125ème dîner au restaurant Patrick Pignol : photos jeudi, 22 octobre 2009

Champagne Bollinger rosé 1990, Champagne Dom Pérignon 1962, Sassicaia 1987, Opus One Napa Valley 1984, Vega Sicilia Unico 1964, Beaulieu Vineyard Georges de Latour Napa 1978, Côte Rôtie La Landonne Guigal 1996, Cristom Willamette Valley Pinot Noir Marjorie Vineyard 1999, Penfolds Grange Hermitage Bin 95 – 1987, Château Sigalas Rabaud Sauternes 1896, Massandra Gurzuf White Muscat 1931

Le menu composé par Patrick Pignol est ainsi décrit :

amuse-bouche

Damier de noix de Saint-Jacques et truffes d’automne et sa tartine truffée

Fraîcheur de homard, au parfum de mélisse et pulpe de tamarin

Ris de veau rissolé en cocotte

Perdreau rôti au four au parfum de sauge ananas

Lièvre en 2 façons : râble cuit minute et civet en crépinette

Vieille tomme de Savoie ou tomme de brebis affinée

Déclinaison autour du coing Madeleines.

125ème dîner de wine-dinners au restaurant Patrick Pignol jeudi, 22 octobre 2009

Le 125ème dîner se tient au restaurant Patrick Pignol.

Ce dîner est une première, car sur les onze vins qui seront ouverts, sept sont étrangers. Ma cave est essentiellement française, mais ici ou là, j’ai butiné, achetant des vins étrangers qui se présentaient à portée de ma raquette d’enchérisseur. J’ai défini un ordre des vins, sachant que pour beaucoup d’entre eux, c’est à l’ouverture que je déciderai de leur affectation sur le menu composé par Patrick Pignol. Aucun vin rouge n’étant ancien, je pensais, comme pour le dîner organisé avec les vins du père de Jonathan, que ce ne serait qu’une formalité. Nicolas, le sommelier fidèle de mes ouvertures, le croyait aussi. Or la bouteille de Vega Sicilia Unico 1964 avait été protégée par une cire approximative, du fait d’un début d’évaporation, et sous cette cire, une sale poussière grasse repose sur un bouchon descendu de près d’un centimètre. Imbibé, le bouchon se brise en mille morceaux. Et, surprise, comme pour le dîner en l’honneur de Jonathan, le bouchon du Penfolds Grande 1987 est indigne du statut mythique de ce vin. Le bouchon est quasi poreux, de la texture d’une gomme, sec et se brise en mille morceaux. Ce n’est donc pas un hasard, puisqu’un mauvais bouchon fermait aussi le Penfolds 1981. La texture du bouchon du Beaulieu 1978 est aussi gommeuse. Ces grands vins seraient bien inspirés de choisir de meilleurs lièges. Je fais sentir le Sigalas Rabaud 1896 au jeune pâtissier afin qu’il ajuste ses coings au parfum de ce beau sauternes. Le bouchon du Massandra 1931, Muscat Gurzuf est aussi poreux mais efficace que ceux de mes vins de Chypre.

La table se dresse, je me fais beau, tout est prêt pour ce 125ème dîner. Le menu composé par Patrick Pignol est ainsi décrit : Damier de noix de Saint-Jacques et truffes d’automne et sa tartine truffée / Fraîcheur de homard, au parfum de mélisse et pulpe de tamarin / Ris de veau rissolé en cocotte / Perdreau rôti au four au parfum de sauge ananas / Lièvre en 2 façons : râble cuit minute et civet en crépinette / Vieille tomme de Savoie ou tomme de brebis affinée / Déclinaison autour du coing / Madeleines.

Nous sommes dix. Neuf sont des habitués de ces dîners et le dixième, amateur fou de vins anciens, en a déjà dégusté de beaux avec moi. Il n’est donc point besoin de donner les consignes habituelles.

Le Champagne Bollinger rosé 1990 est d’une belle couleur rose. Son goût est précis et sa longueur est faible. Je suis assez déçu que ce champagne ne dégage pas beaucoup d’émotion. Il avait été ajouté au programme du dîner car je ne souhaitais pas que l’on démarre sur le 1962 et ce fut une sage décision car le palais est prêt, avec ce rosé qui est bon, à accueillir le Champagne Dom Pérignon 1962.

La première gorgée se prend sur une tranche de truffe, et c’est tout simplement divin. La deuxième gorgée se prend sur une tranche de coquille Saint-Jacques crue, ce qui donne une ampleur remarquable au Dom Pérignon. Avec la combinaison des deux, le champagne est parfait. Il représente la synthèse du champagne élégant. Il n’a pas d’aspérité, aucun muscle excessivement saillant. Je le trouve presque aqueux tant il est fluide, mais ce qui est indéfinissable, c’est que sous ses aspects apparemment simples, il fait toucher la perfection. L’image qui me vient est celle d’une chapelle bretonne. Elle n’a pas les audaces architecturales des basiliques, mais elle apporte une sérénité religieuse propice à la dévotion. Ce Dom Pérignon est ainsi, il pousse par son équilibre au recueillement.

En haut et à droite de l’assiette aux damiers, comme une note, un rappel ou un indice, un petit toast à la truffe est posé. L’accord du Dom Pérignon avec ce petit carré est impérial, confirmant l’efficacité absolue de ce champagne de grande pointure.

Le homard servi froid offre des goûts très dispersés, ce qui ne correspond pas aux souhaits de deux vins très subtils. Le Sassicaia 1987 est immédiatement charmant. C’est l’amoureux galant des romans du 18ème siècle, à l’habit débordant de dentelles et de fanfreluches, mais de grande distinction. Ce Sassicaia est l’élégance même, discrète et raffinée. A côté, l’Opus One Napa Valley 1984 fait un peu pataud sur les premières gorgées. Mais son évolution va être spectaculaire. Il se structure, il s’affine, au point d’avoir de jolis accents bordelais raffinés que le premier contact ne laissait pas envisager. Le cœur balance entre les deux, mais le charme italien opère.

Le ris de veau est d’une texture parfaite. L’accord avec le Vega Sicilia Unico 1964 est d’abord jugé osé par mes amis, mais il convainc toute la table. Ce vin était de loin le moins civil au moment de l’ouverture. Il me paraissait fatigué, et voici qu’il ressuscite au point d’entraîner l’enthousiasme de toute la table, comme le montrera le vote. Le vin est légèrement torréfié, comme beaucoup de Vega Sicilia Unico, avec des notes de café que suggère sa couleur très sombre, presque noire. Ce vin lourd et épais se domestique sur le ris. C’est un bonheur, vin riche et long en bouche, fou de charme.

Le perdreau est goûteux et remarquablement traité. Le Beaulieu Vineyard Georges de Latour Napa 1978 est d’un raffinement extrême. Jamais on ne dirait que ce vin subtil et élégant, qui glisse en bouche en une trace séduisante est américain. Non pas que les Amériques ne soient pas capables de faire du bon vin, mais nos cocoricos leur ont collé une telle image qu’un raffinement de ce niveau surprend. Je suis conquis par ce vin. J’attendais de la Côte Rôtie La Landonne Guigal 1996 qu’elle domine la confrontation mais, est-ce l’attrait de la curiosité, je ne sais, car je suis emballé par le Beaulieu. La Landonne est un solide grand vin du Rhône fidèle à son expression habituelle, mais ce soir l’heure est cosmopolite.

Le lièvre est un sacré gaillard, traité pour exprimer son goût de gibier. Les deux vins qui lui sont affectés n’ont aucune envie de lui laisser le moindre pouce de terrain, comme en une mêlée de rugby acharnée. Le Cristom Willamette Valley Pinot Noir Marjorie Vineyard 1999 est inconnu de tous. C’est un vin de l’Oregon, puissant, facile, lisible, à la définition très claire, qui joue juste et bien. Vin de soif malgré sa force, il se boit avec plaisir. Mais je succombe au charme fou du Penfolds Grange Hermitage Bin 95 – 1987, comme il y a peu, j’avais fondu pour son 1981. Le nez évoque un coulis de framboise. En bouche, il est d’une opulence chatoyante. Il est charnu, goûteux, resplendissant. Je l’aime évidemment, mais un peu moins que le 1981. C’est un vin de très haut niveau.

Le Château Sigalas Rabaud Sauternes 1896 a une belle robe d’un or sombre. Le coing est génialement dosé pour le mettre en valeur. Ce fut une bonne idée que de faire sentir le vin au pâtissier. Le nez du vin évoque le coing, bien sûr, ainsi que la bouche, dans une belle continuité. La râpe du fruit excite le vin de très belle longueur, vin immense qui est le plus grand des 1896 que j’ai bus de ce château. On comprendra aisément que je succombe au charme de ce vin subtil, aux variations gustatives d’une irisation infinie.

Le Massandra Gurzuf White Muscat 1931 étonne tout le monde. Il titre 10° et joue sur sa douceur et son sucre fort. Très long, il est plein de charme. Lorsque je l’avais ouvert, j’avais demandé s’il n’y avait pas quelques pruneaux en cuisine. Un maître d’hôtel me proposa fort judicieusement de grosses dattes tendres. L’accord du muscat avec ces dates est magique. Il faut passer des dattes aux madeleines et vice versa pour connaître des titillations doucereuses du plus bel effet.

Les votes sont particulièrement difficiles pour des vins dont les repères existent peu. Sur onze vins, neuf ont des votes, ce qui est agréable. Cinq vins ont l’honneur d’être premiers : le Vega Sicilia Unico 1964 quatre fois, le Massandra trois fois, le Dom Pérignon une fois comme le Beaulieu et le Sigalas Rabaud 1896.

Le vote du consensus serait : 1 – Vega Sicilia Unico 1964, 2 – Massandra Gurzuf White Muscat 1931, 3 – Château Sigalas Rabaud Sauternes 1896, 4 – Champagne Dom Pérignon 1962, quasi ex-æquo avec le Beaulieu Vineyard Georges de Latour Napa 1978.

Mon vote a été : 1 – Château Sigalas Rabaud Sauternes 1896, 2 – Champagne Dom Pérignon 1962, 3 – Penfolds Grange Bin 95 – 1987, 4 – Beaulieu Vineyard Georges de Latour Napa 1978. Si le premier voté du consensus n’est pas sur ma feuille de vote, c’est sans doute parce que j’avais en mémoire l’aspect visuel du bouchon très laid à l’ouverture et parce que c’était alors le plus fatigué. Le contexte psychologique de ce moment important ne me poussait pas à m’enflammer pour lui.

La brochette de vins rouges a démontré que les vins ‘d’ailleurs’ ont de la subtilité à revendre, ce qui tend à modifier l’imagerie d’Epinal sur les vins du Nouveau Monde. Deux accords ont été magistraux, le damier de Saint-Jacques et truffes avec le Dom Pérignon, ainsi que le Vega Sicilia et le ris de veau. L’ambiance chez Patrick Pignol est toujours enjouée et la cuisine d’une grande qualité. Nos rires résonnaient encore tard dans la nuit, conscients que nous étions d’avoir passé un grand moment avec des vins du plus bel intérêt.

125ème dîner de wine-dinners : les vins jeudi, 22 octobre 2009

Champagne Bollinger rosé 1990

Champagne Dom Pérignon 1962

Cristom Willamette Valley Pinot Noir Marjorie Vineyard 1999

Opus One Napa Valley 1984

Sassicaia 1987

Beaulieu Vineyard Georges de Latour Napa 1978

Vega Sicilia Unico 1964

Penfolds Grange Bin 95 – 1987

Côte Rôtie La Landonne Guigal 1996

Château Sigalas Rabaud Sauternes 1896

Massandra Gurzuf White Muscat 1931

déjeuner au restaurant Taillevent mercredi, 21 octobre 2009

J’ai envie de déjeuner avec ma fille aînée, l’un des piliers du « Ginette club » en matière de vin. Elle me propose une adresse près de son bureau et m’indique le site internet du restaurant. Je lui contre-propose Taillevent. « Oui, mais Papa, c’est la crise ». Ma réponse : « c’est justement parce que c’est la crise qu’il faut soutenir les restaurants que l’on aime ». Elle n’insiste pas, mais je sens que sa proposition de modération est sincère. La magnifique salle du restaurant est remplie mais ne fait pas salle comble. Les liens que j’ai tissés avec toute l’équipe font que je me sens en famille. Ma fille ne boira pas, aussi me contenterai-je, si l’on peut dire, d’un Champagne Krug Grande Cuvée non millésimé. Nous prenons le menu judicieusement dosé.

Mon premier plat est d’huîtres Gillardeau servies tièdes au riesling pendant que ma fille prend des légumes avec des lardons et un jus de viande. Comme elle fait régime, elle laisse les lardons et me les propose. Au moment où je voudrais, telle la mouette rieuse, picorer dans son assiette, Jean-Marie Ancher intervient pour que l’on me rapporte une assiette à bonne température. La sauce, même si elle a un gramme de sel de trop est absolument divine et appellerait un beau chambertin, tant elle a de réduction.

Le plat suivant est de rougets en filets poêlés aux saveurs méditerranéennes. La chair est délicieuse et les légumes gagneraient à être moins croquants, plus dans la continuité de la chair. Par une belle synchronisation, Jean-François, jeune sommelier plein de talent dépose devant moi un verre de vin rouge sans me dire ce dont il s’agit. Ce vin est plein de talent lui aussi – par mimétisme sans doute – et expose du boisé, de la richesse, de la trame, et je vais vers Bordeaux. Il n’y a pas d’opulence, mais une force de caractère qui impressionne. Mangeant du rouget, mes souvenirs de pomerols reviennent, mais je sens que ce n’est pas cela. Au-delà, inutile de chercher et quand Jean-François me montre la bouteille de Château Haut-Brion 1993, cela semble cohérent avec mes débuts d’analyse. Il s’agit d’un vin qui sur les tentures d’une année limitée plante le décor d’un grand cru.

Tout au long du repas, le Krug s’est bien tenu, flexible comme il sait l’être, sans jouer de ses biceps qu’il a pourtant fort charnus.

Sur l’Ossau Iraty et sa confiture de cerises noires, petit caprice rituel de la maison Taillevent, on me sert un pineau des Charentes qui colle bien au plat mais le domine trop. Le croustillant au pamplemousse, sorbet à la Chartreuse est un dessert délicat que je verrais bien cohabiter avec de vieux sauternes si l’on prend soin d’expédier une nouvelle fois les chartreux en exil à Tarragone. A la table voisine, un couple d’américains octogénaires déjeunent avec une discrétion exemplaire. Quand on plante devant eux une bougie d’anniversaire de mariage, ils s’excusent presque que ce ne soit pas le cas.

Le restaurant Taillevent est une adresse où il fait bon déjeuner ou dîner, et je m’y sens bien.

dîner au chateau de Beaune : les vins samedi, 17 octobre 2009

Des bouteilles, dans la cuisine du château, avant ouverture

un impressionnant groupe de liquoreux, et des bouchons qui ont fortement résisté !

Charles Heidsieck rosé 1975

Champagne Cristal Roederer 1974

Champagne Moët & Chandon Brut Impérial 1914

Bourgogne Blanc Cosson propriétaire 1962 dont la capsule est frappée de « Clos des Lambrays »

Meursault Coche Dury 1967

Meursault Bouchard Père & Fils 1861

Clos de Tart 1981

« Vin des Côtes 1911 » écrit à la main sur l’étiquette d’une bouteille où est gravé dans le verre : « Pernod Fils »

Romanée domaine Gaudemet-Chanut, Jules Régnier 1908

Beaune Teurons Chanson P&F 1885

Côtes de Nuits Grand Cru Romanée-Saint-Vivant domaine Gaudemet-Chanut 1899

Musigny Domaine Prieur 1961

Bages Monpelou Pauillac 1898

Château-Chalon Jean Bourdy 1911

Monbazillac domaine du Grand Marsalet 1950

Quart de Chaumes Coteaux du Layon Château de Belle-Rive 1893

Muscat de la Tour mis en bouteille en 1897

vin de Chypre 1845

« Picca…… » « 18.. », le troisième chiffre pouvant être 5 ou 6 ou 8

vin inconnu (au centre de la photo) Sa bouteille ressemble à celle d’un vin d’Alicante de 1874 que j’ai bu il y a plus de vingt ans.

Treize vins de plus de 80 ans dans un dîner fou samedi, 17 octobre 2009

L’histoire de ce dîner d’une rare extravagance commence il y a quelques mois à la présentation annuelle à Paris des vins de la galaxie Bouchard Père & Fils. Michel Crestanello, directeur commercial du groupe pour la France me présente un jeune homme sympathique qui me dit avoir lu mon livre qui lui sert de guide. Il me demande si j’accepterais de participer à un dîner de vins vieux qu’il veut organiser. J’ai tellement de mal à gérer mon emploi du temps que je serais tenté de dire non, mais le jeune homme m’indique qu’il travaille au sein de la fédération nationale handisport à la promotion du sport pour les handicapés et à la participation aux Jeux Paralympiques. Ce détail pèse d’un grand poids, me fait dire oui, et je m’en félicite, on verra pourquoi. La mise au point se fait par échanges de mails. Sébastien apportera l’essentiel des vins puisque, jeune collectionneur qui a acquis quelques vieilles bouteilles, il ne veut pas attendre pour les boire. Cela me donne envie d’apporter certaines des plus chéries de mes bouteilles. La maison Bouchard nous prête l’Orangerie du Château de Beaune. Sébastien fait les invitations, me demande d’apporter des suggestions à la mise au point du menu et me demande d’ouvrir les vins.

Avant d’aller remplir cette tâche, je fais un crochet au Clos de Tart, car Sylvain Pitiot, qui participera au dîner, prépare une extraordinaire verticale de son vin et me fait l’honneur de me consulter sur l’organisation de l’événement. J’arrive ensuite au château de Beaune pour ouvrir les vins qui ont été conservés beaucoup trop froids dans un réfrigérateur. Je commence à officier et Sébastien m’explique que parmi les invités, qui viennent en amis, il y aura Stéphane Follin-Arbelet, DG de Bouchard, qui a prévu une bouteille qui sera bue à l’aveugle, Christophe Bouchard et Michel Crestanello de la maison Bouchard, Jean-Charles Cuvelier, Jean-François Coche-Dury, Sylvain Pitiot et plusieurs amis de Sébastien dont des cavistes vendeurs de vins anciens. L’un d’entre eux a apporté une bouteille déjà ouverte, enveloppée d’aluminium qui sera aussi bue à l’aveugle. Parmi les bouteilles plusieurs sont inconnues et non-identifiables. Cela ajoutera du piment au dîner. Beaucoup de bouchons se brisent en milliers de morceaux, ce qui oblige Célian, un ami de Sébastien, pongiste international, à user de sa dextérité pour aller à la pêche aux brisures pendant que je continue d’ouvrir d’autres bouteilles. D’autres vins s’ajoutent. Je suis obligé d’officier de nombreuses fois. La bouteille de Romanée 1908 est dépigmentée et sent la serpillière, ce qui indique avec certitude que le vin est mort. Nous verrons que rien n’est moins certain que le certain. Le parfum du Château Chalon 1911 est d’une invasion extrême, la noix explosant dans nos narines. La soif venant, nous décidons de goûter l’un des nombreux liquoreux. L’un des vins inconnus m’évoque un Pedro Ximenez très ancien. Le Chypre 1845 me paraît moins flamboyant que d’habitude. Nous verrons.

Le groupe se forme et Michel nous fait faire la sacro-sainte visite des lieux. Je m’amuse à le faire presser car il y a tant de vins à boire, mais ses paroles intéressent tous les visiteurs qui rêvent à l’évocation et à la contemplation de ces trésors. Nous prenons l’apéritif sur des gougères dans le salon du château. Le Champagne Charles Heidsieck rosé 1975, de l’année de Sébastien, est d’une belle couleur. Le nez est superbe, l’attaque est belle et franche, mais je suis gêné par son final trop âpre, tendant vers un goût métallique, comme si le vin avait eu contact avec l’enveloppe en aluminium. Cette imperfection va rendre encore plus brillant le Champagne Cristal Roederer 1974 à la couleur bien jeune et au nez extraordinaire. C’est un champagne merveilleux, très équilibré et très grand. Le mot qui s’impose est : magnifique.

Nous passons à table dans l’orangerie du Château de Beaune. Le menu conçu par Stéphane Léger du restaurant Le Chassagne est : pressé de foie gras et magret de canard aux figues / noix de Saint-Jacques, mousseline de panais au sel fumé, beurre ciron-gingembre / côte de veau aux girolles, légumes oubliés en coque de potimarron / comté de 18 mois / minestrone de mangue et ananas / financiers à la réglisse.

Le Champagne Moët & Chandon Brut Impérial 1914 a été pendant plus de vingt ans le plus grand champagne que j’aie eu l’occasion de boire. Aussi suis-je par avance conquis. La couleur est très belle évoquant le miel. Le nez est très racé. Disons–le tout net, il est pour moi totalement extraordinaire, mais je sais que c’est très personnel. Racé, sec, citronné, il a une longueur infinie. C’est un grand témoignage qui m’émeut énormément.

Nous avons trois vins devant nous : un Bourgogne Blanc Cosson propriétaire 1962 dont la capsule est frappée de « Clos des Lambrays », puis un Meursault Coche Dury 1967 apporté par mon voisin de table qui en était à sa troisième récolte cette année-là, et le vin mystère de la maison Bouchard P&F, pour lequel Stéphane Follin-Arbelet donna cette curieuse piste : « comme François Audouze a bu de chez nous presque tout ce qu’il y a de plus grand, il fallait trouver un vin qu’il n’ait pas bu. Ce vin n’a jamais été ouvert au domaine. Il n’y a donc aucune note de dégustation ».

Le 1962 a une belle couleur. Le nez est convenable, la bouche évoque le gibier et le métal. Son final est désagréable. Il est inutile d’insister. Le 1967 est très clair, d’une couleur très jeune. Le vin est éblouissant de fraîcheur. Il est fluide, souple, jeune et beau, de belle longueur, mais ce qui frappe le plus, c’est son impression de fraîcheur qui marque le palais.

Le vin mystère est de couleur plus sombre. Il a une belle attaque. La première impression est de bois de santal, de poussière, mais Stéphane nous met bien en garde : « vous allez voir ce vin s’étendre et s’épanouir dans le verre. Attendez suffisamment ». Et nous sommes les témoins d’une éclosion spectaculaire. Le vin devient très grand, et tous ses défauts s’estompent. Stéphane nous donne le nom du vin : c’est un Meursault générique, simple Villages. Il nous demande de situer l’année. Je suggère que ce vin est sûrement d’avant 1910. Stéphane ne nous laisse pas hésiter longtemps : c’est un Meursault Bouchard Père & Fils 1861. Stéphane me demande si j’ai un repère sur l’année 1861 et je lui dis que 1861 est l’année d’un Yquem qui est le plus grand des Yquem de ma vie.

La première série de vins rouges compte : Clos de Tart 1981, un vin intitulé « Vin des Côtes 1911 » écrit à la main sur l’étiquette d’une bouteille où est gravé dans le verre : « Pernod Fils », une Romanée domaine Gaudemet-Chanut, Jules Régnier 1908, un Beaune Teurons Chanson P&F 1885 et le vin mystère de Gérard, un ami de Sébastien.

J’aime beaucoup de Clos de Tart 1981 qui est extrêmement naturel et sincère. D’une année calme, il décline les notes bourguignonnes calmement, mais avec une belle franchise. J’adore ce vin qui est à la charnière de la jeunesse et du début de maturité. Le vin des Côtes est étrange. La couleur est assez pâle, il est d’une acidité assez nette mais se boit bien. La force alcoolique me fait chercher vers le Rhône, mais Sylvain Pitiot pense que ce vin est bourguignon. Le nez du vin rebute les vignerons présents.

Rarement dans ma vie aurai-je rencontré une surprise aussi grande que cette Romanée 1908. Car à l’ouverture, le vin était objectivement dépigmenté. Or ce que l’on sert dans les verres, même clairet, est du vin. Comment ce vin a-t-il pu se pigmenter de nouveau ? Son goût est équilibré et délicieusement bourguignon. Je n’en reviens pas et Célian et Sébastien qui ont assisté à l’ouverture en sont aussi étonnés. Le 1885 est trop décevant pour être bu, trop dévié. Le vin mystère est renfermé, comme s’il s’était coincé de lui-même. Là aussi la déception est évidente. Le vin est nommé : Côtes de Nuits Grand Cru Romanée-Saint-Vivant domaine Gaudemet-Chanut 1899. Ce vin est donc du même domaine que celui de la Romanée. Mais la Romanée est d’un bonheur immense, évoluant vers la framboise, quand le Saint-Vivant n’est que pâle fantôme.

Le vin de Sylvain Pitiot est un Musigny Domaine Prieur 1961. Sa robe est d’un rouge idéal. Ce qui est intéressant à constater c’est qu’il explose en bouche mais manque de longueur. Opulent et riche, il ne tient pas la longueur. Pendant ce temps, le Meursault 1861 continue de s’améliorer. Sébastien ajoute au programme un Bages Monpelou Pauillac 1898, ostensiblement bouchonné.

Le Château-Chalon Jean Bourdy 1911 est un de mes apports. Son nez est puissant et envahissant. Le vin est d’une folle jeunesse et d’une puissance à tout vaincre. L’accord avec le comté est magique. Le Meursault 1861 montre maintenant une similitude avec le vin du Jura, mais le comté ne reconnaît que son compagnon préféré.

Sur le dessert cohabitent un Monbazillac domaine du Grand Marsalet 1950 et un Quart de Chaumes Coteaux du Layon Château de Belle-Rive 1893. Ce dernier était coiffé d’un muselet comme les vins de champagne, sans que cela corresponde à la moindre effervescence. Les deux vins ont des couleurs très similaires, d’un bel or. Le nez du Monbazillac est de cédrat confit. Celui du 1893 est beaucoup plus discret et poussiéreux. Le 1950 en bouche est presque sec, très beau, évoquant l’agrume confit. Le 1893 est aussi très beau dans des notes de thé, d’une amertume plaisante.

Arrivent maintenant quatre vins doux de compétition. Le Muscat de la Tour mis en bouteille en 1897 est un vin que j’ai toujours adoré. Les chahuts sur son bouchon qui se brisait en mille morceaux ont rendu le liquide un peu trouble, mais en bouche, ce vin est d’une séduction incomparable, jouant sur la douceur sensuelle suggérée. Il est subtil et a un final qui claque.

Le vin de Chypre 1845, mon chouchou, mon champion est ici dans une forme moins belle que celle que je connais. Mais il a une longueur infinie et une race incomparable, faite de poivre et de réglisse, ce qui justifie les financiers que j’avais demandés.

Le vin suivant est dans une bouteille très semblable à celles de ma collection de vins de Chypre et autres îles méditerranéennes. Mais sur l’étiquette on ne lit que « Picca…… » « 18.. », le troisième chiffre pouvant être 5 ou 6 ou 8. Ce vin très noir est gras, très beau, ressemblant de façon quasi certaine à un Pedro Ximenez. Disons qu’il est de 1850, pour dire quelque chose.

Le dernier vin inconnu est d’une bouteille d’un verre très fin torsadé au refroidissement du souffleur. Le vin est vif et gras, très mentholé, massif, avec peut-être un peu trop de sucre. Il pourrait être aussi de la période autour de 1850.

J’ai réussi à convaincre cette belle assemblée de voter comme lors de mes dîners et voici ce que cela donne. Nous sommes treize votants pour vingt vins. Onze vins ont des votes, ce qui veut dire que neuf sont restés sur le trottoir. C’est assez normal car il y avait des vins à risque, ajoutés juste pour voir. Six vins ont eu les honneurs d’une place de premier : le Meursault 1861 cinq fois, le Cristal Roederer 1974 trois fois, le Moët 1914, le Meursault 1967, le Musigny 1961 et le Romanée Saint Vivant 1899 une fois chacun.

Le vote du consensus, difficile à calculer serait : 1 – Meursault Bouchard Père & Fils 1861, 2 – Romanée domaine Gaudemet-Chanut, Jules Régnier 1908, 3 – Musigny Domaine Prieur 1961, 4 – Champagne Cristal Roederer 1974 et un cinquième serait le Meursault Coche-Dury 1967.

Mon vote est : 1 – Moët & Chandon Brut Impérial 1914, 2 – Romanée domaine Gaudemet-Chanut, Jules Régnier 1908, 3 – Meursault Bouchard Père & Fils 1861, 4 – Meursault Coche-Dury 1967.

L’ambiance de ce dîner a été toute particulière. Nous avions l’impression d’appartenir à une secte, comme d’ailleurs le suggère le titre du petit livret remis pas Sébastien : « entre amis, chapitre 1 ». Il indique ainsi qu’il envisage des suites. Nous avons vécu des tranches d’histoire. Car treize vins de plus de 80 ans dans un même dîner, c’est chose peu commune et même plus, c’est exceptionnel. L’existence de bouteilles qui avaient rendu l’âme n’était d’aucune gêne, car nous avons eu accès à des saveurs uniques, non reproductibles, dont nous sommes les jouisseurs et les témoins. L’amitié, la générosité transpiraient dans chaque moment de ce repas. L’ambiance était décontractée puisque Sébastien, magicien à ses heures, nous gratifia même de quelques tours de magie. Mais la magie la plus grande était celle de ces quelques heures de communion intense et unique, par la volonté d’un jeune collectionneur attachant et enthousiaste.

dîner à l’orangerie du château de Beaune : le dîner samedi, 17 octobre 2009

Le menu créé par Stéphane Léger du restaurant Le Chassagne est ainsi conçu :

pressé de foie gras et magret de canard aux figues

noix de Saint-Jacques, mousseline de panais au sel fumé, beurre ciron-gingembre

côte de veau aux girolles, légumes oubliés en coque de potimarron

comté de 18 mois

minestrone de mangue et ananas

financiers à la réglisse.

vins annoncés pour l’académie des vins anciens du 29/10/2009 vendredi, 16 octobre 2009

Voici les vins qui sont annoncés pour l’académie. Ce n’est pas encore complet, mais on est au cœur de la cible de l’académie.

Je suis extrêmement heureux de cette sélection qui tient à la générosité et à l’engagement des académiciens :

St Julien Clos St Albert 1900

Château Pichon Baron de Longueville 1904 (curiosité)

Chateau de Rayne-Vigneau Sauternes 1904

Château Latour 1925

Maury La Coume du Roy 1925

Maury La Coume du Roy 1925

"BAGES" Pauillac, Montré & Cie, mi-épaule 1926

Rivesaltes Bory 1927

Château Grand La Lagune 1928 (basse)

Jurançon caves Nicolas 1929

Château Bouscaut 1929

Château Margaux probable 1931

Château Ducru Beaucaillou 1934

Château Mouton d’Armailac 1934

Grand Pouilly Latour, Pouilly Fuissé Louis Latour 1937 (curiosité)

Cérons, Château Galant 1945 (bas)

Château Belair Saint-Emilion 1947 (basse épaule)

Meursault A. Perdrizet 1948

Château La Louvière blanc 1952

vin inconnu sans étiquette année inconnue (bon niveau, curiosité)

Château de Beaucastel rouge 1959

Château Talbot 1959

Château Chalon Jean Bourdy 1959

Château Léoville Barton 1959

Mercurey Clos L’évêque Château des Etroyes – François Proutheau 1962

Château Saint-Vincent Côtes Fronsac 1964

Auxey-Duresses Begin-Colnet 1967

Champagne Dom Pérignon 1969

Château Suduiraut 1969

Champagne Laurent Perrier Grand Siècle vers 1970

Château Tertre d’Augay 1970

Clos des Papes Chateauneuf du Pape 1971 (magnifique)

Château Latour magnum 1973 (très basse)

Riesling – Hochheimer Stielweg Spätlese – Rheingau – W. J. Schäfer 1976

Vin jaune Rolet 1979

Riesling – Leiweiner Laurentiuslay Auslese – Mosel – Stefan Kowerich 1983

Coteaux Champenois signée G & G Boyer sans année

Champagne Charles Heidsieck mis en cave en 1996

Champagne Charles Heidsieck mis en cave en 1996

Champagne Charles Heidsieck mis en cave en 1996

Champagne Selosse

Bravo aux académiciens qui se sont placés dans la droite ligne des ambitions de l’académie.

déjeuner au Cercle Interallié mercredi, 14 octobre 2009

De retour à Paris, déjeuner au Cercle Interallié avec mes conscrits. Dans la belle salle à manger et face à un jardin qui capte les rayons d’un soleil généreux, nous trinquons sur un champagne Taittinger assez coloré, suivi à table d’un champagne Comtes de Champagne de Taittinger dont le nez est impressionnant de profondeur, de charme et de distinction. Sur un foie gras un peu étouffé par un pain d’épices trop fort, le champagne est particulièrement agréable. La pintade cohabite avec un Aloxe-Corton les Suchots Simon Bize 2004 dont le côté ascétique et métallique limite le plaisir. L’esprit était plus à discuter et commenter les potins de la vie politique dans un cadre d’une rare beauté qu’à disséquer les qualités et les défauts d’un gentil champagne.

voyageurs mes frères… lundi, 12 octobre 2009

Il est des moments où l’on pense que l’on atteint l’apogée des sentiments.

La scène se passe dans l’avion de retour. Après neuf heures de vol et alors qu’il en reste environ deux, on nous sert un petit-déjeuner. J’imagine assez l’acheteur des produits alimentaires de cette société de transport aérien, demandant du jambon, à condition qu’il soit trop salé et rempli d’eau, demandant que le yaourt ait un goût de gélatine et qu’aucune saveur ne puisse imiter de près ou de loin celle d’un fruit, cherchant le pâtissier qui pourrait construire un pain au chocolat qui ait la texture et le goût d’un matelas, mais la sensation n’est pas là.

Elle est dans la petite coupelle qui contient une salade de fruits. Ce bol plat de forme carrée est entouré d’un film plastique protecteur, transparent et bien lisse sur le dessus, et froissé et replié sur le dessous. Dans le siège exigu, le mouvement se passe ainsi : d’une main on soulève la coupelle, et de l’autre, on farfouille en dessous pour trouver les bords du film plastique afin de le dérouler. Et c’est à ce moment-là qu’une des sensations les plus vives se produit. La main du dessous a les doigts recroquevillés qui palpent, qui grattent, qui extirpent. Le plastique se détend, s’ouvre, se déroule. Il est assez compréhensible qu’en avion, il y ait des soubresauts. Quoi de plus logique. Dans ces conditions, le jus de la salade, sorte de sirop bien sucré, a sauté des bords de la coupelle pour s’étaler dans les plis du film. Et que fait la main qui cherche à ouvrir ? Elle reçoit lentement et délicatement le sirop qui glisse dans la paume. Et plus le film se déroule, et plus la paume devient gluante, suinte et arrose le reste du plateau. Prisonnier que l’on est de ses deux mains, on endure ce supplice comme l’un des plus sadiques que l’on puisse connaître.

Voyageurs mes frères, évitez les salades de fruit dans les avions.