données sur les 1050 vins des cent premiers dîners lundi, 28 avril 2008

Si vous voulez savoir l’âge moyen des vins de ces dîners, leurs régions d’origine, la répartition par décennies, il faut lire le document ci-dessous.

Si vous voulez savoir quels sont les vins les plus anciens bus aux dîners, les plus prestigieux, si vous voulez savoir si mes votes portent sur des vins jeunes ou anciens, lisez ce document :

analyse des 100 dîners :    analyse100diners.xls.pdf

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lendemain du 100ème aux Crayères – déjeuner vendredi, 25 avril 2008

Le lendemain du 100ème dîner, dans la cour du château de Saran, les embrassades sont longues, ainsi que les promesses de recommencer. Un des plus fous de notre bande a réservé pour ce soir trois chambres à l’hôtel les Crayères à Reims. Nous partons en petit convoi avec une lenteur qu’explique la fatigue de la veille. Nous prenons possession de nos chambres dans ce petit château. La décoration évoque un peu ce qu’auraient pu être certaines maisons « non ouvertes » d’il y a un siècle. Nous hésitons à aller déjeuner au restaurant et, sans l’avoir vraiment voulu, nous voilà assis à une table. Les plus mâles d’entre nous disent : « repas à l’eau ». Cela s’appelle planter le décor. Puis Satan intervient avec un perfide : « il faut quand même un peu de champagne pour nous éclaircir le gosier ». Suivi d’un : « on ne prendra qu’une seule bouteille ». On me demande de choisir sur la merveilleuse carte des champagnes et c’est un Champagne Pol Roger Cuvée Winston Churchill 1996 qui atterrit sur notre table. Quel champagne ! Ce qui impressionne, c’est sa sûreté. Il affiche une personnalité affirmée, investit le palais d’un discours fort. C’est très grand. C’est la force tranquille qui s’impose. La cuisine de Didier Elena est assez surprenante. Voulant déjeuner léger, j’ai demandé des asperges. Mais mon assiette ressemble à un inventaire à la Prévert. Il y a un œuf mollet, des calamars, une huître, des petits légumes, et sur une petite assiette additionnelle, un pot de yaourt rempli de lait caillé. Et l’asperge ? Ah oui, en creusant tel le mineur de fond, on trouve un tapis de petites asperges pressées au point d’en devenir carrées. Où est la cohérence ? Je ne l’ai pas vue. L’heure est à la sieste, car le véritable repas est ce soir.

lendemain du 100ème aux Crayères – dîner vendredi, 25 avril 2008

A l’heure dite, deux amis fidèles qui avaient assisté au centième repas et leurs épouses, ainsi que le fils de l’un des couples se retrouvent au bar de cette belle maison.

J’avais repéré sur la carte un Champagne Clos des Goisses Philipponnat 1980 d’une année qui normalement n’inspirerait pas beaucoup d’amateurs, mais que j’avais adorée lorsque je suis allé visiter le champagne Philipponnat. Ce champagne dégorgé en février 2006 me donne un coup de poing au cœur dès la première gorgée. Le nez est splendide, mais c’est surtout un miel chatoyant qui conquiert mon esprit. Le Winston Churchill avait la classe. Le Clos de Goisses a un charme à succomber. C’est immense.

Nous avons pris un menu dégustation qui est normalement prévu pour s’associer aux vins de la maison Moët & Chandon. Comme nous avons été immergés dans des délices incommensurables de cette maison, nous choisissons de ne pas écorner l’irréalité de notre expérience par des champagnes trop récents. Lorsqu’il s’agit de choisir les vins, le jeune sommelier extrêmement sympathique qui avait lu les intitulés de quelques dîners que j’ai organisés faillit tomber par terre quand je lui dis que nous ne chercherons pas des accords mets et vins. C’est un petit peu comme si Zidane disait à un de ses fans qu’il n’aime pas le football. La raison que je n’ai pas commentée outre mesure, c’est que l’on sent que la cuisine de Didier Elena est autiste. Il ne sera pas possible dans le foisonnement de saveurs contraires de faire surgir des accords. Alors faisons vivre les plats et les vins chacun dans leur monde.

La lecture du menu est éclairante pour justifier mon pessimisme : foie gras de canard aux champignons blancs et amandes, truffes noires et vin d’orange / lard fermier du pays basque à la broche, calamars farcis d’herbes, praire, poulpe, et haricots blancs cuisinés ensemble / homard bleu au beurre de crustacés, macaroni gratinés et coquillages, sucs de tomates truffés / bar de ligne, oursin, citron-fenouil au goût légèrement aillé / veau de lait en fines escalopes roulées dans une concassée de noix, asperges vertes, sabayon de Macvin et vieux gouda / fromages (préférés au dessert à la pomme qui n’irait pas avec mon vin) / pamplemousse rose en amertume, douceur d’un biscuit rose de Reims. On comprend à ces intitulés pourquoi je n’ai pas cherché à concilier l’inconciliable.

Le Champagne Alfred Gratien Brut Cuvée Paradis n’arrive pas du tout à se positionner après le génial Clos des Goisses 1980. Quand nous avions passé la commande, nous ne pensions pas boire autant. Il était évident qu’il eut fallu inverser l’ordre des champagnes, car cet Alfred Gratien est trop désavantagé. Un certain manque d’imagination apparaît dans ce contexte, alors que nous aurions sans doute aimé ce champagne s’il avait débuté.

Le Meursault les Rougeots J.F. Coche Dury 2001 est un hymne à la joie. Le tuner est mis sur le volume maximum. Il y a la joie de vivre, la puissance et l’explosion aromatique d’un vin riche et tout fou. J’adore ce vin totalement sans complexe.

Rien dans le menu ne pouvait justifier que nous buvions un Chambertin Clos de Bèze Domaine Armand Rousseau 2001. Seules l’opportunité et l’envie ont commandé ce choix. Quelle grâce, quelle finesse se montrent à nos papilles conquises. Bien sûr c’est jeune. Mais la jeunesse a aussi du charme du fait de la naïve exposition de tous ses trésors gustatifs, sans chercher à les ordonner. Vin de charme, de plaisir, il est d’une immense séduction.

J’avais apporté au château de Saran quatre bouteilles supplémentaires, « pour le cas où ». Aucune n’ayant été nécessaire, compte tenu de l’amitié qui me lie à ces deux amateurs, j’ai décidé de leur offrir ce vin dit « de réserve », Château d’Yquem 1959. Le vin est d’origine, jamais rebouché et d’un niveau parfait. La couleur est d’un orange ambré soutenu. Le parfum est renversant et l’un de mes deux amis se pâme. Il considère que c’est l’un de ses plus grands Yquem. Je lui fais remarquer que ce 1959 sublime est quand même nettement surpassé par le 1904 de la veille, mais je n’insiste pas trop, car je sens que mon ami vit une extase. Cet Yquem aux tons de pamplemousse, d’un charme totalement équilibré est d’une race absolue. C’est la définition du grand Yquem quand il a cinquante ans alors qu’hier c’était la perfection de l’Yquem centenaire. Il va sans dire que ce vin surpasse les vins de ce dîner. Nous n’avons pas voté, car ce n’était pas l’endroit, mais les deux plus beaux de ce soir sont l’Yquem 1959, de très loin, que je ferais suivre du Clos des Goisses 1980.

Le matin au réveil je lis l’article de François Simon qui critique le choix qui a été fait des cinquante plus grands restaurants de la planète par une revue anglaise. J’aime la pertinence des remarques parfois acerbes, et je les confronte à mon impression sur la cuisine de Didier Elena.

La première remarque concerne la générosité. Je trouve absolument anormal que les deux tiers de la charge calorique du repas viennent d’éléments que l’on n’a pas commandés. Une jeune fille absolument charmante vient en début de repas nous proposer une dizaine de pains différents. On les prend comme on se choisirait des macarons, et en y ajoutant un peu de beurre, on est déjà saturé avant même que n’arrive le premier plat. La seconde remarque concerne le patchwork gustatif de tous les plats. Le palais est perdu au milieu de ces compositions hétéroclites. Ce chef a sans doute du talent. Mais je crois qu’une certaine forme de restauration excessive se doit d’être déclarée obsolète. Je souhaite malgré ces remarques beaucoup de succès à ce chef qui est un peu l’enfant chéri des critiques.

Notre jeune sommelier a été parfait. Le service est irréprochable. Le petit déjeuner du lendemain est délicat, ce qui est bon baromètre pour juger d’un hôtel. La chambre est spacieuse, le soleil nous a permis de profiter du parc. Ce prolongement du centième dîner dans une chaude amitié fut un grand moment.

séjour aux Crayères – les photos vendredi, 25 avril 2008

Un champagne rare : Pol Roger Cuvée Winston Churchill 1996

 

Voici les deux composantes du plat qui s’appelle "asperges". Bien sûr on ne demande pas un plat nu. Mais cette variété invraisemblable n’est pas nécessaire. Pourquoi ce pot de lait caillé ?

 

C’est le velouté de morilles, gentiment ajouté par le chef, qui est le plat le plus cohérent et compatible avec un vin.

Nous sommes maintenant à l’heure du diner :

 

Champagne Clos des Goisses Philipponnat 1980, champagne exceptionnel.

Très joli foie gras et champagne Alfred Gratien cuvée Paradis.

Deux plats très goûteux, le lard et le homard.

 

Meursault les Rougeots JF Coche Dury 2001

 

Chambertin Clos de Bèze domaine Armand Rousseau 2001

 

"Avant et après". Une cuisson excessive de la viande a rendu le plat très sec à cause de l’enrobage de noix qui rend le goût très astringent.

 

J’ai eu l’idée de photographier les pokémons du fils de mon ami, mais on m’a urgemment demandé d’ajouter le bout de ma cravate pour le photo. Plus sérieusement, la couleur de ce Chateau d’Yquem 1959 est divine.

 Le dessert est très adapté à l’Yquem, surtout la peau d’orange confite.

 

Il fait beau !

 

Jaune et rouge, des couleurs polytechniciennes !

 Le très joli hôtel, d’un grand confort.

100ème dîner – le menu et les vins jeudi, 24 avril 2008

100ème dîner de wine-dinners le 24 avril 2008 au Château de Saran

Les vins de la collection wine-dinners et les champagnes des caves de Moët & Chandon

Dom Pérignon Œnothèque 1966 en magnum

Moet & Chandon 1975 en magnum

Rilly rouge 1928

Château Margaux 1959

Pétrus 1953 

Moet & Chandon 1921 en magnum dégorgement à la volée

Romanée Conti, Domaine de la Romanée Conti 1972

Vosne Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1987

Côte Rôtie La Mouline Guigal 1978

Montrachet Domaine de la Romanée Conti 1972

Vin blanc d’Arlay Jean Bourdy 1888

Cramant Moët & Chandon 1928

Château d’Yquem 1904

Vin de Chypre 1845

Moet & Chandon 1959 en magnum

Vin du Mesnil Moët & Chandon 1900

Le menu créé par Bernard Dance

Velouté de sole

Langoustines Thaï

Filet de sole au caviar d’Aquitaine et cerfeuil

Turbot rôti et son jus de veau, fenouil braisé

Filet de rouget et sa sauce au vin rouge

Ris de veau

Filet d’agneau en croute et navet confit au jus

Râble de lapin

Pigeon molé

Comté 18 mois

Duo de mangues et pamplemousse, jus de thé

Petites madeleines

100ème dîner – le début de journée jeudi, 24 avril 2008

La journée du centième de mes dîners commence par une visite impromptue à la cave d’Anselme Selosse. Les champagnes Jacques Selosse sont des vins de vignerons, qui parlent la langue de leur auteur. Ce sont des vins engagés. J’ai goûté des vins comme « initiale » ou « version originale », puis le 1998 et enfin le « Substance » que j’adore. Ces champagnes sont typés, expressifs. Ils ne laissent pas indifférents.

Je me rends ensuite au château de Saran où l’on m’a préparé un petit encas que je mange sur une table dressée sur une terrasse au soleil, car nous vivons la première journée qui ressemble réellement au printemps, après la morne grisaille des deux derniers mois. Ce déjeuner frugal est accompagné du champagne Dom Pérignon 2000 que je n’avais encore jamais vu, car il est né ce mois-ci. La première impression est légère et aqueuse. Mais j’ai encore en bouche la mémoire de Substance de Selosse. Dès que je commence à manger je prends conscience que ce champagne est un partenaire idéal de gastronomie. Je lui souhaite longue vie.

Tout au château de Saran respire l’esprit de service. Jean Berchon, l’homme grâce auquel j’ai eu la chance de pouvoir organiser le centième dîner en ce lieu, me rejoint dans la magnifique salle à manger pour assister à l’important moment de l’ouverture des bouteilles. Nous commençons par une séance de photos de l’impressionnante série de vins. Les bouchons se brisent souvent lors de leur montée, mais je réussis à ne laisser tomber aucune particule dans les précieux liquides. Les plus belles odeurs sont d’abord, évidemment, le vin de Chypre 1845 et l’Yquem 1904 absolument envoûtants de perfection olfactive. Ensuite, ce sont la Romanée-Conti 1972 et le Pétrus 1953. L’odeur qui me fait le plus hésiter est celle du Margaux 1959. Celle du Vosne-Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1987 est assez neutre. Celle du blanc vieux d’Arlay 1888 est impériale de sérénité.

J’ouvre aussi les vins tranquilles de la maison Moët dont le bouchon a la tête fendue en deux pour caler l’agrafe qui assure la solidité du bouchage. Pour certains d’entre eux, le métal tombe en poussière, l’agrafe réduite en poudre ne jouant plus aucun rôle. Je réussis à ouvrir tous ces bouchons alors que c’est un type de bouchage que je rencontre rarement.

Je rejoins mes amis au rendez-vous qui est donné au siège de Moët & Chandon pour une visite des caves. Jean Berchon explique l’histoire des familles dont il est un des descendants et c’est une hôtesse polonaise qui nous fera arpenter une infime partie des 28 kilomètres de cave. Nous visitons ce qui peuple mes rêves, les casiers des anciens millésimes d’années mythiques que j’espère un jour explorer.

En convoi serré nous nous dirigeons vers le château de Saran. Nous rejoignons nos chambres pour nous préparer. Les femmes seront belles, leurs maris élégants. Nous allons vivre un repas qui marque un moment rare de gastronomie.

100ème dîner – le récit du dîner jeudi, 24 avril 2008

Le centième dîner de wine-dinners se tient au château de Saran, demeure prestigieuse où cette grande maison de champagne reçoit ses clients, des hôtes prestigieux et ses amis. On m’a « prêté » le château et c’est tout drôle pour les trois membres de la direction d’être salués chez eux par un hôte extérieur. Il y a Jean Berchon, directeur des relations extérieures et directeur du patrimoine du groupe Moët, Richard Geoffroy, chef de cave du champagne Dom Pérignon et Benoît Gouez, chef de cave de Moët & Chandon. L’appellation « chef de cave » signifie que ces deux œnologues ont l’immense responsabilité d’être les décideurs ultimes de la composition de leurs vins. Neuf de mes amis, parmi les plus fidèles de mes dîners, complètent la table. Qui sont-ils ? Un avocat, fidèle le plus assidu de mes dîners récents, un chef d’entreprise qui pourrait être mon fils et son épouse, assidu de tous mes grands dîners dont ceux à Yquem et à l’Astrance, un autre chef d’entreprise et son épouse, plus de ma génération, grand amateur de vins qui est venu avec un couple d’amis amateurs, lui, dentiste de son état, un expert-comptable italien venu de Milan avec son épouse, fidèle participant de très nombreux dîners malgré l’éloignement.

Le principe du dîner de ce soir est que les champagnes ou vins de champagne proviennent de la cave de Moët & Chandon et que tous les autres vins proviennent de la mienne. J’ai eu la liberté totale de fixer avec le chef le menu de ce soir.

Dans le joli salon de réception, où traîne négligemment un important ouvrage photographique dont la page de couverture présente la première dame de France dans un tenue qui n’est décrite dans aucun protocole, on nous sert un champagne Dom Pérignon 1973 en magnum, mais le nez me surprend. C’est d’un émerveillement qui dépasse le souvenir que j’ai du 1973. Je m’informe, et j’apprends que Richard a fait changer pour un champagne Dom Pérignon 1966 en magnum car il sait que j’ai adoré cette année. C’est une délicate attention. Je fais un petit discours de bienvenue, et je rappelle quelques données sur les 1050 vins qui ont été servis lors de mes cent dîners.

Nous passons à table et nous sommes subjugués par la beauté de la table en acajou d’une couleur exquise, et par le service de porcelaine aux couleurs dont un rouge oursin affirmé développe une force considérable. Une table de maison privée a beaucoup plus de charme qu’une table de restaurant, fût-il le plus grand. Le menu créé par Bernard Dance et que j’ai mis au point avec lui est le suivant : Velouté de sole / Langoustines Thaï / Filet de sole au caviar d’Aquitaine et cerfeuil / Turbot rôti et son jus de veau, fenouil braisé / Filet de rouget et sa sauce au vin rouge  / Ris de veau / Filet d’agneau en croute et navet confit au jus / Râble de lapin / Pigeon molé / Comté 18 mois / Duo de mangues et pamplemousse, jus de thé / Petites madeleines. La précision des saveurs, la justesse des cuissons, la lisibilité des goûts ont permis d’obtenir des accords prodigieux. Je savais que Richard et Benoît passent un temps considérable à trouver des accords qui mettent en valeur leurs champagnes. Il fallait que j’invente, que j’innove, que je sois d’une audace folle pour les intéresser. A une exception près, les accords ont été spectaculaires.

Le champagne Moet & Chandon 1975 en magnum est un champagne solide, à une charnière de sa vie, jeune encore, avant de montrer des signes de maturité. Il est confronté aux deux premiers plats et les accords créent des images dont le cerveau restitue une vision spatiale. Le velouté de sole assied le champagne, qui prend des bases d’une solidité à toute épreuve, qui permettent de développer sa palette aromatique. Il ne gagne pas en longueur mais en assise. La subtile et frêle sauce des langoustines joue le rôle d’une chistera, donne un coup de fouet au champagne qui en est tout émoustillé et brille de façon remarquable. Nous avons eu deux belles approches d’une mise en valeur du champagne par des plats exacts et – j’en suis content – inattendus pour mes hôtes dont je suis l’hôte.

Le Rilly rouge Moët & Chandon 1928 est un vin tranquille, c’est-à-dire élevé sans bulles, qui est un exemple de pinot noir tout à fait étonnant. Il n’y a pas de repère possible pour le caractériser, sauf peut-être quelques rouges d’Alsace anciens. Je suis particulièrement fier de l’accord que j’ai imaginé, sans avoir jamais goûté ce vin, car la salinité du caviar et la chair virile de la sole se marient de façon diabolique avec cet excellent rouge, un extraterrestre gustatif pour nous tous. J’avais prévu le Cramant 1928 au moment du fromage, mais dans un précédent brouillon de menu, j’avais évoqué l’idée de comparer Rilly et Cramant, rouge et blanc du même millésime mythique, sur le même plat. J’avais ensuite écarté l’idée, mais le vin fut quand même servi. Il apparait d’une éclatante évidence que le Cramant ne va pas du tout sur le plat, ce qui renforce la pertinence de l’accord du rouge sur le caviar. Un autre Cramant 1928 fut ouvert plus tard pour sa destination souhaitée.

Le Château Margaux 1959 dont l’amertume poussiéreuse m’avait alarmé a complètement gommé cette odeur. Je constate avec Benoît qui est mon voisin de table qu’il reste une trace infime de poussière mais le vin est exceptionnel. Quand Margaux joue à fond sa séduction féminine, personne ne résiste. C’est un vin qui joue sur sa subtilité et le turbot lui sert de danseur mondain. La délicatesse subtile et charmeuse de ce grand vin est confondante.

Comme je l’ai presque chaque fois fait dans mes dîners lorsqu’il y a Pétrus, c’est un rouget qui accompagne Pétrus 1953. Richard s’étonne et applaudit car nous en sommes déjà à trois vins rouges et nous campons toujours dans le monde du capitaine Némo.

N’ayant aucun repère pour le Moet & Chandon 1921 dont le dégorgement est prévu à la volée devant nous, j’ai pensé que sa digne place serait entre Pétrus et Romanée Conti, les deux monstres sacrés de leurs régions. Une première bouteille est dégorgée, mais le geste n’éjecte pas la lie agglomérée. Un deuxième dégorgement d’une autre bouteille est un succès. J’aime bien le champagne de la première, délicatement acide, mais la deuxième, comme Benoît l’avait pronostiqué, est absolument splendide. Je bois ce champagne avec une intense émotion, d’une part parce que l’année est légendaire, mais aussi parce que le vin est parfait. C’est un équilibre absolu de champagne, sous une forme que l’on ne rencontre quasiment jamais. Cette féerie est difficilement descriptible, car l’accumulation d’évocations rares est unique. Le ris de veau cuit dans sa simplicité est ce qui convient le mieux à ce nectar. Je frissonne de boire un vin de cette année.

Le nez de la Romanée Conti, Domaine de la Romanée Conti 1972 fait franchir la porte bien gardée du paradis. Dès que l’on sent ce vin, on comprend que l’on entre dans un monde d’élitisme absolu. Les quelques convives qui n’avaient jamais bu de Romanée Conti sentent qu’ils touchent à l’exception. Ce vin a un nez rare, et en bouche, le plaisir est total. Je dirais que si l’on sent bien la salinité propre au domaine de la Romanée Conti, la forme de perfection de trame fait de ce vin le plus bordelais des bourgognes. Il est hors norme, jouant assez peu de son charme bourguignon, préférant montrer sa perfection de structure. C’est la plus grande des Romanée Conti 1972 que j’ai déjà bues.

A ses côtés, hélas, le Vosne Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1987 que j’avais choisi d’une année calme pour ne pas faire ombrage à la Romanée Conti, fait pâle figure. J’ai soupçonné un effet de bouchon mais Benoît me dit qu’il n’en est rien. Il a dû avoir un petit coup de chaleur. Le vin n’est pas ce qu’il devrait être. C’est dommage, mais la Romanée Conti donne du plaisir pour deux sur le filet d’agneau.

La Côte Rôtie La Mouline Guigal 1978 est absolument magnifique. On ne peut pas imaginer plus grande variété que celle offerte par quatre rouges magiques, le Margaux 1959 d’un charme féminin exacerbé, le Pétrus 1953 d’une perfection de structure hors du commun, la Romanée Conti 1972, firmament de complexité œnologique et cette Mouline d’une année exceptionnelle, d’une apparente simplicité de lecture, sereine, équilibrée qui nous ouvre les bras, puis découvre des talents d’une rare finesse comme un texte de Prévert. Quatre vins magiques qu’il va être difficile de départager. Le râble de lièvre est délicieux dans sa simplicité, ajustée au millimètre sur la simplicité de La Mouline.

Le Montrachet Domaine de la Romanée Conti 1972 confirme que ce vin est peut-être le plus grand vin blanc du monde. Il n’a pas l’explosivité de la jeunesse, mais il a la débauche aromatique qu’on attend de lui. Le plus grand risque que j’avais pris, c’est de l’associer au pigeon molé. Le risque se justifie, mais il aurait fallu faire la même préparation et brosser le molé pour l’éliminer, ce que j’avais suggéré lors de nos préparatifs. Sa trace sur le pigeon eût suffi. Car le mariage de la chair du pigeon seule, ainsi marquée et du blanc est pertinent et excitant. Ce vin blanc d’une année discrète est très grand.

Le Vin blanc d’Arlay Jean Bourdy 1888 est un de mes péchés mignons. J’adore cette évocation jurassienne de noix, d’une subtilité décuplée par les 120 ans de vie de ce vin. La comparaison avec le Cramant Moët & Chandon 1928 est justifiée. Le plus âgé est de loin le plus musclé, mais le Cramant, avec sa jolie acidité, réagit bien dans la confrontation sur un Comté de dix-huit mois seulement, plus pur pour la mise en valeur des vins.

Le Château d’Yquem 1904 a un parfum qui devrait être inscrit au patrimoine mondial de l’humanité, ce qui est à la mode en ce moment, car il est extraordinaire. En bouche, c’est un feu divin. C’est un Etna de bonheur. On ne peut pas imaginer forme plus parfaite de sauternes. Doté d’une longueur immense, il a tous les parfums des Yquem que j’aime combinant mangue et pamplemousse, avec des accents légers de confiture de fruits bruns.  Le Vin de Chypre 1845 joue sur un registre qui n’est pas sans analogie. Le parfum est aussi beau que celui de l’Yquem, avec des notes de poivre et de réglisse. J’avais demandé que l’on badigeonne les madeleines de jus de réglisse. C’est d’une rare finesse. Ce vin est l’expression la plus aboutie du plaisir pur.

Nous passons au salon pour boire un champagne Moet & Chandon 1959 en magnum qui représente par rapport au 1975 du début de repas un saut qualitatif très substantiel. Ce champagne est beau. Comme pour tous les vins tranquilles de la maison Moët, le Vin du Mesnil Moët & Chandon 1900 nous fait voyager dans la science fiction, sur une planète inconnue. Il y a dans ce vin une fraicheur citronnée étonnante pour ses 108 ans. Benoît avait eu un doute sur ce vin quand il était allé le sentir avant le repas. J’étais beaucoup plus confiant. Et quand nous le buvons son équilibre est plaisant.

Revenons en arrière, car j’ai fait voter à table, sans inclure les deux derniers vins bus au salon, afin d’être sûr de recueillir des votes, qui devaient porter, du fait de la profusion, sur cinq vins au lieu des quatre habituels. Six vingt ont reçu des votes de premier : Yquem 1904 quatre fois, Chypre 1845 trois fois, Pétrus 1953 et Moët 1921 deux fois et Margaux 1959 et Romanée Conti 1972 chacun une fois.

Le classement de Benoît Gouez, chef de cave de ¨Moët est le suivant : 1 – Moët 1921, 2 – Pétrus 1953, 3 – Romanée Conti 1972, 4 – La Mouline Guigal 1978, 5 – le Rilly rouge Moët 1928. Le classement de Richard Geoffroy, chef de cave de Dom Pérignon : 1 – Chypre 1845, 2 – Yquem 1904, 3 – Moët 1921, 4 – Margaux 1959, 5 – La Mouline 1978. Le classement du consensus serait : 1 – Yquem 1904, 2 – Chypre 1845, 3 – La Mouline 1978, 4 – Pétrus 1953, 5 – Moët 1921.

Mon classement des vins : 1 – Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1972,  2 – Chypre 1845, 3 – Chateau d’Yquem 1904,  4 – Moët & Chandon 1921, 5 – Pétrus 1953.

Il est plus de deux heures du matin lorsque je rejoins ma chambre inondée de roses rouges en bouquets galants. Dans mon lit, j’ai un sourire béat. Car tout a fonctionné le mieux du monde. L’équipe de cuisine a fait un repas qui est un chef d’œuvre. Le service a été d’une rare attention. La table était apprêtée comme il serait impossible de le faire dans un restaurant. Mes amis ont vibré comme je le souhaitais à tous les moments forts du repas. Amitié et vins splendides. Tout m’est bonheur.

(n’oubliez pas de regarder les photos, sur les trois messages qui suivent)

visite aux caves de Moët & Chandon et au chateau de Saran jeudi, 24 avril 2008

On m’a préparé un petit encas au château de Saran, ce qui me permet de découvrir Dom Pérignon 2000.

 

Mes amis écoutent Jean Berchon qui explique l’histoire de Moët & Chandon.

 Un arbre tricentenaire, plus ancien que la Maison Moët qui date de 1743, a offert son ombre à Napoléon 1er.

 

Descente en cave pour découvrir les trésors de la maison Moët, la plus grande maison de champagne.

 

Un foudre offert en 1810 par Napoléon 1er à son camarade de l’école de Brienne-le-Château, le Moët fondateur de la maison de champagne.

Le Moët s’appelle Brut Impérial en souvenir de l’amitié entre les deux hommes.

ouverture des vins, dégorgement du 1921, ma chambre jeudi, 24 avril 2008

Ce tableau de famille est assez unique. Deux vins manquent : le Moët 1921 et le Mesnil 1900.

 

Une autre vue des vins et la table. Peut-on imaginer quelque chose d’aussi beau ?

 

Vues partielles des vins.

Que penser de ce groupe de rouges : Chateau Margaux 1959, Pétrus 1953, Romanée Conti 1972, Vosne Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1987 et Côte Rôtie La Mouline Guigal 1978. Que du grand !!!

Le Rilly 1928 et un groupe de vins à faire rêver avec les deux vins de la Romanée Conti 1972.

Que de blancs en fin de repas ! Montrachet Domaine de la Romanée Conti 1972, Blanc vieux d’Arlay Bourdy 1888, Cramant 1928 Moët, Chateau d’Yquem 1904, Vin de Chypre 1845, Moët & Chandon 1959 en magnum et vin du Mesnil Moët 1900 (que l’on voit à droite sur la photo de gauche).

Un programme immense.

 

Le dégorgement de Moët & Chandon 1921 à la volée dans la belle salle à manger avec un équipement traditionnel.

 

Ma jolie chambre au deuxième étage du château et mon petit-déjeuner terminé dans la belle porcelaine de Limoges.

Je n’ai pas pu photographier mon sourire béat !