Au château Canon La Gaffelière, une débauche de très grands vins mercredi, 15 avril 2009

Quand les bordelais reçoivent, ils reçoivent ! Mon ami collectionneur américain Steve vient en France avec son fils Wesley pour une succession de visites chez des vignerons. La première semaine est bourguignonne, la seconde est bordelaise et le point final sera le dîner au cours duquel nous partagerons certaines de nos pépites. Steve est passé par Londres où il conserve une partie de sa collection de vins et je l’accueille à sa sortie d’Eurostar. La Gare du Nord est un melting-pot coloré qui laisse imaginer que la langue de Voltaire n’est pas vernaculaire. L’attente du train est ponctuée de messages répétitifs où l’on vous annonce que du fait du sabotage d’une caténaire, la voie de Paris à Compiègne n’est pas utilisable. Le ton de l’hôtesse qui serine ce message vous ôte toute envie de somnoler. Comme des passeurs de drogue – du moins je l’imagine – je prends en charge les vins de Steve pour notre futur dîner et j’accompagne mes deux amis à la Gare de Lyon, car sans tarder, ils se rendent en terre bourguignonne.

Une semaine plus tard, je rejoins mes amis à Bordeaux pour un dîner organisé par le Comte Stephan von Neipperg, propriétaire de Canon La Gaffelière. Il était prévu que je loge chez Olivier Bernard, propriétaire de Domaine de Chevalier, mais il m’est apparu plus opportun de loger à l’Hostellerie de Plaisance à Saint-Emilion. Je rassure mes lecteurs fidèles, j’ai consciencieusement évité la pomme arrosoir de ma douche au profit d’une pommette de taille minuscule au jet gérable. Au moment de partir pour aller dîner, qui vois-je ? Bernard Antony, le célèbre fromager, qui vient dîner en ce lieu avec quelqu’un qui m’est présenté comme l’empereur des jambons. Je les reverrai le lendemain pour une dégustation de vins de 2008 qui se tiendra au Domaine de Chevalier.

J’avais apporté et ouvert ma bouteille à 16 heures au domicile de Stephan von Neipperg et discuté pendant l’ouverture en cuisine avec sa charmante épouse. Le groupe qui dîne ce soir au château de Canon La Gaffelière se compose de Stephan et son épouse Sigweis, d’Olivier Bernard, de Robert Peugeot et de Xavier Planty, tous membres du conseil d’administration de Château Guiraud, le dernier cité étant celui qui dirige le domaine et fait le vin. Viennent ensuite Patrick Baseden, viticulteur qui dirige les vins de Montesquieu, Laurent Vialette que Stephan présente avec insistance et répétition comme ‘le’ spécialiste des vins anciens, Jeffrey Davies, négociant en vins à Bordeaux, d’origine américaine et mes amis Steve et Wesley. Nous sommes onze et presque tous les participants ont apporté un ou plusieurs vins, pour une débauche bachique.

Le menu préparé par un traiteur se compose de bouchées apéritives, d’un gâteau léger de Saint-Jacques au citron vert / pavé de rumsteck aux échalotes confites, clafoutis de légumes d’été / fromages / gratin de fruits exotiques au sauternes.

Nous prenons l’apéritif dans une grande salle très confortable. Le champagne Bollinger 1990 en magnum est très agréable à boire. Il renarde dit un convive, signalant ainsi les premières marques de maturité qui, comme de premières rides, donnent un supplément de charme. Pendant ce temps Stephan et Sigweis règlent par téléphone le problème d’une de leurs filles qui a perdu son passeport et n’a pu prendre un avion à Paris. La soif gagne pendant que nous attendons, étanchée par un champagne Krug 1988 à la solidité d’un roc. L’un des amis dit que c’est un vin de protestant, faisant allusion à son aspect strict. Les deux champagnes se sont mis mutuellement en valeur, le Krug dominant par sa structure impérieuse et le Bollinger  faisant briller son charme élégant.

Nous passons à table et nous commençons par une série de trois vins blancs, suivis peu après d’un quatrième, qui sont bus à l’aveugle, comme la quasi-totalité des vins de ce repas. J’ai constaté que les vignerons présents trouvent assez bien les cépages et les climats. J’ai rapidement vu mes limites dans un tel exercice, aussi ai-je adopté une prudente réserve dès qu’il m’est apparu que pour un vin, j’hésitais sur la région. Mes commentaires seront donc emprunts d’une grande humilité.

Le premier est un Chevalier-Montrachet Domaine Leflaive 1989. Je le trouve élégant par comparaison au second qui est d’une rare puissance, un Bienvenue-Bâtard-Montrachet Domaine Leflaive 1992, d’une année particulièrement réussie. Bien évidemment, je reconnais le style Leflaive une fois qu’on a annoncé de quels vins il s’agit. Le nez du troisième est particulièrement subtil. C’est un vin que je trouve rare par sa qualité, et jamais je n’aurais pensé qu’il est si jeune : Montrachet Domaine Ramonet 1985, dont Jeffrey a trouvé le nom du domaine. Xavier trouve que le quatrième blanc est légèrement bouchonné, mais c’est infime et ne gêne pas la dégustation d’un vin de grande classe, Château Haut-Brion blanc 1949. Ce vin commence par une légère amertume mais quand il s’épanouit, on mesure la qualité d’un vin exceptionnel. Le bouchon, s’il a existé, a totalement disparu.

Nous abordons les rouges par une série de trois vins. Le premier est magique, le second est un peu fermé et le troisième est adorable. Je le trouve parfait. Le premier est un Château Canon La Gaffelière 1961, suivi d’un Château Canon La Gaffelière 1959 qui, lorsqu’il s’épanouit, se montre plus racé que le 1961 très pur mais très dogmatique, et le troisième est Château Haut-Brion 1962, qui démontre que cette année est capable de miracles. Je suis conquis par ce vin d’une rare élégance. Laurent dit qu’il vaut le 1961 de la même maison. Je ne le pense quand même pas car j’en ai un souvenir marquant.

Il y a un seul plat pour les rouges, et personne ne sait combien nous en boirons. Tout le monde se moque de moi, et particulièrement mon voisin de table Olivier Bernard, car je garde résolument mon assiette de viande qui devient froide, pour pouvoir accompagner les vins qui suivent. Mon assiette sera débarrassée au moins une heure après celles des autres. Le premier de la deuxième série est Château Mouton d’Armaillac 1921, vin très intéressant, au nez superbe et à la bouche un peu sèche. Le second est un Domaine de Chevalier rouge 1918 d’une grande pureté, vin très clair et plaisant. Olivier n’en avait jamais bu. Le troisième est une curiosité absolue car l’étiquette dit : « old Burgundy 1870 to 1920 » Maison Jadot. Une fourchette de dates de cinquante ans n’est pas d’un grand secours. Le vin est très doucereux et très beau. J’ai aimé, sans pouvoir réellement le dater.

Nous passons maintenant à des vins très jeunes : La Mondotte Saint-Emilion 1999 en magnum, vin très truffé et puissant, puis le Clos des Truffiers Coteaux du Languedoc 2001, vin à 100% de syrah, dont le vignoble appartient à Jeffrey. Vient ensuite un vin qui surprend tout le monde et dont certains regrettent que Palmer utilise son étiquette caractéristique, car il s’agit d’un Palmer XXe century 2004 à 75% de syrah. D’où vient-il, je ne sais. Il n’est pas déplaisant du tout.

Le quatrième est très élégant et floral. Il est grand et encore plus grand lorsque l’on sait ce que c’est : Penfold Grange Hermitage 1982. Certains amis ont déjà rendu leur assiette de fromage quand je rends celle de la viande, plus opportune, même froide, que celle des fromages qui ne s’entendent pas avec les rouges.

Lorsque j’avais ouvert à 16 heures le « Blanc Vieux d’Arlay » Bourdy 1916, la maîtresse de maison à l’oreille fine avait entendu un petit grésillement. En écoutant plus attentivement, il apparut que la bouteille démarrait une nouvelle fermentation favorisée sans doute par un sucre résiduel. Lorsqu’on nous sert le vin, il a le léger picotement des vins effervescents qui biaise l’impression que le vin devrait donner. On peut quand même imaginer que ce vin est délicat, avec des évocations de gingembre et d’ananas. Il est un peu diminué par rapport à ce qu’il pourrait être mais pas trop.

Steve a apporté un vin de Massandra Tokay 1895 délicieux, qui évoque la mandarine et la datte. C’est un vin charmant. Nous terminons cet incroyable voyage sur Château d’Yquem 1990, très conforme à ce qu’il doit être, dans la puissance de sucre et de douceur de sa folle jeunesse.

Xavier est le plus tranché dans ses commentaires caractérisés par une grande précision. S’il manque un bouton de guêtre au vin, il le sabre. Les vignerons sont heureux de confronter leurs avis sur des vins de régions qui ne sont pas la leur. Laurent est vraiment l’expert que Stephan proclame. Robert et moi écoutons les supputations et jugements. Ce petit groupe empathique et enflammé a hélas omis de parler anglais, ce qui a mis un peu sur la touche Wesley et Steve alors qu’ils ont apporté des vins splendides. Nous nous rattraperons sans doute en bavardages lors de notre dîner dans trois jours à Paris.

Beaucoup de vins étant servis en magnums, la quantité absorbée par chacun fut importante. Les esprits n’étaient plus assez clairs pour que l’on détermine les gagnants de cette soirée. De ce qui perce le nuage de ma mémoire, je ferais le classement suivant, sachant combien c’est difficile :

1 – Château Haut-Brion blanc 1949, 2 – Château Haut-Brion rouge 1962, 3 – Montrachet Ramonet 1985, 4 – Canon La Gaffelière 1959, 5 – Domaine de Chevalier 1918. Les deux champagnes pourraient s’intercaler dans ce classement, mais où, ce ne serait pas facile à trancher.

conférence à l’Institut Supérieur de Marketing du Goût jeudi, 9 avril 2009

Cela pourrait commencer à devenir une institution ou un rite. L’Institut Supérieur de Marketing du Goût me demande chaque année de faire une conférence pour des élèves en phase doctorante qui préparent leurs mémoires de fin d’année. Ces élèves se destinent aux métiers de la restauration ou de la vigne et certains ont déjà des postes dans des maisons connues. Raconter mon expérience professionnelle puis l’aventure que je vis dans le monde du vin pourrait avoir de l’intérêt, mais rien ne vaut les travaux pratiques qui expliquent sans doute pourquoi je fais recette.

J’avais demandé que l’on achète des petits carrés de chocolat noir. Arrivant tout excité par les embarras de la circulation qui prennent à Paris des proportions dantesques, et voyant les petits carrés de l’épaisseur des chocolats de café, je m’écrie : « mais ce n’est pas du tout ça ! Il va manquer la mâche ». Une élève se propose d’aller acheter ce que je souhaite. Elle fit œuvre utile.

Sur les conseils du directeur de l’école, les élèves avaient parcouru mon blog et le dernier bulletin racontant un dîner en Chine. Deux élèves connaissent Pékin pour y avoir travaillé l’une trois ans et l’autre un an. La discussion est donc facilitée et directe. Pour montrer les vertus des vins anciens j’ai apporté un Muscat ambré de Rivesaltes Cazes 1994 et un Maurydoré La Coume du Roy domaine de Volontat 1925. Nous avons d’abord croqué le chocolat fin puis le carré fourré de ganache pour constater l’effet de la mâche dans la dégustation.

La salle étant trop chaude, les vins sont plus que chambrés et l’alcool ressort. Le Muscat, selon une élève, évoque le coing et la pomme alors que je sens qu’il appelle un chocolat fourré aux écorces d’orange. Le Maury est beaucoup plus complexe et long. Il est dans les goûts de pruneaux et prunes marinées. Paradoxalement, alors qu’il titre 2,5° de plus que le muscat, il paraît plus aérien. L’accord avec le chocolat est logique mais n’a rien de véritablement vibrant. Ces exemples permettent d’évoquer la vie des vins et les accords de gastronomie. Discuter avec des jeunes étudiants motivés est aussi enrichissant pour moi car ils sont porteurs d’avenir et d’ambition. Il a fallu que le directeur nous rappelle gentiment à l’ordre tant l’horloge était « hors limite ».

Richebourg DRC 1933 et Romanée Conti 1983 avec un hôte illustre mercredi, 8 avril 2009

Il est des moments où il ne faut pas bouder son plaisir, surtout lorsqu’il s’agit de plaisir ultime. Plantons le décor. J’écris des bulletins quasi hebdomadaires. Aubert de Villaine, gérant propriétaire de la Romanée Conti me fait l’honneur de me lire, et si je l’en crois, d’aimer ce qu’il lit. Pamela, son épouse, me lit et aime me dire qu’elle aime ce qu’elle lit. Dans le bulletin 279, je parle d’un Richebourg 1933 du domaine de la Romanée Conti, mis en bouteille par un négociant inconnu, avec une étiquette inconnue, et qui mentionne « propriété du Comte de Vilaine » alors qu’il n’existe pas de Comte de Villaine et qu’il a deux « l » à son nom. J’en parle de façon positive, ce qui excite la curiosité d’Aubert.

Continuons de planter le décor. Dans un bulletin récent, j’évoque La Tâche 1983 d’une année peu considérée par le domaine, et Aubert me signale son intérêt pour mon commentaire et ce d’autant plus que le domaine n’a plus aucun vin de 1983 en cave. Je possède un autre Richebourg 1933 et Aubert a la curiosité de le goûter. Il est prévu par ailleurs que nous dinions ensemble à l’académie du vin de France. Rendez-vous est pris pour partager le Richebourg 1933 qui me reste. Il se pourrait que la bouteille soit morte, aussi me semble-t-il prudent de prévoir un autre vin. Je prends en cave une Romanée Conti 1983, année qui manque au domaine et un vin diamétralement opposé, un Château Chalon 1934, de l’année la plus brillante du 20ème siècle.

A l’académie du vin de France je rencontre Aubert de Villaine et Pamela et je soumets à Aubert le choix du vin à faire ouvrir le lendemain matin. Il me répond Château Chalon, car les occasions de boire ces vins sont rares, mais un infime mouvement de sourcil me fait penser que l’autre branche de l’alternative ne lui serait pas indifférente. L’académie se tient au restaurant Laurent et notre déjeuner doit se tenir au même endroit. Mes trois bouteilles sont déjà là. Pendant la soirée de l’académie, Aubert et moi essayons de convaincre Pamela d’être du déjeuner. Elle doit rejoindre une amie que nous ajoutons à notre groupe. Pamela dit oui. Je dis à Ghislain d’ouvrir demain aux aurores les trois bouteilles.

Souvent femme varie. A mes aurores à moi, Aubert me laisse un message m’annonçant qu’au lieu de quatre nous ne serons que deux. J’appelle en urgence le restaurant Laurent en demandant que seuls les bourgognes soient ouverts.

Lorsque j’arrive à midi, le 1933 montre une fatigue certaine. Il faudra donc le boire en premier, pour finir sur le meilleur des deux. J’informe Philippe Bourguignon de mes constatations et nous bâtissons le menu. Le choix de Philippe est parfait. Il suggère des morilles farcies, écume d’une sauce poulette au savagnin pour compenser la fatigue du 1933 et une pièce de bœuf rôtie servie en aiguillettes, macaroni gratinés au parmesan, jus aux herbes et moelle pour la Romanée Conti 1983.

Aubert arrive et j’ai évidemment un peu peur de sa réaction sur le Richebourg 1933 fatigué. Il faut dire que 95% des amateurs diraient de ce vin : « circulez, y a rien à voir ». Nous sommes, fort heureusement, d’une autre école. La première approche est fatiguée,  voire giboyeuse. Le message est limité. Mais Aubert constate que le vin n’a pas été hermitagé ce qui est important pour lui et vérifie que son squelette est bien celui du domaine. La légitimité et l’absence d’ajouts sont acquises. Mais le plaisir est-il là ? Fort intelligemment, on nous sert les morilles pures, avec une émulsion au vin jaune et avec un jus de viande assez lourd étalés sur les côtés du plat. Avec la morille pure, le pari est déjà gagné. Le 1933 au contact de la morille prend de la structure. Et l’on se rend compte que c’est avec l’émulsion que le mariage est le plus percutant. Le vin revit et ce n’est pas de l’auto-persuasion, car Aubert a autre chose à faire que maquiller la vérité.

Nous sommes l’un et l’autre amoureux des fonds de bouteilles aussi sera-t-il décidé, à l’initiative d’Aubert, que nous partagerons le dernier verre à la lourde lie. Alors que dans nos premiers verres le vin devient de plus en plus torréfié et caramel, le fond de verre partagé devient velours et révèle l’ADN pur de ce qu’aurait dû être ce Richebourg, un vin généreux.

J’avais affirmé à Aubert que 1933 est une grande année. Il confirme qu’à son analyse, la fin de bouteille corrobore mon affirmation. A aucun moment aucun de nous n’a refusé le message du vin et ne l’a sublimé.

C’est avec une approche sincère que nous avons donné une chance à un vin objectivement fatigué, qui nous a donné en retour le message clair de ce que peut être un Richebourg 1933 du domaine de la Romanée Conti.

(morilles avant et après sauce)

Nous passons maintenant à la Romanée Conti 1983, vin dont le domaine n’a plus une seule bouteille. Boire ce vin aux côtés d’Aubert de Villaine est évidemment émouvant pour moi. La chair du bœuf est divine pour mettre en valeur ce vin. Bavard comme je suis, je donne ma première impression à Aubert. L’important pour moi est que ce vin ouvre une porte sur le domaine. J’entre, et je retrouve ce que j’aime dans le monde bien spécifique de la Romanée Conti. Ce qui impressionne Aubert, c’est la longueur du vin. Le message est un peu faible, mais Aubert a confiance en son épanouissement à venir. La viande est un soigneur zélé. Le vin s’étend dans le verre et j’y retrouve la salinité que j’adore. Aubert continue de vanter sa longueur. Le plaisir s’accroît. Quelques minutes plus tard, nous pouvons vérifier que cette Romanée Conti est une grande Romanée Conti, sans que puisse jouer l’autosuggestion.

Les fromages profitent au 1933 et pas du tout au 1983. Le 1933 ne chute pas du tout et maintient son goût un peu caramélisé. Le 1983 atteint un plateau de grand plaisir. Alors que dire ? Sans tomber dans le culte de la personnalité – même si… – déjeuner seul à seul avec Aubert de Villaine, pour le petit amateur de vin que je suis, c’est comme si, du temps où je faisais des mathématiques, j’avais pu déjeuner avec Pierre de Fermat, ou si, du temps où j’étudiais la physique, j’avais pu déjeuner avec Louis de Broglie. Aubert dirige le plus grand vin du monde et garde un sens du devoir, d’une mission, qui inspire le respect. Savoir que nous pouvons partager des émotions communes, et une approche fondée sur le même respect du vin, c’est pour moi un plaisir ultime.

Mes vins étaient-ils bons ? Certains les noteraient, et sans doute pas aux sommets, du moins pour le plus âgé. Ce qui compte, c’est qu’ils nous ont émus.

 

académie du vin de France – photos mardi, 7 avril 2009

A un moment, je regarde mon couteau, et cela m’a inspiré cette photo

La photo de gauche montre que j’étais à la table 3, et que j’y étais ! (voir mon nom). L’araignée, institution du restaurant Laurent est traitée pour mettre en valeur le champignon. Pour chacun des présents, le vol-au-vent a rappelé des souvenirs d’enfance.

Le meilleur plat, c’est ce carré d’agneau de lait et le traitement de la rhubarbe est parfait.

Académie du Vin de France – Paulée et dîner de gala mardi, 7 avril 2009

L’Académie du Vin de France tient sa « paulée » annuelle dans les salons du restaurant Laurent, qui est le siège de l’académie. La paulée signifie que les membres de l’académie font goûter leurs vins les plus récents. J’ai bu de nombreux vins, tous excellents, dont je citerai certains. En blanc, le Riesling Clos Windsbuhl domaine Zind-Humbrecht 2007 est de belle prestance et le Château de Beaucastel Chateauneuf-du-Pape Vieilles Vignes blanc 2007 m’a fait forte impression. Je l’ai fait goûter à des amis avec des dés de foie gras en gelée et l’accord est saisissant. En rouge un Macon Milly Lamartine Clos du Four domaine Héritiers du Comte Lafon 2007 est fort sympathique et un Côtes de Brouilly Cuvée La Chapelle Château Thivin  2007 a allumé des souvenirs de mon séjour à Lyon il y a plus de quarante ans où une visite des vignobles et des caves du Beaujolais a sans doute été ma première visite à des vignerons, et l’une des très rares de ma vie professionnelle. Ce beaujolais est fort gouleyant. Dans la salle dédiée aux bourgognes, c’est la Romanée Saint Vivant Domaine de la Romanée Conti 2006 qui est impressionnante de perfection. Lors de la présentation des vins de 2005 du domaine de la Romanée Conti, c’est parmi les rouges la Romanée Saint-Vivant qui était la plus délicieuse à boire à ce stade de sa vie. Sa puinée d’un an récidive avec brio. Ce vin au fort parfum annonçant la puissance se montre romantique en bouche.

Dans une autre salle, le Château Simone rouge 2006 m’impressionne par sa pureté. C’est un vin magnifiquement fait et son propriétaire est content que je lui en fasse compliment. Le Château Gazin 2006 me plait beaucoup il a aussi une grande pureté de définition. Un Gewurztraminer Clos Zisser Vendanges Tardives domaine Klipfel 2005, avec 57 grammes de sucre résiduel est d’une légèreté étonnante pour les papilles. Le Château de Fargues 2006 présenté par Alexandre de Lur Saluces est brillant et montre tout le travail accompli par François Amirault, car son final a un panache rare. L’intérêt de cette paulée, de ce cocktail apéritif, c’est aussi de parler avec des vignerons parmi les plus prestigieux de France.

Nous redescendons au rez-de-jardin pour le dîner de gala de l’Académie du Vin de France. Jean-Pierre Perrin, président de l’académie décide d’évoquer avec humour la diabolisation du vin par les pouvoirs publics en traitant ses amis de dangereux dealers (si ce n’est pas en ces termes, cela y ressemble), et l’aimable ironie a un grand pouvoir de persuasion.

Le menu mis au point par Philippe Bourguignon, Alain Pégouret avec Jacques Puisais et Benoît France, secrétaire de l’académie est le suivant : araignée de mer dans ses sucs en gelée / vol-au-vent aux morilles et asperges de printemps / carré d’agneau de lait des Pyrénées grilloté, « frigola-sarda » aux dernières truffes noires / gruyère d’été 2008, reblochon et abbaye de Cîteaux / rhubarbe laquée à la fleur d’hibiscus, sorbet gariguette / palmiers.

Je suis à la table du président et son épouse, d’un médecin de ses amis et son épouse, de Jacques Puisais et je suis à la droite de son épouse, truculente presque octogénaire d’une diabolique jeunesse, de Jean-Robert Pitte et son épouse en ravissant kimono, de Bernard Pivot, sa fille et le mari d’icelle.

Nous commençons par un Champagne cuvée Nicolas-François Billecart Billecart-Salmon 2000. Le champagne est incroyablement lourd, puissant, dominant. L’araignée, véritable institution de ce lieu, a changé de recette et la gelée est très marquée. C’est une variation intéressante qui n’atteint pas la perfection de l’icône du restaurant Laurent dans sa recette à figer dans le marbre. L’accord est difficile du fait de la personnalité tyrannique du champagne très typé.

Le Puligny-Montrachet Les Pucelles domaine Leflaive 2000 a un parfum d’une rare puissance, tonitruant. Il sent le domaine Leflaive à plein nez ! Il est un peu plus mesuré en bouche, fumé, à peine amer, sur un vol-au-vent qui allume mille souvenirs de ma jeunesse. Je le dis à mes voisins de table et ce qui est amusant c’est que Jacques Puisais, dans son traditionnel speech de fin de repas, fera le même rappel à son enfance. On me dira le lendemain qu’à toutes les tables, tout le monde évoquait ses souvenirs d’enfance, tant le vol-au-vent est une institution. Le vin s’adapte très bien au plat délicieux. Il montre un peu d’alcool, mais il est très expressif.

J’ai un peu plus de mal que mes voisins avec le Château Branaire 1998 que je trouve assez monolithique face à un plat goûteux, le plus beau de la soirée. J’en dirai deux mots en fin de repas à Patrick Maroteaux  qui convient que le 1998 est un peu ingrat en ce moment et nous échangeons nos idées sur les plus brillants Branaire anciens sur lesquels il a plus d’expérience que moi : 1899, 1900, 1928, 1934,  1945, 1949. Mes voisins de table apprécient l’accord de la belle chair de l’agneau avec ce beau bordeaux.

Le Montrachet Domaine de la Romanée Conti 2000 est, on s’en doute, le clou de la soirée. Si je devais donner un mot qui caractérise ce vin, ce serait « fraîcheur ». C’est assez paradoxal pour l’un des vins blancs les plus puissants qui soient. Mais ce vin réussit le tour de force de combiner puissance, expression et cette incomparable fraîcheur. Le vin est merveilleux et c’est presque une punition de le marier à des fromages, tant son talent mérite de la gastronomie complexe. C’est avec le reblochon qu’il est le plus à l’aise. Jacques Puisais pense que c’est avec le gruyère, mais ce n’est pas mon impression.stronomie complexe. déric les acturesrence entre Acipar, Kadéthe et les autres SCI.
oment et nous échangeo

Le Jurançon « Quintessence du petit manseng » domaine Cauhapé 2000 est un vin direct, naturel, au message intelligent. La rhubarbe a un effet spectaculaire sur lui. Car le vin assez carré se trouve multiplié par l’excitante aigreur des jeunes branches. L’accord me ravit car il est gourmand. Le sorbet n’est pas nécessaire pour le vin mais pour l’équilibre du dessert réussi. Le jurançon est très abricot confit et poivre. Le mariage est le plus excitant de ce repas.

Jacques Puisais est lyrique sur les vins et les accords, quand il prend la parole, choisissant de discourir sur le thème du printemps. Il finit son speech en s’adressant aux vignerons : « vous êtes des croisés du printemps au service du vin ».

Le repas se ponctue avec des palmiers qui sont une autre icône du restaurant. Chacun en recevra un petit paquet au moment du départ. Certains partent, tandis que des vignerons s’installent dans les fauteuils profonds avec la mâle intention de continuer à célébrer Bacchus. Il n’est pas encore interdit par la loi de faire des grands vins et d’être bon vivant. 

jet-ski dimanche, 5 avril 2009

C’est ma première sortie de l’année en jet-ski. Cela annonce les plaisirs des belles saisons à venir.

Pourquoi en parler dans ce blog ? Je considère que le plus grand des luxes, en dehors de mes dîners, c’est la liberté. Or le jet-ski est pour moi un symbole de liberté. Sur l’eau, on peut aller à des vitesses insolentes, aller à gauche ou à droite, changer de direction au gré des vagues, et l’on est le maître du monde.

Cette liberté est grisante. J’en profite comme d’un bon vin.

Un jour, toutes ces activités coûteuses en énergie seront interdites. Le ski nautique, le jet-ski, les rallyes automobiles, les courses de hors-bord, tout cela sera jeté au panier.

Alors, égoïstement, je profite de cette ultime liberté. La vitesse qui siffle dans mes oreilles, l’immensité de la mer dont je raccourcis les distances, c’est grisant. Vive l’été qui s’approche.

dîner chez Yvan Roux samedi, 4 avril 2009

Descendre dans le sud, cela implique quasi automatiquement d’aller dîner chez Yvan Roux.  J’invite trois amis à me prendre chez moi. J’ouvre un magnum de Champagne Henriot 1996. Le vin est d’une belle ampleur, la bulle est très présente. De fines tranches de poutargue excitent le champagne par leur salinité. Nous emmenons le magnum avec nous, et j’ai pris aussi un autre vin dans ma musette.

Sur des tranches de Pata Negra particulièrement grasses et sentant la noix, le champagne est d’un heureux équilibre et montre son caractère vineux.  Un carpaccio de pagre denti avec du pesto se marie divinement avec le champagne, l’ail et le parmesan lui tirant des accents chantants. Yvan nous présente ensuite des araignées gratinées avec des croûtons au pain, céréales et ail confit. C’est bon, mais Yvan est plus à l’aise sur les poissons que sur ce crustacé.

Je fais servir le Meursault Genévrières Bouchard Père et Fils 2004 en magnum, qui est un pur bonheur. Il est fruité, puissant, joyeux et emplit la bouche avec un fort sentiment de plénitude harmonieuse. Sur le pagre denti accompagné de pommes de terre et Pata Negra, la combinaison marche comme sur du velours. Yvan connait mes péchés, car les premières fraises Gariguette de l’année baignent dans une légère glace à la vanille dont Yvan doublera ma ration. Ce repas est le sacre du printemps

pollution jeudi, 2 avril 2009

Je descends dans le sud pour me reposer après le merveilleux dîner au Bristol.

J’ai parlé de la pollution que j’avais constatée à Pékin.

Mais en ce jour froid et ensoleillé, la pollution sur Paris que l’on voit de l’avion est absolument préoccupante. Alors que la luminosité est totale, il y a des immeubles que l’on ne voit pas, tant la chape de pollution est opaque.

Brrr…

115ème dîner de wine-dinners au restaurant de l’hôtel Bristol mardi, 31 mars 2009

Le 115ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant de l’hôtel Bristol. J’ai choisi ce restaurant où j’ai déjà tenu onze de mes dîners pour rendre hommage à la troisième étoile qu’Eric Fréchon vient juste d’obtenir et a dignement méritée. Le restaurant est plein et les salles annexes sont toutes réservées, ce qui montre l’intérêt de décrocher cette étoile en temps de crise.

A 17 heures j’ouvre les bouteilles et cette opération s’effectue avec une facilité déconcertante. Il faut dire que les vins de ce soir sont particulièrement jeunes : l’âge moyen est de trente-quatre ans alors que généralement la moyenne dépasse cinquante ans. Les odeurs sont toutes belles, le vin le plus fermé, mais il s’ouvrira, est le Lafite 1964. Pour une fois j’ai mis des vins en situation de compétition. Nous verrons comment cela se passe.

Le menu composé par Eric Fréchon et mis au point avec le sommelier Marco Pelletier est : Amuse-bouche / Foie gras de canard cuit en papillote, huîtres fumées, bouillon de canard au thé vert / Oignon rosé de Roscoff, carbonara, royale de lard fumé, truffe noire et girolles / Ris de veau de lait braisé au fenouil sec, carottes au pain d’épices et citron, jus de cuisson / Poitrine de canard challandais rôtie aux épices, purée de dattes, citron et kumquat, pommes soufflées / La pomme de dix heures.

Il y a ce soir trois des fidèles parmi les fidèles, compagnons des casual Friday, un ami que je rencontre souvent aux dîners des amis d’Yquem, un couple de nouveaux adeptes et un nouvel inscrit suédois, qui lit en suédois mes récits dans la revue qui accueille mes écrits. Sur dix convives il y a cinq nouveaux, ce qui me fait plaisir car c’est un signe d’ouverture. Deux femmes illuminent notre table de leurs sourires radieux.

Les consignes habituelles sont données dans le beau hall d’entrée de l’hôtel et nous passons à table dans la salle lambrissée et tapissée de forme ovoïde d’une grande élégance. Nous commençons à boire le Champagne Pommery Brut 1947. Les quatre amuse-bouche ne sont pas encore servis, aussi le premier contact avec le champagne est-il un peu déroutant pour ceux qui n’ont pas l’habitude des champagnes anciens. Mais tout s’éclaire au contact des saveurs raffinées et agréablement complexes des petits jeux auxquels se livre Eric Fréchon. La couleur du Pommery est d’un or ambré, la bulle a disparu mais le pétillant est présent. Le goût du champagne est harmonieux, rond, centré. Il peut devenir par contraste doucereux sur l’oseille, puis sérieux sur le thon. Des quatre saveurs, l’huître est la seule qui eût appelé un champagne plus jeune.

Jeune, c’est vraiment la caractéristique du Champagne Dom Ruinart Blanc de Blancs 1990 qui malgré ses dix-neuf ans fait gamin à côté du Pommery. Nettement moins dosé que le 1947, ce Dom Ruinart est vert, sa bulle pétille fortement et sa longueur est extrême. La petite entrée ajoutée, une gelée de lentille, est absolument délicieuse et fortement goûteuse. Mais elle ne va pas du tout avec le champagne. Par aucun biais l’accord ne se fait. Et, comme cela se produit souvent, l’incompréhension entre le plat et le champagne va mettre encore plus en valeur l’accord suivant, le plus beau de la soirée.

Marier un foie gras avec des huîtres est d’une belle audace. L’exécution est parfaite. La fougue du Château Laville Haut Brion 1995 convient parfaitement, et c’est surtout la sauce, je dirais plutôt le bouillon, qui fait le trait d’union avec le vin généreux et kaléidoscopique. Nous sommes sur un sommet gastronomique.

J’ai commis l’erreur de ne pas relire le menu imprimé par le restaurant, aussi chaque convive a lu Montrachet Bouchard Père & Fils 2001 au lieu de Chevalier-Montrachet Bouchard Père & Fils 2001. Il est compréhensible que cette lecture ait modifié l’approche que chacun a de ce vin. Il est absolument parfait et généreux, et le plat d’oignon est une merveille d’imagination d’un grand chef. Certains convives comme ma voisine préféreront l’accord du vin blanc de Bourgogne avec l’oignon à celui du vin blanc de Bordeaux avec le foie gras. Je suis de l’autre camp. Le vin de Bouchard est joyeux, riche, opulent.

Le ris de veau est associé à deux bordeaux de 1964. C’est presqu’une première, car dans mes dîners, j’essaie d’éviter toute confrontation entre deux vins. On ne goûte pas de la même façon quand un vin est seul de sa catégorie et quand il est en comparaison. Il se trouve que les vins sont suffisamment dissemblables pour que la rivalité ne joue pas. Le Château Lafite-Rothschild 1964 est assez strict, légèrement amer, et représente un ascétisme aux antipodes du caractère lascif et séducteur du Château Mouton-Rothschild 1964 tout en velours. Avec l’ami d’Yquem, nous ne comprenons pas l’engouement de la table pour le Lafite, tant il apparaît que le Mouton est plus savoureux. Mais, comme cela arrive, les votes nous prouveront que si nous avons gustativement raison, nous avons politiquement tort.  

J’avais imprudemment annoncé qu’il existait un vin de réserve. L’ami fidèle parmi les fidèles, celui qui avait fait ouvrir son magnum de Fargues 1961 alors que nous étions déjà plus que repus lors d’un casual Friday, fait pression et insiste pour que j’ouvre le bourgogne de réserve. L’ami d’Yquem ayant apporté une bouteille d’un vin inconnu, nous aurons donc quatre vins rouges pour le canard au lieu de deux prévus.

Par une incompréhension de mes propos, Marco Pelletier fait servir le Châteauneuf du Pape Clos des Papes 1949 largement avant que le plat n’arrive. Ceci va fortement jouer sur l’appréciation du vin. Car bu seul, le vin est très décevant et m’étonne, car rien à l’ouverture ne m’avait laissé penser qu’il s’affaiblirait ainsi. Il est fatigué, plat, et il est certain que la sauce du canard changerait la donne. Et c’est ce qui se produit car dès que le plat apparaît, le vin revit et lorsque l’on boira le fond de la bouteille, ses qualités reviendront. Fugacement peut-être, mais il sera possible de les ressentir, ce qu’un autre des plus fidèles traduira en votant pour ce vin.

Le vin de réserve, le Clos de Vougeot Domaine Méo-Camuzet 1992 surprend tous les convives par sa vigueur et sa puissance. Il est généreusement bourguignon, avec une petite salinité que j’adore. C’est un vin très agréable. Le canard est excellent et une fois de plus, c’est la sauce qui se révèle magique.

C’est à mon tour d’être surpris, car je n’attendais pas une telle puissance dans la Côte Rôtie La Mouline Guigal 1993. Cette année de la Mouline m’a habitué à plus de réserve et là, ce vin tonitrue. C’est un vin porteur de générosité, chaleur et enthousiasme, ce qui nous ravit. Il est délicieux.

Nous voici maintenant en face du Vin inconnu 1904. Notre ami qui l’a apporté et a voulu qu’on l’ouvre, ce que j’ai fait en début de repas, nous explique qu’il a acheté une cave et que le livre de cave indique pour cette bouteille 1904, ce qui est très plausible du fait de l’état de la capsule et du bouchon, mais ne donne aucun indice sur la région. Et la forme bourguignonne de la bouteille ne dit rien de plus car on a pu embouteiller du bordeaux dans ce flacon. Je suis généralement prudent dans les évaluations à l’aveugle mais une chose est claire pour moi, c’est un bordeaux, ce dont doute un des fidèles. Mais la majorité penche pour cette solution. Après cela, il est bien présomptueux de situer le climat. J’opterais volontiers pour Pauillac quand l’ami apporteur pencherait pour Haut-Brion, ce qui ne me convainc pas. Toujours est-il que le vin est extrêmement bon, d’une couleur indiquant une vivacité encore présente, et son goût n’a pas la moindre trace d’acidité. Il est chaleureux, et la piste Pauillac me plait bien, l’année 1904 ayant produit des vins merveilleux.

Nous changeons de monde maintenant et la possibilité de comparaison existe une nouvelle fois puisque nous buvons deux Yquem. Le Château d’Yquem Sauternes 1988 est glorieux. Ne cherchons pas d’autre qualitatif, car celui-ci suffit. D’un bel or, ce vin emplit la bouche généreusement. On se sent bien tant il est parfait. Le Château d’Yquem Sauternes 1961 est très différent. Il a commencé à manger légèrement son sucre et l’on voit apparaître une note fugace de thé. La juxtaposition est intéressante, même si le resplendissant 1988 vieillit un peu le 1961 de grande élégance. La pomme de dix heures accompagne bien les deux Yquem qui, avouons-le, s’amusent tout seuls devant le miroir de leurs beautés.

Il est temps de voter et le seul vin qui n’aura pas de vote parmi les douze vins de ce dîner, c’est le Clos de Vougeot, non pas du fait de sa qualité mais parce qu’il n’a pas été imprimé sur le menu. Onze vins sur douze ont eu des votes, ce qui est remarquable, les dix vins prévus au programme ayant tous au moins un vote.

Cinq vins ont eu le privilège d’obtenir la première place dans au moins un vote : le Chevalier-Montrachet Bouchard Père & Fils 2001 ainsi que le Château Lafite-Rothschild 1964 ont chacun trois fois la place de premier, la Côte Rôtie La Mouline Guigal 1993 a deux votes de premier et le Champagne Pommery Brut 1947 ainsi que le Château Mouton-Rothschild 1964 ont chacun un vote de premier.

Le vote du consensus serait celui-ci : 1 – Chevalier-Montrachet Bouchard Père & Fils 2001, 2 – Château Lafite-Rothschild 1964, 3 – Côte Rôtie La Mouline Guigal 1993, 4 – Château d’Yquem Sauternes 1988.

Mon vote est : 1 – Château Mouton-Rothschild 1964, 2 – Chevalier-Montrachet Bouchard Père & Fils 2001, 3 – Champagne Pommery Brut 1947, 4 – Vin inconnu 1904.

Il se peut que la croyance en la présence d’un Montrachet au lieu de Chevalier-Montrachet ait influencé quelques votes de mes amis. La place de Lafite aussi haut dans les votes est une surprise, mais c’est bien ainsi car cela montre la vanité des notations ou appréciations qui se veulent absolues.  

La cuisine d’Eric Fréchon est incontestablement brillante. Le dosage des saveurs et la délicatesse des sauces sont absolument remarquables. Il y a eu deux ou trois petites imperfections dans le service des vins qui imposeront une meilleure coordination et que je sois plus précis dans mes recommandations. Les cinq nouveaux se sont bien intégrés même si l’un des plus fidèles, taquin comme à son habitude, ne fit rien pour leur rendre la tâche facile. L’ambiance riante, enjouée et taquine nous a conduits tard dans la nuit et aucun convive ne voulait quitter la table dans cette salle au confort parfait. Ce dîner, avec une ambiance amicale rare et des impromptus, voire des inconnues comme ce vin de 1904 fut un grand et beau dîner.