au sol, et se déplace comme nous. C’est la première fois que j’en vois un totalement rasant.

 

Pour entrer dans le parc, il faut donner son numéro de passeport, à des fins statistiques semble-t-il. Nous nous arrêtons à la station centrale du parc, où des cartes en relief permettent de comprendre la géologie des formes complexes. Puis nous partons pour une marche d’un peu moins de deux heures pour atteindre le lac Grey. Après avoir passé un long pont suspendu qui ne peut accepter que six personnes tant il bouge dans tous les sens, nous arrivons sur une large plage aride qui est le reste d’une moraine créée par le glacier Grey. Le lac est bloqué par une dune que nous longeons pour atteindre une petite presqu’île d’où nous contemplons des icebergs détachés du glacier Grey que nous voyons au loin. Selon l’éclairage, les faces de ces icebergs sont d’un bleu azur le plus pur, voire bleu profond de lapis-lazuli.

 

La vision du glacier Grey, des montagnes alentour qui commencent à montrer leurs trésors, tout cela est fascinant. Silke rencontre des orchidées et des fleurs rares et belles et son humeur s’en ressent. Le contact avec les icebergs détachés du glacier est forcément interpellant. Nous sommes conquis. La marche est invraisemblable. Car la pluie est cinglante comme des lames de couteau et le vent nous emporterait si nous ne nous penchions vers lui pour équilibrer la pression. C’est vivant, vivifiant, voire épuisant.

 

Voici que le soleil commence à gagner la partie. Nous allons sur le bord d’un lac face aux montagnes où des tables de pique-nique ont été fabriquées à la va-vite. L’hôtel nous a donné des petites barquettes d’une dînette fort agréable. Croquer dans du jambon ou du fromage alors que l’on contemple le plus invraisemblable spectacle de montagne est une jouissance sans égale. Nous nous regardons, et notre regard complice confirme que nous avons bien fait d’être venus. Car la contemplation de ce paysage vaut absolument le voyage. Cette nature aux dimensions infinies nous montre l’immensité de ce que les soubresauts de la plaque terrestre ont pu créer. Les trois dents, les autres petites montagnes grises surmontées d’une roche noire évoquent les têtes de Moai qui étaient surmontées de chapeaux. Tout cela est féerique. Nous allons ensuite contempler une chute d’eau de douze mètres de haut qui relie l’un des lacs avec le fleuve Peine. Jamais je n’aurais imaginé qu’un tel débit puisse exister. Je comprends mieux les pluies que nous avons subies.

 

La nature est aride. Au vent, rien ne pousse. A l’abri du vent, les sous-bois sont riants. Il n’y a quasiment pas d’animaux. Nous avons vu quelques jolies oies et de beaux oiseaux aux becs fins courbés. Saoulés par le vent, nous rentrons à l’hôtel, heureux d’avoir découverts un site exceptionnel dont nous aborderons demain d’autres aspects. Oui, il faut supporter le confort approximatif de notre « auberge de jeunesse », car ce site patagonien gigantesque est unique au monde.

 

Après un massage que j’ai jugé relativement peu efficace, nous allons dîner dans la salle centrale à l’architecture résolument néanderthalienne, où les résidents sont des marcheurs ou des pêcheurs. Il faut signaler le plat principal, un agneau remarquablement cuit et goûteux. Compte tenu de l’immensité des estancias de moutons, on a dû apprendre ici comment cuire l’agneau.

 

13 janv.-10

 

Rentrés dans la chambre, l’heure est à dormir. Nous nous endormons et à un moment, je sens qu’il fait extrêmement froid. Comme j’ai réglé le chauffage, cela ne va pas. Réveillé, ressentant le froid, je me demande si l’organe central de l’hôtel ne dispose pas d’un moyen de régler à distance les chauffages. Si c’était le cas, nous l’aurions ressenti hier. Une solution s’impose : notre chauffage est en panne. Imaginant la douche qu’il faudra prendre sous un froid glacial, je passe le reste de la nuit dans d’affreux cauchemars. Le jour se lève avant 6 heures et je peux aller regarder le boîtier du chauffage. Horreur, la molette de commande a été tournée, ce qui a coupé le chauffage. Vite je remets le boîtier dans la position qu’il devrait avoir et, comme par miracle, la chaleur revient.

 

Lorsque Silke se réveille, j’apprends que voulant baisser la température d’ambiance d’un degré, elle a cru y arriver en tournant la molette de commande au lieu de tourner celle des degrés, ce qui a eu l’effet que l’on sait. Mon humeur à ce moment a pris la couleur que donne sur la peau le soleil patagonien.

 

Rajoutons au tableau qu’il a plu pendant plus de la moitié de la nuit. Il pleut à torrent et tout indique en regardant dehors qu’il va pleuvoir toute la journée. Si Germain confirme ce diagnostic, j’annulerai le programme guidé.

 

Lorsque je remonte de la yourte sous la pluie sur les planches glissantes et remuantes, Germain me fait un large sourire. Silke lui a raconté l’épisode du chauffage. La question ne se pose même pas, nous partons. Le ciel est très couvert et cela ne présage rien de bon. Mais très vite nos yeux sont attirés par d’aimables spectacles. Nous voyons des ibis au long bec courbe et au vol lourd et majestueux. Des aigles peu farouches se laissent approcher et nous en croiserons de plusieurs espèces. Un immense troupeau de mouton est dirigé par deux cavaliers et cinq chiens. Les chiens réagissent aux sifflets avec une immédiateté remarquable. A noter que le cavalier s’est tourné plusieurs fois pour que l’on puisse photographier son meilleur profil.

 

Des nandous, de la famille des émeus et des autruches picorent de-ci de-là. Tout à coup, je remarque au dessus de nous une trentaine de condors qui planent dans le ciel. Nous en croiserons de nombreuses fois et pourrons admirer les plumes qui terminent leurs ailes en prenant la forme des doigts d’une main. Leur vol planant est impressionnant. Les guanacos sont extrêmement nombreux et vivent en groupes pouvant compter jusqu’à trois cents têtes. Ils sont environ 8.000 dans la région, pour une centaine de pumas qui sont leurs prédateurs. Germain nous dit que lorsque les guanacos paissent, l’un d’entre eux est placé sur une hauteur et sert de vigie. Il alertera les guanacos de l’arrivée d’un puma et se sacrifiera pour le groupe.

 

Le puma s’attaque aussi aux moutons et peut en déchiqueter une quarantaine en une chasse, dont il ne mangera que de petites portions, car le mouton est l’apprentissage de la chasse pour les petits pumas.

 

Le soleil commence à montrer le bout de son nez, mais il fera plus que ça, car enfin nous verrons le massif de Torres del Paine dans son intégralité. Imaginons une couronne de roi comme celle que l’on donne lors de la fête des rois mages. Trois des piques sont les Cuernos del Paine, les cornes, qui sont bicolores, le sommet étant noir et le centre d’un jaune clair. Le jaune clair est du granit qui était du magma situé sous la roche noire sédimenteuse qui se trouvait en dessous de lui et se trouve maintenant au dessus, par une phénomène géologique expliqué sur les affiches que l’on voit aux miradors, les points de vue désignés. Trois autres piques de la couronne sont les Torres del Paine, les tours du Paine, grand blocs de granit verticaux, comme d’immenses menhirs de plusieurs centaines de mètres de haut. Ce massif accidenté et bicolore est absolument saisissant de beauté. Nous nous en approchons d’abord en voiture. Les lacs sont de couleur émeraude ou bien bleu turquoise. Certains déposent des sédiments et l’un d’eux, aux abords salés, accueille des flamants roses. D’où ces oiseaux ont-ils eu l’information qu’ils trouveraient au sein de ces immensités, un lac aux eaux salines ?

 

Le vent est à décorner les bœufs et comme j’ai peur que les montagnes se cachent derrière les nuages, je suggère que nous déjeunions dans la voiture, tant le vent est fort, face aux montagnes de Torres del Paine. Alors que la Patagonie est désertique, que croiser un touriste n’est pas fréquent, à peine sommes-nous en train de déballer nos victuailles qu’une voiture se gare à moins d’un mètre de la nôtre. Il n’y a pas âme qui vive dans les vingt kilomètres à la ronde et une voiture et quatre personnes mâchouillent à moins d’un mètre de nous.

 

Nous allons prendre un café dans un centre qui est le point de départ de beaucoup de trajets de trekking. Ici, il n’y a que des jeunes, dont les sacs ont presque leur taille. Ils paressent au soleil, fatigués sans doute de leurs excursions. Nous discutons quelques minutes avec un jeune couple qui vient de Brest et passe six semaines à visiter à pied plusieurs sites du Chili du sud comme du nord. Nous nous rendons devant une chute d’eau spectaculaire que nous avions entraperçue la veille. C’est le point de départ d’une longue marche de trois heures aller et retour qui nous conduit au plus près du massif de Torres del Paine.

 

Disons-le tout net, c’est une merveille du monde. Car la vision de ce massif coloré aux formes découpées est absolument unique. A ce moment, nous sommes heureux et fiers d’être venus. Le chemin est parsemé de jolies fleurs que Silke scrute avec Germain. Le vent est si fort qu’il projette dans les airs des tourbillons d’eau du lac Pahoe qui foncent à toute vitesse en glissant en colonnes sur le lac. Tout en cette nature est immense, impressionnant et féeriquement beau.

 

Le soleil nous a accompagné pendant les trois quarts de la journée, contrairement à ce que nous craignions. La promenade sous le vent violent est soûlante. Le soleil a tapé sur nos peaux fragiles. Lorsque nous rejoignons fort tard l’hôtel Patagonia Camp, après avoir offert un verre à Germain et à Pato le gentil chauffeur, il est grand temps de prendre une douche. J’essaie la large pomme de douche fixe. Mal m’en a pris, car c’est un supplice. Nous prenons le repas dont le menu est chaque soir imposé. Le plat principal est un plat traditionnel chilien composé de maïs sucré, de blanc de poulet et de hachis de bœuf. On peut comprendre que si les jeunes sont nourris à ce brouet, peu d’entre eux, s’ils ont envie de cuisiner, n’arriveront au niveau des chefs trois étoiles.

 

La lumière va bientôt s’éteindre. Je réglerai le chauffage. Demain, verrons-nous des pingouins ?

 

14 janv. 10

 

A un moment donné, on se dit que trop c’est trop. Quand on est habitué aux trois étoiles, on a plus de mal à supporter la cuisine de la brasserie de la gare. Quand on est habitué au confort, le style Davy Crockett a du mal à passer. De plus, il y a un âge pour tout.

 

Le vent de la journée d’hier s’est transformé pendant la nuit en tempête. Et les yourtes, construites avec un minimalisme assumé, n’aiment pas cela du tout. J’avais souri lorsque nous avions trouvé à notre arrivée dans la chambre des masques pour les yeux comme on en donne dans les avions et des boules pour les oreilles. Les masques je comprends, parce que la lumière inonde la yourte. Mais les boules, je ne comprenais pas. J’ai compris.

 

La yourte se met à vibrer dans tous les sens. La toile de tente claque contre les lamelles de bois. Ce vacarme est tellement assourdissant que Silke a peur que la yourte s’envole ou se retrouve au bas de la falaise, dans le lac. Il y a manifestement une erreur de casting, car la volonté de contempler les plus beaux paysages du monde ne doit pas forcément rimer avec des conditions de séjour intolérables, au faux prétexte de l’écologie et de la protection de l’environnement. Car la toile cirée qui nous sert de toit entraîne une surconsommation d’énergie du fait de son faible pouvoir isolant. Il eût été possible de faire du dur et non du squelettique, avec un meilleur respect de l’environnement.

 

L’humeur est assombrie.

 

Si le vent a ce volume, comment envisager demain le survol du Cap Horn dans un petit avion ? Je commence à trembler.

 

Germain vient nous chercher pour nous raccompagner à Punta Arenas, d’où partira l’avion qui demain m’emmènera tout au sud. Nous commençons par visiter Puerto Natales, petit port de 20.000 habitants qui vit maintenant du tourisme. Nous visitons le port de pêche avec un nombre de carcasses de bateaux morts très important. L’un d’entre eux s’appelle Rapa Nui ce qui est original.

 

Nous traversons la ville qui est plus sympathique et vivante que ce que j’imaginais, car globalement, la ville ressemble à toutes les villes du nord qui sont proches des pôles. Nous visitons un petit musée sans prétention qui donne de précieux renseignements sur la population indienne exterminée, dont la dernière représentante est morte l’an dernier. Sa photo est mise en valeur dans la musée. Silke va acheter au magasin tout proche des cartes postales qui représentent ces indiens aujourd’hui disparus.

 

Nous allons ensuite au restaurant suggéré par Germain, sympathique vu de l’extérieur. Comment est-il imaginable que dans cette ville qui est la patrie du crabe royal, énorme araignée de mer, on puisse servir les pinces de ce crabe bouillies, pleines d’eau et sans goût ? Il s’agit à l’évidence de surgelé. Le poisson que j’ai pris ensuite est passable. On ne peut pas dire que nous prenons les bonnes pioches en matière culinaire.

 

Nous prenons ensuite la longue route qui va de Puerto Natales à Punta Arenas, qui traverse des espaces infinis. La taille moyenne des estancias est ici de 25.000 hectares. Notre chauffeur Pato nous propose de nous arrêter dans l’estancia où travaille son père car c’est la période de la tonte des moutons. Nous assistons à la tonte, qui se fait avec une productivité assez spectaculaire : chaque ouvrier tond chaque jour 250 moutons. Il faut aller extrêmement vite et l’on voit hélas que certains moutons sont blessés par la tondeuse. Nous sommes dans une coopérative qui traite la tonte pour plusieurs estancias. La recherche du rendement est poussée à l’extrême. Nous allons ensuite dans une petite boutique de bord de route pour y prendre un café.

 

Il existe à une cinquantaine de kilomètres de Punta Arenas un site protégé où vivent des pingouins. La route pour s’y rendre, qui n’a que ce seul but, fait 38 kilomètres. Lorsque l’on arrive au guichet, il reste une marche de plus d’une heure aller et retour. Alors qu’il faisait beau, ici le froid et le vent sont sensibles. Au cours du chemin on aperçoit le premier pingouin. Puis on en croise de plus en plus qui ne sont pas farouches et se laissent regarder. On peut même les suivre jusqu’à la mer où ils plongent dans une eau glaciale pour aller pêcher. Des petits ont encore leur duvet gris. Cette visite de pingouins libres est riche d’intérêt.

 

La ville de Punta Arenas compte entre cent et deux cent mille habitants. Elle a tout d’une grande ville et je la trouve cossue comme une riche ville de province. Nous arrivons à l’hôtel Capo de Hornos et là, c’est la déception monumentale qui nous assomme. J’avais demandé à l’agence que j’ai consultée et approuvée de nous concevoir un voyage de luxe. Il apparaît que l’agence a remarquablement organisé les services de guides et de chauffeurs. Et j’ai approuvé le choix des sites remarquables à visiter. Mais en ce qui concerne le luxe, une chose est sûre, il n’y en a pas. Mis à part l’hôtel Explora de l’île de Pâques, tous les autres sont d’une banalité à pleurer. Cette chambre que nous avons dans cet hôtel est tout simplement minable. Il n’y a pas d’âme. C’est l’hôtel pour représentants de commerce, corporation que je connais et estime, mais qui couche à l’hôtel par obligation et non pas par passion. Il y a du remous au conseil d’administration de la Silke and François Limited Corporation.

 

Nous sommes fatigués, aussi n’est-il pas question d’aller chercher un restaurant en ville. Nous allons dîner au restaurant de l’hôtel, et c’est à peu près aussi réussi que si nous avions dîné au restaurant de l’hôtel de la gare de Sarreguemines ou de Gisors. Le service est d’une inefficacité totale, et lorsqu’une lampe sur pied a commencé à brûler du fait de la surchauffe du fil électrique, ce n’est pas moins de vingt personnes qui sont venues contempler le spectacle sans agir. L’odeur de caoutchouc brûlé envahissant la pièce, nous sommes allés finir notre repas à une table du bar.

 

Nous prions pour que l’hôtel de Cancun corresponde enfin à la notion que nous avons du luxe, car passer d’hôtel de gare en hôtel de gare commence à nous peser. Fort heureusement les visites sont merveilleuses et les guides intéressants. Mais il est difficile d’oublier la partie logistique où nous sommes largement loin du compte.

 

Je vais aller poser un cierge pour que le survol du Cap Horn soit une réussite.

 

15 janvier 10

 

Nous avons bien dormi, ce qui n’est pas arrivé si souvent. En scrutant la mer de la fenêtre, je vois qu’elle est peu agitée et que le soleil brille. Apparemment, le vol pourra se faire.

 

Le petit-déjeuner dans la salle assez triste du restaurant n’a rien pour exciter l’intérêt ou pour motiver. Le jus d’orange est artificiel et lorsque je veux prendre un café, l’immense réservoir est vide. Le temps qu’il soit remplacé, mon petit-déjeuner est déjà fini.

 

Silke va suivre un programme différent du mien, car elle n’a aucune envie d’avoir peur en avion.

 

Renato, mon guide que je croise par hasard au bureau de réception est déjà là. Mais il n’a pas la même heure de rendez-vous que moi. Pour lui c’est 9h00 alors que j’ai 9h30 sur mon programme. Je vais vite me préparer. Nous partons dans un grand minibus alors que je suis tout seul.

 

A l’aéroport, je pensais que je me dirigerais vers un aérodrome privé, mais en fait je dois m’enregistrer à la compagnie DAP / « La Aerolinea de la Patagonia ». Je montre mon passeport et on m’annonce que le pilote viendra me parler du temps et de la météo. Sur le tableau d’affichage, mon vol, alors que je serai le seul passager avec Renato qui m’accompagne, est affiché ainsi : « Sobrevuelo », DAP 60 et on me demande, à moi tout seul, d’embarquer ! Le vol est intitulé « survol », ce qui est charmant.

 

L’autre vol de cette compagnie (il n’y a que deux vols) part à la même heure à destination de Port Williams qui doit être la ville la plus basse du Chili.

 

Le pilote arrive avec un dossier très plat et une revue de Sudoku, et il nous explique que la région est naturellement ventée, et que l’absence de vent n’existe pas. Mais, selon lui, les conditions de vol seront normales, ce qui justifie que nous puissions décoller.

 

Il me faut passer mes affaires dans le tunnel de contrôle comme pour un vol normal et une hôtesse m’accompagne à la porte de l’avion. Oui, évidemment, ça fait petit. Il suffit de trois marches pour être entré dans un avion de sept à huit places.

 

Je ne ressens aucune appréhension, et le décollage se fait sur une toute petite partie de la piste. Et c’est alors que ça commence. Car le détroit de Magellan fait à Punta Arenas une courbe qui est un joli tremplin pour les vents. L’avion tressaute, chute de cinq mètres de ci de là au fil des coups de vent, et je pousse des « oh » et des « ah ». Je tourne la mollette qui m’envoie sur le visage un air glacé pour éviter de me sentir mal et je commence à me demander si je ne vais pas trépasser de panique.

 

Il se trouve que les nuages sont assez bas, à quelques centaines de mètres seulement, et qu’il n’y a au dessus aucun nuage d’altitude. Aussi, dès que nous avons passé la couche de nuage, l’avion est remarquablement stable et je n’aurai plus aucune peur pendant tout le voyage.

 

Le ciel est très couvert, aussi chaque coin visible est mitraillé par mon appareil. Je ferai 209 photos durant le vol. Les paysages que l’on peut voir sont variés, entre montagnes neigeuses, plaines arides et îles découpées. Nous passons au dessus de la capitale de la Terre de feu, au dessus de Ushuaia, et le pilote nous dit qu’à partir de maintenant, ça va remuer. Nous descendons sous les nuages, et le paysage est bien noir. Lorsque nous arrivons sur le Cap Horn, l’excitation est à son comble, mais la pluie aussi. La pluie martèle le pare-brise. Je mitraille avec mon appareil photo. Le pilote dépasse l’île et nous dit que la tornade qui couvre l’île devrait se déplacer. Il tentera donc une nouvelle approche. Nous partons au loin en mer et je peux constater que les vagues sont bien celles de la légende, même si j’imagine que les conditions sont en ce moment particulièrement douces. Nous revenons et je peux voir distinctement le petit phare rouge, un camp de base succinct et l’hélicoptère de secours en mer. Nous faisons un nouveau tour pour que je puisse mitrailler encore et nous reprenons de l’altitude pour rentrer. A ce moment, un sentiment d’intense plénitude m’envahit. Je voulais, une fois dans ma vie voir le Cap Horn. Je l’ai vu. Et le pilote a eu la gentillesse de presque le toucher des ailes de l’avion, car nous sommes passés très près.

 

Au retour, je jouissais de ce bonheur, de cet accomplissement. Oubliés, les hôtels imparfaits, les serveurs paresseux et inattentifs. Je tenais dans un coin de ma mémoire les Moai, Torres del Paine et ce mythique Cap Horn. Bien sûr, je n’y suis pas venu en bateau. Mais ne rêvons pas, c’eût été impossible. Je l’ai vu. Je suis heureux.

 

Le pilote a fait un atterrissage tout en douceur. Quel bonheur !

 

De retour à l’hôtel fatigué et transi par le froid qui régnait dans l’habitacle, je n’ai pas eu le courage d’aller déjeuner en ville. Le repas fut sinistre comme la qualité du service. Dans les rêves de ma sieste, il y avait des aventures au Cap Horn, ce désir devenu réalité.

 

Silke avait rendez-vous avec une guide, Angelica, pour une visite de quatre heures. Je l’attendais. Elle n’arrive qu’au bout de huit heures, souriante et coiffée de frais. Elle a tellement sympathisé avec Angelica qu’elle ont déjeuné ensemble dans un café d’artistes, sont allées chez le coiffeur et ont visité musées et boutiques. Elles ont même réservé notre table pour le dîner.

 

Nous nous racontons nos aventures et le téléphone sonne. C’est Angelica qui voudrait que Silke remplisse le formulaire de satisfaction. Elle l’attend à la réception.

 

Une heure plus tard, je trouve que cela fait bien long pour un formulaire et je descends. Je vois les deux femmes qui papotent autour d’un drink. Elles semblent inséparables.

 

Nous allons dîner au restaurant dont notre livre guide indique qu’il s’agit d’un des deux meilleurs de la ville. Il s’agit du Sototo’s bar. La décoration est assez faible, mais la nourriture est bonne. Mon crabe royal ressemble enfin à du crabe royal et le saumon, même s’il est trop cuit, est goûteux. L’agneau de Silke est excellent.

 

La chambre est toujours aussi inhospitalière. Il va être temps de trouver du confort.

 

16 janv. 10

 

Après une nuit réparatrice, nous allons prendre le petit-déjeuner dans la salle de restaurant où chacun doit se servir de tout. Il faut savoir régler le toasteur. Nous remontons faire nos valises pour la nième fois. La chambre se rend à midi et Renato viendra nous prendre à 15h20. Que faire pendant ce temps d’attente ? Ayant eu les jambes coincées dans l’avion hier, j’ai mal aux genoux. Il n’est donc pas possible de faire une longue promenade. Nous allons sur le petit parc joliment arboré qui est juste en face de l’hôtel. Au centre, une immense statue de Magellan trône au dessus de quatre statues qui ornent les faces du socle. Parmi elle, la statue d’un indien possède une vertu particulière. Si l’on touche le pied de l’indien, dont le bronze est devenu jaune d’or, il est certain que l’on reviendra au Chili. Silke l’avait touché hier. Je le touche aujourd’hui.

 

Des milliers de touristes, dont beaucoup de chiliens, viennent toucher le pied et se faire photographier aux côtés de l’indien. De petites roulottes, dont la fonction est la même que celle des petites boutiques des bouquinistes à Paris, déploient une profusion d’articles pour touristes, dont le trait d’union est la laideur. Les pulls en laine à peine traitée ne sont pas seyants. Les pingouins mille fois représentés sont laids.

 

A côté de nous, un peintre expose une représentation de Torres del Paine. Des touristes français s’approchent, négocient le prix et embarquent la toile qui finira sans doute dans un grenier ou une cave.

 

Une petite flaque d’eau circulaire a pour fonction de recueillir les pièces que les touristes jettent dans l’eau, sans doute avec un vœu. Un jeune garçon d’une dizaine d’années se gèle les pieds en allant ramasser les pièces au fond de l’eau. Nous allons faire un petit tour dans la rue principale, mais il n’y a franchement rien pour retenir l’attention. Nous décidons de retourner à l’hôtel pour prendre un sandwich. Le service est toujours aussi désespérant.

 

archives par années lundi, 11 janvier 2010

Cette nouvelle catégorie est ouverte pour permettre de pouvoir accéder facilement aux commentaires sur une année en particulier.

Pour un vin on donne le n° du bulletin qui évoque ce vin. En allant ensuite dans la catégorie "bulletins", on trouve facilement le bulletin qui parle du vin.

http://academiedesvinsanciens.org/?cat=5

(si le n° de bulletin est soit "*" soit "A", c’est que ce vin a été bu avant le 20 décembre 2000, date du premier bulletin et que j’en ai gardé la mémoire en conservant un menu, mais sans commentaire écrit)

archive pour l’année 1971 archivesdelanne1971.pdf

L’île de Pâques dimanche, 10 janvier 2010

 

Voyage de Silke et François Audouze janvier 2010

 

Ce compte-rendu de voyage a été rédigé pour garder la mémoire des événements qui nous ont marqués. Il n’a normalement pas sa place sur le blog, puisqu’on n’y parlera pas de vin. Il ne sera pas inclus dans les bulletins. Il a été mis dans l’année 2001, pour ne pas dévier du contenu qui est destiné au vin.

 

Il est recommandé de lire dans l’ordre du voyage.

 

L’île de Pâques

 

6 janvier 10

 

L’avion est grand, beaucoup de gens vont vers Tahiti, car notre arrivée n’est qu’une étape pour eux. Le repas est délicieux et le service de la compagnie chilienne est charmant. Qu’allons nous découvrir en mettant les pieds sur cette île magique vers 21 heures ? L’imagination travaille et l’excitation est à son comble.

 

L’aéroport de l’île est exactement comme je les aime : un tracteur agricole tire l’escalier qu’il colle à la porte de l’avion. Nous descendons dans la salle de réception des bagages où de souriantes femmes sont prêtes à accueillir les touristes. Les bagages arrivent, reniflés par des chiens qui contrôlent qu’aucune denrée alimentaire ou plante n’arrive sur l’île. A la sortie un bel îlien au type tahitien appelle Silke par son prénom. Pas de pancarte de reconnaissance, mais une prescience de qui est qui. Samy, le guide, nous passe un collier de jolies fleurs jaunes autour du cou et nous partons à l’hôtel Explora. Il fait nuit maintenant. A l’entrée, la souriante directrice de l’hôtel nous accueille et nous montre notre chambre. Tout ici est dessiné en ronds qui s’entrecroisent. Les matériaux sont le béton brut et le bois clair. Les fondations sont en pierre de lave noire que l’on trouve partout sur l’île. Dans la chambre, une baie vitrée de six fenêtres placées en cercle donne sur la mer. Nous revenons vite, car Samy nous explique les excursions que nous ferons les prochains jours. Le rendez-vous est pris pour le lendemain.

 

Nous prenons un rapide dîner qui sera le troisième repas de notre journée rallongée de deux heures. En sortant pour rejoindre notre chambre, le ciel est illuminé d’étoiles comme on en voit rarement. Cette île est sans pollution et loin de toute source de pollution. C’est comme si le ciel était doté d’un rhéostat poussé à son maximum. C’est absolument spectaculaire.

 

Dès que nous avons éteint les lampes, malgré des fenêtres ouvertes, le noir est total ainsi que le silence. Du fait de l’excitation, j’ai très mal dormi, réveillé très tôt par des coqs qui chantent le lever.

 

7 janvier 10

 

Le petit déjeuner ne se prend pas en chambre. A 9h45, une camionnette Chevrolet conduite par un homme au profil tahitien typique emporte un groupe de six touristes, deux brésiliens, deux suisses et nous. Nune, la jolie guide, nous conduit au premier site de statues. C’est évidemment émouvant, mais l’on est loin de la majesté imposante que l’on imaginait. Une fois cette entrée en matière acceptée, on est pris par l’étrangeté de ces témoignages uniques de l’esprit humain. Les profils des statues n’ont rien de tahitien. De quels hommes s’agit-il ? Les mains sont très longues et très fines. Nune nous explique l’histoire et ses énigmes.

 

Nous nous rendons ensuite le long de la mer pour une longue promenade épuisante mais passionnante. Nous voyons une deuxième plateforme où les statues ont été renversées, certaines ayant le nez tourné vers la terre. Là, nous croisons un individu curieux, un shaman sans doute qui parle des plantes médicinales avec une science rare et qui connaît des secrets qu’il lui est interdit de divulguer. Nous voyons des restes de maisons en formes de bateaux, dont l’usage est uniquement celui du couchage, les autres occupations familiales se faisant sur le seuil. Nous voyons des fours, des enclos à végétation, et nous visitons deux grottes qui ont servi d’habitation, dont une impressionnante où l’on accède en descendant dans un trou étroit au ciel bas, qui a deux ouvertures en milieu de falaise, en aplomb direct de la mer agitée. Une chose est sure, je ne serai jamais spéléologue, car je suis sorti trempé de sueur du stress de ces espaces poignants.

 

Ce qui est assez curieux, c’est que les abris pour les poules semblent aussi sophistiqués que les maisons qui sont comme des igloos plats, mais en pierre.

 

Un autre alignement de statues montre une statue avec le chapeau des rois et des yeux peints qui ne sont pas authentiques. Un débarcadère datant de plus de mille ans est d’une architecture parfaite. La tête de le plus vieille statue date des années 700.

 

Nune nous donne des tranches d’ananas et du jus de fraise. Epuisés mais contents nous allons prendre un déjeuner léger à l’hôtel Explora. Le prochain rendez-vous est à 16h45. Vais-je me baigner dans le froid lagon situé au centre du volcan qui a servi de carrière aux statues Moai ? L’après sieste le dira.

 

L’émotion qui était un peu limitée le matin va faire place à un pur enchantement. Nous partons vers l’est. Des « plateformes » abandonnées montrent les Moai face contre terre, ce qui n’est pas valorisant. Pourquoi laisser tant de témoignages en position négative ? On m’a expliqué plus tard que c’est lié au manque d’argent. Nous partons pour une longue marche vers le volcan qui a servi de carrière à la fabrication des 900 Moai qui ont été recensés. Tout le long du chemin nous voyons des Moai, faces contre terre qui sont les sculptures qui ne sont jamais arrivées à destination, cassées pendant la reptation qui ressemblait à la manœuvre que l’on utilise pour déplacer un meuble ou un réfrigérateur. Le site autour de nous est aride, mais nous traversons une vallée extrêmement riche où les goyaves poussent comme du chiendent. Ce passage a un petit côté Indiana Jones, comme la grotte de ce matin.

 

Tout d’un coup, un paysage de rêve se découvre à nos yeux. Le long des pentes abruptes du volcan, une trentaine de Moai sont plantés de façon anarchique, comme les fléchettes d’un joueur maladroit. Nous nous promenons au milieu de ces sculptures beaucoup plus émouvantes du fait du hasard et en levant les yeux, nous voyons que la falaise quasi verticale a été creusée pour fabriquer les Moai dont le plus long, qui ne sera jamais sorti de sa gangue, fait 21 mètres de long. Et l’on est obligé de s’interroger : comment est-il possible qu’une technique aussi sophistiquée pour creuser la roche, faire glisser les statues sans les casser, ait conduit à des sculptures aussi primitives, puisque le visage est caricatural, les bras à peine dessinés, le tronc informe et les jambes inexistantes ? Cette visite creuse le mystère. Nous revenons sur nos pas pour entrer dans le cratère du volcan où un lac couvre les deux tiers de la surface. Cet étang n’est pas très engageant, mais je m’y baigne. Je suis le seul fou à le faire, mais j’aurai le plaisir de me dire que j’ai nagé dans le lagon du cratère de la carrière des statues de l’île de Pâques. A l’intérieur du cratère la roche a aussi été creusée pour fabrique des statues et une vingtaine de Moai, faces tournées vers le lac, m’ont vu me baigner.

 

Alors que j’étais en train de me changer à l’abri des regards, une horde de chevaux sauvages fonce sur les femmes de notre groupe. Heureusement, une chienne très sale qui nous suivait depuis le début de l’expédition a effrayé les chevaux qui se sont détournés.

 

Les muscles tétanisés par le froid, je marche comme un pingouin pour revenir vers notre voiture.

 

Cette promenade a été merveilleuse.

 

8 janvier 10

 

Après une nuit passée à rechercher une position de repos pour mes jambes que je ne trouve jamais, le soleil très vif dès 7 heures du matin inonde notre chambre. Silke va gérer ses excursions avec un couple de brésiliens. De mon côté, je pars avec Nune et le père d’un suisse de notre groupe de la veille, pour découvrir la plus grande plateforme de quinze Moai. Ces Moai sont très impressionnants. Le site est magique, au plus profond de l’île, sur une baie protégée par le plus vieux volcan de l’île. Le site dessiné de la plateforme fait 200 mètres de long et la plateforme fait 100 mètres. Elle a été restaurée par des japonais qui sont venus avec de grandes grues relever les imposantes statues. Les formes des têtes sont très différentes ainsi que les tailles des statues. Le seul point commun, ce sont les mains aux doigts très longs et très fins qui enserrent leurs ventres. A peu de distance on peut voir des pétroglyphes représentant des tortues, des thons, et des représentations sexuelles car le site dispose d’une sorte de bassine en pierre pour les accouchements. Nous reprenons la voiture et nous nous arrêtons le long de la mer. Nune nous dit que nous sommes partis pour une promenade de neuf kilomètres le long de la mer. Elle montre la colline qui sera la fin de la promenade et je suis prêt à abandonner car mes jambes me font mal. Mais il faut y aller. Nous sommes seuls, et sur les trois heures de la marche nous ne croiserons personne. Nous voyons de nombreuses plateformes dont les Moai ont été renversés. Un petit port de pêche est très succinct. Juste à côté de son embarcadère, nous voyons une pierre ronde mise au milieu d’un cercle de pierres de lave qui est appelée « le nombril du monde ». Cette pierre venue non pas d’ici mais d’îles polynésiennes lointaine doit contenir du fer, car elle affole la boussole, qui selon les positions par rapport à la pierre montre une direction inverse de celle qu’elle devrait montrer, préférant se tourner vers la pierre.

 

La marche est difficile, car le sol est jonché de petites pierres de lave qui menacent les chevilles. La marche épuisante est enfin finie et nous nous rendons en voiture vers une plage de sable fin où poussent de grands cocotiers qui donnent du lieu une image totalement opposée à la sauvagerie authentique de l’île. Il s’agit de cocotiers venus de Polynésie dans les années soixante. Je prends le premier bain de ma vie dans l’océan Pacifique, dans une eau qui n’est pas froide du tout, contrairement aux avertissements de toutes les bonnes âmes locales qui doivent me prendre pour un fada. Auprès de moi des petits poissons nagent, comme dans toutes les mers du monde.

 

Sous les cocotiers l’hôtel Explora a installé une tente et un buffet froid fort sympathique. Pendant cette pause méridienne, j’ai le temps d’aller photographier des Moai qui portent tous des chapeaux de lave rouge. Je soupçonne que certains d’entre eux sont de restauration récente.

 

L’excursion la plus difficile est l’ascension du plus grand cratère de l’île. La promenade longue qui s’y rend dure 3h30 et compte plus de sept kilomètres. La promenade courte fait 1h30. On m’a inscrit sur la courte, compte tenu de mon programme du matin. Mais un jeune couple d’américains « just married » avec qui j’ai sympathisé lors du déjeuner sur la plage fait la marche longue, ainsi que le jeune suisse. Je rejoins donc ce groupe, sentant qu’il s’agit d’une folie, mais qui mérite d’être faite.

 

Le site du volcan est impressionnant. Pendant 90% de la montée, on ne voit derrière soi que l’océan et le reste de l’île et devant nous, il n’y a qu’un horizon étroit, celui de la pente. Après avoir traversé une forêt de cyprès, on arrive sur l’arête du cratère. Un étang d’un cercle presque parfait a un diamètre de 1,6 kilomètre, alors que le diamètre du cratère est du double. Le point de vue est unique. Nous longeons l’arête sur près de la moitié du cercle. Notre camionnette nous attend. J’imagine que tout est fini et je commence à me détendre après cette ascension usante. Mais ce n’est pas fini. Nous nous rendons sur le site qui surplombe l’île de l’homme oiseau. C’est cette île qui était le point d’arrivée de la compétition annuelle qui désignait le chef de l’île sur une période qui va de 1620 à 1860 environ. Il s’agissait pour les athlètes en lice de nager jusqu’à l’île, trouver l’œuf d’un oiseau marin, le montrer le premier au sommet de l’île et de revenir à la nage avec l’œuf noué dans les cheveux, pour que l’on vérifie l’authenticité de l’œuf. Notre guide Javier nous raconte les rites de désignation des chefs et les récompenses des athlètes. Nous continuons de marcher le long du cratère pour trouver des pétroglyphes qui racontent ces hommes oiseaux.

 

Au retour à l’hôtel, plusieurs personnes me félicitent d’avoir enchaîné sur la même journée les deux excursions les plus longues. Mes jambes se tétanisent. Après une douche plus que nécessaire, nous dînons avec le suisse et son père. Nous trouvons des sujets passionnants de discussion qui nous entraînent fort tard.

 

Demain par prudence, il n’y aura aucune excursion.

 

9 janv. 10

 

J’ai passé ma nuit à tourner et retourner dans le lit tant il était impossible de trouver une position qui ne me fasse pas mal aux jambes. Le soleil rasant inonde notre chambre de sa lumière et de sa chaleur. Une journée de repos s’annonce.

 

Lorsque nous avions décidé du voyage avec une société spécialisée, l’hôtel Explora nous avait été présenté comme le plus moderne, le plus luxueux et le plus respectueux de l’environnement. Mais Explora, ce n’est pas que cela. C’est aussi une philosophie qui a la délicatesse de ne pas s’afficher. Sur le papier de bienvenue, il y a marqué « dear explorer ». Nous sommes donc considérés comme des explorateurs. Ce qui explique que chaque excursion a une dimension sportive et d’imprégnation avec l’environnement. Nous aurions pu voir tous ces sites en étant déposés devant chacun d’eux. Nous les avons découverts après ou avant de longues promenades. Nous ne le savions pas, mais c’est une excellente chose.

 

L’aisance avec laquelle se prennent les contacts avec d’autres touristes est aussi exemplaire. Des promesses se sont échangées avec nos compagnons de marche, brésiliens de San Paolo, américains de Washington D.C., suisses de Panama ou de Toscane.

 

Après un petit-déjeuner copieux et agréable, j’ai fait un petit somme de récupération. Après le déjeuner, une sieste réparatrice fut suivie d’un massage tonique d’une chilienne aux mains puissantes. Il est temps de se reposer avant le dîner, car le programme des jours à venir s’annonce particulièrement mouvementé.

 

10 janv. 10

 

Nous dormons mal dans cet hôtel. Est-ce dû au vent, aux activités physiques, je ne sais. Dans la nuit, je vois à l’horizon, au ras de l’eau, un disque de la forme d’un ongle d’un rouge puissant comme celui du soleil au moment où il se couche. Dans mon demi-sommeil, je sens que ce n’est pas l’heure du lever du soleil. De plus, si le soleil se levait, le ciel serait clair et non pas noir. Dix minutes plus tard le disque est devenu blanc-gris. C’est la lune. Jamais de ma vie je n’ai vu une lune qui devient rousse en pleine nuit et qui de plus n’est pas rousse mais d’un rouge sanguin aussi puissant. Ce doit être un Moai qui me fait un clin d’œil. Nune a confirmé le phénomène de la lune rouge.

 

Tout à l’heure, nous allons quitter cette île avec beaucoup d’impressions étranges. L’une d’elles est le caractère primitif de la civilisation des Rapa Nui, les habitants de l’île qui s’appelle aussi Rapa Nui. Comment être enfermé dans un culte des rois et des personnalités locales au point de construire des statues imposantes dont les représentations sont aussi primitives ? Le mythe de l’homme oiseau et la désignation des chefs sont aussi des rites primitifs. On voit aujourd’hui que les habitants sont assez paresseux, car ils laissent à l’abandon des terres très fertiles. Leur raisonnement doit être : pourquoi faire, si l’on n’en a pas besoin.

 

L’autre sentiment très désagréable est le comportement des civilisations occidentales vis-à-vis de cette île. Aucun respect, volonté de domination politique ou spirituelle, utilisation d’êtres humains comme esclaves. Tout cela donne froid dans le dos. Les seuls qui ont eu du respect sont James Cook et La Pérouse. Tous les autres n’ont pratiqué que domination, prise de possession et pillage.

 

Le sentiment qui domine cependant, c’est la satisfaction d’avoir visité un site unique, avec une des formes de civilisation les plus uniques et étranges qui soient. Ici tout le monde sourit. Alors, sourions, fiers d’avoir fait ce beau voyage pour rencontrer les Moai et les Rapa Nui.

 

Nous sommes conduits à l’aéroport où les formalités de contrôle donneraient des cauchemars dans tout autre pays. Très en avance, nous regardons les souvenirs qui sont proposés dans d’approximatives boutiques, d’un art particulièrement primitif.

 

Le vol se passe très vite et le service du personnel de la compagnie chilienne est parfait, la nourriture étant fort bonne. Qualité de service oblige, un guide, Christian, nous accueille à l’aéroport alors que nous n’avons que dix mètres à faire puisque nous couchons à l’Holiday Inn accolé à l’aéroport. Nous récupérons les valises laissées à la consigne et nous prenons notre chambre à l’hôtel. Ici, tout est formaté pour le représentant de commerce en escale. Pas de mini-bar, pas de service en chambre, mais une immense salle informatique où chacun peut brancher son portable. Nous dînons tout en jetant un œil sur un écran de télévision qui diffuse un match de foot en direct. La nourriture est standardisée et acceptable.

Santiago et Valparaiso lundi, 4 janvier 2010

Voyage de Silke et François Audouze janvier 2010

 

Ce compte-rendu de voyage a été rédigé pour garder la mémoire des événements qui nous ont marqués. Il n’a normalement pas sa place sur le blog, puisqu’on n’y parlera pas de vin. Il ne sera pas inclus dans les bulletins. Il a été mis dans l’année 2001, pour ne pas dévier du contenu qui est destiné au vin.

 

Le texte ajoute aux milliers de photos que nous avons prises. Pour celui qui lira ce texte, tout n’a pas autant d’importance que pour nous. Mais c’est la loi du genre, comme pour les photos de vacances, qui font moins exploser de rire ceux qui n’y étaient pas.

 

Il est recommandé de lire dans l’ordre du voyage.

 

Santiago et Valparaiso

 

3 janv.-10

 

Pour aller à l’aéroport, j’ai adopté un principe de précaution d’une magnitude qu’on aimerait trouver chez Eurostar quand il neige. J’imaginais que les retours de vacances de Noël bloqueraient les routes. Tout est fluide. Je pensais que le durcissement des contrôles de sécurité allongerait les files d’attente. C’est l’inverse. C’est donc avec quatre heures d’avance que nous sommes à l’aéroport, toutes formalités accomplies.

 

Après un examen succinct des boutiques de luxe de l’aéroport, que faire ? Nous nous présentons au salon d’Air France prévu pour les voyageurs de première classe. L’agent obséquieux, que l’on verrait volontiers en gants blancs, nous reçoit et examine nos cartes d’embarquement. Sa morgue instantanée démontre que nous ne sommes pas de ces gens-là. Il nous rend nos papiers comme s’ils portaient le virus H1N1. Il est vrai que dans le salon dévolu aux voyageurs en classe affaires, tout fait franchement plus « peuple » que « people ». La différence tient en une seule lettre, un « u » au lieu d’un « o » dans peuple.

 

Air France devrait faire un examen de la valeur diététique de ce qui est proposé aux voyageurs en salle d’attente. Il n’y a que des chips et des petits gâteaux sucrés, dont chaque gramme multiplie les calories par un facteur dix. Autour de nous de jeunes couples ou des collègues de travail tous très jeunes qui voyagent en groupe.

 

Nous embarquons dans le Boeing 777 en partance pour Santiago.

 

Le personnel de cabine est d’une gentillesse et d’une serviabilité qui méritent mention.

 

Quatorze heures de vol, c’est assez long, mais supportable. Au moment où le soleil n’a pas encore pointé son nez mais teinte l’horizon d’un rouge puissant qui lutte avec le bleu foncé du ciel, je peux voir un fleuve qui raie tout l’espace visible en serpentant. Il me paraît si large qu’il doit s’agir de l’Amazone. Cette pensée provoque une émotion évidemment intense. Quand ensuite nous survolons la Cordillère des Andes, aux paysages arides, dont le point culminant, l’Aconcagua, est presque au même niveau que notre avion, l’impression d’être embarqués dans une belle aventure est totale.

 

4 janv. 10

 

Les aéroports américains du nord n’ont pas le privilège des attentes aux contrôles douaniers, et la lenteur à l’obtention des bagages montre qu’il y a une universalité dans cette disgracieuse habitude.

 

J’avais parié un repas avec Silke que deux sur quatre de nos bagages seraient perdus. Ce qui est perdu, c’est mon pari.

 

Nous sommes attendus par Lise-Marie, notre guide, qui se fait appeler Luz et par George le chauffeur. Nous apprendrons plus tard que nous avions un tel retard qu’ils allaient partir, croyant que nous avions raté notre avion. Nous nous rendons à Valparaiso. Luz est bavarde et plutôt que de parler de nature, de géologie ou de botanique, elle se lance dans un plaidoyer appuyé sur les mérites du général Pinochet. Quand on a veillé trente heures, quand le désir d’une douche est assez fort, les mérites politiques de l’ex-président chilien n’entraînent pas la vibration qu’elle eût souhaitée.

 

Lorsque nous traversons une plaine riche en vignes qui ressemblent à celles de la Napa Valley, Luz veut me démontrer que les vins chiliens sont les meilleurs du monde. Je me dis que je n’ai pas fait 12.000 kilomètres pour qu’on me parle de vin. J’essaie de faire dévier la conversation.

 

La ville de Valparaiso a été classée au patrimoine mondial de l’humanité. L’urbanisme est une surprise, car cette ville, rescapée d’un fort tremblement de terre en 1906 a vu pousser les maisons en chaque recoin possible. De nombreuses maisons sont à pic sur d’improbables falaises et s’écrouleront dès que la terre toussera.

 

Comme dans d’autres villes de la planète, quand les maisons n’avaient pas de numéros dans les rues, le repère était la couleur vive du crépi. Cette ville est donc un patchwork de couleurs agrémenté en de nombreux endroits d’une grande vétusté et d’une belle saleté. Mais l’on sent les efforts depuis le classement de l’Unesco, d’autant que le gouvernement a offert la peinture et les peintres pour revitaliser ces quartiers.

 

Notre hôtel est situé en hauteur et l’on y a une belle vue sur le port de marchandises.

 

Nous y arrivons à midi et nous n’avons qu’une envie, plonger sur le lit ou sous la douche. La jeune femme de la réception nous annonce que les chambres ne seront libres qu’à 15 heures.

 

Tout d’un coup, la fatigue tombe sur mes épaules comme une chape de plomb. Il va falloir attendre sur la terrasse qui surplombe le port que la chambre soit enfin libérée.

 

Peu avant l’heure dite nous prenons possession de notre chambre charmante qui possède sa propre terrasse face à la baie de Valparaiso. Après une douche réparatrice, nous partons visiter la ville. Les rues sont en pente forte. Un funiculaire vétuste nous fait peur. Est-ce celui que nous emprunterons demain avec notre guide ?

 

Les immeubles des abords du port sont d’une laideur absolue. Sur la rue la plus passante, de petites échoppes vendent de tout et de rien, nourriture, articles de bureau, téléphones. Il y a des agences de voyage, des banques dans des immeubles cossus qui contrastent avec la grisaille de beaucoup de commerces. Dès qu’on quitte les grands axes, la vieille ville est charmante. Les couleurs des maisons sont belles, avec des harmonies ravissantes. Beaucoup de maisons sont taguées par de vrais artistes aux codes internationaux. De minuscules boutiques vendent des articles de mode, des bijoux ou de l’art qui dénotent un goût certain. Cela m’évoque certains quartiers de San Francisco ou Greenwich Village à New York. La visite est intéressante.

 

Nous revenons à notre hôtel pour reposer nos pieds mis à mal par ces chemins pentus. Le dîner ne laissera aucune trace dans nos esprits, tant l’envie de compliquer les plats pour faire semblant d’être un grand chef achoppe sur l’exécution.

 

Demain, visite guidée de Valparaiso

 

5 janv. 10

 

La nuit, il faut fermer tous les rideaux et tous les persiennes. Car le port de marchandises fonctionne 24h sur 24 et l’espace est éclairé pour la sécurité au travail.

 

Le matin, un beau soleil éclaire la baie et le port. Le petit déjeuner est sympathique, tout annonce une belle journée.

 

La douche ! Ah, il y aurait un livre à écrire sur les douches d’hôtel. Ici, baignoire et douche ne font qu’une. Une paroi de verre fixe couvre la moitié de la baignoire, ce qui implique quasi automatiquement que l’on va créer une petite inondation si l’on utilise la douche. Il me semble que les designers des douches ne doivent jamais prendre de douche. Ils doivent fonctionner comme ces architectes qui font des maquettes des ensembles qu’ils projettent dont l’objet est de flatter l’ego des signataires du gros chèque plutôt que de donner du confort de vie aux futurs habitants. Car la pomme de douche extra large est fixée à un tuyau fixe et non souple comme l’on faisait jadis. Et bien sûr, quand on veut régler la douche, les gouttes froides nous guettent. Le soi-disant modernisme et le design ont tué le plaisir des douches.

 

A l’heure dite nous retrouvons George et Luz qui est étonnée de voir que nous avons déjà visité tant de sites. Dans la même vieille ville nous continuons à explorer de belles maisons, de beaux tags, et, d’un mirador, terme qui désigne un joli point de vue, nous voyons arriver le « Sea Princess », un gigantesque bateau de croisière qui fait la navette, si l’on peut dire, entre Buenos-Aires et Santiago. Sa manœuvre d’une lenteur majestueuse dans le port est impressionnante.

 

Nous partons visiter le musée de Pablo Neruda, maison qu’il a habitée, située en hauteur, équipée comme un bateau et jouissant d’une vue exceptionnelle. Cette minuscule maison de cinq étages ressemble à un bateau. Là sont rassemblés des milliers d’objets d’art qui ont jalonné la vie de l’écrivain ambassadeur. Dans le salon un oiseau de paradis empaillé déploie ses ailes dans une bulle transparente en plastique. La visite est éclairante sur la personnalité de ce personnage important de l’histoire du Chili, qui a longtemps séjourné en France.

 

Nous nous promenons ensuite dans un ensemble de maisons extrêmement intéressantes pour leurs formes architecturales, leurs couleurs et leurs tags. Les couleurs de cette ville sont d’une rare beauté. Nous prenons un funiculaire dont la cabine semble avoir plus d’un siècle.

 

Les visites qui suivent, faites en voiture ont nettement moins d’intérêt, car il s’agit de points de passage obligés qui ne sont pas marquants. La maison du parlement voulue par Pinochet est un gigantesque immeuble aussi beau qu’un hôpital de province. La place principale avec la statue du héros de la guerre de 1899 ne dégage aucune émotion.

 

Si notre Eiffel savait toutes les charpentes qu’on lui prête, il serait étonné, car le marché couvert aux fruits et légumes a une charpente métallique. De là à l’attribuer à Eiffel, il y a peut-être de l’extrapolation. Luz nous offre des fraises à croquer qu’elle achète à l’un des marchands aux étals éphémères.

 

A la pointe extrême de la ville nous prenons un funiculaire qui mène à un promontoire d’où la vue est saisissante sur la baie et sur le port. Comme au Sacré-Cœur, le lieu appartient aux marchands d’objets attrape touristes. Nous avons déjeuné avec Luz au « Café del Mirador » où la vue est belle et le poisson purée fort comestible pendant qu’un petit guitariste nous chante des œuvres à la gloire de Valparaiso avec un beau filet de voix.

 

Le soleil sournois a peint en rouge crabe le haut de mon crâne. Il me faut vite acheter un bob marqué « Chile » à l’un de ces marchands du temple. Assommé par le soleil, j’écourte la journée guidée.

 

Nous allons voir la mer d’un promontoire devant lequel des pélicans glissent dans les airs, planant sur le fort vent venant du large. C’est en ce lieu à la vue majestueuse qu’un cimetière marin est installé à l’espagnole, avec un alignement horizontal et vertical de cases tombales.

 

Nous passons devant le restaurant où nous irons ce soir, le restaurant « Turri ».

 

Après un peu de repos, nous allons à pied au restaurant Turri. Nous passons devant des galeries d’art qui attirent l’attention de Silke. Le vent étant tombé, nous pouvons dîner sur une terrasse face à la mer. Entre le restaurant situé sur un « mirador » et la mer, tous les immeubles sont laids. Notre guide avait vanté la qualité du restaurant. C’est une honnête cantine sans plus.

 

6 janvier 10

 

Le lendemain matin, après un petit-déjeuner toujours aussi agréable, avec du vrai jus d’orange, nous devons faire nos valises. Il faut scinder nos valises en deux contenus, l’un qui nous accompagnera à l’île de Pâques et l’autre que nous laisserons à l’aéroport en consigne. Il fait une chaleur intense, et les coups de soleil sont très vite brûlants. Une rapide collation à l’hôtel, avec un service toujours aussi approximatif, et nous quittons l’hôtel Casa Higueras. Cet hôtel a très peu de chambres, ce qui devrait signifier un service attentionné. Or en fait tout est marqué par de l’amateurisme. Il faut attendre vingt minutes pour avoir un thé sur la terrasse, le petit déjeuner annoncé dans dix minutes en prend trente, etc. Il est peu probable que nous reviendrons à Valparaiso, car cette visite suffit. Si nous revenons, nous choisirons un autre hôtel.

 

Luz et George sont en avance. Nous envisageons de laisser nos valises à l’Holiday Inn de Santiago où nous coucherons dans quatre jours à notre retour de l’île de Pâques. Les manœuvres que nous faisons subir à nos valises entre l’hôtel qui ne veut pas les prendre, la consigne qui n’est pas à l’étage où nous nous rendons, toutes ces allées et venues produisent en moi un stress difficilement contrôlé. Quand enfin nous avons passé toutes les formalités, il reste du temps pour que je retrouve mon calme avant le départ de l’avion pour l’île de Pâques.

réveillon du 31/12 – les photos vendredi, 1 janvier 2010

Champagne Bollinger Blanc de noirs, Vieilles Vignes Françaises 1998. L’étiquette est très sombre, minimaliste. Il a fallu retoucher la photo pour qu’on puisse lire.

Le bouchon du Champagne Veuve Clicquot brut 1943

On peut lire qu’il est interdit d’exporter ce champagne

Vosne Romanée Roland Thévenin & Fils 1955

Ermitage Cuvée Cathelin Jean-Louis Chave 2000

Château Climens Barsac 1943

Bar cru

caviar et coquille Saint-Jacques crue

foie gras poëlé

la truffe en fines lamelles et pomme de terre

pigeon à la goutte de sang

beau foie gras à pocher

belle harmonie de couleurs entre la mangue aux grains de fruits de la passion et le Barsac

toujours dans la même harmonie, les kumquats sont d’un goût un peu trop fort pour le Climens 1943.

Réveillon du 31 décembre, suite et fin jeudi, 31 décembre 2009

Les enfants arrivent. Mon gendre a apporté du foie gras à poêler et des bulots et du bar en filets qu’il aimerait manger cru. Je m’occupe d’ouvrir les vins. Je ne suis pas hyper convaincu de ce que donneront les deux 1943. Nous verrons. Le Chave est une bombe aromatique, il ira bien pour les pigeons. Le Vosne-Romanée 1955 a une odeur de truffe imprégnante. Ce serait sans doute la bonne pioche pour la truffe. Nous essayons de composer le menu : le Veuve Clicquot 1943 avec le bar cru puis un premier service de foie gras. Où caser le pata negra ? Entre les deux champagnes peut-être. Le Bollinger VVF 1998 avec bulots puis caviar sur coquilles Saint-Jacques crues. Le Vosne-Romanée Roland Thévenin 1955 sur truffe et pomme de terre. L’Ermitage Cuvée Cathelin Chave 2000 avec le pigeon puis avec le foie gras poêlé ou poché, et le Climens 1943 sur les mangues avec des traces de grains de fruits de la passion.

Je vais ouvrir le Climens et le Bollinger. J’avais peur pour le Climens 1943 au beau niveau, mais à la couleur de thé ou de cuivre un peu gris. Or en fait, le nez est tonitruant d’agrumes. Ça promet ! Le Veuve Clicquot 1943 a un beau bouchon bien droit, lisse. Sa senteur doit se normaliser, mais il me paraît prometteur. Ayant fini les ouvertures qui ont été progressives, je remonte de la cave et ça sent bon en cuisine.

Le dîner peut démarrer.

Le bar cru est très ferme, fortement goûteux, avec des accents de noix et un léger sucré. C’est ce qui avait poussé mon gendre à suggérer de le manger avec le Champagne Veuve Clicquot 1943. La première gorgée est un peu amère, car c’est le liquide qui était au contact du bouchon. Vite resservi, je constate que le vin est chaleureux, avec des notes de fruits jaunes comme la pêche ou la mirabelle. On note aussi des évocations de vin jaune, ce qui paraît cohérent avec le goût de noix du bar. Mais en fait, je pense que le bar irait beaucoup mieux avec le Champagne Bollinger Vieilles Vignes Françaises 1998. Ce champagne est un vrai bonheur. Ciselé, précis, tendu, il est dans la ligne de ce que doit être un grand champagne bien sec. Je suis étonné de lui trouver tant de fruits blancs, ce qui fait que ce champagne élégant, lord anglais, sait aussi parler le langage du cœur. Et captant la face iodée et marine du bar, il crée un accord beaucoup plus convaincant.

Le caviar osciètre d’élevage d’Iran posé sur des tranches de coquilles Saint-Jacques crues est l’un des plus beaux caviars que nous ayons mangés. La combinaison du salé et du sucré de la coquille, avec la profondeur insistante du goût du caviar créent un accord avec le champagne qui tient du sublime. Cet accord on ne peut plus simple dans sa définition est un accord vibrant, exceptionnel, frôlant l’extase. Nous sommes comme assommés par l’immensité de cet accord qui rehausse le caviar d’un charme inoubliable.

Le Pata Negra ne vibre pas franchement avec les champagnes. Nous laissons de côté les bulots et nous revenons maintenant au Veuve Clicquot dont le doucereux et la complexité se conçoivent très bien après le Bollinger. Mon gendre poêle des tranches de foie gras et l’accord se trouve dans la délicatesse.

La truffe sur pomme de terre accueille le Vosne-Romanée Roland Thévenin 1955 qui a un nez de truffe et une belle évocation de truffe. Ce vin est quand même très limité car il a souffert d’avoir perdu trop de volume. Il avait le droit de venir à notre table. Nous l’avons écouté mais il n’a pas brillé même si ses variations bourguignonnes avaient un soupçon d’émotion.

Le pigeon rosé à souhait, à la cuisson parfaite, fourré au foie gras sans que le foie ne se sente dans le goût du pigeon est d’une tendreté absolue et d’une personnalité forte. L’Ermitage Cuvée Cathelin Jean-Louis Chave 2000 me fait vaciller. Jamais je n’aurais imaginé que ce vin puisse être aussi exceptionnel. Je suis saisi. Il est à la fois puissant et d’une délicatesse invraisemblable. Tout en douceur, velouté, charmant, ce vin est un amour. C’est un courtisan galant qui fait des madrigaux. Jamais je ne dirais que ce vin est rhodanien alors qu’évidemment cela ne fait aucun doute. Ce vin pourrait faire partie des vins parfaits qui sont toute ma recherche. Avec le pigeon, c’est un bonheur absolu. Je demande à mon gendre de pocher le foie gras et le résultat avec le Chave est convaincant car la qualité du foie est exceptionnelle.

Le Château Climens Barsac 1943 a une couleur de cuivre gris. Le nez est en opposition à la couleur, car l’agrume est tonitruant. En bouche le vin a beaucoup plus d’ardeur que ce que la couleur suggère, et je ressens la richesse gustative et le coffre puissant d’un grand Climens, qui combine les agrumes, la mangue et un soupçon de thé. Les fines tranches de mangue léchées de grains de fruit de la passion forment un accord dont la simplicité n’a d’égale que la pertinence.

Dans ce dîner, rien n’a été cuisiné, et tout a été minimaliste, simplifié à l’extrême : le bar cru n’était accompagné de rien, le caviar et la coquille Saint-Jacques étaient dans leur totale nudité, la truffe et la pomme de terre n’acceptaient aucune fioriture. Pas le moindre légume pour le pigeon juste fourré de foie gras, lequel poêlé ou poché était aussi dans le plus simple état de présentation. Mangue et fruit de la passion sans un gramme d’ersatz. Cette recherche de pureté est voulue pour que rien ne détourne de la captation du message de grands vins. L’accord le plus sublime fut celui du caviar à la Saint-Jacques avec le Bollinger, chef-d’œuvre de précision du champagne d’exception. Le plus grand vin fut de très loin l’Ermitage de Chave, véritable consécration d’un domaine au sommet de la renommée de l’Hermitage. Ainsi, deux parcelles infinitésimales, toutes deux inférieures à l’hectare, nous ont donné deux vins très jeunes au sommet de leur art. Quoi de mieux pour terminer une année et en commencer une autre ?

réveillon, phase 1 jeudi, 31 décembre 2009

Ma femme et moi partons faire un grand voyage sur la plus grande partie de janvier. Le départ est dimanche, aussi n’avons-nous rien prévu pour le 31.

Nous serons deux, aussi ma femme a-t-elle acheté des pigeons que j’adore, j’ai acheté du caviar et deux belles truffes.

Je me rends en cave pour choisir des vins pour ce réveillon où je serai seul à boire. Que choisir quand on boit seul ? Le vin, c’est le partage, mais je n’ai quand même pas fait vœu d’abstinence.

La promenade dans ma cave est un moment d’excitation, car dès que je vois une bouteille, j’ai envie de la boire. Mon œil tombe sur Veuve Clicquot 1943. Tiens, voilà une bouteille qui se justifie, puisque c’est mon année de naissance. Si je suis seul, « j’ai le droit » d’ouvrir une bouteille de mon année.

Voilà un thème possible. Mes yeux tombent sur Climens 1943. Je tiens une logique. Il se trouve que les vins de 1943 sont plutôt chez moi que dans ma cave, or j’ai envie de faire mon choix maintenant. J’ai envie d’une Cuvée Cathelin de Chave. Je prélève une Cuvée Cathelin 2000. En faisant cela, mon œil croise une Mouline 1990, vin que je considère comme le plaisir absolu. Je suis donc à quatre bouteilles, or mon petit sac de transport a six places. Quoi ajouter de plus ? Je mets « pour le cas où » un Bollinger Vieilles Vignes Françaises 1998. Et, pour rester fidèle à ma vision des choses, j’ajoute une bouteille basse, que j’ouvrirai de toute façon : un Vosne-Romanée Roland Thévenin 1955.

Je rentre à la maison et j’échange des mails avec mon gendre sur d’autres sujets. Puis je lui écris : ce 31, je vais choisir entre ces six bouteilles, car nous ne sommes que deux.

Réponse de mon gendre : nous aussi nous ne sommes que deux, pourquoi ne pas faire un travail d’équipe.

C’est comme la cavalerie américaine qui arrive au bon moment : je vais pouvoir éviter de boire seul. J’ai bien fait d’avoir confiance dans la justice de mon pays !