Départ à Los Angeles pour trois repas de rêve jeudi, 5 novembre 2009

Lorsque je fais un voyage, j’aime raconter des petites anecdotes sur le service, la considération du client ou du voyageur, petites émotions et tranches de vie, et je me suis demandé pourquoi. Deux éléments m’ont marqué. Ayant moins de dix ans, j’ai assisté au départ en avion de mon frère aîné qui rendait visite tout seul à son parrain en Algérie. L’angoisse de ma mère voyant partir son tout jeune fils était impressionnante. Mon père a garé sa voiture à Orly devant l’avion, le personnel d’accueil a materné mon frère que nous avons vu emprunter l’escalier qui monte dans l’avion dont nous avons suivi l’envol. Il n’y avait aucun bâtiment massif, juste un stand au pied de l’avion. Pas d’attente et une prise en charge conviviale. Ce minimalisme de la prise en charge d’un voyageur dans un aéroport, comparable à ce qui se passe pour les avions privés, m’est toujours apparu comme un idéal. Le deuxième exemple, vingt ans plus tard, c’est le Trans-Europe-Express, le TEE, dans lequel le jeune cadre que j’étais se rendait parfois à Bruxelles. Prendre le TEE pour aller à Bruxelles était une astuce qui faisait rire. Dans ce train, le petit déjeuner servi sur des nappes blanches, par un personnel en gants blancs, avec du vrai beurre et de vraies confitures, c’était le luxe tel que le prodiguait l’Orient Express pour des expéditions plus orientées vers la rêverie ou l’aventure.

Depuis, la massification des déplacements a conduit à ce que l’importance soit donnée au traitement de masse et non plus à la satisfaction individuelle. Il faut « traiter » du nombre. Me rendant à Los Angeles, j’ai deux heures et quart d’avance avant mon départ, en posant le pied à Roissy. Les queues successives au dépôt des bagages, à la douane, au contrôle au scanner des impedimenta, tels que mes chaussures et ma ceinture de pantalon, et à l’accès en cabine, ne m’ont laissé que deux minutes pour un éventuel shopping que je n’ai pas fait tant j’étais lassé de ces queues serpentines.

Le voyage s’est bien passé et l’attention du personnel d’Air France est exemplaire. Une belle invention est de doter chaque place d’un écran où l’on programme soi-même le démarrage du film de son choix. En deux repas et trois films, je n’ai pas vu le temps passer. Ce n’est pas le cas pour le passage en douane à l’arrivée, car selon les théories d’Einstein, 75 minutes de queue, c’est beaucoup plus long qu’onze heures d’avion.

L’arrivée au Beverly Willshire hôtel est assez impressionnante. Je croyais en avoir fini avec les queues. Eh bien non, ça recommence à la réception. Ma chambre est d’un luxe impeccable, et après une courte sieste, je m’apprête à aller porter les bouteilles prévues pour le dîner de demain au restaurant Spago.

Le hall et les abords de l’hôtel ressemblent en cet instant à un vidéo-clip tel qu’on en voit sur Trace TV qui pourrait être rebaptisé Trash TV. Une Rolls Royce décapotable à la plage arrière en bois de teck comme un fringant voilier, des Mercedes toutes plus customisées les unes que les autres, laissent sortir de jeunes blacks, puisque c’est ainsi qu’il faut les nommer. Les garçons sont sapés comme des princes. Pas de casquette, pas de jeans en sacs de pommes de terre. Ils sont apprêtés jusque dans les plus infimes détails, créant des personnages dignes des films sur la vie d’Al Capone. Les filles toutes sculpturales sont moulées dans des robes fourreau dont le bustier est à débordement. Et c’est amusant de les voir tirer sur le tissu de leurs minirobes pour essayer de protéger une intimité que le couturier semble avoir voulu révéler. On ne peut que rester bouche bée devant ce défilé de créatures de rêve, qui semblent indiquer que les clips ne représentent pas que des fantasmes. Le devoir m’appelant je vais au restaurant Spago où je laisse Yquem 1949 et 1959, déclarées à la douane comme de simples échantillons.

Je dîne ensuite à l’hôtel d’une belle pièce de bœuf. De beaux repas m’attendent dans les trois jours à venir.

les préparatifs du 126ème dîner mardi, 3 novembre 2009

Le prochain dîner de wine-dinners se tiendra au restaurant Guy Savoy. Lors du cocktail de signature du livre de Nicolas Rabaudy, j’en ai profité pour discuter de deux ou trois plats avec Guy. Peu de jours après, quelqu’un m’appelle au nom de Guy Savoy, me demandant de passer au restaurant pour mettre au point le menu. Tant qu’à passer chez Guy Savoy, autant y déjeuner. Pour ne pas déjeuner seul, j’y convie Nicolas de Rabaudy. Etant arrivé au restaurant avant que la salle ne se remplisse, nous faisons un tour d’horizon sur les vins et les plats propices. Guy a un sens du vin qui est intuitif. Nous allons droit au but, car nous savons ce qui va fonctionner. Nicolas arrive et Guy nous propose de goûter les plats que nous avons choisis, du moins ceux disponibles aujourd’hui, afin d’en vérifier la pertinence pour mes vins.

Le sommelier, dont l’oreille approuvait les pistes que nous explorions me propose de prendre un Meursault de la même année que le Perrières Comtes Lafon 1992 du futur dîner. Ce sera un Meursault Perrières Robert Ampeau et Fils 1992.

L’entrée au salsifis et noisettes avec une discrète touche de cresson est un plat de première grandeur. La noisette est moelleuse, le salsifis est expressif. C’est goûteusement parfait. A ce stade, le Meursault sortant de cave est encore trop chaud mais prometteur. Son nez est intense, puissant, sa robe est d’un or appuyé.

Le fromage de tête aux foie gras et champignons est un plat de copains. C’est de la tortore de luxe, celle qui appelle les vins francs du collier. Sans aucune gelée, le liant se faisant au champignon, ce plat est un bonheur, et le Meursault l’aime. Il devient charmeur, plus fais, et même s’il n’a pas la précision des plus grands, il compense par une générosité et une joie de vivre qui en font un grand vin.

La coquille Saint-Jacques est panée, car la panure, selon Guy Savoy, répond au chardonnay. C’est vrai, mais je préfèrerais une panure moins appuyée. La truffe blanche est un régal sur le meursault.

La soupe d’artichaut avec sa brioche crémée est un des piliers de la maison. Nicolas n’aime pas l’artichaut, en général. J’ai un faible pour ce légume de patience. Le rouget est un plat de haute dextérité. C’est un régal. Pour le Pétrus, il faudra enlever l’épinard, supprimer la crème, et faire une sauce plus terrienne que marine. Guy, venu pour chaque plat recueillir nos avis, accepte ces modifications.

Le menu du futur repas prévoit un pigeon en deux services. Vais-je le garder après avoir goûté la marmite de gibier à plumes ? La question est posée. Il y a trois filets d’oiseaux. Le faisan a une chair rassurante, connue et sans surprise. Le colvert a un goût plus prononcé, clair et précis. C’est la palombe qui emporte mon cœur, avec une chair intense, virile, changeante selon les bouchées, petit chef-d’œuvre de gibier. Le foie gras sert de liant à ces trois chairs et la sauce éveille tous mes souvenirs d’enfance, de repas dominicaux. Je dis à Nicolas que ce plat est la sublimation de la cuisine bourgeoise.

Si le meursault avait joué son rôle avec une remarquable adaptabilité jusqu’alors, il ne peut le faire sur ce plat, sauf sur le foie gras à la feuille de chou. J’ai été très agréablement surpris par ce vin accompli, riche, équilibré et joyeux.

Ce restaurant est, selon une expression de Guy Savoy appliquée à la haute restauration, un des derniers ilots de civilisation. On est bien. Guy sait élégamment aller à chaque table, le service est parfait, comme celui de neuf différents pains associés intelligemment à chaque plat. Guy a un sens aigu du vin. C’est certainement le restaurant dont j’apprécie le plus l’atmosphère. La marmite et le salsifis aux noisettes sont des plats d’un niveau de justesse extrême. Ce déjeuner de préparation est en soi une merveille.

11ème séance de l’académie des vins anciens au restaurant Macéo jeudi, 29 octobre 2009

La onzième séance de l’académie des vins anciens se tient au restaurant Macéo, selon ce qui est devenu une coutume. Nous sommes quarante et il y a quarante huit vins, dont vingt proviennent de ma cave. Du fait de l’importance de mon apport, j’ai donné l’occasion à quelques bouteilles douteuses ou en risque d’avoir une chance d’être bues. A seize heures, je me sens bien seul pour ouvrir toutes ces bouteilles, car un seul académicien, un nouveau, puis beaucoup plus tard un ancien, sont venus me donner un coup de main. Du fait de l’ancienneté des vins apportés, ce qui est tout à fait dans le sens des objectifs de l’académie, la table se transforme vite en un champ de bataille, tant les bouchons brisés, éclatés et émiettés maculent la nappe. L’opération prend près de trois heures. Pendant ce temps l’équipe de télévision filme mes gestes, pose des questions à mes amis et moi, au sujet de la possibilité non d’une île mais d’un faux. Cela me fait sourire que l’on imagine de faire un faux d’un vin qui aurait rêvé toute sa vie de se sentir célèbre d’avoir été copié.

Les vins sont répartis en trois groupes, dont voici les ordres de service :

Groupe 1 : Champagne Charles Heidsieck mis en cave en 1996, Champagne Selosse, Grand Pouilly Latour, Pouilly Fuissé Louis Latour 1937 (curiosité), Puligny-Montrachet Veuve Génin 1959, Château Latour magnum 1973 (très basse), Château Tertre d’Augay 1970, Château Léoville Barton 1959, "BAGES" Pauillac, Montré & Cie, mi-épaule 1926 , Château Mouton d’Armailac 1934, vin inconnu sans étiquette année inconnue (bon niveau, curiosité), Bonnes-Mares Gérard Peirazeau 1984, Château de Beaucastel rouge 1959, Château Chalon Jean Bourdy 1959, Vouvray le Haut Lieu Domaine Huet 1964, Chateau de Rayne-Vigneau Sauternes 1904 , Madeira D’Oliveiras Reserva Verdelho 1850.

Groupe 2 : Champagne Charles Heidsieck mis en cave en 1996, Champagne Besserat de Bellefon Brut sans année, Puligny-Montrachet Les Chalumeaux Jean Pascal & Fils 1976, Meursault A. Perdrizet 1948, Château Pichon Baron de Longueville 1904 (curiosité), St Julien Clos St Albert 1900, Château Latour 1925, Château Belair Saint-Emilion 1947 (basse épaule), Coteaux Champenois Bisseuil roge G & G Boyer sans année, Corton Pouget Pierre André 1959, Auxey-Duresses Begin-Colnet 1967, Clos des Papes Chateauneuf du Pape 1971 (magnifique), Riesling – Hochheimer Stielweg Spätlese – Rheingau – W. J. Schäfer 1976, Jurançon caves Nicolas 1929, Cérons, Château Galant 1945 (bas), Maury La Coume du Roy 1925.

Groupe 3 : Champagne Charles Heidsieck mis en cave en 1996, Château La Louvière blanc 1952, Meursault Louis Chevallier 1953, Château Saint-Vincent Côtes Fronsac 1964, Château Margaux probable 1931, Château Bouscaut 1929, Château Grand La Lagune 1928 (basse), Château Branaire 1934, Château Talbot 1959 , Mercurey Clos L’évêque Château des Etroyes – François Proutheau 1962 , Nuits-Saint-Georges Pierre Olivier 1966, Château de Beaucastel rouge 1989, Riesling – Leiweiner Laurentiuslay Auslese – Mosel – Stefan Kowerich 1983, Château Suduiraut 1969, Rivesaltes Domaine Bory Andrée Verdeille 1927, Maury La Coume du Roy 1925.

J’ai bu les vins du groupe 1 et parfois des verres m’ont été apportés par d’aimables académiciens des tables voisines.

A l’apéritif, le Champagne Charles Heidsieck mis en cave en 1996 est un champagne rassurant. Son goût est précis, bien dessiné, et le vin ne donne pas de prise à l’âge. C’est un champagne très agréable, fait par une maison sérieuse.

Le menu composé par le chef Thierry Bourbonnais : Concentré de potiron, coriandre & foie gras / Lamelles de Saint-Jacques marinées chair de crabe, râpé de chou croquant / Tronçon de bar sauvage, petit minestrone de coquillages parfumés / Noisette d’agneau fermier frotté à la sarriette, champignons sauvages & polenta dorée aux herbes / fromages de Quatrehomme / Crème prise chocolat pur caraïbe, sirop passion / Poire rôtie sur fin sablé Breton, lait d’amande glacé / chocolats. Ce repas fut élégant et de très belle exécution.

Le Champagne « Substance » de Selosse, dégorgé en juillet 2009, est beaucoup plus domestiqué et civil que de récentes versions de dégorgements différents. Champagne racé, de grande personnalité, il est beaucoup plus agréable dans cette forme plus douce, le fumé se fondant dans un goût profond et engageant.

Lorsque j’ai saisi des bouteilles dans ma cave pour l’académie, j’ai tiré doucement des bouteilles de leurs casiers. Je tire celui-ci, un Grand Pouilly Latour, Pouilly Fuissé Louis Latour 1937. Et que vois-je ? La couleur de la mort. Jamais un vin blanc de cette couleur de crème de marron ne peut revivre. Mais j’ai voulu lui donner une chance. A l’ouverture, la cause était hélas certaine. Au moment du service la question est de savoir si j’évite cette purge à mes amis. A ma grande surprise ce vin peut être bu sans risque d’en être malade. Mais ne prenons pas de risque, le vin est mort. Par compensation, j’avais prélevé un Puligny-Montrachet Veuve Génin 1959 à la couleur dorée. Quel beau Puligny, anobli par l’année. D’un jaune d’or qui porte la joie de vivre, d’un parfum riche, ce vin est un grand plaisir, chaud en bouche, avec une belle profondeur. Même si la race du vin n’est pas de première grandeur, ce qui frappe, c’est le plaisir de boire ce vin goûteux et généreux, avec des évocations de beurre et une acidité citronnée délicate.

C’est le papier qui entourait le Château Latour magnum 1973 joliment imprimé de l’emblème du château, une tour très simple graphiquement, qui m’avait alerté. Le vin est atteint d’une dangereuse coulure. Quand j’ai ouvert le vin, j’ai constaté que le bouchon nageait. L’odeur m’indiquait que la glissade a dû se produire pendant le trajet, car rien dans l’odeur ne montre de déviation excessive. Le vin est fatigué bien sûr. Mais la richesse naturelle de Latour, qui ne semble pas affectée par la faiblesse du millésime, aide le vin à se reconstituer dans le verre. Il est torréfié, très café, mais progressivement, il devient Latour, avec une richesse aromatique plus que sympathique.

Le Château Tertre d’Augay 1970 que j’ai aussi apporté, est un vin honnête, bien fait, qui se présente sans défaut. Beau bordeaux à boire, même s’il ne déborde pas d’une imagination farouche, il est très agréable, avec un final élégant.

Le Château Léoville Barton 1959, lui aussi de ma cave, est d’une perfection certaine. Quel grand vin, et quelle grande année. Il est au sommet de sa gloire maintenant. Le vin qui était dans le goulot, n’a pas l’ombre d’un défaut. Mieux encore, il dégage une réelle émotion. Notre table s’extasie devant ce succès absolu.

Le "BAGES" Pauillac, Montré & Cie 1926 avait un niveau à mi-épaule tendant vers basse. Lorsque le vin se développe dans le verre, ce qui me fait penser que ces vins mériteraient d’être versés dans les verres au moins un quart d’heure avant leur service, ce vin évoque toute la brillance d’un millésime de légende. On parle toujours (y compris moi-même) des années 1928 et 1929, mais 1921 et 1926 sont dans la même ligue. Ce Bages est une petite merveille d’évocations de douceurs historiques.

Le Château Mouton d’Armaillac 1934 est intéressant mais souffre d’une petite fatigue. On reconnaît sous le voile pudique la qualité de l’année et la qualité de son terroir. Nous n’avons pas le temps de chercher plus, car j’ai ajouté un vin inconnu sans étiquette et d’année inconnue, de bon niveau dans la bouteille, de forme moderne. Lorsque j’ai ouvert cette bouteille, le bouchon a craquelé en mille morceaux. Notre groupe se compose de deux tables de sept à huit convives. La réaction à ce vin inconnu est assez amusante. L’autre table s’est orientée vers la forme de la bouteille pour pronostiquer un vin des années 70. A ma table, avec Antoine Pétrus sommelier de talent, nous sommes partis dans la décennie 30, car le goût et l’amertume finale ne peuvent appartenir à un vin jeune. Le vin est objectivement de Bordeaux, même si une générosité alcooleuse peut laisser penser à une ajoute rhodanienne. Le vin est agréable à boire. Pour moi c’est un honnête Pauillac du niveau d’un 3ème grand cru, que je situerais dans une année moyenne de la décennie 30. Ai-je raison ? Nul ne le saura.

Le Bonnes-Mares Gérard Peirazeau 1984, saisi aussi dans ma cave est un Bourgogne de grand plaisir. Après tous ces bordeaux parfois canoniques, boire un jeune bourgogne subtil et charmant, pas du tout gêné par l’année 1984, qui n’est pas si faible que cela en Bourgogne, est un plaisir secret, sorte de bonbon que l’on croque en cachette. J’ai aimé son parcours en bouche, discret mais insistant.

Le Domaine de Beaucastel rouge 1959 est une récompense de collectionneur, apportée par mon ami Florent, ce jeune collectionneur fou de vins. Le vin est riche, beau, accompli, au faîte de sa maturité. Il nous donne une leçon d’histoire. Chaque vigneron essaie d’apporter à son domaine une démarche de qualité, de progrès, de constance. Et puis voilà qu’un vin comme ce 1959 est l’aboutissement de ce que peut être un Chateauneuf-du-Pape. Alors, où est le sens de l’histoire ? Cela prouve au moins que le terroir de Beaucastel a des ressources de première grandeur. Le vin est beau riche, accompli, rond en bouche, avec un plaisir de boire rare. Bien qu’il l’ait apporté, Florent convient avec moi que le Léoville-Barton est d’une stature supérieure à ce délicieux Beaucastel.

Merci à mon ami Jean, ouvreur fidèle des bouteilles, qui supporte mes exigences et mes manies, pour ce Château Chalon Jean Bourdy 1959, petit joyau du Jura. Je le trouve moins puissant que les 1959 que j’ai bus, et nettement moins puissant que le 1911 que j’ai ouvert récemment. Mais c’est un vin tellement racé, bien généreux et si délicieusement interpelant que la plaisir est là.

Le Vouvray le Haut Lieu Domaine Huet 1964 a une couleur un peu trop foncée pour son âge et montre une fatigue qu’il ne devrait pas avoir. Lionel, l’ami de toutes les grandes bouteilles lui cherche quelques grandeurs et l’on peut y arriver. Mais quand la vedette arrive, les groupies abandonnent les seconds rôles.

La star, c’est le Chateau Rayne-Vigneau Sauternes 1904 d’une couleur impériale, d’un or impérieux. En bouche, c’est le grand sauternes tel qu’on l’aime, à l’équilibre sensuellement infini, où les notes d’agrumes composent avec le stilton un accord d’anthologie.

Le Madeira D’Oliveiras Reserva Verdelho 1850 est d’une richesse folle. Doux comme des raisins de Corinthe, au final poivré et goudronné, il plombe le palais de bonheur, décuplé par les carrés de chocolat taillés comme des lingots. Apporté par mes fidèles amis japonais, il est d’une fraîcheur remarquable.

Dans un tel parcours, il y a bien sûr des hauts et des bas. Mais qu’importe, quand les hauts s’établissent à des niveaux aussi élevés. Des amis m’ont apporté quelques verres dont j’ai retenu quelques images, fondées sur une gorgée ou un quart de gorgée, ce qui peut faire passer à côté du message réel :

Le Meursault A. Perdrizet 1948 est un très beau meursault, qui a gardé malgré son âge la typicité du beau meursault. Le Château Pichon Baron de Longueville 1904 au niveau bas que j’ai apporté est quasiment mort, alors que j’en ai bu de très bons du même lot. Le Saint Julien Clos St Albert 1900 à la magnifique étiquette est vivant. Faiblement vivant, mais vivant, apportant un témoignage toussotant d’une année historiquement exceptionnelle. Le Château Belair Saint-Emilion 1947 est mort.

Une mention spéciale va au Clos des Papes Chateauneuf du Pape 1971 qui est absolument exceptionnel. Il n’a pas la sérénité du Beaucastel 1959 mais il a plus de fougue. Un vin immense.

Le Château La Louvière blanc 1952, d’une couleur magnifique, d’un nez explosif, est un très grand bordeaux blanc. Le Riesling – Leiweiner Laurentiuslay Auslese – Mosel – Stefan Kowerich 1983 est très pâle mais d’une grande subtilité de vin allemand. C’est un vin que j’aurais dû analyser plus longuement pour en capter tout le message plein de charme.

Nous n’avons pas voté, aussi mon classement est-il fait le lendemain : 1- Château Léoville Barton 1959, 2 – Château de Beaucastel rouge 1959, 3 – Chateau de Rayne-Vigneau Sauternes 1904, 4 – Clos des Papes Chateauneuf du Pape 1971, 5 – Madeira D’Oliveiras Reserva Verdelho 1850, 6 – Château La Louvière blanc 1952, 7 – Puligny-Montrachet Veuve Génin 1959.

Certains ont vu dans le verre qu’il était à moitié plein ou à moitié vide. Ils ont retenu les vins fatigués quand beaucoup d’autres ont retenu les vins brillants que nous avons partagés. Je considère que cette onzième séance est exactement dans la ligne de ce que doit être l’académie des vins anciens, fondée sur deux piliers : l’un qui est d’ouvrir des vins qui doivent être ouverts, et l’autre la générosité. La qualité des séances de l’académie des vins anciens repose sur la générosité et la qualité des apports. Cette séance en a été une belle démonstration. Quand nous ouvrons ces vins anciens, nous leur donnons enfin la mission que leurs vignerons créateurs leur avaient donnée : être bus par des amateurs, en convivialité parfaite.

Académie des Vins anciens – 11ème séance du 29 octobre 2009 jeudi, 29 octobre 2009

Académie des Vins anciens – 11ème séance du 29 octobre 2009

Informations sur la 11ème séance de l’académie des vins anciens du 29 octobre 2009 :

>>> l’expérience a montré qu’il est bon de lire entièrement et minutieusement ce qui est indiqué ci-après

Lieu de la réunion : restaurant Macéo 15 r Petits Champs 75001 PARIS 01 42 97 53 85

Date de la réunion : c’est le 29 octobre à 19 heures, heure absolument impérative.

Coût de la participation : 120 € pour un académicien qui vient avec une bouteille ancienne. 240 € pour les académiciens sans bouteille. Chèque à adresser dès septembre à l’ordre de "François Audouze AVA" à l’adresse suivante : François Audouze société ACIPAR, 18 rue de Paris, 93130 Noisy-le-Sec.

Inscription : par mail à François Audouze

Proposition de vins anciens : indiquer toutes informations sur l’état et le niveau. Toute bouteille proposée doit être agréée par François Audouze

Dates limites : livrer les bouteilles après approbation entre le 1er et le 16 octobre. Envoyer votre chèque avant le 16 octobre, date vraiment limite.

Nota : les chèques reçus avant la séance ne sont pas remis en banque avant la séance. Il n’y a donc aucun avantage à retarder l’envoi.

Livraison des bouteilles :

Si vous déposez les bouteilles, faites le au bureau de la maison de champagne Henriot 5 rue la Boétie 75008 PARIS – tél : 01.47.42.18.06. C’est au deuxième étage. Indiquez bien votre nom sur votre paquet, mais surtout, n’écrivez rien sur les bouteilles et ne collez rien sur les bouteilles. Ne mettez pas votre chèque avec la bouteille.

Si vous expédiez les bouteilles, faites le à l’adresse de mon bureau : François Audouze société ACIPAR, 18 rue de Paris, 93130 Noisy-le-Sec, et je les garderai dans ma cave. Bien indiquer ACIPAR sur l’adresse de livraison

Informations complémentaires :

Vous pouvez vous informer sur les précédentes réunions en regardant sur le blog, dans la catégorie « académie des vins anciens ».

Nouveauté !!! :

Toute bouteille non reçue le 16 octobre sera considérée comme non fournie. L’académicien sera considéré comme sans bouteille et sera redevable du coût d’insciption y afférant. Sa bouteille lui sera rendue.

Tout paiement non reçu le 16 octobre entraînera la non-inscription.

(j’avais écrit cela en juin, pour lancer le mouvement. Compte-tenu de la situation actuelle des inscriptions, nous ferons comme d’habitude, tout au dernier moment).

Nous sommes au 5/10 dix-huit inscrits. Ce chiffre va augmenter.

à la recherche des faux, pause au Crillon et jury littéraire mercredi, 28 octobre 2009

Pour une émission de télévision célèbre, un journaliste veut traiter du sujet de l’investissement en vins et de la problématique des faux. Un premier rendez-vous a lieu dans une grande maison d’enchères pour une vente de vins. Quand j’assiste à une vente, j’achète. Nous bavardons du sujet de l’émission. Des rendez-vous de tournage se prennent. Dès que tout est en route, je quitte vite la vente pour ne plus acheter. Ayant peu de temps après rendez-vous avec le jury du prix Edmond de Rothschild, je fais une halte dans le hall de l’hôtel Crillon pour travailler en nomade. Antoine Pétrus, l’un des deux sommeliers du lieu, fait un cours de dégustation à de jeunes sommeliers. Un verre de Chateauneuf-du-Pape Domaine du Vieux Télégraphe 1990 atterrit comme par miracle sur ma table de travail. Nous nous reverrons demain à l’académie des vins anciens. Antoine me fait donc la grâce de ce verre. Le parfum est magnifique, mais le vin semble fatigué. L’attention compte plus que le vin.

La Baronne Nadine de Rothschild m’a fait l’honneur de m’admettre au sein du jury du prix Edmond de Rothschild et du prix Nadine de Rothschild destinés à couronner des ouvrages dont le vin est l’objet principal. La réunion a lieu dans une des salles artistiquement lambrissées de la banque Rothschild. Nous commentons les ouvrages. Nicolas de Rabaudy dirige les débats avec autorité. Michel Bettane et Philippe Bourguignon sont écoutés. Le choix se fait assez rapidement entre des livres de grande valeur. Nous rejoignons un joli buffet où nous sont proposés les vins des domaines d’Edmond de Rothschild ainsi que les produits de es fermes, beurre salé, un brie de très grande qualité ainsi que d’autres fromages. La profusion ayant été à l’ordre du jour, Nadine nous fait préparer des petits sachets de fromages. Le mien sera utilisé à l’académie des vins anciens du lendemain, où je retrouverai Nicolas de Rabaudy pour le troisième soir consécutif.

Nicolas de Rabaudy signe son livre mardi, 27 octobre 2009

Nicolas de Rabaudy a commis un livre sur l’histoire des cinquante plus grands restaurants de France. Il invite des amis pour la signature de son livre dans un des jolis salons de l’hôtel Ritz. Le buffet préparé par Philippe Roth est d’un goût exquis. Je suis assis à une petite table avec Michel Soutiran, dont le champagne est servi au verre. Je le complimente, car la définition d’un bon champagne c’est celui dont le verre est vide avant que l’on ait eu l’envie de le reposer. Michel Soutiran est ravi que notre table assèche aussi vite le Champagne Soutiran qui est un blanc de noirs. Nicolas nous trousse un discours où l’émotion le dispute aux évocations de souvenirs. Ayant reçu du baron Edmond de Rothschild un magnum de Lafite-Rothschild 1984, il le fait partager par ses amis. Ce vin d’une subtilité charmante est d’un contraste diamétral avec le vin du Château Peyrat-Fourthon au modernisme envahissant. Différences de culture et de génération entre ces deux vins. Nicolas était accaparé par les dédicaces et attrapait de la façon la plus flatteuse la crampe de l’écrivain. L’engouement de tous ses amis présage un succès littéraire.

Le champagne de Venoge fait un déjeuner de presse lundi, 26 octobre 2009

Le champagne de Venoge fait un déjeuner de presse au restaurant Pierre au Palais royal à l’occasion de la parution du livre de Patrick de Gmeline consacré à de Venoge. Gilles de la Bassetière, président de ce champagne, nous reçoit. Le champagne de Vénoge Brut Cordon Bleu non millésimé est dosé à huit grammes. Un peu abrupt sur la bouche du matin, il s’anime progressivement pour devenir agréable au bout de quelques minutes.

Le chef Pascal Bataillé a prévu le menu suivant : fricassée de coquillages, graines de vanille, velouté de courgettes jaunes / pavé de bar poché au beurre d’agrumes, julienne de légumes, beurre battu aux algues et citrons / panacotta au citron, figues rôties au miel, chantilly à la fève de tonka.

Le champagne de Venoge blanc de blancs 2000 est dosé à sept grammes. C’est un vin beaucoup plus agréable. Il est bien dessiné, élégamment floral. Son côté toasté est un peu moins structuré. Il a un beau final miellé. L’accord avec les coquillages ne se trouve pas. C’est plus avec la sauce que le champagne trouve un terrain d’entente.

Nous goûtons ensuite le champagne de Venoge Cuvée Louis XV 1995. C’est le premier millésime de cette cuvée sous cette appellation, qui succède à la Cuvée des Princes, dont j’ai adoré le 1982. Ce champagne dosé à six grammes aux accents de miel et de citron a une assez belle complexité. C’est son acidité qui m’enchante le plus. Le bar est excellent, judicieusement cuit. La sauce citronnée met en valeur l’aspect fruit confit du champagne.

Le champagne de Venoge Cuvée Louis XV rosé 2002 est le premier millésime rosé de cette appellation. Il est dosé à quatre grammes. D’une couleur d’un rose délicat et clair, il brille par sa définition vineuse. A ce titre, c’est un rosé que j’aime. Le dessert est beaucoup trop complexe et sucré pour le mettre en valeur, ce qui est dommage, car on sent que c’est un grand champagne de gastronomie. Les deux cuvées Louis XV sont convaincantes. Il faudra s’intéresser un peu plus à un champagne dont l’image est peu claire dans le monde du champagne. Compte tenu des brillantes signatures journalistiques qui entouraient l’écrivain et le vigneron, nul doute que ce champagne va gagner en lisibilité médiatique, car ces deux cuvées le méritent.

Des vins corses sublimés par une cuisine exceptionnelle à Casadelmar Porto-Vecchio samedi, 24 octobre 2009

Nous sommes à l’hôtel Casadelmar à Porto-Vecchio. A neuf heures précises, après une nuit réparatrice du dîner de grands vins apportés par plusieurs amis, on frappe à la porte au moment où le téléphone sonne. Dilemme. Je choisis le téléphone pour apprendre que la valise de ma femme est retrouvée. Le petit-déjeuner sur la baie de Porto-Vecchio n’en a que plus de saveurs. Nous partons avec des amis visiter Bonifacio et sa spectaculaire falaise. Dans un petit bistrot « le Rustic », une aubergine farcie et des spécialités corses se mangent avec une bière brune corse. Il n’est pas question d’offusquer l’autochtone avec des choix continentaux.

Le dîner du deuxième jour est destiné à mettre en valeur des vins corses sélectionnés par Aurore Marre sommelière du restaurant. Jean-Philippe, notre cornac, a demandé au chef de donner libre cours à son talent sans le canaliser. Ce fut un festival.

Le menu préparé par Davide Bisetto mêle harmonieusement des intitulés en français et en italien : langouste vapeur, panais, huile de clémentine lyophilisée, sorbet de fenouil / battuta de filet de Yorkshire, fondue de Castelmagno, truffe blanche d’Alba / Raviolini vapeur de tourteau frais, royale d’algues Nori, infusion bonito-soja-kombu / risotto carnaroli « riposato » aux choux-fleurs, poisson caramélisé, caviar osciètre royal d’Iran / Saint-pierre fumé minute au bois de genévrier / cochon de lait, cuisse à la milanaise et côte au speck, glace pomme-moutarde, petits oignons dolce forte / framboise, poivron, glace à l’huile d’olive, émulsion siphon de marjolaine / croquant au chocolat blanc, pistache mandarine, sorbet chocolat Araguani.

Le E-Croce Y. Leccia, Patrimonio blanc 2005 est un vermentino au nez très jeune. Le goût est très râpeux, minéral. Il y a un joli gras en fin de bouche, une belle fluidité, mais c’est quand même très simple. Le vin va bien sur la langouste, prend du volume, et s’oriente vers des saveurs de Condrieu, alors que bu seul, il allait vers la Loire. La râpe du vin colle à la râpe du fenouil pour un joli accord sur un vin simple.

Le Clos Canarelli, Figari blanc 2003, lui aussi vermentino, a un nez plus opulent, et plus complexe. En bouche, le vin est opulent, très varié et polymorphe. Le vin se restructure sur le plat, et notamment la truffe blanche. Le fromage fait de trois laits assemblés, de vache, brebis et chèvre, réagit de belle façon sur la truffe pour pousser du col ce vin au dessus de sa valeur. Dès ce deuxième accord, nous constatons à quel point Aurore Marre fait un travail d’extrême précision, car les accords sont d’un dosage de génie. Lorsque le plat est fini, le vin se dissocie à nouveau, comme si un vin de 10° était additionné de marc. Le plat, tartare à la crème au fromage et truffe est un plat exceptionnel.

Le Mariotti Patrimonio blanc 2007 a un nez très expressif. En bouche il évoque la crème et le beurre. Il est gras avec une belle acidité finale. Pour Luc, ce vin fait penser à ceux de Marcel Deiss. Le nez est très différent de la bouche. Nous apprenons que le vigneron ne fait que trois mille bouteilles de ce vin par an. Les arômes du plat évoquent le bois séché, dans des harmonies japonisantes d’une grande subtilité. Le jus raccourcit le vin alors que le tourteau en ravioli épanouit le vin. Compte tenu de la complexité du plat et de la symbiose qui se crée, je pense que cet accord constitue le plus grand ou l’un des plus grands que j’aie rencontré en 2009. La magie de l’accord provient de sucres suggérés tant par le plat que ce vermentino.

L’A. Arena « BG » Patrimonio blanc 2004 est à 100% en cépage bianco gentile. Le nez est très pur, dense, riche, un nez de très grand vin. Le vin est fumé et se marie divinement bien au risotto et à l’osciètre. Sur le chapon que je vois présenté pour la première fois de façon aussi originale en caramélisé, c’est le 2007 sur lequel je reviens qui s’accorde le mieux. Je note à ce stade que cette cuisine vaut trois étoiles, tant les créations sont imaginatives et goûteuses, et qu’Aurore a fait un travail de première grandeur. Ce 2004 est un grand vin blanc, long, pur, délié, très fumé, poivré, de belle acidité citronnée, vibrant sur le chou-fleur du risotto.

Le bois de genièvre qui embaume quand on nous sert le Saint-pierre sur une crème de haricot coco fait immédiatement resurgir des souvenirs de Marc Veyrat. Nous sommes tous des adorateurs de ce grand chef et nous sommes heureux de voir une continuité talentueuse entre Marc Veyrat et Davide Bisetto.

L’Abbatucci, cuvée collection « Diplomate », Ajaccio blanc 2007 est un vin de grande race qui crée un accord d’une délicatesse absolue. Le vin est droit, direct et pur et donne la petite touche de fumé qui prolonge le plat. Le vin est du niveau d’un grand cru, dit Luc. Le vin est grand et l’accord est extrême.

Après une petite pause au « Sydre » qui est du cidre, nous continuons le repas par un cochon de lait sur deux vins. Le Clos Capitoro Ajaccio rouge 1997 est frais, court, mais très sympathique. Il a des accents de vin déjà vieux qui ne peuvent que me plaire. Le contraste est énorme avec le E-Croce Y. Leccia, Patrimonio rouge 2004 qui est puissant, fort, boisé, presque trop fort. Il est un peu fumé et vraiment un peu fort pour mon goût. Jean-Philippe aime ce 2004 à cause de son soyeux que je perçois quand le vin se domestique un peu. Même s’il est plus ordinaire, mon cœur penche pour le 1997.

La fantaisie du dessert avec sa glace à l’huile d’olive parachève, s’il en était besoin, l’étalage d’un talent qui surpasse le niveau de beaucoup de trois étoiles. Ce dessert est génial. Le Clos Camarelli, bianco gentile passerillé 2004 fait très vin du Jura qui aurait fauté avec un peu de macvin. Avec le chocolat, il prend des accents de xérès doux. C’est un vin délicat, léger, évoquant les fruits jaunes et les vins du Jura.

Nous avons longuement discuté avec Aurore qui a fait un travail de sommellerie de première grandeur sur un menu d’une explosion créatrice du plus haut niveau. Nous avons abordé des vins corses dont certains sont de productions tellement limitées qu’il serait impossible d’en acheter car tout est réservé. La question à laquelle je n’ai pas de réponse est celle-ci : dans un contexte de rêve, lié à la magie de l’endroit, au talent conjugué du chef et de la sommelière, nous avons adoré ces vins. Aurions-nous le même enthousiasme si les vins étaient servis à Paris et non pas sur leur territoire ? Peu importe. Il nous suffit que ce soir, ces vins corses aient été épatants.

dîner d’amis à l’hôtel Casadelmar de Porto-Vecchio vendredi, 23 octobre 2009

Nous formons un petit groupe d’amis amoureux de la grande cuisine et des grands vins. Jean-Philippe lance l’idée de fêter les quarante ans de l’un d’eux à l’hôtel Casadelmar de Porto-Vecchio. L’avion doit nous emmener à Figari, via Marseille. Après des valises perdues à Las Vegas ou à Pékin, j’ai envie de n’enregistrer nos valises que jusqu’à Marseille. Ma femme pense que je pousse le principe de précaution beaucoup trop loin. La dame du comptoir d’enregistrement me dit que le personnel est habitué à ces correspondances. Lorsqu’à Marseille je demande au comptoir si un contrôle est fait des bagages en transit, la jolie demoiselle me regarde avec un air hautain et agacé, comme si je l’injuriais de penser qu’un bagage puisse être perdu. A Figari, je demande à ma femme d’attendre les valises pendant que je règle les formalités de prise en charge de la voiture de location. Lorsque je reviens, ni femme ni valise. Ma femme est en train de faire sa déclaration de perte, car la sienne a été perdue. Elle reçoit une petite trousse de secours prévue pour cette situation. Voyageurs mes frères à qui j’ai recommandé il y a peu de ne pas prendre de salade de fruits présentée sous un film en cellophane, n’enregistrez jamais vos bagages à la destination finale si vous avez une correspondance. La gestion des valises est encore médiévale. Lire une étiquette à double destination est encore de la science-fiction. Il est des résistances au progrès qui ont des fumets sympathiques. Pas celle-là.

Retardés d’une demi-heure par les formalités, nous arrivons à l’hôtel où tous les amis nous attendent. Jean-Philippe me réclame mes bouteilles et je lui dis : « laisse-moi arriver, le grand dîner est pour demain. J’ai le temps ». Il me corrige tout de suite : « mais non, c’est pour maintenant ».

Nos amis disciplinés nous attendent. Nous prenons l’apéritif sur un Champagne Jacquesson dégorgement tardif en magnum 1989. C’est un beau champagne qui distille des notes de miel. Très précis, bien construit, c’est ce qu’on appelle un grand champagne. Je trouve cependant qu’il lui manque un petit grain de folie.

Tout l’hôtel est d’une décoration d’un goût sûr, jouant sur les volumes, les formes pures et de couleurs tranchées. La salle à manger est de cette beauté. Le menu préparé par le jeune chef italien Davide Bisetto est évocateur de son talent : foie gras de canard aux noisettes, gelée de myrte, sorbet de mûre / risotto mantecato au parmesan 48 mois, truffe blanche d’Alba / loup de ligne à la pistache de Bronte cuisson lente, enoki marine, ail doux / Chevreuil au poivre noir, châtaignes, nems de polenta, jus court / millefeuille aux fruits des bois, lime confit, sorbet hibiscus.

Sur le foie gras, le Pinot Gris Cuvée Clarisse Domaine Schlumberger 1989 qui était encore il y a peu dans ma valise (qui a bien fait de ne pas être perdue), se présente avec une robe fort sombre, comme si le vin avait vingt ans de plus. Le goût est extraordinaire, inhabituel, dépaysant, et d’une complexité infinie. Il combine une belle maturité avec des notes juvéniles, presque perlantes. La jolie gelée de myrte paraît émaillée dans l’assiette, ce qui est un régal pour les yeux, et il faut la décoller délicatement, ce qui crée avec le pinot gris un accord divin. Ce vin est un grand Alsace.

Le Meursault Perrières Leroy 1969 se présentera en deux bouteilles, la première non carafée et la seconde carafée à la suite d’un bouchon qu’Aurore Marre, sommelière attachante et d’une sympathie naturelle remarquée, a malencontreusement laissé tomber. Le premier est totalement rassurant, car son parfum est d’une folle complexité. Sa pureté est incomparable. Il a une belle minéralité et un goût citronné bien dosé. Le second, plus folâtre, n’a pas la précision du premier. Inutile de dire que chacun des deux trouve dans la truffe d’Alba une catapulte pour exacerber sa palette de saveurs. Cette truffe est d’un grand réconfort pour les vins de cette stature.

Le Château Ausone 1979 est le premier Ausone du fêté de quarante ans. Je lui explique donc avant que le vin ne soit servi, ce qu’il y a de subtil en Ausone, qui nécessite une grande humilité d’approche. Car ce vin de grand ésotérisme ne se livre pas comme cela. Comme pour me faire mentir, ce 1979 est d’une facilité d’approche rare, et constitue une brillante image de la beauté spécifique d’Ausone. Certains se sont amusés à essayer le Meursault avec le loup, mais il est évident que cette préparation colle à l’Ausone avec une exactitude absolue. Le plat est dans la ligne des deux étoiles qui décorent le chef.

Le Nuits-Saint-Georges 1er cru Les Georges, Cuvée des Sires de Vergy, Hospices de Nuits, élevé par Jean Germain en magnum 1989 est une plaisante surprise et une nouveauté pur moi. Elégant, ciselé, expressif, c’est un beau vin précis et agréable. C’est un plaisir de le boire sur le chevreuil au jus délicieux.

Le millefeuille est un régal et le Rivesaltes ambré Hors d’âge Arnaud de Villeneuve 1969 s’en réjouit. Ce vin de 16° est d’un équilibre juteux parfait. On en boirait sans s’arrêter. Son flacon si beau ressemblant à s’y méprendre à celui d’un cognac, l’astucieuse Aurore réussit à nous convaincre de prendre un verre de Cognac Delamain 1969, de l’année du fêté.

Mon classement des vins : 1 – Pinot Gris Cuvée Clarisse Domaine Schlumberger 1989, 2 – Nuits-Saint-Georges 1er cru Les Georges, Jean Germain en magnum 1989, 3 – Meursault Perrières Leroy 1969, 4 – Château Ausone 1979.

Nous n’avons pas comparé nos votes, mais le mien fut jugé cohérent par mes amis. Le plus bel accord fut le loup avec l’Ausone et le plus efficace celui de la truffe d’Alba et du Meursault.

Cette soirée d’amitié et de ferveur a été marquée par la générosité de plusieurs amis, la cuisine talentueuse d’un jeune chef et l’efficacité de la belle Aurore, sommelière elle aussi de talent.