Un Bandol à pleine maturité vendredi, 21 août 2009

Notre séjour dans le sud se poursuit, avec un afflux familial particulièrement dense. Nous avions bu un Château Laville Haut-Brion 1979 absolument majestueux. Le lendemain, sur des moussakas, ce vin assied encore un peu plus son socle de sérénité. Ce vin est grand avec un final citronné extrêmement marqué. C’est un plaisir de le boire. Mon gendre ouvre un Château Pibarnon Bandol 1990 pour lequel je lui fais cette remarque : « pas besoin de sentir, ce sera majestueux ». Et force est de constater que le parfum de ce vin respire sa région. Les herbes, les épices locales explosent leur épanouissement. En bouche, l’épice est sensible, l’olive noire est suggérée. Mais ce qui frappe le plus, c’est l’accomplissement de ce vin à ce stade parfait de sa vie. Nous savons tous que ce vin, s’il était bu à Paris à l’automne, n’aurait pas le charme auquel nous succombons. C’est comme cela, ne cherchons pas plus, il est là, au bon moment pour nous séduire. Un vin de grand bonheur.

de nouveaux vins un soir caniculaire jeudi, 20 août 2009

Comment fêter une énième fois la naissance de mon petit-fils ? Yvan Roux nous a annoncé des « petits farcis ». Dans mon esprit, ce sont de petits artichauts farcis. Mais ici, il s’agit aussi bien de courgettes que d’aubergines, de champignons ou de gros oignons, gavés d’une farce au goût intense. C’est l’occasion d’ouvrir deux flacons. Le Champagne Perrier-Jouët rosé 1966 se justifie car c’est l’année de mon mariage avec la grand-mère du nouveau-né, et le Château Laville Haut-Brion 1979 se justifie par l’année en neuf, qui a juste trente ans à la naissance du nouveau venu.

Le Champagne Perrier-Jouët rosé 1966 a une couleur qui m’inquiète un peu, car elle vire vers le marron. Le nez est superbe. La bulle a presque totalement disparu et le goût, avec un peu d’aération, est radicalement charmeur. Plus le temps passe et plus l’impression de la complexité de ce champagne s’affirme. On l’imagine en compagnon idéal de folies gastronomiques et je verrais bien un pigeon juste rosé sur ce beau champagne. Mais le temps passant, le charme agit moins. Me remémorant de magistraux rosés de cette maison et de cette même année, il me semble qu’on est très loin de ce que ce champagne peut offrir.

Le Château Laville Haut-Brion 1979 a un parfum impérial. Pénétrant, envoûtant et racé, il impressionne. Sa couleur est d’une folle jeunesse, car il est encore d’une clarté juvénile. En bouche, ce qui frappe, c’est son extrême longueur. Ce blanc est magnifique, en pleine sérénité, donnant des notes mentholées dans le final et des fleurs blanches au milieu de palais. Le vin est splendide, mais par un soir de canicule, dès que le vin se réchauffe, une impression glycérinée bloque tout le talent de ce grand vin.

Les petits farcis jouent poliment leur rôle de faire-valoir en ânonnant leur texte.

On sait bien qu’il faudrait cesser de boire des grands vins dans les chaleurs de l’été caniculaires. Mais si on est condamné à ne plus fêter un petit-fils, alors, oublions vite toute sagesse.

un accord improbable et deux « vieux » Chateauneuf mardi, 18 août 2009

Nous avons envie d’essayer des Chateauneuf-du-Pape offerts par mon gendre. Deux jours après, il reste un fond du Champagne Charles Heidsieck mis en cave en 1997 et dégorgé en 2000. C’est l’occasion de couper des tranches de poutargue. A notre bonne surprise, le champagne a encore une bulle active et confirme son impression de charme et de raffinement. Le champagne est assez doucereux, fruité, avec une petite amertume délicate en fin de bouche.

Il reste aussi un fond de Côte-Rôtie La Mouline Guigal 1996 qui a maintenant trois jours et a affronté des journées d’une lourde chaleur. Une idée folle me vient : que dirait La Mouline sur la poutargue ? Sur le papier et dans nos têtes, c’est pure folie. Le vin ayant gardé l’essentiel de sa vigueur et le temps n’ayant que peu altéré sa spontanéité, on peut remarquer que le caractère salé et iodé de la poutargue sur un support moelleux excite le fruité opulent du vin sans en rien gauchir le goût. Cela signifie que contre toute attente, la salinité de la poutargue accompagne bien le vin. C’est un accord improbable qu’il fallait tester.

Yvan Roux nous a tranché des pavés de mérous sur une sauce de cuisson et des aulx très doux. Une purée de pomme de terre quasiment sans crème et frottée d’ail confit accompagne le poisson.

Le Chateauneuf-du-Pape blanc Bérard P&F 1955 a une robe d’un or très soutenu. Le premier contact est d’un nez de bouchon léger, qui altère le goût mais sans le rendre imbuvable. La deuxième gorgée est horrible, tant au nez qu’en bouche.

Le Chateauneuf-du-Pape rouge Bérard P&F 1959, par opposition, nous ravit totalement. Le nez est agréable et charmeur. La bouche est chatoyante, opulente car il fait très chaud, et le final est très court. Mais ce vin limité est plaisant à boire et il se marie de façon excitante avec la chair du poisson. Mais c’est surtout sur la purée « sèche » que l’accord est soyeux. Ce vin ne laissera pas une trace indélébile dans nos mémoires mais le moment fut agréable.

C’est amusant de constater que l’impression en relief de la capsule se retrouve presque parfaitement sur le haut du bouchon

Chateauneuf-du-Pape blanc Bérard P&F 1955

Chateauneuf-du-Pape rouge Bérard P&F 1959

Champagne Charles Heidsieck mis en cave en 1997 dimanche, 16 août 2009

Champagne Charles Heidsieck mis en cave en 1997 et dégorgé en 2000. Magnifique champagne de grande stature, qui constitue une très heureuse surprise. Riche, plein ensoleillé, il apporte précision et longueur. C’est un moment fort agréable.

J’ai ouvert ce champagne pour fêter la femme de mon cousin qui fut très gravement brulée et poursuit sa convalescence dans un hôpital à deux pas de ma maison du sud.

C’est sa première sortie. Elle a trempé ses lèvres, car le cocktail de médicaments n’autorise pas plus.

Salon 1997 – suite samedi, 15 août 2009

Le lendemain, le reste du Salon 1997 marque un considérable progrès. Je révise mon jugement, car j’ai trouvé ce que j’aime en Salon. Ce vin mérite une ouverture quelques heures avant de le servir, car il y trouvera une plénitude plus grande.

un beau repas avec deux vignerons amis vendredi, 14 août 2009

Il y a dix-huit mois, nous avions été invités dans leur maison du Vaucluse par Anne-Françoise Gros et François Parent avec le cousin que nous logeons cet été, pour une mémorable dégustation verticale de onze millésimes du Pommard Epenots Domaine Parent depuis 1886, avec des millésimes légendaires comme 1904, 1915, 1928, 1933, 1947, 1959. La générosité et l’amitié de ces deux vignerons nécessitaient une réciproque. Nous les recevons dans le sud. Pas question bien sûr de leur faire boire leurs propres vins. Le choix se fait avec mon gendre dans les stocks dont nous disposons. J’ai demandé à Yvan Roux de nous faire un agneau de sept heures, car il n’y a pas de meilleur ami des vins rouges. Le menu n’est pas franchement d’été, mais les vins priment.

Sur de fines tranches d’une poutargue très moelleuse, le Champagne Henriot 1996 montre son caractère joyeux. C’est un beau champagne coloré, clair à lire, qui est même un champagne de soif tant on le boit facilement. J’ouvre ensuite un magnum de champagne Salon 1997 pour la poutargue et aussi des tranches tartinées de foie gras. Les conversations vont bon train. Le champagne est blanc clair quand l’Henriot était légèrement doré. Alors qu’un an sépare les deux champagnes, l’Henriot semble mature quand le Salon fait gamin. La structure du Salon est plus forte, ses promesses sont plus grandes, mais je resterai un peu sur ma faim, tandis que les vignerons et mon cousin préfèreront le Salon au Henriot.

Sur l’agneau de sept heures, ma femme a préparé un pressé de pommes de terre à l’ail doux confit. Le Rimauresq Côtes-de-Provence 1990 dont le nez à l’ouverture était absolument envahissant de générosités provençales est un exemple parfait de l’achèvement que peut atteindre un Côtes-de-Provence, quand on donne du temps au temps. Mon cousin déclare avec force que ce 1990 est très nettement au dessus du 1989 de la veille. Je n’ai pas cette analyse. Car le 1990 est extrêmement rond, charmeur, presque doucereux, alors que le 1989 avait l’amertume et la râpe qui signent classiquement les Côtes de Provence. J’aime donc les deux, le 1989 pour son authenticité provençale et le 1990 pour son accomplissement généreux.

Mon cousin qui vit dans le Vaucluse tête depuis sa plus grande enfance les Chateauneuf-du-Pape comme Obélix tétait la potion magique. Nous le voyons sonné, groggy, presque K.O. tant il est subjugué par le Chateauneuf-du-Pape Château de Beaucastel 1989. Ce vin est absolument parfait. A l’ouverture, son nez était le plus discret des trois rouges. Il s’est rattrapé depuis. Ce vin est d’une rare élégance. Alors qu’il fait chaud dans le calme du soir, ce vin n’impose aucune trace alcoolique. Il est élégant, raffiné, d’une structure élégante. Mon cousin me dit : « je me demandais pourquoi dans tes bulletins tu es si laudatif pour le Domaine Beaucastel, maintenant je comprends pourquoi, car c’est le plus grand Chateauneuf-du-Pape que je bois ce soir ». Ce vin offert par mon gendre est effectivement un grand moment. A l’ouverture, le troisième vin était une bombe olfactive. Alors que sept ans seulement le séparent du rouge précédent, la Côte-Rôtie La Mouline Guigal 1996 est un monde de différence. Le Beaucastel fait vin classique, à l’ancienne, alors que La Mouline est résolument un vin moderne. Mais quel vin ! Il allie une puissance dévastatrice à une fraîcheur mentholée invraisemblable. Mon cousin tient à dire que le Beaucastel est notablement au dessus mais je ne vois pas les choses comme cela. Ce sont deux directions très différentes qui sont explorées, le Beaucastel dans l’élégance et la finesse, La Mouline dans le modernisme, dans la puissance et la fraîcheur. La Mouline va progresser considérablement dans les vingt à trente ans à venir, alors que le Beaucastel est à un sommet de son art qui ne sera pas dépassé dans les vingt ans qui viennent.

Nous discutons beaucoup et nous nous enrichissons des commentaires pertinents des vignerons amis. Il faut être fou pour prévoir un moelleux au chocolat avec une crème au caramel salé. Car ce n’est pas franchement le plat pour une lourde nuit d’été. Mais autour de la table les appétits sont solides. Le Maury Mas Amiel Quinze ans d’âge que j’ai acheté il y a plus de quinze ans est un miracle pour le chocolat fondu. Evoquant les pruneaux et les prunes sur le chocolat, il arrive en caméléon à se faire caramel sur le caramel, avec des petites touches de noisettes.

Nous parlons vin bien sûr et quelqu’un lance le rituel du vote. A ma grande surprise François Parent, qui annonce que son vote est celui d’un vigneron, met en premier le Rimauresq ce qui est un bel hommage pour ce Côtes de Provence. Les ordres ensuite, que je n’ai pas notés, se ressemblent entre les convives. Ils mettent Salon avant Henriot ce qui ne sera pas mon cas. Mon vote est le suivant : 1 – Beaucastel 1989, 2 – La Mouline 1996, 3 – Maury de 30 ans environ, 4 – Henriot 1996, 5 – Salon 1997 et 6 – Rimauresq 1990. Mon dernier est le premier de François Parent (Anne-Françoise rejoignant son mari sur ce vote). Cela provient des critères de choix. Les vignerons ont jugé en vignerons. Si le Rimauresq avait été seul, je l’aurais adoré. C’est la présence de deux rouges que je trouve immenses qui a fait reculer le Rimauresq dans mon classement.

La pertinence de l’ordre des vins et des accords a ravi tout le monde. Nos amis vignerons ont été heureux de ce repas. C’est ce que nous souhaitions.

Les Côtes-de-Provence se bonifient en vieillissant jeudi, 13 août 2009

Un Rimauresq Côtes-de-Provence 1989 trône sur notre table. Ce vin est d’un charme extrême. Il a la râpe que l’on a dans les jeunes Côtes de Provence et l’amplitude que donnent vingt ans. Le poulet au curry et au riz n’est pas forcément le meilleur compagnon, mais je retiens la chaude sympathie que suscite ce beau vin du sud.

cannellonis et cigarettes russes mercredi, 12 août 2009

Mon gendre invite des amis avec leurs enfants. Le champ de bataille crépite des rires, des joies et des pleurs d’une ribambelle d’enfants montés sur pile. En fin de journée le vent se calme, et le couteau aiguisé comme une lame de rasoir débite des tranches de jambon Serrano. Pour chacun, la première gorgée du Champagne Laurent Perrier Grand-Siècle en magnum non millésimé fait claquer la langue, avec ce commentaire : « ah, c’est bon ». Car ce champagne de soif capture nos envies. Le couteau tranche et tranche, mon poignet se plie et se plie pour remplir les verres.

Ma femme crie : « à table » et d’immenses plats de cannellonis nous attendent. L’un est nature, l’autre au comté et le troisième au parmesan. C’est le comté qui gagne sur un Chateauneuf-du-Pape Vieux Télégraphe 2005. Riche, chaud car la température ambiante est forte, ce vin puissant et lourd est porteur de grandes promesses. Les cannellonis sont des accompagnateurs parfaits du vin rouge.

La transition avec le Chateauneuf-du-Pape Beaucastel 1994 est saisissante. On grimpe sur l’échelle des saveurs, des complexités et du charme. 1994 est une année qui correspond mieux aux chaleurs estivales, car l’alcool n’est pas étouffant. Ce vin est très subtil, complexe et raffiné. Comme malgré tout on le boit plus chaud qu’on ne le devrait, on trouve des similitudes avec les Bandol et Côtes de Provence, car l’alcool, même discret, monte plus aisément sur le devant de la scène.

Ma fille, gourmande comme moi, a acheté des cigarettes russes Delacre. Elle propose d’en ouvrir. Je crie : « ah, non ! », car je sais que je succomberais. Le paquet est ouvert. Au mépris de toute éducation je m’empare d’une Delacre et, l’utilisant comme une paille, je me mets à aspirer le jus de pamplemousses roses de ma coupelle, avec des bruits d’une absence totale de raffinement. Mais le plaisir est là, diabolique, primitif, sauvage et sensuel.

Un été sans cigarette russe est presque impossible à imaginer.

Sur un bœuf carotte, rouge ou blanc ? Le match n’a pas eu lieu ! mardi, 11 août 2009

Il fait très chaud dans le sud. Yvan Roux a pris la direction des opérations de notre cuisine d’été. Fort curieusement le plat de ce soir sera un bœuf aux carottes. Ce n’est pas un plat régional et pas un plat d’été. Saisissons l’occasion pour vérifier si ce plat accepte du vin rouge ou du vin blanc.

Sur le ring (la table), à ma gauche, dans le coin bleu, un Saint-Véran blanc Maison Bichot 1989. A ma droite, dans le coin rouge, un Terrebrune Bandol rouge 1997. Ce championnat sera arbitré par la famille. Il n’y aura pas de compte debout et trois knock-down dans le même round feront perdre la partie.

La viande est assez ferme, les carottes goûteuses et peu croquantes. Le Saint-Véran se présente le premier sur le ring. Sa couleur est d’un jaune légèrement ambré, son parfum est délicat. En bouche, je suis déjà conquis par son style car j’ai vu ses précédents combats sur notre table les années précédentes et il m’avait chaque fois ravi. Nettement évolué il a pris des notes fumées qui mettent en valeur son chardonnay comme le font les lourds chardonnays américains. Mais il garde une French Touch de grande délicatesse. L’accord avec la viande aussi bien qu’avec les carottes est très convenable. Rien n’enchante mais rien ne choque. La sauce du plat ne brise en rien les élans du Saint-Véran.

Du coin rouge jaillit le Terrebrune 1997. Cueilli d’un uppercut du droit le Terrebrune s’écroule au premier round. Car si le nez ne trahit aucun goût de bouchon, c’est en bouche que la dégradation est forte. Au bout de dix minutes le goût de bouchon s’estompe, mais le vin reste encore déstructuré.

Le combat n’aura pas eu lieu. Les spectateurs dévissent leurs sièges pour les lancer sur le ring en criant « remboursez », car nous n’aurons pas pu ce soir vérifier si un rouge eût été pertinent. La consolation vient de ce Saint-Véran Bichot 1989 que j’ai déjà complimenté et qui se révèle une nouvelle fois charmant, équilibré, avec une forte persistance aromatique dans des tons de fumé. C’est un bien joli vin dont je pense, hélas, avoir asséché le dernier flacon.

Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs en magnum 1995 lundi, 10 août 2009

Notre cuisinier de vacances à créé une brioche pour enserrer le saucisson de Lyon apporté par mon gendre lyonnais. La brioche est un remarquable faire-valoir du saucisson à peine tiède. Le Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs en magnum 1995 est confondant de simplicité. C’est le champagne de soif sublimé. On le boit avec facilité, il étanche les soifs, et l’on a envie d’en reprendre, ce qui est un compliment pour un champagne. Brioche, saucisson et champagne cohabitent divinement bien, dans la fraîcheur du soir qui succède à une chaleur lourde apportée par un fort vent de mer.