déjeuner au restaurant Agapé – les photos lundi, 9 juin 2008

Champagne Jacques Lassaigne brut nature blanc de blancs 2003

Pouilly Fuissé Terroir de Vergisson Jean Manciat 2006 et Le Clos du Duc Bourgogne de Vézelay (médaille d’argent 2006 à Macon)

de beaux plats à la présentation élégnate

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c’est appétissant

un très beau dessert.

Ces photos montrent que ce restaurant sera vite étoilé.

Beau Pomerol un lendemain d’Astrance samedi, 7 juin 2008

Le lendemain, mon fils annonce sa venue avec son fils. Je vais vite faire des courses, et sur un filet de bœuf aux pommes de terre de Noirmoutier, j’ouvre un vin que j’aime, Château Nénin Pomerol 1990. A la première gorgée, l’écart de structure par rapport aux vins de la veille paraît spectaculaire, même si le vin est bon. Mais la goûteuse viande rouge emmène le Nénin dans son sillage et le vin devient grand. Il est définitivement bordelais, avec cette envie de bien faire fort polie. Il est agréable, très pomerol, et nous satisfait car le niveau fut au plus bas avant que nous n’ayons fini la viande. La mémoire des vins du Rhône et du Latour était trop vivace. Mais ce vin doit faire partie du paysage de l’amateur de grands vins.

Des Krug encore chez un caviste vendredi, 6 juin 2008

Des Krug encore chez un caviste

Le lendemain matin de ma visite à Reims, je publie le compte-rendu sur un forum et l’un des membres m’annonce qu’un caviste du 12ème arrondissement organise une dégustation de Krug Grande Cuvée et de Krug 1995. Alors que je viens de boire ces deux vins, j’aurais pu décliner mais je dis oui, par caprice de saisir une occasion apparemment inutile. Je rencontre le jeune amateur et le sympathique caviste qui me fait faire un tour de cave. Je repère une bouteille de Vega Sicilia 1980 qui ne me paraît pas chère, et j’ai l’idée de l’emporter pour l’ouvrir à dîner le soir même.

Grâce à Jean Hugel je rencontre un grand amour de mon père il y a 74 ans vendredi, 6 juin 2008

Grâce à Jean Hugel je rencontre un grand amour de mon père il y a 74 ans

Il y a deux ans, Jean Hugel m’appelle sur mon portable. Il participe à un dîner de famille et me demande : « ma cousine Odile, née en 1912, me dit que son premier amour a été Lucien Audouze. Est-ce de votre famille ? ». Je réponds que c’est mon père. Un an plus tard, Jean Hugel vient, comme il en a l’habitude, à une séance de l’académie des vins anciens. Sa femme est avec lui mais ne restera pas car elle dîne avec une femme venue elle aussi qui me dit : « nous sommes presque frère et sœur » et m’embrasse avec chaleur. Il faut bien quelques mois pour que mon cerveau assemble ces informations, et l’envie me vient de rencontrer celle qui a aimé mon père. Mes parents sont décédés. On peut réveiller de beaux souvenirs.

Le rendez-vous est pris et au pied de l’immeuble où habite Odile, Nicole me guide. Elle est professeur à Louis-le-Grand, lycée où j’ai suivi des études de rêve. Nous montons et je suis accueilli par une pétulante adolescente de 96 ans. Je lui offre des roses rouges, en nombre impair bien sûr, et elle évoque avec pudeur cet amour qui dura quatre ans, ce qui met quelques larmes à ses yeux le plus souvent rieurs. Cet amour est encore vivace et sa fille me dit que depuis qu’elle attendait cette rencontre, Odile était toute excitée. Les mille qualités que l’on prête à mon père sont du miel pour moi. Nicole me demande si je désire un thé ou éventuellement un vin de Hugel. La réponse s’impose, ce sera un Gewurztraminer Jubilé Hugel 1997, aussi doux et subtil que les propos distingués d’Odile. N’en déplaise à Jean, adorable ami, les anecdotes de l’amour de mon père me captivent plus que le doux breuvage que nous buvons sur des petits fours et des macarons. Aussi bien Nicole que moi, nous savourons les évocations de cet amour qui nous a permis d’exister parce qu’il ne dura pas. J’ai apporté des photos et Odile s’enthousiasme de retrouver son amour. Nous avons tant de milliers de choses à nous dire que nous nous reverrons. Je quitte mère et fille sur de beaux sourires. Faire revivre un amour né il y a 74 ans a réchauffé nos cœurs.  Jean Hugel l’a déclenché. C’est un magicien.

Dîner à l’Astrance avec des vins que je chéris vendredi, 6 juin 2008

Dîner à l’Astrance avec des vins que je chéris

Avant cette rencontre, j’étais passé au restaurant l’Astrance pour livrer les vins d’un dîner rassemblant famille et amis avec ma femme, ma fille cadette et son mari, mon fils et deux amis partenaires de mes plus grands repas. Pascal Barbot est en jogging, souriant comme à l’habitude. Je choisis le champagne du soir sur la carte et donne à Alexandre les consignes d’ouverture de mes vins.

Lorsque tout le monde arrive nous prenons place à la belle table où les assiettes de présentation sont de gros disques de verre multicolores comme des bonbons acidulés. Le Champagne Salon 1988 est absolument extraordinaire. Il progresse à chaque expérience que j’en fais ce qui indique qu’il est en train de franchir une étape majeure de sa vie. Fort comme un coup de poing, il s’impose en bouche sans possibilité de discussion. Quelles saveurs dominent ? Les citer serait réducteur, car si le miel, le caramel, la brioche sont présents, ce qui s’impose, c’est la longueur et la présence. Sur le champignon de Paris et sa petite goutte de crème citronnée, c’est un régal absolu.

Le plat suivant rassemble un bouquet de verdure de légumes croquants et du homard. Ceux qui ont encore du Salon peuvent le boire sur les petits légumes aux goûts très forts. Et le homard est accompagné par Château Latour 1989 pour un accord d’une émotion infinie. Pour que l’on puisse lire ce compte-rendu en saisissant l’absence totale de nuances et d’objectivité qui est la mienne, je suis vis-à-vis de Pascal Barbot dans la position du juge des championnats du monde de patinage artistique qui ne donne de bonnes notes qu’aux sportifs de son pays. Pascal Barbot est du mien. Qu’on se le dise. La chair d’une délicatesse infinie épouse le Latour velouté dans une union qui serait floutée sur Canal + aux heures où les enfants sont théoriquement endormis. Ce velouté doucereux du Latour permet de comprendre la pureté d’une trame de vin qui est un exemple assez unique. Le vin est grand, noble, structuré et dégage une impression de solidité à toute épreuve. C’est un grand vin.

Chez le caviste que j’avais visité ce midi, je n’avais pas été attentif à l’étiquette. Car le vin est un Vega Sicilia bien sûr, mais c’est le Valbuena et non l’Unico, ce qui explique son prix plus cohérent. Je ne regrette pas cette erreur, car le Vega Sicilia Valbuena 1980 est un vin splendide. Presque fumé, typé comme un vin espagnol fier, il nous charme par sa personnalité. Il y a des fruits noirs qui subsistent encore. Sur le rouget, l’accord se trouve naturellement. Les asperges ne réagissent pas sur le vin qu’il ne faut boire que sur le poisson. La surprise de ce bel hidalgo nous donne des sourires de plaisir.

Christophe Rohat a l’habitude de nous faire des niches. Il dépose devant moi deux ébauches de pizzas très fines sans autre forme de procès. Alors, comme le prêtre à l’église, je romps le pain et le partage, pour le plus grand bonheur du Vega Sicilia.

Sur un paleron aux petits pois, l’Hermitage Jean-Louis Chave 1989 nous fait gravir une nouvelle marche de plaisir. Ce vin est généreux, joyeux, riche, et s’accorde au gras intense de la viande de la plus belle façon. Cette joie simple est spectaculaire. Il y a à côté de la viande une petite crème à l’olive noire et à la réglisse qui est une vraie bombe. Je pense évidemment qu’un vin de Chypre 1845 dompterait cette saveur explosive, mais le Chave s’en tire très bien, la réglisse tirant de nouvelles nuances de sa solide trame.

Le canard croisé, spécialité du lieu à l’instar du champignon de Paris, est doté d’une sauce diabolique. Et de petites pommes de terre fondent dans la bouche comme d’impérieux bonbons. La Côte Rôtie La Mouline Guigal 1992 me met en transes. Ma fille cadette me regarde comme si j’étais possédé par un vil démon. Je glousse, je me tortille sur ma chaise. Je fonds de plaisir. Car ce vin, c’est le nirvana, c’est l’arrivée d’un marathon quand on coupe le fil du vainqueur, c’est le rire de Ninotchka ou le premier pied posé sur la lune, c’est divin. Comment caractériser cette émotion ? C’est en fait le goût que je souhaite. Et je le tiens en bouche. D’une année qui n’est pas la plus lyrique, ce vin a attrapé un équilibre qui lui permet de libérer tout son charme voluptueux. Je suis aux anges, et c’est la sauce qui vibre amoureusement avec le vin immense. On ne peut pas imaginer le plaisir que ce vin me donne quand il m’inspire cette phrase : « c’est ça », comme un eurêka.

Le gorgonzola avec une fleur de courgette fourrée de framboises fraîches est une pause dans mon rêve, car cet exercice de style n’apporte pas grand-chose à nos palais. On retrouve l’inventivité du chef sur les trois desserts qui accompagnent Château d’Yquem 1988. D’une couleur pâle pour son âge, cet Yquem est le meilleur des 1988 que j’aie bus depuis longtemps, car je craignais un certain passage à vide pour ce vin depuis une dizaine de mois. Or ici, c’est un bijou. C’est de l’horlogerie de compétition, car tout en lui est d’une précision absolue. Il est, pour un sauternes de vingt ans, la perfection de ce qu’un tel vin peut devenir. Bien sûr, des décennies de plus vont lui faire gravir l’échelle de Richter des plaisirs terrestres. Mais à ce stade il est grand. Ce n’est pas la compote d’abricots et mangues qui se marie le mieux, alors que la couleur le suggère, c’est le blanc-manger délicieux qui excite le mieux les saveurs que l’Yquem peut révéler. Une préparation de fruits secs convainc un peu moins.

Ce repas me plait à plus d’un titre. On dit assez souvent que les vins ressemblent aux vignerons qui les font. Si j’osais, je dirais que les vins de ce soir me ressemblent, car j’ai voulu que ce soient eux et parce que je les aime. Ayant quitté pour un soir le monde des vins anciens, ce sont ces vins que je veux. Salon 1988 au sommet de son art, quatre rouges qui ont formé une progression gustative éblouissante avec Latour qui a sans doute la trame la plus noble et la Mouline au charme infini, puis l’Yquem à la juvénile perfection. Ces vins, je les aime, même celui dont j’ai acheté ce midi le second vin croyant avoir acquis le premier. Emotion familiale quand j’ai raconté la rencontre d’un amour de mon père d’il y a 74 ans, amitié et sensibilité du plus talentueux des chefs que j’aime. Ce bouquet de motifs de joie est plus que garni. L’ami fidèle demande si nous votons. Ce sera un vote informel dans lequel je mettrai : 1 – La Mouline 1992, 2 – Salon 1988, 3 – Latour 1989, 4 – Yquem 1988. Pour les saveurs pures, c’est la chair du homard qui m’a conquis et l’accord de la sauce du canard avec la Mouline fut enthousiasmant. Que d’émotions dans un jour béni où amour, amitié, talent culinaire et vins parfaits ont illuminé mon ciel.

Dîner à l’Astrance – photos des plats vendredi, 6 juin 2008

champignons de Paris et foie gras, vaisseau amiral de l’Astrance, homard et légumes croquants

Christophe Rohat a mis ces tartes fines devant moi. A moi de me débrouiller !

rouget sur asperges, paleron sur petits pois, avec une crème à la réglisse

canard croisé, puis gorgonzola avec une fleur de courgette fourrée de framboises

ce sont vraiment des framboises !

malgré l’harmonie de couleurs avec l’Yquem, ce n’est pas le premier dessert mais le second, un blanc-manger, qui a le plus fait briller l’Yquem

 Autre dessert délicieux mais moins adapté à l’Yquem.

visite à Krug et déjeuner aux Crayères jeudi, 5 juin 2008

Lorsqu’à Vinexpo en juin 2007, dans un splendide hall musée, l’aristocratie du vin de France avait attiré ceux qui achètent ou jugent le vin, j’avais rencontré Olivier Krug à la table où le Gotha du champagne exposait ses plus beaux joyaux. Promesse de se revoir, mais, mais, dans ces grands groupes, les impératifs commerciaux déterminent les emplois du temps. Un jour de juin, près d’un an après, la fenêtre de tir entrouvre ses volets et je me présente au siège de Krug. Un jeune ambassadeur anglais me fait patienter et Olivier rejoint la salle de réunion. Il parle du vin qui porte son nom avec un enthousiasme communicatif. Tout ce qui fait l’exception de Krug m’est exposé avec passion. Nous visitons la salle de fûts dont l’âge de certains dépasse quarante ans, puis la cave imposante où dorment des trésors, et nous remontons dans une petite pièce qui évoque ce que pourrait être un petit musée de la tonnellerie. Il y a chez Krug un minimalisme qui ressemble à celui de la Romanée Conti.

Alors qu’à Dom Pérignon on m’avait entraîné vers les 1973 ou les 1959, ce sont des fioles de 2007 qui vont être dégustées. J’ai pris des notes qui ne sont que des flashs éphémères, car ces vins vont évoluer à chaque mois de leur vie. Ce qui compte surtout, c’est le chemin qui conduit à l’assemblage du champagne Grande Cuvée. Voici ce que j’ai écrit sur ces vins clairs :

Mesnil 2007 : nez de miel et de caramel, belle acidité. Très buvable, agréable, citron vert.

Villers-Marmery 2007 : nez qui est plus pâte de fruits, un peu perlant, évoque les fleurs blanches et les groseilles blanches. Très belle acidité un peu mentholée. Acidité de cassis.

Ay  2007 : nez floral élégant et raffiné, mais plus simple en bouche. Il est fruité, de fruits roses, très goulu, aux accents de pêches, très goûteux et sexy, bonbon acidulé.

Ambonnay 2007 : nez discret, floral, subtil et racé. La puissance en bouche est spectaculaire. C’est fabuleux. L’équilibre est énorme. Il y a des fruits, des fleurs, des fruits confits et même des légumes verts. J’aime ce vin d’une grande fraîcheur.

Sainte-Gemme 2007 : nez très fin, subtil, presque indéfinissable. L’équilibre en bouche est joli. Il y a des fruits doux, jaunes et encore du bonbon acidulé. J’aime la fraîcheur de ce vin plus classique.

L’Ay 2004 a un nez nettement minéral par opposition à tous les 2007. L’attaque est merveilleuse. C’est doux comme de la soie et minéral come de l’ardoise. Puis apparaissent les fruits, les pêches et un soupçon de beurre et de toasté. Il est très joli, épicé, et j’aime sa fraîcheur.

L’Oger 2001 a un nez très rond, ensoleillé de fruits rouges et une trace de beurre. En bouche il y a des fleurs et des fruits classiques. Il joue un peu en dedans, d’une personnalité moins marquée, un peu conventionnelle, et je me demande si ce n’est pas moi qui sature à ce stade. Le citron vert et la groseille à maquereau lui donnent une fraîcheur remarquable.

Le Verzenay 1996 a un nez très pur, de cassis. Le vin a un bel équilibre, accompli, fait de fraîcheur et d’acidité jolie. Il y a des agrumes et des zestes, mais c’est la fraîcheur qui est confondante.

Nous arrivons enfin au Krug Grande Cuvée assemblage de ce qui précède, mais pas uniquement. Il y a en effet 118 vins différents dans l’assemblage, de sept millésimes remontant jusqu’en 1995. Le nez est plus vineux avec des légumes verts. Il est subtil. L’attaque est très belle, ronde, et plus joyeuse que chacun. Le milieu de bouche est structuré, plus feutré, mais va s’ouvrir. La fraîcheur est là, de fruits rouges et d’agrumes. Le final est long et complexe. Bien sûr, il faut que le vin se forme, car son bal des débutants, c’est dans six ans au moins. Sa rondeur joyeuse et sa fraîcheur de fleurs blanches sont déjà prometteurs.

Nous goûtons par contraste le Krug Grande Cuvée mis en bouteille tout récemment, qui a donc à peu près six ans de plus. Le premier changement, c’est la bulle, qui était en filigrane jusque là. Le nez est très Krug, le goût est très Krug, pur, typé, élégant et subtil en bouche. Il a un goût de revenez-y qui ne trompe pas. J’ai senti des notes fumées proches de l’infusion.

Si la soif de Krug est intarissable, les propos enflammés d’Olivier le sont aussi. En souriant il me dit : « si je parle trop, tirez sur la prise ». Je n’en aurai pas besoin, car tout ce qu’il dit parle de passion.

Nous allons déjeuner au restaurant les Crayères ou Didier Elena et Philippe Jamesse, chef sommelier, voulaient infléchir le jugement que j’avais eu lors du séjour qui suivait le centième dîner. Le jeune sommelier qui nous accueille nous emmène en cuisine saluer le chef, prêt pour un nouveau challenge.

La salle à manger est de toute beauté, et les tons de gris ocre sont apaisants. Je n’ai pas le temps de m’asseoir qu’une charmante femme vient m’embrasser. Elle déjeune avec son mari. C’est la responsable d’un des vignobles d’Ile de France, le vin de Villiers-sur-Marne, dont je suis membre de la confrérie. Olivier suggère que nous goûtions le Krug rosé. Il a une phrase admirable lorsque je dis que je ne suis normalement pas fanatique de champagnes rosés : « c’est justement pour cela que nous avons fait Krug rosé ». J’adore. Olivier propose que nous goûtions le Krug Grande Cuvée. Je suggère que nous abordions aussi un millésimé. Olivier pense au 1995. Philippe demande dans quel ordre déguster. J’imagine que nous boirons les trois ensemble. Le décor est planté. Le maître d’hôtel demande ce que nous souhaiterions déjeuner. Nous nous en remettons à Didier Elena. Le bateau est lancé.

Il n’est pas tellement question de juger chaque vin, car chaque saveur va le faire varier, mais plutôt d’analyser les comportements. Sur un petit biscuit au chaource, le Krug rosé réagit comme le public quand un crooner esquisse les trois premières notes d’un standard. Sa couleur de rose saumonée appelle des saveurs de même couleur. Le cromesquis au champagne  vibre bien sur le Krug Grande Cuvée. Seul l’amuse bouche qui comporte un granité alcoolisé impose de boire de l’eau.

Dès que l’on présente devant mes yeux les langoustines, je sais que l’on a changé de monde. Nous sommes dans « ma » gastronomie. Le « ma » ne veut pas dire que j’en serais propriétaire mais plutôt qu’elle est celle que j’appelle de mes vœux. La chair de la langoustine est divine. Elle fait vibrer le Krug 1995 d’une impériale sérénité. Ce champagne est assis sur son trône, écoute ses sujets, et leur annonce que son règne ne se compte ni en septennats ni en quinquennats mais en siècles. Champagne taillé pour l’éternité il affirme son emprise sur nos sens. D’autres langoustines dans une pâte croustillante se trempent dans une rouille qui est un appel au Krug rosé. Ce plat aux cuissons exactes, à la lisibilité totale, nous fait entrer dans un monde qui est celui du vrai Elena.

Alors que Philippe m’avait dit que le pigeon que j’espérais pour le Krug rosé n’était pas présent à l’appel, voilà que l’on nous sert un pigeon sur un canapé flanqué d’un foie gras à peine poêlé. La chair du pigeon seule, sans sauce est un hymne à l’amour avec le Krug rosé qui gagne en noblesse. Le raffinement est total. Le foie gras quant à lui, d’une tendreté exemplaire, cohabite aussi bien avec le millésimé 1995 qu’avec la Grande Cuvée. Cette cuisine bourgeoise est un appel au bonheur.

J’essaie trois fromages différents pour chacun des Krug et le choix fait à l’œil se trouve justifié au palais. L’essai d’un roquefort au miel est plus ludique que gastronomique. Une tarte à la fraise des bois vient clore l’expérience dans un politiquement correct assumé.

Que dire des champagnes ? Le rosé a sa vie propre, capable de soutenir de nombreux plats, à condition que l’on reste dans un certain code de saveurs, car sa flexibilité est plus étroite que celle des blancs. Le Grande Cuvée est un champagne assuré, solide, à l’aise, mais il a quand même un peu souffert de la présence du 1995. Car ce champagne, c’est Stonehenge, c’est les pyramides d’Egypte, d’une solidité qui ne supporte aucune contradiction, taillé pour l’histoire, inébranlable ce qui n’est pas antinomique d’une capacité à créer l’émotion. Car ce champagne imperturbable sait se marier au foie gras, à la langoustine, et à une myriade de goûts.

Didier Elena est venu à notre table et je lui ai dit à quel point j’étais heureux que cette expérience corrige mon impression récente. Partager une journée avec Olivier Krug est un privilège auquel je suis infiniment sensible. Y ajouter l’expérience d’une cuisine qui tutoie les sommets, c’est  un couronnement à Reims.

visite de la maison Krug – photos jeudi, 5 juin 2008

Les établissements au centre de Reims

les fûts de vieillissement d’âges variables jusqu’à plus de quarante ans. A droite on voit des fûts neufs qui arrivent.

Je veux bien être fidèle à Krug, mais faut-il aller jusqu’à me marquer au fer ?

la petite salle de dégustation avec des vestiges de tonnelier et les vins clairs que nous avons dégustés.