Le « Grand Tasting » acte 2 vendredi, 4 décembre 2009

Après le déjeuner au restaurant « L’Ami Louis », je reviens au Grand Tasting du Carrousel du Louvre pour la Master Class consacrée au champagne Ruinart, de la maison la plus ancienne de champagne, fondée par une famille de drapiers en 1729, l’année qui a suivi l’autorisation royale de mise en bouteille des vins. Nous allons goûter des « R », vins faits de 55% de chardonnay et 45% de pinot noir, alors que le « Dom » Ruinart est fait de 100% de chardonnay grand cru.

Le champagne « R » de Ruinart 2004 a un joli nez et une couleur pâle. Il est dosé à 7 grammes, ce qui est considéré comme peu. L’impression est effectivement très sèche. Le vin est frais, tendu, très agréable de fruits blancs, avec un côté salin charmant.

Le champagne « R » de Ruinart 2002 a un nez discret. Dosé à 8,2 grammes, il est plus rond que le 2004. Le fruit est très joli, d’un millésime solaire. On sent un peu de beurre et d’amertume.

Le champagne « R » de Ruinart 2000 a une couleur plus prononcée. Le vin dosé à 9,3 grammes est plus miellé. Il est plus astringent et plus développé. Il est plus grillé et toasté. Frédéric Panaiotis nous dit qu’il est plus réduit, ce qui préserve la minéralité.

Le champagne « R » de Ruinart 1995 est servi en magnum. Le nez est beaucoup plus expressif, le vin est beaucoup plus rond, légèrement beurré. Frédéric indique que l’évolution qualitative conduit à un style plus pur pour le 2004. Attendons de pouvoir en profiter comme nous le faisons du 1995.

La Master Class suivante est la présentation de deux vins mythiques, Château Grillet et Vega Sicilia Unico. Confronter le viognier et le tempranillo est un caprice convaincant de Michel Bettane.

Le Château Grillet 2001 a un nez assez discret et une belle couleur. Ce vin qui a été nommé par Curnonsky parmi les cinq plus grands vins blancs de France se présente un peu fumé, avec une note lactique. A la fois minéral et légèrement beurré, il a la pureté du granite. C’est un Condrieu assez unique.

Le Château Grillet 2006 a un nez beaucoup plus riche. Il est beaucoup plus agréable, mais sa jeunesse lui donne un côté encore un peu perlant. La profondeur du final est extrême et j’y trouve un peu de noix. Comme pour les vins du Jura, c’est un vin d’une race énorme, mais un vin d’initié.

C’est Javier Jausas qui fait Vega Sicilia Unico et qui le présente. Nous commençons par le Valbuena Vega Sicilia 2005 qui n’est pas un second vin, mais une expression jeune de l’Unico. Il l’appelle « version juvénile ». Elevé à 760 mètres d’altitude avec une exposition plein nord, ce vin est vendangé en quatre jours car à Vega Sicilia, on n’aime pas les vins sur-muris. Le nez est très riche et fruité. La bouche est un peu fermée, mais je l’impute au fait que la bouche a la mémoire du Grillet. La fin de bouche est râpeuse et astringente, mais d’une élégance extrême. Ce qui frappe, c’est la pureté aromatique. Le vin est vibrant en bouche et l’on s’habitue de plus en plus. Il y a de la feuille de cassis, un fruit élégant et ce qui frappe le plus, c’est la fraîcheur.

Le Vega Sicilia Unico 1995 a connu un vieillissement de dix ans et a été mis sur le marché en 2005-2006. La couleur est rouge foncé, le nez est assez discret. En bouche il commence par être plus fermé que le Valbuena. Mais il est riche et ce qui m’enthousiasme, c’est la fraîcheur. C’est un vin serein, féminin, joyeux. Il trouve son charme de sa belle définition et de son incomparable fraîcheur. Il faut le laisser vieillir pour qu’il prenne de l’ampleur.

Quittant cette Master Class, je vois de l’animation dans une salle voisine. C’est la société idealwine qui a convié ses amis et clients. On m’ouvre volontiers le barrage pour que je me retrouve au sein d’une foule grouillante où je reconnais des amis. Je goûte le champagne Bollinger R.D. 1997 qui se boit bien, car il a une fluidité extrême. Un champagne Perrier-Jouët Belle Epoque 1996 servi en jéroboam est d’une grande présence, solide champagne au charme fort.

L’Hermitage le Pavillon en jéroboam Chapoutier 2001 est d’un plaisir solide et je n’arrive pas à accrocher avec le Sassicaia Tenuta San Guido en impériale 2002, sans doute pour un problème de carafe, même si l’on sent que le vin est grand. Le Pouilly-Fumé Silex Didier Dagueneau en magnum 2003 a passé trop de temps dans la glace pour que j’en saisisse les finesses qui ont fait sa renommée. A un stand se trouve un vin mystère à découvrir. Je trouve qu’il s’agit d’un Vouvray et pour l’âge, j’annonce une fourchette large dont la borne la plus jeune est 1947. Peu de temps après, Agnès Audebert m’annonce que c’est un Vouvray 1947. Ce vin est absolument délicieux, simple, facile, doucereux, d’un plaisir accessible. Les conversations se poursuivent alors que l’on annonce que le salon est maintenant fermé. Il est temps de se reposer car le Grand Tasting recommence demain.

Déjeuner au restaurant « l’Ami Louis » vendredi, 4 décembre 2009

Lors de Vinexpo, j’avais rencontré au Château Palmer Louis Gadby, animateur du fameux restaurant « l’Ami Louis ». Nous nous étions promis de nous revoir. Aussi, lorsque Bipin Desai arrive à Paris pour une semaine de dégustations qui se terminera par un dîner de vignerons que j’organise pour la neuvième année consécutive, le rendez-vous est pris à l’Ami Louis. Je quitte le Grand Tasting pour quelques heures. Le taxi de Bipin ayant erré et m’ayant appelé trois fois pour se faire guider (bravo l’artiste), j’ai le temps de goûter le célèbre foie gras sur un champagne Jacquesson cuvée 733 que je trouve doucereux et aigrelet. Nous prenons des coquilles Saint-Jacques à l’ail mordant qui me fait pleurer, puis le traditionnel poulet frites de la maison, à la profusion qui est une marque de fabrique de ce restaurant. Bipin veut choisir un vin qu’il ne connaît pas, alors qu’il connaît tout. Ce sera un Clos de Vougeot Domaine de la Vougeraie 2001. Aucun de nous n’est réellement impressionné par ce vin qui manque un peu d’émotion, même s’il est gouleyant. Il faut une glace vanille pour compenser la pesanteur de ce que nous avons mangé. Le restaurant est attachant, Louis et son équipe ont une belle joie de vivre. Les produits sont de grande qualité et de grande quantité. A revisiter un jour où il n’y a pas de Master Class à suivre !

L’ail perfide niché au sein des coquilles Saint-Jacques délicieuses

Le « Grand Tasting » acte 1 vendredi, 4 décembre 2009

Le « Grand Tasting » est le rendez-vous annuel incontournable des amoureux du vin. Car les vignerons les plus prestigieux présentent leurs vins, soit à leurs stands, soit à des conférences-dégustations appelées « Master Class ». Selon une tradition amicale, Thierry Desseauve et Michel Bettane, qui animent et assurent l’organisation de cet événement, m’accueillent à la table de présentation des Master Class pour faire, quand cela se justifie, des commentaires sur les vins présentés et leur histoire.

J’arrive vendredi au Carrousel du Louvre, dont les larges allées sont envahies d’une foule qui attend l’ouverture du Musée du Louvre. Très cosmopolite, cette foule est très jeune. Au Grand Tasting, les stands s’installent, les vignerons vérifient si les vins qu’ils offriront à dégustation n’ont pas de défaut.

La première Master Class est une tradition, de mettre en avant cinq vins qui sont les coups de cœur de Michel et Thierry. Nous commençons par le vin Arena Blanc Grotte de Sole, vin de Corse 2008. Grâce à Aurore Marre, sommelière du CasadelMar, j’avais eu la chance de goûter un vin d’Antoine Arena il y a peu de temps, ce qui aide à la dégustation. Le vin est d’une couleur claire, très pure. Le nez est très profond. Comme c’est le premier vin que je goûte, la bouche est un peu rêche. Le vin est très pur, simple, direct, avec un joli fruité. Le final est riche. Antoine dit avec un sourire que les levures corses travaillent doucement. Le vin qui s’ouvre dans le verre est de plus en plus agréable. Le final minéral me séduit ainsi que la fraîcheur. Michel précise que les vins blancs de Corse vieillissent mieux que les rouges.

Le vin suivant est le Latricières-Chambertin Domaine Leroy 2007. Le nez est d’une pureté exceptionnelle. La température de service est idéale. La bouche n’est pas très charnue, avec un zeste d’amertume. On voit bien que les rafles sont dans le vin. Le final est extraordinaire, précis et frais. C’est un vin dont on devient amoureux, dans mon cas parce qu’il est atypique. L’amertume due aux rafles est de plus en plus attachante. Thierry dit que c’est le génie du pinot noir. Michel dit qu’en ce moment c’est un parfum. Il ajoute que chez Lalou Bize-Leroy, le Romanée Saint-Vivant est impudique, alors que ce Latricières est tout en pudeur.

Le Château La Mission Haut-Brion 2004 a un nez raffiné dans lequel je surprends du poivre. La bouche est aussi raffinée, avec des fruits noirs encore jeunes. Ce Mission a vraiment trouvé sa personnalité et n’est plus le « suiveur » de Haut-Brion. Il est droit, rêche, riche d’un très grand potentiel. Le final n’est pas encore assez affirmé, mais il va se révéler du fait de sa belle matière. Michel dit que la Mission a des tannins précoces, ce qui fait que dans des millésimes moyens, on a des vins complets. Il réussit moins les millésimes de soleil.

Le Chateauneuf-du-Pape Clos des Papes rouge 2007 est présenté par Paul-Vincent Avril, propriétaire de 35 hectares en 24 parcelles. Le vin a 65% de grenache ce qui est peu par rapport à l’appellation, 20% de mourvèdre, ce qui est beaucoup, et 10% de syrah. Les vendanges sont égrappées et la macération est de 25 jours. Le vin est d’une couleur noire. Le nez est très riche de cassis très subtil. Il y a du doucereux et de la pureté. Dès l’approche, le vin est doucereux, joyeux et rond. C’est l’expression de la jeunesse. Il y a une forte amertume dans le final. Le vin titre plus de 15°. Il vaudrait mieux l’attendre encore quelques années pour qu’il se construise. Michel signale la finesse du tannin, le velouté et la belle sensation tactile. Le vin ne cesse de s’améliorer dans le verre et se domestique. C’est un grand vin, fait pour la truffe et l’agneau.

Le Château Montus, La Tyre 2000 est présenté par Alain Brumont qui possède 140 hectares dans sa région gasconne. Ce vin est fait de 100% tannat, cépage du Sud-ouest, avec un rendement d’un litre par pied de vigne. La couleur du vin est très noire, le nez est très riche de truffe. La bouche fait stricte après le Clos des Papes. Quand on s’habitue à l’astringence, on voit que le vin est grand. A l’aveugle, je pense que j’irais vers de grands bordeaux. Alain rappelle que dans le passé, le tannat donnait « le vin médecin », le vin qui soigne. Michel parle de vin monumental, de grande force et de grande personnalité. Alain aligne les gasconnades qui font rire la salle, tant nul n’a autant de fierté que le gascon.

On comprend les choix de Michel Bettane et Thierry Desseauve, vers des vins de précision et de fraîcheur. Ce voyage dans cinq régions montre que l’excellence des vins français est ubiquiste.

les étiquettes de Mouton-Rothschild jeudi, 3 décembre 2009

Un ouvrage que l’on peut lire aisément sur le net :

http://fr.calameo.com/read/00003074798238f3abade

Philippe Margot, journaliste vitivinicole suisse a fait ce livre qui montre la gestation de toutes les étiquettes depuis celle de 1924 de Carlu, qui est reprise en haut et à gauche de mon blog.

Lisez cet ouvrage passionnant et instructif.

Audouze subliminal dimanche, 29 novembre 2009

Cet après-midi, à 16 heures, le journaliste de M6 qui m’avait contacté pour l’émission "Capital" du 29/11/09, qui m’avait suivi à une vente aux enchères à Paris, et à une autre à Cannes où j’ai perdu une journée et où je me suis ruiné, m’envoie un SMS me disant que du fait de la longueur de certains sujets, la partie du reportage qui me concerne n’a pas été retenue.

C’est punir ceux qui ont eu la gentillesse de chercher à me voir.

On me voit 1/10ème de seconde, devant une bouteille de Romanée-Conti, que d’ailleurs j’ai achetée.

C’est bien la première fois que je suis aussi peu bavard de ma vie.

un nouvel achat samedi, 28 novembre 2009

l’annonce est de vieux madères dont on me montre les photos.

Sans avoir goûté, j’achète. Les voici dans ma cave (à droite de mes vins de Chypre)

la similitude avec le flacon d’un Lacrima Christi 1780 (à droite), offerte par un ami avec qui je l’ai bu le 31/12/99 (en fait le 1/1/00, car il était tard) est très grande :

les culs semblent montrer que le vin acheté (à gauche) est un peu plus jeune que le 1780

mais tout cela est très vieux…

A boire, vite !

126ème dîner de wine-dinners au restaurant Guy Savoy vendredi, 27 novembre 2009

Le 126ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Guy Savoy. A 17h30 je me rends dans le salon privé du restaurant pour ouvrir les vins qui étaient en cave depuis plus d’une semaine, que m’apporte Sylvain Nicolas, le sommelier. Son adjoint Julien observe les ouvertures car ce soir c’est lui qui fera le service des vins. Nous sommes dix, aussi, dans une stratégie quasi footballistique, je demande que la disposition de la table de la forme d’une planche de surf hawaïenne soit 4-1-4-1 plutôt que 5-0-5-0, les chiffres indiquant le nombre de convives de chaque côté de la table. Julien, aidé de Solène, charmante et souriante serveuse intéressée par ce qui se prépare, va commencer par changer en 3-1-5-1 suivi enfin de 4-1-4-1. Dix verres sont disposés à chaque place, avec une petite pastille sur le pied de chaque verre repérant le vin qui sera servi.

L’ouverture est assez facile. Je m’interroge sur l’odeur du Trottevieille 1943 qui pourrait contenir un furtif bouchon. C’est le seul vin que je goûte, et j’imagine assez bien que le vin s’épanouira normalement. Deux odeurs mériteraient d’être inscrites au patrimoine de l’humanité : celle du Vega Sicilia Unico, réserve spéciale faite de 1960, 1962, 1972, vin que je vais expliquer, parfum riche de fruits noirs, rouges et roses, et d’une puissance inégalable ; et celle du Château Lafaurie Peyraguey 1925 qui a tout ce qu’un sauternes pourrait avoir lorsqu’il est parfait. Les agrumes se bousculent dans le panier d’arômes, le thé raffiné se suggère, ainsi que le poivre délicat. Ces deux parfums sont envoûtants. Mieux que cela même, ils sont paralysants comme des pistolets Taser. Le domaine de Vega Sicilia Unico fait des vins au vieillissement en fût qui est l’un des plus longs au monde. Il millésime le vin mais parfois, quand il le juge opportun, il assemble une petite partie de trois millésimes dans une « Reserva Especial ». Je n’en connais que trois qui ont été réalisées. Celle-ci, mise en bouteilles en 1980, composée de 1960, 1962 et 1972, n’a donné que 4.500 bouteilles. On mesure à quel point c’est confidentiel puisque c’est moins que la célèbre Romanée Conti. Et l’odeur me confirme la pertinence qu’il y a eu à pratiquer cet assemblage.

Guy Savoy vient me saluer dans ce salon et nous bavardons des recettes et du dosage des crèmes et autres ingrédients, et je lui fais part du fait que j’ai demandé à son chef pâtissier de venir sentir le sauternes merveilleux, afin d’incorporer un peu de thé dans son plat exotique. Guy change le choix du thé et commente certains éléments des plats.

Arrivant premier au restaurant, l’un des plus fidèles de mes amis de dîners me lance comme une plaisanterie : « je viens dîner ce soir car j’ai vu de la lumière ». Je lui réponds qu’il existe un sushi bar à proximité qui a autant de lumière qu’ici, et je commence à m’apercevoir qu’il a réellement l’intention de dîner avec un invité qui se présente. Damned. Je vérifie sur mon ordinateur qu’il dit vrai et que j’ai tout simplement omis sa réservation qui avait eu durant sa gestation des modifications dont j’ai raté la dernière.

La stratégie footballistique resurgit. Julien jouera en 5-1-5-1 et non en 4-1-4-1. Il faut dare-dare passer le message en cuisine puisque toutes les recettes ont été modifiées par rapport à celles de la carte. J’avais déjà ajouté un vin au programme pour honorer un nouveau convive qui fête ses 50 ans. Je fais vite ouvrir par Julien un vin de réserve que j’avais apporté. Avec une efficacité remarquable et dans la bonne humeur, tout se met en place avant que les autres convives n’arrivent. Un verre est rajouté devant chaque place. Tout est fin prêt maintenant pour que se tienne le 126ème dîner.

Nous sommes douze, dont plusieurs couples, ce qui me fait toujours plaisir, quand mari et femme communient au bonheur de ces repas. Il y a ce soir cinq nouveaux convives et sept diversement chevronnés. Dans la salle exigüe où il y a peu de place quand on se tient debout, j’explique les consignes traditionnelles pour bien profiter du dîner et Julien nous sert le Champagne Bollinger Spéciale Cuvée qui doit avoir une quinzaine d’années ou plus. Ce champagne a beaucoup perdu de sa bulle et son message est sans énigme. Agréable sur les délicieux toasts au foie gras que Solène pique devant nous il accompagne la première entrée lorsque nous passons à table.

Le menu créé par Guy Savoy avait été mis au point avec lui lors de mon dernier déjeuner en ce lieu : Salsifis et noisettes confits, jus de cresson / Fromage de tête et foie gras de canard / Coquille Saint-Jacques panée, navets étuvés au beurre d’algues, jus à la truffe blanche d’Alba / Soupe d’artichaut à la truffe noire, brioche feuilletée aux champignons et truffes / Ragoût de lentilles aux truffes / Rouget Barbet « rôti-farci » comme un gratin / Pigeon « poché-grillé », légumes racines compotées / Cuisse de pigeon laquée et salades aux foies / Stilton / Exotique (dessert à base de mangue).

Comme nous avons asséché assez vite le premier champagne, le Champagne Dom Pérignon 1966 est servi aussi sur les salsifis. C’est le Bollinger qui colle le mieux au plat alors que le 1966 va se marier divinement avec le plat canaille qui suit, le fromage de tête. Paradoxalement, le Dom Pérignon a plus de bulles que le Bollinger, et sa complexité n’a pas d’égale. Moiré, irisé, il décline des myriades de saveurs dans toutes les directions. On ne peut qu’être amoureux de ce champagne envoûtant. Lorsque je découpe avec la dextérité d’un chirurgien l’un des dès de foie gras cru qui pavent le fromage de tête, l’association avec le champagne est diabolique. La longueur et le fruité de ce breuvage divin sont infinis.

La panure des coquilles Saint-Jacques ayant donné lieu à de longues discussions de mise au point avec Guy Savoy, j’attendais de vérifier la pertinence de ce choix. Tout concentré sur le fait des savoir si le Meursault Perrières Comtes Lafon 1992 se mariait bien, j’en oublie d’analyser le vin. Et c’est un de mes voisins de table, nouveau venu, qui me signale avec raison que ce Meursault, d’une année de grande réussite, n’a pas du tout la brillance ou l’étoffe que devrait avoir un vin emblématique de la Bourgogne. C’est vrai qu’il est plutôt court, mais il sait se réveiller, s’amplifier dans les verres pour nous montrer quand même la belle race qu’il peut avoir.

Je fais verser pour les deux plats suivants les trois Saint-Emilion. Ah, avoir trois verres devant soi, comme c’est compliqué ! Il a fallu expliquer de nombreuses fois où se trouve le Château Trottevieille 1943, en quelle position se situe le Château Cheval Blanc 1970, et où se cache le Château Cheval Blanc 1959, ajouté pour les 50 ans d’un des nouveaux convives. Et Julien ne m’a pas aidé en versant l’un des vins dans le verre qui n’était pas le sien. Mais très vite, tout est compris et ordonné. Le Trottevieille nous inquiète, car on pourrait croire qu’il est bouchonné. En fait, c’est un léger goût de terre, et le vin va s’épanouir progressivement, et trouver dans le second plat, celui de lentilles, un merveilleux écho. Sentant la truffe, évoquant la truffe avec le plat, ce vin a trouvé un bon compagnon dans la solide lentille. Il a une très gentille lourdeur truffée. Le Cheval Blanc 1970 fait un peu frêle au milieu de ses deux aînés, mais il compense par la fraîcheur de sa jeunesse et par sa complexité. C’est un Cheval Blanc varié, élégant, au discours riche. Il est presque diamétralement opposé au Cheval Blanc 1959 mais supporte bien d’être bu en même temps que cette gigantesque réussite du bordelais. Quand je bois ce Cheval Blanc 1959, je me dis : « ça y est, j’en tiens un ». Ce qui veut dire que ce vin se rapproche d’une perfection. J’avais eu peur de son bouchon qui avait glissé d’un centimètre dans le goulot. Etait-ce révélateur d’un problème qui affecterait le goût ? Pas du tout, ce vin a une assise, une largeur, une profondeur de vin riche et puissant, avec un équilibre aromatique spectaculaire. Charnu, bourgeois, mais pas dans le sens de cru bourgeois, sénatorial plutôt, il me ravit par son accomplissement. Il trouve sur la soupe emblématique de Guy Savoy un magistral répondant, évoquant lui aussi une truffe délicate, avec une légère râpe bien bourguignonne.

Le Pétrus 1976 est pour cinq ou six d’entre nous une première, aussi faut-il des mises en garde pour que ce premier contact ne soit pas une déconvenue, si l’on en attend trop. Certains ont du mal à appréhender ce merveilleux Pétrus subtil, racé et délicat. Dans le monde de Pétrus, ce 1976 est d’un équilibre brillant. Il incarne la sagesse de Pétrus, sa précision de trame, et j’aime comme il pianote délicatement. Pas d’excès, pas de fanfreluche mais un message clair avec beaucoup de notes sur la portée. C’est l’accord que j’ai suscité qui subjugue tout le monde. Car associer Pétrus et rouget devient pour moi comme une coquetterie, et j’aime entraîner mes convives et amis dans cette aventure. Et c’est une réussite.

Une autre aventure fondée sur l’accord couleur sur couleur attend mes amis. Car j’ai voulu associer un pigeon, au suprême cuit tout rose, avec le Champagne Dom Pérignon rosé magnum 1980. Ce champagne à la couleur rose saumon ou pêche est d’une délicatesse rare, mais c’est aussi une surprise car on n’attend pas ce goût là. Le plus jeune de la table, nouveau venu qui voulait honorer son oncle de cinquante ans, va me donner une leçon, car pendant que je m’évertue à trouver l’accord sur le pigeon seul, il m’annonce tout de go : pas du tout, l’accord s’impose sur la panure. Et c’est vrai. La panure accroche les notes de fruits jaunes du champagne, alors que la chair du pigeon révèle sa vinosité. Et l’accord est splendide, inattendu, superbe.

Pour le deuxième service du pigeon, j’avais prévu un bourgogne. Mais ayant demandé à Guy Savoy que le deuxième service soit très viril, j’ai changé pour un Vega Sicilia Unico, Reserva Especial faite de 1960, 1962, 1972. Ce vin a un nez à se damner. Il est riche, lourd comme un parfum sensuel, et en bouche, c’est un velours lourd, un coulis de fruit noir fondant et envahissant pour notre plus grand plaisir. La salade trempée du foie de l’oiseau qui visuellement me faisait peur s’accorde divinement avec le vin lourd et précieux. Chacun s’extasie devant ce vin d’une richesse incomparable et d’un équilibre spectaculaire dont la mémoire ne s’éteint pas.

Sur un stilton, nous goûtons un Grand Enclos du Château de Cérons, Cérons vers 1959, qui a une couleur claire et les goûts subtils et délicats des Cérons. J’annonce que je n’aime pas les mariages à trois, pain, vin et fromage et que je laisse volontiers de côté le pain. Mais le benjamin de la table récidive et me dit que c’est le pain à l’abricot qui complète avec une nécessité absolue l’accord. Et il a une fois de plus raison, tant l’abricot donne du volume à ce vin un peu léger mais agréable.

Le dessert à la mangue caressée d’un thé doux met en valeur, s’il en était besoin, le Château Lafaurie Peyraguey 1925 qui me met en pâmoison. Il faut se souvenir que c’est sur un sauternes de cette époque que la folie des vins anciens m’a contaminé, sans qu’un vaccin n’existe alors. Je suis avec ce Lafaurie-Peyraguey exceptionnel sur un petit nuage. Car ce sauternes a tout pour lui, les agrumes délicatement dosés, l’abricot, le poivre, un zeste de thé, le tout enveloppé dans un équilibre magistral.

L’exercice des votes est particulièrement difficile, car beaucoup de vins nous ont entraînés dans des sensations extrêmement diverses. Mais il faut se résoudre à voter. Sur onze vins, quatre n’ont pas eu de vote et sept ont fait partie des votes. C’est un vote plus concentré que d’habitude. Cinq des sept vins votés ont eu le privilège d’être nommés premiers : Le Vega Sicilia et le Dom Pérignon 1966 ont été nommés chacun quatre fois premier, le Cheval Blanc 1959 a été nommé deux fois premier et Pétrus et Lafaurie ont été nommés chacun une fois premier. Le Vega Sicilia a recueilli douze votes ce qui fait une unanimité remarquable et le Cheval Blanc 1959 a recueilli onze votes.

Le vote du consensus serait : 1 – Vega Sicilia Unico, réserve spéciale faite de 1960, 1962, 1972, 2 – Château Cheval Blanc 1959, 3 – Champagne Dom Pérignon 1966, 4 – Château Lafaurie Peyraguey 1925.

Mon vote : 1 – Château Lafaurie Peyraguey 1925, 2 – Vega Sicilia Unico, réserve spéciale faite de 1960, 1962, 1972, 3 – Château Cheval Blanc 1959, 4 – Pétrus 1976.

Chacun était émerveillé soit par un vin ou des vins, soit par des accords, et les plus applaudis sont les plus audacieux : rouget et Pétrus, puis pigeon et Dom Pérignon rosé. Le service de Solène et Julien a été remarquable, la cuisine de Guy Savoy originale et sensible. Tout le monde restait à table, encore sous le charme de ce moment de bonheur. Quand j’ai quitté le restaurant, après avoir rangé toutes les bouteilles et ramassé mes affaires deux couples devisaient sur le trottoir, pour prolonger encore un moment inoubliable.

126ème dîner au restaurant Guy Savoy – photos jeudi, 26 novembre 2009

Dans le salon exigu, la disposition des places est 5-0-5-0 (voir le compte-rendu)

Un alien m’a regardé pendant toute la soirée. J’avais peur de ses tentacules, mais l’on m’a dit que c’est un chou.

les vins du dîner, les bouchons et mes ustensiles (il manque le Cheval Blanc 1970, rajouté par la suite)

Salsifis et noisettes confits, jus de cresson

Fromage de tête et foie gras de canard

Coquille Saint-Jacques panée, navets étuvés au beurre d’algues, jus à la truffe blanche d’Alba (j’ai pris la photo avec retard !)

Soupe d’artichaut à la truffe noire, brioche feuilletée aux champignons et truffes

Ragoût de lentilles aux truffes

Rouget Barbet « rôti-farci » comme un gratin

Pigeon « poché-grillé », légumes racines compotés (pas de photo hélas)

Cuisse de pigeon laquée et salades aux foies

Stilton

Exotique

l’ensemble des vins après le dîner

les vins du 126ème dîner jeudi, 26 novembre 2009

Champagne Bollinger Spéciale Cuvée

Champagne Dom Pérignon 1966

Meursault Perrières Comtes Lafon 1992

Château Trottevieille 1943

Château Cheval Blanc 1959 (qui a été ajouté pour fêter les 50 ans d’un convive)

Château Cheval Blanc 1970

Pétrus 1976

Champagne Dom Pérignon rosé magnum 1980

Vega Sicilia Unico, réserve spéciale faite de 1960, 1962, 1972 (qui remplace le Beaune Grèves Vigne de l’Enfant Jésus 1988)

mis en bouteille en 1980, il n’a été fait qu’à 4.500 bouteilles

Grand Enclos du Château de Cérons, Cérons # 1959

Château Lafaurie Peyraguey 1925