viste au domaine de la Romanée Conti mardi, 19 février 2008

Par un ciel sans nuage et un soleil froid qui succède à une lune presque pleine, nous arrivons au domaine de la Romanée Conti. Aubert de Villaine m’avait prévenu la veille qu’un événement imprévu l’empêcherait de partager le déjeuner avec nous mais je n’avais pas écouté son message sur mon portable. Nous allons dans les chais de maturation où se trouvent les 2007 et les 2006. Chacun de nous porte son verre et Bernard Noblet est en charge de la pipette qu’il actionne au rythme que lui indique Aubert de Villaine. Nous commençons par le Vosne-Romanée Duvault Blochet Domaine de la Romanée Conti 2006, que je trouve très agréable à boire à ce stade de sa vie. Ce vin sert à nous préparer la bouche pour accueillir tous les rouges du domaine. L’Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 2006 est nettement plus plaisant. Le Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 2006 est encore plus plaisant que l’Echézeaux. La complexité est belle. Aubert de Villaine aime tout particulièrement le Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 2006 qui malgré un nez austère a une magnifique subtilité. Le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 2006, a un nez très agréable mais se présente complètement fermé, tout en dévoilant des possibilités énormes. C’est l’inverse du La Tâche Domaine de la Romanée Conti 2006 qui est ouvert, aguichant, et que je situe au même niveau que le Richebourg bien qu’il lui soit opposé. Les deux vins sont grands. Lorsque nous arrivons au moment de goûter la Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 2006, je sens combien Aubert de Villaine aime ce vin. Ses yeux pétillent. Un sec « on ne crache pas la Romanée Conti » me rappelle à l’ordre et je m’exécute sans me faire prier. Aubert de Villaine nous dit qu’il est très rare qu’une Romanée Conti soit aussi ouverte à ce stade de son vieillissement. Nous buvons ce vin avec plaisir, conquis par son charme féminin et cette variation infinie des composantes qui fait rêver la planète.

Aubert de Villaine nous donne très peu d’explications techniques. Il indique que la mise en bouteilles au domaine se fait à certains moments de la lunaison et me signale un article écrit par Michel Le Gris, « de l’influence du climat sur la dégustation des vins », qui suggère que l’appréciation d’un vin change avec la pression atmosphérique ambiante.

Nous nous rendons en cave dans la petite pièce voûtée où l’on déguste à l’aveugle. Il faut voir la complicité qui existe entre Bernard Noblet et Aubert de Villaine. Le choix des bouteilles qui seront ouvertes, en fonction de la qualité des visiteurs ou de leur sympathie, est un exercice de mime qui se joue à d’imperceptibles mouvements des yeux. Lorsqu’il est question d’accéder aux vins du caveau, on sent dans les yeux de Bernard : « vraiment, on peut ? » et dans les yeux d’Aubert : « oui, tu peux ».

Le premier vin a un nez très expressif. En bouche j’aime le fruit d’un vin pur et de belle longueur. C’est un Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 2000. On sent que le vin sera bon dans une quinzaine d’années et que l’année n’est pas si petite que ce qui a été dit. Le deuxième vin a un nez un peu amer. Bernard Noblet grimace car les traces végétales ne sont pas loin d’un effet de bouchon. Malgré l’astringence et le léger défaut, le vin se boit correctement. C’est un Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1991.

Le troisième vin a tout ce qui fait la signature du domaine. La salinité très présente, le caractère strict, le poivré, le style monacal. J’aime le fruit distingué et la fraîcheur mentholée. C’est surtout la fraîcheur d’attaque qui est remarquable. Il s’agit le La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1956. Il convient de signaler que nous buvons tous ces vins ouverts sur l’instant et frais, à température de cave. Il faut donc attendre un peu, et l’on remarque l’expansion que prend ce 1956, dont le fruit devient joyeux. L’écart entre le début et la fin de l’approche du vin est spectaculaire. Les fruits rouges abondent et le final devient brillant, contredisant tous les discours sur les vins du Domaine de la Romanée Conti de 1956.

Les regards se croisent entre Aubert et Bernard, et le quatrième vin est un blanc. Le nez évoque celui des sauternes, tout en étant sec, ce qui suggère un botrytis supérieur à la normale. En bouche il y a des traces de sucre, du caramel, de la brioche, et ce qui frappe, c’est la complexité extrême. Il est un peu fumé, doté d’une très belle acidité, opulent, au final de pamplemousse rose poêlé. Plus il s’ouvre et plus il devient grand. C’est un Montrachet Domaine de la Romanée Conti 1987. Bernard Noblet prend des notes comme nous, qui vont enrichir les archives du Domaine.

 

J’y étais !

Le caveau, dont le nombre de trésors est très faible.

Bernard Noblet prêt à ouvrir une bouteille. Mon objectif en est tout ému et pleure !

 

rencontre avec un américain inconnu lundi, 18 février 2008

En rentrant à l’hôtel après le dîner avec Jean-Nicolas Méo et son épouse, un américain assez hirsute m’accoste et me dit à quel point il est sensible à mes écrits et admiratif de mes idées sur le vin. Ayant vu mon nom sur la liste des clients de l’hôtel, il m’attendait comme les fans d’une star à la sortie d’un théâtre. Il serait heureux de me montrer quelques pépites qui sont en cave. Nous descendons par curiosité et il y a effectivement des vins de légende qui souvent peuplent mes rêves. Après une courte promenade digestive dans le froid de la ville endormie, lorsque nous rentrons, l’un de mes amis a déjà versé dans des verres Château Angélus 1990. Ce vin d’une jeunesse folle est au sommet de son art. On l’aime pour son immense plénitude. Il est jeune, dense, quasiment noir, puissant. C’est la définition du bordeaux royal. Voyant l’américain proche de nous je lui propose de goûter l’Angélus après en avoir demandé la permission à mon ami, et l’américain inconnu demande s’il peut nous ouvrir un vin. Il revient avec un Charmes-Chambertin Louis Chevallier 1949. Le nez est fantastique et me bouleverse. Le goût est fumé, de jambon fumé, mais aussi avec un abondant fruit de prune. Je tombe amoureux de ce vin d’une incomparable fraîcheur. Il apporte à l’attaque en bouche la même fraîcheur qu’un bonbon mentholé.

En passant de l’un à l’autre, on s’aperçoit qu’ils ne se détruisent pas. Les deux sont merveilleux et totalement disparates. Alors que l’Angélus m’apparaît comme un bloc indestructible je constate que le 1949 a une plus grande longueur que lui. L’Angélus est d’une pure sérénité, un bloc de marbre. Le Charmes-Chambertin d’une folle séduction féminine est une fumerie d’opium, à la sensualité suggérée et esquissée. Voilà un voyage qui démarre dans l’inattendu !

 

 

Dîner avec Jean Nicolas Méo du domaine Méo Camuzet lundi, 18 février 2008

Le voyage commence par un apéritif impromptu pris à l’hôtel de Beaune avant d’aller dîner. L’un de mes amis américains a commandé un Meursault Henri Boillot 2000 qui est aguichant et d’une rare pureté. On ne dirait jamais qu’il s’agit d’un simple Meursault tant il est plaisant et raffiné.

Nous nous présentons au domicile de Nathalie et Jean-Nicolas Méo, copropriétaire du domaine Méo Camuzet. Leurs trois garçons qui reviennent comme eux tout juste des sports d’hiver se présentent en souriant. Le champagne Cuvée William Deutz de Deutz 1995 est très expressif. Des notes de caramel et de nougat sont très plaisantes.

Les vins sont bus à l’aveugle. Le premier vin, un blanc, est un vin « qui n’existe pas », car la parcelle a été cédée par le père de Jean-Nicolas au début des années 80. Il s’agit d’un Pinot blanc de Vosne-Romanée Domaine Méo Camuzet vers 1978 qui n’a jamais été commercialisé. D’un nez très expressif il affiche une personnalité très passionnante. Il est dense avec des évocations de fruits jaunes. Assez fumé, il est d’une belle longueur. J’avais donné une réponse qui n’était pas mauvaise car j’avais suggéré un Nuits-Saint-Georges blanc, qui comme le vin que nous goûtons est en pinot blanc. Sur le jambon et la viande des grisons rapportés de Val d’Isère, le vin est joyeux mais aussi profond.

Le Nuits-Saint-Georges 1er cru les Boudots 1990 est extrêmement jeune, plaisant, bien assis en bouche. Il est très pur et expose un beau fruit. Assez strict, il a l’élégance britannique. J’aime sa fraîcheur. Il est bien mis en valeur par le bœuf aux abricots aux délicates épices et goûts de fruits secs.

Le Richebourg domaine Méo Camuzet 1973 a le nez minéral et salin que j’adore dans les vins bourguignons. Jean-Nicolas le trouve même entrailles de gibier. En cherchant l’année nous pensons à beaucoup plus vieux que cette année, car le vin affiche une maturité plus grande que son millésime ne donne habituellement. Le vin s’étoffe avec le temps dans le verre. Les dernières gorgées sont d’un grand plaisir et d’une belle émotion. Et surtout, c’est la pureté bourguignonne qui nous réjouit.

Mon ami collectionneur américain a sorti de sa musette un Château Coutet 1949 que nous n’aurions jamais imaginé aussi âgé. Délicieux, d’un équilibre rare, d’un classicisme total, il est l’enfant qui obtient le prix d’honneur car il ne chahute jamais. Sucre et caramel, poivre, tabac, il décline ces saveurs avec calme. Contrairement à mon impression première, la poire au vin et sorbet cassis ne bride pas le vin.

Mes amis ont particulièrement apprécié cette atmosphère familiale de grande simplicité.

Snack à l’hôtel Meurice samedi, 16 février 2008

Le voyage en Bourgogne est proche. Mon ami collectionneur est arrivé à Paris et loge à l’hôtel Meurice. Je vais le saluer avant que nous ne partions et nous prenons un repas léger à l’eau ! J’avais lu le matin même le papier de François Simon disant que Yannick Alléno tient la meilleure table de Paris mais à des prix inapprochables. Lorsque j’arrive en ce lieu, la table du restaurant gastronomique est fermée pour le week-end. Et la petite salle à manger me laisse perplexe. On veut sans doute faire restauration rapide, tendance snack. Mais on sent que l’imagination a été volontairement bridée pour faire simple, sauf pour les intitulés quasiment incompréhensibles même avec explication. Entre le paradis gastronomique fermé et ce minimalisme, il devrait y avoir l’offre d’une vraie cuisine simple. Elle manque. Si c’est pour "protéger" le 3 étoiles, c’est un mauvais choix.

 

Carpaccio de coquille Saint-Jacques et filets de sole (les moules ne sont pas annoncées, malgré les intitulés assez longs de la carte).

dîner chez des amis avec des vins variés vendredi, 15 février 2008

Dîner chez des amis avec un champagne Roederer très agréable et frais suivi d’un champagne Perrier Jouët  Belle Epoque 1989 d’un goût montrant déjà des signes de maturité. Très plaisant, il est sur le point de bascule entre la jeunesse jaune et blanche et la maturité plus ambrée. Un Jurançon Cauhapé Quintessence du Petit Manseng 2001 est fort élégamment fruité dans le doucereux discret. Il convient bien à la crème brulée au foie gras qu’il accompagne. Le Château Pape Clément 1996 est bon, mais manque un peu de coffre et de longueur. Fort tristement, le Château Léoville Las Cazes 1989 sans en avoir le nez a les effets d’un triste bouchon. Quel dommage, car la joue et la queue de bœuf sont impérialement bonnes. Un Moulin des Dames, Anthologia 96, Bergerac sec Famille de Conti 1996 a de belles complexités, mais je ne mords pas. J’ai apporté un vin que je n’avais jamais bu, Vendanges de Novembre, appellation Arbois contrôlée, savagnin Jacques Tissot 2005. C’est absolument passionnant et par une chance extrême le dessert complexe lui fait écho.  Nous finissons par un Ramos Pinto Porto 30 ans, qui titre 19,5° délicieux comme un bonbon. A l’aveugle, je ne suis pas sûr qu’on ne confondrait pas avec un Rhum, tant l’alcool est pénétrant. Délicieux dîner d’une chaude amitié, fondée il y a près de trente ans sur la pratique du même sport où brille en ce moment la France, le squash.

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Joue et queue de boeuf aux carottes. Délicieux !

Hélas pour le Léoville !

Intéressante Vendange de Novembre.

Dessert très raffiné.

Le Ramos Pinto est capiteux et incroyablement sexy !

 

dîner chez Gérard Besson, les photos jeudi, 14 février 2008

Les vins dans l’ordre de service et la cire du Chateau Chalon, gravée de "29".

 

Les coquilles Saint-Jacques et le dos de barbue

 

L’agneau et la puce

 

Haut de cuisse de volaille de Bresse, comme un coq au vin, dessert au litchi

 

magique dessert aux agrumes

La forêt de verres en fin de soirée.

 

vins du dîner wine-dinners du 14 février 2008 jeudi, 14 février 2008

Champagne Dom Pérignon 1985

Champagne Veuve Clicquot Ponsardin Carte Or 1976

Château Carbonnieux blanc 1987

Château Margaux 1957

Château Langoa Barton 1950

Château Lynch Bages 1924

Vosne-Romanée Charles Noëllat 1969

Clos des Lambrays 1943

Vega Sicilia Unico 1960

Blanc Vieux d’Arlay 1929

Riesling Vendanges Tardives Hugel 1981

Château Lafaurie-Peyraguey 1912

96ème dîner de wine-dinners au restaurant de Gérard Besson jeudi, 14 février 2008

Le 96ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant de Gérard Besson, grand amateur de vins anciens et spécialiste des gibiers. J’avais choisi la date en regardant un calendrier électronique. Les chiffres ne m’interpelant pas outre mesure je constatai assez tard que c’est la Saint Valentin. Deux couples d’amis s’inscrivent et une jeune cousine ayant reçu un dîner en cadeau de mariage, voici un troisième couple. Ajoutons à cela les couples de deux de mes enfants. La présence de mon épouse s’impose, qui assistera pour la première fois à l’un de mes dîners. Comme les soldats napoléoniens elle pourra dire à son Empereur : « j’y étais ».

L’ouverture des bouteilles avec Arnaud se passe en un temps record. Le Lafaurie-Peyraguey 1912, année de naissance de ma mère, a été rebouché et étiqueté de neuf par la maison Cordier qui est propriétaire. Le nez ne fait aucun doute, c’est du 1912 et seulement du 1912. Les blancs sentent bon et sans histoire. Les deux plus jeunes bordeaux – tout est relatif, puisqu’ils dépassent tous cinquante ans – sont un peu fermés mais s’ouvriront. Le nez du Lynch Bages 1924 est tonitruant. Il faudra un miracle pour que le Vosne-Romanée revienne à la vie, car dès que j’ai cassé la cire, une odeur de pieds sales a envahi la pièce, avec une insistance qu’on ne trouve que dans des chambrées, et dès que le bouchon est sorti, c’est un méchant vinaigre qui apostrophe mon nez. Nous verrons. Le Clos des Lambrays 1943 sent acide, mais devrait se réveiller. Le Vega Sicilia 1960 est sûr de lui et le Blanc d’Arlay 1929 est incertain mais normalement prometteur. Le sommelier de bonne mémoire me rappelle que je sens le haut des bouteilles quand la capsule est enlevée mais le bouchon toujours en place. Le Langoa Barton 1950 et le Clos des Lambrays sentent tous les deux la terre, en ayant exsudé une poudre noire terreuse.

Le restaurant se remplit de couples d’amoureux. Mes convives arrivent et je donne aux nouveaux les consignes pour bien profiter de cette expérience gastronomique.

Le menu préparé par Gérard Besson avec le directeur de salle d’expertise sommelière est  rédigé ainsi : Friandine de volaille et œufs brouillés à la truffe / Noix de Saint Jacques sur un lit d’algues à la crème d’huîtres / Dos de barbue de la Baie d’Erquy, sauce au vin / Médaillon de veau " tradition France " cannelloni duxelles / Filet d’agneau de Mauléon, sauce italienne / Une puce / Haut de cuisse de volaille de Bresse, comme un coq au vin / Un vieux Comté 2003 " Forts Saint Antoine" / Un litchi / Agrumes. J’aime beaucoup le néologisme « friandine » et la sobriété de certains intitulés qui nous a fait sourire, comme celui du litchi, imposante construction multiforme à base de pétales de roses de nougatine et de litchi résumée de ce seul mot.

Nous portons un toast à nos amours sur le Champagne Veuve Clicquot Ponsardin Carte Or 1976 dont la bouteille est d’une rare beauté dans des tons de tissus anciens. La couleur du vin est d’un bel or gris, la bulle est évanescente, et pour plusieurs nouveaux les saveurs insolites sont un enchantement. Les tons toastés, pâte de fruit, sont chaleureux. Je suis un peu gêné par une amertume minérale qui disparaîtra progressivement pour laisser la place à la joie de vivre de ce beau champagne ancien aux goûts surannés.

Sur les œufs brouillés à la truffe dosés à la perfection, grand classique de Gérard Besson, le Champagne Dom Pérignon 1985 offre un contraste saisissant avec le précédent champagne. Alors que seulement neuf ans les séparent, c’est plus d’une génération de goûts qui creuse un fossé. Les plus novices sont évidemment rassurés par l’abondance des bulles et le délicat aspect floral de ce grand champagne. La symbiose ne se fait pas avec les œufs, mets et vin refusant chacun de publier les bans.

Nous allons vivre maintenant l’une des sensations que j’adore. L’huître goûteuse donne un coup de fouet d’un dynamisme rare au Château Carbonnieux blanc 1987. Quand on prend le vin en bouche, il s’installe comme il a appris à le faire avec son vocabulaire citronné, et  clac, le souvenir de l’huître le fouette, le propulse pour lui donner une longueur infinie. L’effet multiplicateur de l’huître sur le vin est spectaculaire. Gérard Besson qui est venu en fin de repas nous donner quelques explications sur les choix qu’il a faits en cours de route nous indiquera qu’il aurait été tenté d’abandonner les coquilles Saint-Jacques, car l’accord se fait sans elles. Tel qu’il est, le plat est plébiscité par toute la table.

Qui aurait dit que le Château Margaux 1957 au nez fermé à l’ouverture aurait gagné tant de joie de vivre ? Le vin est enjoué, charmeur, romantique, féminin, mais surtout, c’est son émancipation qui nous frappe. Alors qu’il est d’une année discrète, il chante avec entrain. Je suis surpris de son aisance raffinée. La résonance avec la barbue montre ce qu’est un véritable accord, quand le plat et le vin se transcendent mutuellement. C’est un vrai partenariat, très différent du précédent, car plus serein que le coup de fouet.

Ce que le Margaux offre en charme féminin, le Château Langoa Barton 1950 le décline en fruité, assise, confort. Ce vin a plus d’ampleur et de rondeur et je me plais à penser que la décennie des 1950 et suivants est de belle maturité en ce moment. Et les deux vins fermés à l’ouverture se sont ouverts avec grâce. Deux beaux exemples de quinquagénaires. 

Le Château Lynch Bages 1924 est une grande surprise. Qu’un vin de 83 ans ait cette jeunesse, cet aplomb et cet équilibre est évidemment une surprise. Il est d’une grande pureté et ce qui me plait, c’est la précision de sa définition. Il ne montre aucun signe de fatigue, se place parfaitement en bouche, offre un fruité de bon aloi. C’est un vin de grand plaisir embelli par la chair de l’agneau mais surtout par la sauce d’un apprêt d’une exactitude absolue. Il y a une raison à cela. Gérard Besson a goûté chaque vin avant de finaliser ses sauces et la démonstration est éclatante de la pertinence des sauces sur tous les vins.

Je n’en crois pas mon palais lorsque je goûte le Vosne-Romanée Charles Noëllat 1969. J’avais expliqué que ce vin sentant un méchant vinaigre à l’ouverture, nous constaterions sans doute son décès. Malgré une couleur d’un rose plus qu’isabelle, ce vin existe, sent bon et ne montre pas de défaut. L’incrédulité de mon entourage me pousse à appeler Arnaud à la rescousse pour qu’il dise ce dont il a été témoin : une odeur repoussante devenue maintenant engageante. Le vin est agréable à boire sans être pour autant un jeune premier et les votes montreront qu’il a été aimé. La subtilité de l’accord avec la chair intense du petit volatile est remarquable. On aimerait le prolonger pour l’étudier encore. C’est d’un raffinement extrême, la petite sauce aidant en servant de passeur entre chair et vin.

Jean-François, sommelier qui a déjà servi les vins de plusieurs de mes dîners ne peut s’empêcher, et il a bien raison, de signaler à toute la table l’intérêt de goûter maintenant ce vin rare, le Clos des Lambrays 1943. Je ressens à ses mots qu’il en est amoureux. A l’ouverture, il avait montré des signes de fatigue mais curables par opposition au Vosne-Romanée. Lui aussi se présente maintenant sans défaut. Ce qui me frappe instantanément, c’est la rose. C’est saisissant. Et ce vin a tout ce que la Bourgogne la plus belle est capable d’offrir. La salinité, les feuilles d’automne et cette rose insistante m’enchantent.

Les trompettes vont maintenant sonner avec une force à lézarder les murailles, car le Vega Sicilia Unico 1960 est au sommet de son art. Et la plénitude, l’aisance, la mâche imposante, sont naturelles. Ce vin est grand, facile à comprendre, joyeux, un plaisir comme un bonbon rare. La volaille est goûteuse et c’est encore une fois la sauce qui fait de Gérard Besson un maître saucier de première grandeur.

La bouteille du Blanc Vieux d’Arlay Bourdy Père & Fils 1929 est en elle-même une œuvre d’art, d’un art agreste et populaire. J’avais annoncé urbi et orbi qu’un comté de plus de trente mois ne ferait pas l’affaire ce que le superbe comté de 2003 de madame Quatrehomme allait battre en brèche avec brio. Insolence suprême, mon gendre allait en redemander pour prolonger le plaisir et montrer ainsi que j’avais parlé à tort. Le comté est succulent, mais la vedette est au vin. Il nous emporte sur une planète gustative inconnue où la noix abonde bien sûr mais au sein d’une myriade de subtilités. Il serait impossible de donner un âge à ce presque octogénaire. C’est d’une subtilité rare et d’un gras inhabituel pour les vins blancs du Jura. C’est un nirvana œnologique. Mais surtout un dépaysement absolu tant il est impossible de trouver une saveur qui puisse s’en rapprocher.

Le Riesling Vendanges Tardives Hugel 1981 va nous décevoir. Bien sûr l’accord avec les pétales de roses confits et le litchi est naturel. Mais le vin a décidé de garder son frein à main serré, refusant de sortir de sa réserve. Assez fade il ne délivre que l’ombre de l’excellence que je lui connais.

On comprend l’amour que je voue aux vins anciens lorsque l’on porte à ses lèvres le Château Lafaurie-Peyraguey 1912. C’est saisissant de perfection. Mais ce qui est le plus impressionnant, c’est que toutes les pièces gustatives sont assemblées, sans qu’aucune ne puisse être extraite de l’ensemble. Ce vin est, au sens mathématique, un ensemble parfait. J’ai déjà employé l’image du Rubik’s Cube quand il est ordonné. C’est ainsi que s’impose ce vin intemporel et d’un équilibre total. Les notes de thé, d’agrumes sont révélées par le dessert fort exact, même si les écorces confites d’orange amère sont un peu sucrées pour le vin. Sa couleur est d’un thé noir, il a perdu de son sucre, n’a pas du tout les tons de caramel que sa couleur suggérerait. C’est un sauternes encore une fois parfait.

Les votes sont toujours l’occasion de belles surprises. Nous sommes onze à voter puisque ma femme ne boit que les liquoreux. Les deux seuls vins sur douze qui n’ont eu aucun vote sont les deux plus jeunes : le Dom Pérignon 1985 et le Riesling Hugel 1981. C’est sans doute parce qu’ils sont moins porteurs de dépaysement. Six vins sur les dix qui ont eu des votes ont été couronnés par un vote de premier : le Lafaurie-Peyraguey 1912 cinq fois, le Blanc d’Arlay deux fois, et les Vega Sicilia Unico 1960, Langoa Barton 1950, Margaux 1957 et Veuve Clicquot 1976 chacun une fois premier. 

Le vote du consensus serait : 1 – Château Lafaurie-Peyraguey 1912, 2 – Blanc Vieux d’Arlay Bourdy 1929, 3 – Château Margaux 1957, 4 – Vega Sicilia Unico 1960.

Mon vote : 1 – Château Lafaurie-Peyraguey 1912, 2 – Blanc Vieux d’Arlay Bourdy 1929, 3 – Vega Sicilia Unico 1960, 4 – Château Lynch Bages 1924. Si l’on devait donner une prime au vin le plus inhabituel et dépaysant ce serait sans conteste le vin du Jura.

J’ai un très grand attachement à ce restaurant familial où la motivation se sent chez tous. Jean-François, Arnaud, le directeur de salle ont montré un engagement qui fait plaisir à voir. Et Gérard Besson, en s’investissant sur chaque plat avec un raffinement remarquable a réalisé ce qui constitue mon idéal : adapter chaque recette à la personnalité de chaque vin. Sur une cuisine traditionnelle rassurante, ce sont les sauces qui ont été spectaculaires. J’aurais volontiers léché plusieurs assiettes et je fus souvent à deux doigts de culbuter les codes du savoir-vivre. L’ambiance fut joyeuse. Les couples n’étaient pas séparés autour de la table, pour faire communier l’amour et la bonne chère, sur des vins d’un immense bonheur.

déjeuner de famille, les photos dimanche, 10 février 2008

Gewurztraminer Vendanges Tardives Cuvée Prestige Charles Schleret 1994

Eitelsbacher Karthäuserhofberg Kronenberg Kabinett, Qualitätswein mit Prädikat, Mosel Riesling 1985

Zar Simeone, Cabernet Sauvignon Bulgarie 1995, vin de la vallée du Danube de vignes de plus de trente ans, cueilli à la main et mûri en fût de chêne pendant 36 mois.

Côte Rôtie La Turque, Guigal 1997

des vins assez étonnants à mon domicile dimanche, 10 février 2008

Nous n’avions pas pu réunir toute notre famille pour échanger les cadeaux de Noël. Cela se fit au début février. Sur de fines tranches de saumon sauvage et sur du saucisson truffé, le Champagne Laurent Perrier Grand Siècle vers années 1960 est un vrai bonheur. Quand j’ai voulu ouvrir la bouteille, j’ai senti que tout le bouchon ne suivait pas. Il se sectionna à cinq millimètres du bas, et je dus utiliser un tirebouchon pour extirper le reste. Aucun pschitt ne se produisit. Le champagne délicatement ambré est sans bulle. Mais le vin est délicieux. Ces champagnes ont pris un charme hors d’âge du plus bel effet. L’accord est plus naturel avec les fines tranches de saucisson.

Une anguille fumée étant prévue en entrée, j’ai pensé que le goût légèrement sucré de l’anguille se marierait avec un Gewurztraminer Vendanges Tardives Cuvée Prestige Charles Schleret 1994. Mais le vin d’Alsace est trop puissant et le mariage ne se fait pas, même si ce n’est pas absurde. J’ouvre alors un Rieslieng allemand, un Eitelsbacher Karthäuserhofberg Kronenberg Kabinett, Qualitätswein mit Prädikat, Mosel Riesling 1985. Et là, nous sommes tous estomaqués. Il y a dans ce vin une acidité citronnée et une fraîcheur mentholée absolument remarquables. C’est beau, déroutant pour nos palais qui explorent peu ces vrais trésors naturels de goût. Nous n’avons de repère qualitatif, mais c’est franchement bon. D’où vient cette bouteille, comme la précédente, je ne sais de quel achat. La longueur en bouche est impressionnante et l’accord se fait divinement bien, l’acidité rebondissant sur le gras.

Sur un pigeon fourré au foie gras, purée de petits pois et purée de céleri, nous commençons par un  Zar Simeone, Cabernet Sauvignon Bulgarie 1995, vin de la vallée du Danube de vignes de plus de trente ans, cueilli à la main et mûri en fût de chêne pendant 36 mois. Là aussi, je serais bien en peine de dire par quel miracle ce vin se retrouvait dans ma cave. Le vin est agréable, d’une construction claire et carrée. Ce qui impressionne, c’est qu’il ne cherche pas du tout à en faire trop. Il titre 12,5° et parle d’une voix juste. On en ferait volontiers un vin de tous les jours. Il sert de faire-valoir à la Côte Rôtie La Turque, Guigal 1997 qui est absolument spectaculaire. Si le vin bulgare fait un ricochet sur notre palais, la Turque en fait vingt. Ce vin est insolent de perfection. C’est le garçon qui énerve dans les cours de récréation. Il travaille à peine, il est beau comme adonis, et c’est lui que des filles viennent bécoter à la sortie des classes. C’est ça la Turque et je suis de plus en plus convaincu que j’aime ces grandes Côtes Rôties dans des années dites moyennes, car la subtilité est plus lisible que dans des années tonitruantes. Un vin immense au message clair en bouche mais qui rebondit pour atteindre des complexités et des finesses quasi infinies.

La mousse au chocolat légendaire de mon épouse se mangea sans moi, car dans une semaine je vais faire un intense et dense voyage en Bourgogne dont je tiens à revenir vivant. Je me prépare ! Les sourires, les pleurs, les enthousiasmes de jeunes enfants ont, avec le temps clément et ces vins originaux, ensoleillé la joie familiale.