Astrance et Clos de Tart – photos mercredi, 16 septembre 2009

la petite brioche au champignon est présentée sur une assiette blanche qui en comporte plusieurs à partager entre convives. j’ai pris la mienne pour la photographier sur le disque de verre de couleur, ce qui n’est pas l’impression visuelle recherchée pour cet amuse-bouche. La galette de foie gras et champignon de Paris est un plat "culte" de l’Astrance

la langoustine a une présentation qui fait penser au gargouillou de légumes de Michel Bras. la chair du couteau est particulièrement attendrie. la sole était un peu cuite

Pouilly-Fuissé « Clos Reyssié » P. Valette en magnum 2001

collier d’agneau, haricotes blancs cuisinés au chorizo et coques absolument sublime et colvert cuit au sautoir, condiment griotte

quelques desserts

Massa Vecchio Aleatico

les diaboliques madeleines au miel (dont ma femme a la recette !)

verticale de Domaine de Chevalier – photos lundi, 14 septembre 2009

Les verres en attente. Environ 500 seront utilisés ce soir

Bipin Desai explique la dégustation qui sera faite

les verres des dix vins blancs aux couleurs de belle jeunesse et la rémoulade de tourteau à l’aneth, sauce fleurette citronnée à la forme d’une délicate géométrie

épeautre du pays de Sault en risotto aux cèpes de châtaigniers / mignons de veau de lait aux cèpes de châtaigniers

palombe rôtie aux salsifis et aux girolles et les verres de vins rouges

Bernard Burtschy, Olivier Bernard et Michel Bettane, écoutant les commentaires de participants

l’impressionnant groupe de magnums et les bouchons bien rangés et déclinaison de fruits rouges parfumée au Rooibos

le Malaga Molino Real qui ne titre que 13°

Une démonstrative verticale de Domaine de Chevalier lundi, 14 septembre 2009

Bipin Desai organise assez fréquemment de grandes verticales qui permettent de mieux connaître les vins d’un domaine. Il est accompagné de son groupe d’amateurs américains et invite des journalistes ou écrivains du vin. Ce soir, ce n’est pas Bipin qui m’a invité mais Olivier Bernard le sympathique propriétaire du Domaine de Chevalier. Olivier est connu pour savoir recevoir. Ce soir, il a atteint des sommets difficilement atteignables.

Le dîner se tient au premier étage du restaurant Taillevent, dans la même pièce que celle de mon récent dîner. Jean-Claude, le fidèle maître d’hôtel me dit : « on ne se quitte plus ». L’apéritif se prend dans le petit salon chinois avec le champagne Taillevent qui est un Deutz de belle soif. Ce champagne attire les gougères et malgré le programme qui nous attend, pousse sans cesse à se resservir.

Quatre tables sont dressées dans le grand salon, pour vingt-deux convives. Voici le menu préparé par Alain Solivérès : rémoulade de tourteau à l’aneth, sauce fleurette citronnée / épeautre du pays de Sault en risotto aux cèpes de châtaigniers / mignons de veau de lait aux cèpes de châtaigniers / palombe rôtie aux salsifis et aux girolles / fromages de Comté / déclinaison de fruits rouges parfumée au Rooibos. Ce repas fut élégant, la maîtrise d’Alain Solivérès donnant une justesse remarquable à chaque plat.

Devant nous cinq verres de vins blancs sont déjà posés, qui seront rapidement rejoints par cinq autres. Le pied de chaque verre comporte un numéro de zéro à neuf. Olivier explique que pour les blancs, la dégustation se fera à l’aveugle. Il ne sera pas demandé de trouver le millésime, mais d’écrire sur un petit carton les trois vins que l’on préfère, dans l’ordre. Il précise que pour les rouges, nous connaîtrons les millésimes. Il indique enfin que tous les vins que nous buvons proviennent de magnums.

Je commence à sentir les cinq premiers vins puis à les boire, alors que pour les cinq suivants, je boirai chacun juste après l’avoir senti. Le nez du vin n° 0 est extrêmement riche, puissant, évoquant le miel. Le nez du n° 1 est plus sec, très élégant. Le nez du n° 2 est plus discret, évoquant la menthe avec un miel très élégant. Le nez du n° 3 est équilibré, peut-être un peu plus calme. Le nez du n° 4 est plus fermé.

En bouche, le n° 0 est moins opulent que ce que le nez suggère. Il a un beau final citronné. Le n° 1 n’est pas mal mais son final n’est pas aussi beau. Ses évocations de miel sont sympathiques. Le n° 2 est un vin très élégant, très facile et coulant. C’est un vin de plaisir. Le n° 3 est bien clair, léger, délicat. Il est plus romantique mais plus faible. Son final est élégant. J’aime beaucoup le n° 4, car il a un grand équilibre. Il n’a pas la force du n° 0 et pas la légèreté du n° 3, mais c’est pour moi celui qui est dans la définition la plus pure du Domaine de Chevalier.

Nous passons aux cinq suivants, servis depuis quelques minutes. Le n° 5 a un nez très végétal. Son final est joli. Il est moins plaisant que le 4 mais je le trouve riche, intéressant, car atypique. Le n° 6 a un nez très minéral et citronné. Il est un peu atypique car unidirectionnel, un peu simplifié mais élégant. Le n° 7 a un nez très élégant. Il est très beau. Lui aussi est très archétypal de Domaine de Chevalier. Le n° 8 a un nez plus discret. Il a une très belle attaque en bouche. J’aime. Son final est un peu court, mais j’aime. Le n° 9 a un goût de bouchon.

Voter est un exercice difficile car tous ces vins à part de 9 sont de très grands vins. Les couleurs de tous sont d’un beau jaune hésitant entre le citron et le miel clair, sans qu’une trace d’or ou d’acajou n’apparaisse nulle part. Ces vins sont donc jeunes. J’hésite au sein d’un groupe de quatre, les 4, 5 7 et 8. Mon vote est 4, 5 et 7. Bernard Burtschy dépouille tous les votes, coefficiente chaque vote et annonce le vote global : 4, 7 et 3. J’ai donc le même premier et deux vins sur trois communs avec le vote global. Le quatrième étant le 5 dans le vote global, j’ai donc reconnu dans mon vote trois vins des quatre premiers. Ça me ravit évidemment. Et j’essaie de voir si le 3 qui est dans le tiercé général est meilleur que le 5 de mon vote. Et j’avoue que je n’arrive pas à trouver le 3 meilleur que le 5.

Olivier nous annonce que les dix vins sont tous les vins d’une même décennie et que le numéro du vin correspond au dernier chiffre de l’année. Il demande si quelqu’un devine la décennie. Mon voisin de table parle des 90, Michel Bettane dit que ce pourrait être les 70. Je dis que je ressens les 80 et ce sont les 80. Le quarté final est donc : 1984, 1987, 1983, 1985. Mon vote est 1984, 1985, 1987. On voit que la hiérarchie ainsi faite est opposée au classement habituel des millésimes des vins rouges. A noter que les deux personnes qui font le vin sous l’autorité d’Olivier Bernard préfèrent le 1988 que j’avais mis dans mon quarté mais non retenu. La leçon principale de cet exercice est que tous les millésimes de cette décennie sont réussis et sont de grands vins. On le savait sans doute. Mais c’est intéressant de constater que chaque millésime d’une décennie présente de l’intérêt. Olivier Bernard a pris son risque et ce pari est réussi.

C’est maintenant le tour des rouges, et le premier service commence très fort. Ce ne sera pas à l’aveugle mais quand même, Olivier demande si l’on situe bien le premier. Je hasarde 1928 malgré une couleur d’un beau rubis de folle jeunesse. C’est en fait 1916 ! Le Domaine de Chevalier rouge 1916 est riche, plein, puissant, équilibré. Je suis sous le charme de son équilibre parfait. Le Domaine de Chevalier 1929 – maintenant nous savons tout de suite de quel millésime il s’agit puisque les deux derniers chiffres sont inscrits sur le pied – est plus profond, fumé, immense. Son final est immense. La longueur est impressionnante. Démarrer sur deux rouges de ce calibre, cela pose le décor à un niveau rare. Le 1929 est plus grand, mais je préfère le 1916, rond comme une sphère parfaite. Le Domaine de Chevalier 1947 est soyeux, séducteur. S’il représente la séduction pure, il n’a pas la même longueur. Le Domaine de Chevalier 1955 est un peu plus fatigué. Il est grand, mais monocorde, même s’il est puissant. On aurait envie de dire que c’est un vin qui est encore fermé. C’est le 1916 qui fait le plus jeune, le 1929 est le plus grandiose, racé et fier, le 1947 est le plus dense, très viril et le 1955 a quand même un léger bouchon. Le 1947 a un grand avenir. L’épeautre réagit divinement avec ces vins.

Fort imprudemment, ou est-ce par calcul, Olivier annonce qu’il a en réserve un magnum de Domaine de Chevalier 1953. Michel Bettane lui dit : « tu l’ouvres ». Olivier demande à notre table : « croyez-vous ». Excessifs que nous sommes, nous disons oui. Le 1953 est ouvert maintenant, arrive dans sa fraîcheur. Olivier est fou de ce vin qu’il trouve le plus beau de tous, rejoint par Michel Bettane et Bernard Burtschy. Je le trouve très grand, mais les plus vieux m’impressionnent plus. Le 1916 devient framboise, d’un charme fantastique, le 1929 est grand dans sa rigueur quand le 1916 est tout sourire. Le 1947 est une promesse de vin immense. C’est un vin du futur. Le 1953 est d’une fraîcheur extrême.

La deuxième série commence avec le Domaine de Chevalier 1961 qui, lui aussi s’impose. Il est immense, d’une grande structure et d’une belle matière et il brille par sa jeunesse. Le Domaine de Chevalier 1959 est plus élégant, avec moins de structure mais plus de charme. Le Domaine de Chevalier 1964 a un problème. Le Domaine de Chevalier 1970 est assez joli, pas mal, mais ne joue pas dans la cour des grands. Je classerais volontiers 1959, 1961 et 1953 alors qu’Olivier préfère le 1953.

Avant la troisième série, mon classement est 1916, 1929, 1959, 1961, 1953 alors qu’Olivier, consistant, campe sur son 1953. Si la dégustation en allant vers les vins plus jeunes a sa justification, elle pose quand même le problème du maintien de l’intérêt vers les vins les plus jeunes. Car, du moins pour mon palais, la complexité devient moins soutenue.

Le Domaine de Chevalier 1978 est râpeux et entre deux eaux, n’ayant pas encore trouvé sa voie, le Domaine de Chevalier 1983 est très élégant et doucereux, le Domaine de Chevalier 1985 est nettement meilleur, doté d’un plus bel équilibre, le Domaine de Chevalier 1989 me semble trop mince. Le 1978 se montre de plus en plus élégant et je classe : 1985, 1978, 1983 et 1989, alors que pour Rémi, l’homme qui a fait ce vin, c’est le 1989 qui lui plait le plus.

Que dire des rouges ? Ils ont fait la démonstration qu’ils ont un potentiel de garde à l’égal des plus grands. Ils montrent que les millésimes réussis sont nombreux. Je révise bien volontiers mon imaginaire antérieur sur ces vins que je n’aurais pas placés aussi haut dans mes hiérarchies, grâce à ce que j’ai goûté ce soir. Le format en magnum aide beaucoup. Pour les rouges comme pour les blancs, Olivier Bernard a pris ses risques. Il en recueille le succès.

En 23 vins, dix blancs et treize rouges, nous avons pu nous former une idée précise sur ce grand domaine. A noter qu’Olivier n’a en rien cherché à promouvoir ses productions récentes puisque, contrairement à d’autres verticales, il n’y a pas eu un seul vin de moins de vingt ans.

Merci à Olivier d’avoir été aussi généreux. L’équipe de Taillevent a remarquablement géré le ballet des cinq cents verres de ce repas. La cuisine a été parfaite. Un grand moment permettant d’apprécier ce domaine de Pessac Léognan d’une constance historique démontrée, à un haut niveau de qualité.

Le 2000ème message sur ce blog dimanche, 13 septembre 2009

Au moment où j’écris ce message, lorsque je cliquerai sur "enregistrer", le compteur indiquera qu’il y a 2.000 messages que j’ai émis sur ce blog.

Je suis assez sensible à ces jalons qui marquent un parcours.

A ce jour, 339 bulletins ont été écrits, près de 7.000 vins ont été racontés.

Mon enthousiasme reste le même de vouloir raconter des vins parfois rares, en situation de gastronomie.

Avant hier, c’est un Constantia 1791 qui était le clou du 121ème dîner de wine-dinners.

Comme le disait la mère de Napoléon : "pourvu que ça dure"….

Merci aux lecteurs de leur fidélité.

sagesse, sagesse, m’as-tu quitté ? samedi, 12 septembre 2009

L’esprit encore empli de la grâce du vin de Constance de 1791 qui me donne encore le tournis, je m’envole vers le sud. Ma fille cadette est revenue dans notre maison avec ses deux enfants dont le nouveau-né tant célébré, qui a puisé au sein de sa mère de quoi devenir un gentil sumo. L’esprit sera à la diète, avec les produits bio dont ma fille est une experte. Son mari la rejoint. Les plus belles bouteilles de l’été, je les ai partagées avec mon gendre. Aussi, quand tombe le soir, vient une interrogation silencieuse : serons-nous à l’eau ? La chair est faible hélas et je n’ai pas lu tous les livres diététiques.

La porte du réfrigérateur s’ouvre, je zyeute le mot « substance ». La messe est dite, nous fauterons. J’ouvre le champagne Substance de Jacques Selosse dégorgé le 20 juin 2005. Ce vin, élevé selon la technique de la solera, qui consiste à incrémenter chaque année les tonneaux de stockage d’un nouveau millésime sans jamais remettre les niveaux à zéro, est d’une couleur merveilleusement ambrée, fort inhabituelle pour des millésimes jeunes. Et en bouche, c’est une extravagante maturité qui s’impose à notre palais. D’une personnalité exceptionnelle, ce champagne est très fumé, riche de fruits entre orange et marron qui seraient fumés. Alors que la trace en bouche est extrême, le vin n’est pas très long, l’attaque étant saisissante mais peu suivie. On imagine mille combinaisons possibles avec ce champagne de gastronomie. Nous grapillons des petits amuse-bouche pour faire virevolter le talent du champagne.

A force d’essais, la bouteille se vide vite. Et quand il faut passer à table, il fait soif. J’ai envie d’ouvrir un autre champagne, je le dis et un œil noir, celui de ma fille, me morigène. C’est péché, mais l’objet du péché fait passer outre. J’ouvre un champagne Dom Pérignon 1995. Immédiatement nos yeux s’illuminent. A côté du champagne extrême de Selosse, nous revenons vers le champagne de plaisir, à la séduction irrésistible. Tout ce qu’il y a de féminin, de romantique, de roses foulées à pied nu par d’évanescentes beautés se trouve dans ce breuvage. Le Selosse a son territoire d’expression, extrême et guerrier, d’un talent rare, et le Dom Pérignon exprime la séduction naturelle. Ce n’est pas que le fait du hasard si Eva Herzigova a été choisie pour en être l’égérie sensuelle. L’abondance de produits bio fait voyager nos papilles sans que forcément nourriture et champagne embarquent sur le même quai mais peu importe. Ce champagne est en pleine possession de sa séduction. Il se déguste sans la moindre modération de notre approbation.

opening a 1791 Constantia vendredi, 11 septembre 2009

The picture is taken in a room which has not much light. I am obliged to use the flash which gives crude colours :

The small label which accompanied the bottle showing the origin of the bottle :

I cut the soft wax around the neck

I am dressed for the dinner, not to open a dirty bottle !

My smile indicates that the smell of the opened bottle is the gate to paradise

121ème dîner – les plats vendredi, 11 septembre 2009

Tartare de homard au yuzu et au gingembre

Saint-Pierre clouté au basilic

Risotto d’épeautre aux cèpes de châtaignier

Longe de veau de Corrèze aux girolles

Tourte de canard colvert

Foie gras de canard poêlé

(je n’ai pas pris de photo)

Fourme d’Ambert glacée, marmelade d’oranges amères

Déclinaison d’ananas vanillé (il y avait une autre partie du plat non photographiée. On remarque la couleur extraordinaire du Climens 1943)

Croustillant praliné (et mignardises)

121ème dîner de wine-dinners avec un Constantia 1791 jeudi, 10 septembre 2009

Le 121ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Taillevent. Alors que j’envisageais de profiter des beaux jours de septembre dans le sud, Bipin Desai, célèbre collectionneur américain avec lequel je partage de grandes dégustations m’avait appelé en disant : « je souhaiterais assister à l’un de vos dîners, si possible le 10 septembre, et si possible avec une majorité de vins de Bourgogne ». Dit comme cela, je n’ai pas beaucoup d’options. Alors que je ne fais quasiment jamais de dîners à thèmes, j’ai composé un programme qui a reçu un accueil impressionnant. La demande m’aurait permis de faire plusieurs tables.

J’arrive au restaurant vers 17h30 pour ouvrir les vins. Aucun incident n’est à signaler sauf un petit bout de bouchon tombé dans la bouteille du 1952 que j’avais annoncée basse et qui joue avec moi comme les lots que l’on doit pêcher avec un hameçon impossible à fixer dans les stands de fête foraine. La partie de cache-cache dure de longues minutes. Pendant ce temps, un expert en vins et ami venu livrer quelques achats compulsifs que je lui avais faits regarde mon manège avec intérêt et nous confortions nos analyses des odeurs des vins à la tenue exemplaire. Alors que je m’activais, Alain Solivèrès entre dans la magnifique salle lambrissée du premier étage où se tiendra le dîner. Nous passons en revue le menu et je lui demande comment il envisage le foie gras que j’avais fait ajouter en fin des viandes, position dans le repas qu’aimait particulièrement Jean Hugel. Alain me dit qu’il l’a prévu poêlé avec une figue de Solliès sur un jus de banyuls. Ma grimace est expressive. Après discussion, il est convenu que je demanderai à chaque convive s’il veut une figue, servie sur une assiette séparée.

Après les ouvertures, je me change, mets une belle cravate flashy et les premiers convives arrivent. Le premier est Etienne Hugel, tout excité de me montrer son trésor. Il me laisse le soin d’opérer et j’ouvre la bouteille très caractéristique du Constantia du 18ème siècle. Le bouchon est protégé par une cire noire de poussière mais rouge et bleue à cœur, tendre comme de la pâte à modeler. La cire colle au couteau et sent mauvais. Le goulot est très étroit, de la taille d’un petit auriculaire. Je tire le bouchon qui se casse. Il est de forme tronconique, très resserré à l’endroit de la cassure, ressemblant comme deux gouttes d’eau au bouchon minuscule du Chambertin 1811 qu’un ami avait ouvert, au liège d’une pureté extrême. J’extirpe le reste du bouchon avec une curette sans qu’un morceau ne tombe. Je me rends compte que le goulot est étranglé à la hauteur de la moitié du bouchon ce qui explique qu’il était impossible de tirer le bouchon sans le déchirer. La première odeur est prometteuse. Je verse avec l’accord d’Etienne quelques gouttes dans un verre. Nous sommes trois à sentir et nous partager ces gouttes. Ce liquide, libéré après 218 ans d’emprisonnement dans son flacon est tout simplement divin.

Tout le monde est à l’heure. Nous sommes douze. Le jeune habitué des dîners qui était venu me retrouver dans le sud participe à son 9ème. Un couple de japonais vient pour la troisième fois, ce qui est aussi le cas de Michel Bettane, tandis que Bipin Desai les précède d’au moins cinq ou six dîners. Une jeune femme que j’ai interrogée suite à la défection le jour même d’un convive a réagi quasi instantanément et participera à son deuxième dîner. Un couple de français dont la femme est d’origine chinoise et un ami d’amis partagent avec Etienne Hugel la situation de « nouveaux ». Les femmes sont ravissantes. La chinoise d’origine porte une robe de soie chinoise et la japonaise est vêtue d’un kimono. Ces robes d’une extrême beauté ont illuminé le repas. Chaque repas débute par les consignes pour bien profiter du repas. J’ai innové en les envoyant par mail, pour gagner du temps. Bipin Desai me dit que de telles instructions « dictatoriales » seraient refusées par des amateurs américains. Heureusement, nous sommes en France !

Nous prenons l’apéritif debout, avec des petites gougères. J’explique l’hommage que je veux rendre à Jean Hugel et nous portons un toast avec le Champagne Mumm Cuvée René Lalou 1971. Le champagne a une couleur d’un acajou teinté de thé. La bulle est quasi inexistante. On sent que les évocations de fruits d’automne sont rêches. Un petit défaut, une infime trace métallique, limite le plaisir de ce champagne fait de raisins nobles.

La table de douze est très longue aussi sera-t-il impossible aux convives placés aux extrémités de converser au travers de la table. Et ce d’autant plus que j’ai créé un « barrage » virtuel quasi infranchissable au centre puisqu’en face de moi, j’ai Bipin Desai et Michel Bettane et à mes côtés Etienne Hugel. La somme de connaissances qui ne demande qu’à s’exprimer monopolise le dialogue au centre. Tout un chacun s’émerveille de l’érudition de Michel Bettane.

Le menu conçu par Alain Solivérès est ainsi rédigé : Tartare de homard au yuzu et au gingembre / Saint-Pierre clouté au basilic / Risotto d’épeautre aux cèpes de châtaignier / Longe de veau de Corrèze aux girolles / Tourte de canard colvert / Foie gras de canard poêlé / Fourme d’Ambert glacée, marmelade d’oranges amères / Déclinaison d’ananas vanillé / Croustillant praliné.

Le homard est un plat délicat, la chair crue ayant des accents romantiques qui répondent à la grâce du Champagne Veuve Clicquot Brut 1966. Le champagne forme un contraste fort avec le Mumm tant son charme éclate. De belle couleur ambrée il est heureux de vivre, exprimant la plénitude du millésime 1966. L’accord est vibrant, plat et vin communiant dans des évocations de rose. Ce démarrage est d’une grande délicatesse.

Le poisson était prévu pour le Montrachet, mais Michel Bettane a tenu à nous faire goûter un Meursault Narvaux Leroy 1983. A l’ouverture, ce vin avait le parfum le plus intense qu’on puisse imaginer. A côté de lui, un Montrachet Bouchard Père & Fils 1989. On passe d’un vin à l’autre pour constater combien ils sont à la fois proches, car ils expriment une puissance peu commune et combien ils sont dissemblables dans toutes leurs composantes. Malgré l’intérêt d’un Meursault très pur et très ciselé, mon cœur balance et penche vers le Montrachet très serein, très maîtrisé, à la force tranquille. Contrairement au précédent cet accord est poli, sans créer d’émotion.

J’avais annoncé que l’Echézeaux Emile Chandesais 1952 est d’un niveau bas. Le vin allait-il être acceptable ? Ce qui nous a gênés, c’est beaucoup plus le fait que ce vin est tout sauf Echézeaux. Nous avons paraphrasé les Tontons Flingueurs : « de l’Echezeaux, il y en a, mais il n’y a pas que ça ». Le niveau bas n’a pas endommagé le vin, mais son voisin de verre est trop brillant. Le Gevrey-Chambertin Remoissenet Père et Fils 1937 est une merveille de précision. Ce vin que j’adore fait partie des messages bourguignons purs. Le risotto est une réussite absolue de dosage. Un tel plat vaut trois étoiles. Ce sont les cèpes qui propulsent le 1937 vers des sommets. L’accord est d’un dogmatisme réjouissant.

Avoir sur sa table un verre de Romanée Conti ne peut laisser personne indifférent. Pour plus de la moitié de la table, c’est une première. La Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1983 est d’une belle couleur intense. Le nez est extrêmement sophistiqué et évoque la rose. Il signe de façon évidente une Romanée-Conti. A ses côtés, un vin que j’adore, le Pommard Grands Epenots Michel Gaunoux 1974. Michel nous raconte à quel point Michel Gaunoux réussit ses Pommard. Ce qui m’impressionne au plus haut point, c’est que la longe de veau est rose, et les deux vins explosent d’arômes de roses. L’accord est délicat, féminin, subtil au-delà de tout. La Romanée Conti 1983 est très Romanée Conti, mais ce n’est pas l’une des plus grandes, alors que le Pommard joue dans la cour des grands. Alors, qu’on le veuille ou non, le cœur penche vers le Pommard, même si la conjonction des deux vins mérite une mention spéciale, tant chacun fait briller l’autre sur le plat.

Le Vosne Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1992 est lui aussi un mythe. Je l’ai associé à un Vosne Romanée Calvet 1947. Michel Bettane nous rappelle que c’est Emile Peynaud qui a aidé Calvet à vinifier ce millésime. On comprend pourquoi il nous plait tant, glorieuse et sereine expression du Vosne Romanée. Comme le vin d’Henri Jayer est un peu attentiste, une nouvelle fois nous avons l’occasion de voir le second rôle nous plaire plus que le jeune premier. La tourte est très riche et convient bien aux deux vins de belles longueurs. L’accord est très bourgeois.

En début de repas, j’ai demandé qui voudrait de la figue au banyuls avec son foie gras. La façon de poser la question impliquait la réponse. Personne n’en voulut. Sur un foie gras délicieux dans sa nudité, le Clos de la Roche Domaine Armand Rousseau 1989 était mon chevalier, celui qui devait porter mes couleurs. Beau vin de Bourgogne dans sa belle jeunesse, il est classiquement bon, mais n’entraîne pas l’émotion que j’attendais. En retenue, un peu scolaire, il n’atteint pas son but. Il eût mérité un foie gras poché plutôt que poêlé.

Nous quittons ce voyage en Bourgogne avec des myriades d’étincelles dans les yeux, car nous avons croisé des saveurs authentiquement bourguignonnes, de celles qui prennent aux tripes. La Romanée Conti m’a fait vibrer, car je connais son chant, le Pommard est sublime, le Remoissenet exceptionnel. Nous avons été gâtés.

Qui pourrait trouver un vin que Michel Bettane ne connaît pas ? Je l’ai fait. Le Château Bousclas Barsac 1945 est un bel inconnu. Je lui soupçonnais un léger goût de bouchon mais Michel et Etienne ne l’ont pas confirmé. C’est un très agréable Barsac qui trouve dans la marmelade d’oranges amères un écho magistral. Le Château Climens Barsac 1943 est un beau Climens, avec une belle race. Un vin d’un or pur qui s’est exprimé sur le dessert délicat où l’ananas n’a pas imposé une trace trop prégnante.

Le Riesling Vendanges Tardives, Sélection de Grains Nobles Hugel 1976 était très attendu. C’est effectivement une réussite extrême de la maison Hugel où la douceur le dispute à la fraîcheur. Sa longueur quasi infinie signe un très grand vin. Lorsqu’on nous sert le Constantia Afrique du Sud 1791 le silence se fait. Porter à ses lèvres un vin de 218 ans ne peut pas laisser indifférent. Ce vin n’a pas d’âge, il est intemporel, vivant, sans signe de vieillissement. On me dirait qu’il a cinquante ans, je ne le refuserais pas. C’est le raisin qui est le plus évocateur des fruits qui composent le goût. Le vin est naturellement sucré, équilibré, profond et de belle longueur. Ce témoignage de grande pureté est l’un des moments qui marquent la vie d’un amateur. Les convives s’attendaient à boire un 1937 comme plus vieux vin ce soir. Ce coup de curseur de 146 ans donne le tournis.

C’est l’heure des votes de onze votants (la jolie japonaise ne boit pas mais aime voir son mari apprécier) pour quatorze vins. Savoir que dans un repas un Cros Parantoux d’Henri Jayer et un Clos de la Roche d’Armand Rousseau n’obtiennent pas un seul vote indique la hauteur de la compétition. Sept vins ont eu les honneurs d’être nommés premiers, ce qui montre la qualité des vins de ce soir. Le Constantia a eu cinq votes de premier, Le Veuve Clicquot, le Montrachet, la Romanée Conti, le Pommard, le Vosne Romanée 1947 et le Riesling recueillant chacun un vote de premier.

Le vote du consensus est : 1 – Constantia Afrique du Sud 1791, 2 – Pommard Grands Epenots Michel Gaunoux 1974, 3 – Vosne Romanée Calvet 1947, 4 – Gevrey-Chambertin Remoissenet Père et Fils 1937.

Mon vote est : 1 – Constantia Afrique du Sud 1791, 2 – Vosne Romanée Calvet 1947, 3 – Pommard Grands Epenots Michel Gaunoux 1974, 4 – Riesling Vendanges Tardives, Sélection de Grains Nobles Hugel 1976.

Alain Solivérès venu nous saluer avec son équipe nous a apporté une grande assiette de figues, petit clin d’œil amical qui montre qu’il a le sens de l’humour. Il fut applaudi, car les accords de ce soir ont été dosés de façon exemplaire. Ce repas où l’émotion, la tendresse et l’affection étaient au rendez-vous, auquel un vin de 1791 a donné un lustre particulier, fut l’un des plus émouvants que j’aie pu vivre.

121ème dîner – les vins jeudi, 10 septembre 2009

Champagne Mumm Cuvée René Lalou 1971 (la bouteille est magnifique)

Champagne Veuve Clicquot Brut 1966 (c’est amusant de constater que c’est une bouteille d’un importateur italien)

Meursault Leroy 1983 (cadeau Michel Bettane). C’est la cave de Michel qui rend les étiquettes illisibles. L’année est impossible à voir

Montrachet Bouchard Père & Fils 1989

Echézeaux Emile Chandesais 1952 (c’est amusant de lire "vin spécialement recommandé")

Gevrey Chambertin Remoissenet Père et Fils 1937 (le niveau est particulièrement beau)

Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1983

Pommard Grands Epenots Michel Gaunoux 1974

Vosne Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1992

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Vosne Romanée Calvet 1947 (très belle)

Clos de la Roche Domaine Armand Rousseau 1989

Château Bousclas Barsac 1945 (c’est amusant de constater que ce château a fait imprimer des étiquettes sans années, avec seulement "19 ". Seul le bouchon indique le millésime)

Château Climens Barsac 1943

Riesling Vendanges Tardives, Sélection de Grains Nobles Hugel 1976 (cadeau Etienne Hugel)

Constantia Afrique du Sud 1791 (cadeau Etienne Hugel)

(photos sur un autre message)