entrée dans l’univers gastronomique de Pierre Gagnaire vendredi, 21 septembre 2007

La mémoire encore souriante des saveurs savoyennes, je me précipite au restaurant de Pierre Gagnaire où je retrouve pour déjeuner Hervé This, le pape de la gastronomie moléculaire. Hervé est un ami de Pierre et son complice dans certaines de ses créations. Qui, mieux que lui, pourrait me faire entrer plus profondément dans le monde créatif de Pierre Gagnaire qui a accepté de réaliser prochainement un dîner de wine-dinners ? J’ai eu la chance en effet que Pierre Gagnaire accueille favorablement l’idée, alors que son monde créatif n’est pas naturellement tourné vers les vins anciens.

Hervé et Pierre ont travaillé ensemble ce matin et lorsque j’arrive, Hervé me dit : « connais-tu l’œuf à 62° ? ». Il me décrit les écarts gustatifs entre l’œuf à 62° et l’œuf à 65°. Il avise un maître d’hôtel et lui dit : « pouvez-vous m’apporter un œuf à 65° ? ». Et Hervé prépare l’œuf et me fait constater les textures particulières du blanc comme du jaune, très différentes de ce que l’humain moyen côtoie. Nous rejoignons notre table pour commander le menu d’automne, dont l’intitulé est à peu près aussi long qu’un discours de Fidel Castro. Jugez plutôt : gelée de bœuf au pain brûlé, boudeuses nature aux oignons, pâte de betterave rouge légèrement fumée, beaufort frais fondu au chorizo / marinière de crevettes impériales au pamplemousse, dominos de poire, noisettes fraîches, aspic de tourteau parfumé de verveine / gras de seiche déclinés, raviole de tomate, poivron vert et rouge, ventrèche de thon et supions grillés à la diable / girolles, cornes d’abondance et datte fraîches au lait de coco, glace de rainette à la tagette / tranche de bar pochée au beurre fondu, feuille d’algue kombu et cresson, bouillon de poireau aux graines d’amarante / poissons de roche : rouget au citron raidi au chardonnay, peau croustillante, lichette de saint-pierre au paprika, soupe d’étrille liée d’avoine, piments noras au fenouil, bouillabaisse glacée, chair d’aubergine violette de Florence / pour mettre en scène le cèpe … volaille gauloise blanche et homard bleu cuisinés – ail doux et gingembre – / fromages cuisinés : chèvre du Gers, crème d’amande, bleu d’auvergne, cœur d’artichaut maco, sirop de porto, infusion gélifiée de cumin grillé, munster fermier, citeaux monastique, navet au vinaigre de riz / les desserts Pierre Gagnaire.

La chute de cet texte, « les desserts Pierre Gagnaire » est d’un minimalisme étonnant par rapport à l’infinie variété de ce que nous goûterons. Lorsque j’ai relu ce menu, je me suis rendu compte que tous ces intitulés se justifient, car chaque composante est une pierre d’un édifice cohérent. Hervé a commenté avec Pierre chacun de ces plats pendant la séance de travail qu’ils ont eue ce matin, aussi ai-je le cornac le plus compétent qui se puisse inventer. Ne connaissant pas le sommelier, je préfère suivre ses conseils pour pouvoir mieux comprendre son approche. Dans une proposition vaste et judicieuse, je choisis un vin que je n’ai pas l’habitude de boire, un vin blanc de pays des côtes catalanes domaine Gauby 2004. Le vin a un nez énergique qui montre une petite note de caramel. En bouche on sent un léger côté laiteux, mais aussi minéral, ardoise mouillée, salin.

Malgré l’ampleur du menu, nous recevons des petits amuse-bouche déjà complexes, comme une tuile au parmesan avec une petite saucisse, une tuile de roquette absolument délicieuse, et un wurz à l’ancienne, qui est une mousse de blanc d’œuf montée à la gentiane. A cela s’ajoutent des dés de comté et des grains de maïs. On entre de plain-pied dans un monde fou, fou, fou où les papilles se régalent. Nous avons aussi (nous n’avons toujours pas commencé le repas) une petite choucroute avec une purée de pomme de terre ludique à souhait, qui accompagne délicieusement le vin. Ça démarre bien. Hervé, croyant que je suis capable de comprendre, m’informe d’un élément essentiel : la crème mousseuse est faite au siphon.

Le premier plat est spectaculaire. La gelée de bœuf, la betterave et l’huître forment un goût hors du commun. Le vin se marie très bien à l’huître. Je commence à me sentir confiant, car la cohérence du plat en fait un compagnon certain d’un grand vin. Je pense à un champagne déjà mûr.

Les crevettes et pamplemousses ont des saveurs uniques, formant un kaléidoscope. Ça se croque bien. Ce plat irait très bien avec un vin et je pense à un Meursault. Hervé et moi faisons un contresens, car les gras de seiches déclinés selon plusieurs préparations ne sont que des appendices. Le principal du plat, c’est le thon qui est grillé et laqué. Nous étions troublés par la profusion gustative qui fait partir dans de trop nombreuses directions, mais en fait, comme nous l’explique Pierre, il faut considérer les dés de seiche comme des pauses ludique par rapport au plat. Je verrais bien un vin d’Arbois pour ce plat qu’il faut expliquer aux convives pour éviter que l’on ne s’égare.

Ayant une aversion au lait de coco que je considère comme un ennemi déclaré des vins, je ne vois aucun accord possible avec le plat de girolles. Le bar est délicieux, très doux. La graine d’amarante l’alourdit un peu et le cresson est un peu fort pour un vin ancien. En fait, il ne faut pas prendre le cresson seul mais l’incorporer dans une bouchée. Cette remarque vaut pour beaucoup d’autres plats, car il ne faut pas céder à la tentation de séparer les ingrédients mais au contraire les marier en bouche. Sur le bar, je verrais bien un bordeaux ancien.

Nous bavardons beaucoup et Hervé me dit qu’il considère Pierre comme étant dans une phase « velours », la cuisine de ce chef à l’imagination infinie se coulant dans le moule de sa propre vie, constatation que l’on a pu faire aussi pour Marc Veyrat. Je constate à ce stade que le vin blanc de Gauby se comporte bien avec les plats.

Le plat de poissons de roche est d’une subtilité extrême. Tout est composé, rien n’est dû au hasard, et je suis bien embarrassé pour définir le vin qui accompagnerait ce plat. Le fenouil me pousserait vers un vin rouge, mais les piments accepteraient un grand vin d’Alsace, même en vendanges tardives si le vin a de l’âge. Les recherches terre et mer mettent ensemble un homard et une volaille, liés entre eux par un jus qui reprend les deux. Un bourgogne ancien conviendrait à ce plat. Il faudrait faire attention au gingembre, car l’expérience montre qu’il raccourcit notre blanc. Les fromages cuisinés me semblent difficiles dans le contexte de mes repas, mais l’exercice est brillant, la gelée au cumin est superbe.

Les desserts ne peuvent pas se raconter tant il y en a. Un vieux banyuls irait très bien, à doser cependant pour éviter qu’il n’en écrase certains. Dans un dessert il y a une meringue à l’alcool de sorbier qui se prendrait sans vin mais qui est un délice.

La cuisine de Pierre Gagnaire est éblouissante, inventive et créatrice sans aucun désir de prouver. C’est l’expression d’un talent libre. Le foisonnement est sain. Avec les explications d’Hervé, ami de Pierre, c’est un privilège d’être ainsi entré dans son monde. J’ai pu constater qu’en grande partie, les plats s’adapteront aux vins anciens. Nous en ferons prochainement l’expérience. Il y aura des mises au point, car la carte de ce jour n’existera plus le jour du dîner. C’est un  beau projet qui se dessine.

un cocktail prestigieux; il a tant de succès que je m’en échappe pour aller dîner chez Guy Savoy jeudi, 20 septembre 2007

Une société financière invite des clients et prospects. Le président est un gourmet et n’envisage que le meilleur : buffet créé par Guy Savoy, vins présentés par 1855 en présence de quelques vignerons dont Alexandre de Lur Saluces. On ne résiste pas à de tels arguments. Mais je ne serai pas le seul, car une foule immense se presse sur le lieu de ce cocktail. Il est quasiment impossible de s’approcher des buffets regorgeant de subtiles nourritures car une foule même distinguée reste toujours une foule. Je demande alors à Guy Savoy qui veut retourner dans ses bases : « puis-je venir dîner ? ». La réservation est vite prise. Avant de quitter cette manifestation de prestige, je bois un délicieux champagne rosé Billecart-Salmon, puis Château Mouton-Rothschild 2001 qui semble s’épanouir, un Hermitage La Chapelle Jaboulet 1998 qui est très plaisant dans les conditions dans lesquelles je le bois. Je vais maintenant aller goûter le talent de Guy Savoy dans le calme feutré de sa belle salle à manger.

Guy me suggère le menu qui sera composé ainsi sans l’intervention de son truculent et pince sans rire adjoint. Je ne peux pas ne pas prendre les petits pois. Ce sera ensuite un quasi de veau et enfin un foie gras avec des cèpes.

Nous discutons avec Eric Mancio du vin qui conviendrait à ce curieux assemblage de saveurs et je jette mon dévolu sur un Hermitage Chave blanc 1997.

Une première bouteille est bouchonnée ce qui nous attriste. La seconde est parfaite. Le petit amuse-bouche se compose d’une crème aux champignons et d’une petite pomme de terre au goût profond. L’Hermitage chante avec le champignon. Comme il est très poivré je demande un des délicieux toasts au foie gras sur pique et l’accord est vibrant. Il y a dans le vin un goût de miel.

Malgré ma légitime appréhension, le vin arrive à mettre en valeur le petit pois, ce qui avouons-le, n’est pas évident. Il exhausse sa crudité alors qu’il se fait réservé sur l’œuf. L’Hermitage a des évocations de lait, de crème, de brioche et un fort poivre. J’avais hésité sur la carte entre le Chave et le Châteauneuf-du-Pape Vieux Télégraphe blanc 1992. Eric m’en apporte un verre. Immédiatement le Vieux Télégraphe apparaît plus ouvert, plus complexe, plus varié. Mais en y revenant on s’aperçoit que le Chave a plus de longueur et de race. Alors ? Comme souvent, il faut aimer les deux.

Je découpe la chair du quasi de veau sous les yeux de Guy qui me demande : « est-il trop ferme ? ». Je dis oui. « Est-il goûteux ? ». Je dis oui. Je fais remarquer à Guy Savoy que le chou farci qui est en garniture pourrait jouer un ton en dessous, car il monopolise le palais. Comme toujours, ce sont des remarques à la marge. Le Chateauneuf est plus rustique, le Chave est plus noble, le Chateauneuf est plus ensoleillé, le Chave est plus tendu. Le bouillon de veau est un bonheur gustatif. Le foie gras qui arrive est accompagné d’une sauce à la betterave, de copeaux de cèpes et de cèpes.

L’accord de l’Hermitage avec les cèpes est tellement éblouissant que j’en redemande une assiette pour partager ma joie avec Guy Savoy. Mais la préparation que j’ai dans l’assiette et faite pour plat ne peut être recommencée, aussi je reçois une assiette de cèpes juste poêlés. Et Guy me fait la gentillesse de venir communier avec moi sur un accord d’anthologie.

Il y a dans la salle de beaux bébés, car les rugbymen ou leurs supporteurs irlandais abondent. Le plat est comme eux, d’une grande virilité, mais l’exécution rend les saveurs prodigieuses, et le Chave produit un vrai miracle. Guy me dit que l’essence de l’accord vient de l’acidité. Je pense personnellement que l’accord vient du miel présent dans la cuisson des cèpes et dans le vin. Nous ne nous querellerons pas sur ce sujet car ce qui compte, c’est la perfection de ce que l’on goûte.

Il me faut me battre contre le souriant maître de salle pour ne pas recevoir les desserts ou mignardises. Mon combat est perdu d’avance. Quelle bonne idée que d’avoir décidé au pied levé de venir dans ce tabernacle de la grande cuisine !

déjeuner impromptu chez Alain Senderens mardi, 18 septembre 2007

Me trouvant dans le quartier de la Madeleine, je vais déjeuner seul au restaurant d’Alain Senderens. Seul, ça veut dire Chateldon. Les accords mets et vins supposent qu’on en partage les commentaires. Je laisserai quand même mon esprit vagabonder sur le vin que j’associerais à telle ou telle saveur. Comme c’est la saison des cèpes, la variation sur le thème du cèpe est un voyage des papilles. Et le spectre des vins possibles est immense. Cela va du Montrachet au Riesling, voire à une puissante Côte Rôtie pour l’ossue crème de cèpe. Le cabillaud est un poisson très goûteux. Sa chair m’enflamme et là aussi que de combinaisons envisageables si l’on varie les garnitures, car la ratatouille typée restreint le champ des possibles. Sagesse d’un côté, péché de l’autre, je finis par un mille-feuille à se damner. Alain Senderens a peuplé ma solitude en bavardant avec moi de gastronomie et de son monde. Sa formule connaît un succès spectaculaire. Ce qui prouve que le gourmet parisien a du talent. Car il a su plébisciter cette qualité incomparable d’un chef exemplaire heureux aujourd’hui de vivre son art avec sérénité.

 

de grands vins avec des amis au restaurant Laurent lundi, 17 septembre 2007

Un des amis présents au dîner chez Ledoyen m’invite avec un autre des convives, à déjeuner au restaurant Laurent dans le beau jardin où les feuilles de marronnier qui tombent en virevoltant sont autant de confettis qui donnent à notre table un air de fête. Patrick Lair est tout sourire, et la brigade attentive. Les vins sont déjà préparés et cela me fait tout drôle d’être spectateur alors que lorsque je rencontre ces amis, c’est plus souvent, sinon toujours, sur un programme que j’ai préparé.

Nous commençons par un « Le Montrachet » de Delagrange Bachelet 1988 (personne ne m’a encore expliqué pourquoi Montrachet s’écrit parfois précédé d’un « Le » péremptoire) à la couleur très jeune, au nez discret de belle race. En bouche le vin est charmeur. Son acidité de citron vert qui aurait épousé une liqueur de dosage est absolument séduisante. Il manque à ce vin un peu de gras et de puissance, mais c’est vraiment charmant et romantique. Sur le foie gras à peine poêlé qui est d’une fraîcheur rare, on est dans des tons d’aquarelle.

Il ne faut pas toucher au canapé sur lequel repose le foie qui  gâcherait cette harmonie en légèreté.

Les canons vont maintenant trompeter car  on nous sert l’Ermitage Chave Cuvée Cathelin 1998, le même que celui que j’avais fait goûter à mon hôte lors d’un réveillon dans ma maison du Sud. Ce vin est la définition du bon vin. Il est ample, riche, fruité, mâchu, goûteux et surtout il est simple. On le comprend tout de suite et on se laisse griser par cette limpidité de message qui amplifie le plaisir. On est loin des complexités de certaines cuvées sophistiquées mais on ne perd pas en finesse. Si j’osais une comparaison, ce serait la voix du regretté Pavarotti. Là où d’autres ténors sont obligés de forcer leur talent pour respecter des livrets exigeants, Pavarotti place chaque note avec une facilité incomparable. Il y a un peu de cela dans le Chave où tout est dosé, mesuré, pour le plus beau résultat.

Inutile de dire que mon pigeon est à son aise, même si son pané nuit un peu à la lisibilité, mais le canard de mes amis est peut-être encore plus adapté.

N’aimant pas être en reste, j’offre à mes amis un Riesling Shwarzhofberger Spätlese  Egon Muhler 2005 qui titre 8,5° et je commande le dessert, petite tartelette fine croustillante aux fraises des bois sur une crème légère à l’amande.

La combinaison est diabolique. Ce vin n’est normalement pas dans mes démarches car il fait un peu penser à un vin de glace perlant, dont le sucre insistant marque le final. Mais avec le dessert, c’est éclatant de sensualité. Ce sont les jeunes filles de David Hamilton jouant avec des voilages.

Le jardin du restaurant Laurent est magnifique, le service est l’un des plus engagés de la capitale. Le charme du lieu opère, la cuisine est solide et le tout est enveloppé par une chaude amitié.

déjeuner au restaurant du Sénat jeudi, 13 septembre 2007

Je suis invité à déjeuner au restaurant du Sénat par un sénateur. Les lambris sont dorés, les jardins sont ensoleillés. Tout en ce qui concerne la restauration ou la carte des vins indique que l’on joue « couleur de muraille ». Et les propos du sénateur sont du même moule. Une grande modestie, une déclaration de « petits moyens » semble destinée à faire oublier que l’on respire ici dans le plus grand luxe de la République. Nos élus doivent-ils s’excuser de faire partie de l’élite de la France quand le peuple les a choisis ? On retrouve dans ces murs splendides la crainte farouche de tout ce qui pourrait ressembler à de la réussite. Le sénateur a une intelligence  politique, connaît les rouages du monde, et le déjeuner est peuplé de traits d’esprit. Je suis chargé de choisir le vin et je prends bien garde d’éviter le vin qui me plairait, car il est politiquement incorrect. Je choisis Château Poujeaux 2001 qui est déjà bien agréable. J’ai un faible pour ce château qui a réussi spectaculairement son 1928. La cave du Sénat, que j’ai le privilège de visiter, malgré l’évidente compétence du titulaire, ressemble plus à une bibliothèque de province qu’à la caverne qui devrait abreuver les princes de nos régions. Effet de l’époque sans doute.

90ème dîner de wine-dinners au restaurant Ledoyen jeudi, 13 septembre 2007

Le 90ème dîner de wine-dinners se tient ce soir au restaurant Ledoyen. Les bouteilles avaient été livrées il y a trois mois et ont été redressées hier. J’arrive à 16 heures pour ouvrir les vins et c’est un plaisir de voir une équipe motivée, soucieuse de la perfection et concernée par l’événement qui se prépare. Patrick Simiand et Géraud Tournier ont travaillé avec le chef Christian Le Squer, et l’envie de tous de faire bien est un plaisir pour moi. Frédéric, sommelier de ce soir est complètement dans son sujet. Tout est réuni pour que notre dîner soit parfait. J’ouvre les vins, et le Châteauneuf-du-Pape blanc a une odeur camphrée qui va disparaître. Lorsque j’ouvre le Nuits 1899, je pousse un ouf de soulagement en le sentant, car c’est du vin, et du vin encore vivant. Rassuré par ces ouvertures faciles, je vais me promener dans un Paris inondé de soleil arpenté par des touristes de toutes nationalités.

Pour attendre mes convives et ne pas entamer le magnum de Krug, Géraud, sommelier de grand tact, nous offre un champagne Laurent Perrier Grand Siècle, que je trouve un peu plus dosé que ceux que j’ai bus cet été. Mais c’est fort agréable.

Les convives arrivent, de plusieurs nations : Etats-Unis, Suisse, Italie et France. Presque tous les participants sont des fidèles, à l’exception d’un invité de mes amis italiens et d’un vigneron ami, grand amateur de vins et hôte généreux, qui veut faire connaissance de nos agapes. L’américain est Bipin Desai, organisateur des verticales de Rauzan-Ségla et Canon, ainsi que du déjeuner au Carré des Feuillants, l’un des plus grands experts en vins anciens que la terre puisse compter.

Nous passons dans la magnifique salle à manger du premier étage et notre table est fort belle. Voici le menu créé par Christian Le Squer : Sardines à cru, eau de tomates à l’huile d’olives / Araignée de mer décortiquée en carapace / Concentré de Cèpes crus et cuits / Jambon Blanc, Cèpes, Parmesan aux Spaghettis / Foie de veau en persillade, jus de fruits rouges acidulé / Pithiviers brioché de Foie Gras et Cèpes et truffes / Vieux Comté / Soufflé Ananas épicé. L’élégance de cette cuisine aérienne ne fut mise en défaut qu’une fois, le foie de veau étant à contre-emploi avec le plus légendaire des vins de cette soirée, d’Henri Jayer.

Sur de délicates mises en bouche, le Magnum de Champagne Krug Vintage 1982 révèle toute sa grandeur. Un peu crémeux, opulent mais subtil, ce champagne brille par sa complexité. Le vigneron et Bipin Desai sont de redoutables amateurs, et nous avons discuté sur les mérites comparés de Salon 1982 et Krug 1982. Nos goûts différent, mais c’est tout à fait normal. L’accord avec la sardine est médusant, mais comme le dit mon ami vigneron, il est encore meilleur quand la sardine crue est enrobée de sa crème. Ce champagne de gastronomie est au sommet de son art.

Tout dans le Chevalier Montrachet Bouchard Père & Fils 1990 respire le bonheur. Il est chaleureux, joyeux, puissant, parlant d’une voix à la Pavarotti. Il est comme le Krug à un possible apogée.

Le Châteauneuf-du-Pape blanc les Cansonniers  L. de Vallouit 1961 a une odeur d’une rare complexité. En bouche, c’est le plus déroutant des vins, parce que l’on n’a aucun repère. Je raffole de ses variations énigmatiques. Les cèpes sont succulents, explosent de talent. Ils accueilleraient aussi un rouge, mais l’exercice auquel ils sont confrontés est une réussite absolue. J’aime ces vins qui font explorer des pistes qui n’existent plus.

Le Château Palmer, Margaux 1959 m’avait séduit par un parfum spectaculairement franc et sympathique. Lorsqu’il est servi, il est généreux. Il est accompagné par le Château Margaux, Margaux 1934, dont le nez à l’ouverture était plus discret. A table maintenant, il est spectaculaire, tout en charme, en séduction en subtilité. L’opposition entre les deux margaux est passionnante, car on peut aimer les deux, le Palmer plus viril, plus soldat, et le Margaux beaucoup plus charmeur et féminin. Lors de l’ouverture je m’étais demandé si le 1934 n’avait pas été rebouché, mais j’hésitais, car il était très possible qu’il s’agisse d’un bouchon d’origine magnifiquement conservé. Le vigneron ami eut la même première réaction puis en vint à la même analyse : il s’agit d’une bouteille au bouchon remarquablement conservé. Le 1934 est exceptionnellement bon et préféré de presque toute la table au Palmer que j’ai personnellement adoré.

Le jambon aux spaghettis, dont un ami moquait l’intitulé par humour (venir à Ledoyen pour manger un jambon nouilles est assez original), est un plat sensationnellement bon. Et sa mise en valeur des vins est d’une rare efficacité.

Lorsque l’on sert un vin de légende, on en attend beaucoup. On me sert le Vosne-Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1989 et l’odeur me fait me pâmer. C’est extraordinaire de voir la précision de cet agencement d’arômes. En bouche, c’est un immense bourgogne. Mais, oserais-je le dire, on attendrait John Wayne, et c’est Mickey Rooney. Il est subtil, élégant, complexe, parfait. Mais il manque cette pincée de puissance qui chanterait en bouche. Grand vin, bien évidemment, mais jouant un petit ton au dessous. Le foie de veau ne l’a pas servi, dégageant une acidité qui entravait le vin.

La bouteille de Nuits 1899 est sans doute la plus belle de ma cave. La bouteille soufflée à la main, très dissymétrique, porte la petite étiquette de l’année : 1899 et la grande étiquette, incomplète, n’a qu’un mot : « Nuits ». Je ne connais pas beaucoup d’étiquettes où il n’y a qu’un mot et cinq lettres. Si j’aime ces bouteilles, c’est parce que l’exploration des vins anciens que je veux partager porte sur des vins de prestige, comme le Margaux 1934 ou le Palmer 1959 mais aussi sur ces inconnus que l’Histoire nous a légués. Tout à ma joie que le nez à l’ouverture ait été celui d’un vrai vin, je ne remarque pas immédiatement, malgré l’évidence, que le vin est bouchonné. Mais fort heureusement, le goût en bouche n’est pas altéré. Et la truffe joue un rôle de soutien comme les soigneurs dans le coin d’un boxeur entre les rounds. Et le vin, si l’on admet qu’il a 108 ans est un vrai vin, vrai témoignage, avec son charme, sa consistance encore solide. J’adore ces vins, car j’en admets les petites insuffisantes. 

Le parfum du Château Chalon Jean Bourdy 1934 est à se damner. A mourir comme on dit aujourd’hui. C’est la plus belle année du 20ème siècle pour les vins jaunes, et il est évident que l’âge donne à ces vins oxydatifs une rondeur particulière. L’accord avec les deux comtés séparés d’un an d’âge se fait toujours aussi naturellement. L’ami vigneron qui fait un rouge mais aussi un blanc fort prisé a plus de mal à entrer dans la logique d’un goût qu’il n’a aucune envie de produire dans sa région.

Le Château Sigalas Rabaud Sauternes 1918 est en fait un 1928, ce qui n’en est que mieux. Car l’expert qui avait fait le catalogue de la vente où j’ai acheté ce vin a cru lire sur le bouchon de cette bouteille sans étiquette 1918, mais une pliure de la peau du bouchon, qui s’enfle lors du débouchage, révèle un « 2 » là où  l’on lisait un « 1 ». La correction est dans le bon sens, et l’on est époustouflé par la perfection de ce sauternes à la complexité exemplaire. Il y a, à mon sens, plus de saveurs explorées et récitées dans ce vin que dans un Yquem. Je suis en extase lorsque des vins liquoreux sereins exposent autant de variété et de chatoiement. Le dessert est délicieux, accompagne bien, mais le sauternes opulent est largement capable de se diriger tout seul.

J’avais demandé aux  amis américains qui dînaient à une autre table de venir nous rejoindre en fin de repas pour finir le magnum de Krug. Par délicatesse, de craindre de modifier l’ambiance de la table, ils ont préféré nous saluer de loin.

Nous avons voté pour neuf vins et le Nuits 1899 est le seul qui n’a eu aucun vote, ce qui est triste. Il aurait mérité un lot de consolation, car il a, à mon sens, joué son rôle de bien belle façon. Mais c’est la loi des votes. Quatre vins ont été nommés premier : le Sigalas Rabaud 1928 et le Château Margaux 1934 trois fois, le Krug 1982 et le Chevalier Montrachet 1990 deux fois. Le vote du consensus serait en 1 Château Margaux 1934, en 2 Sigalas rabaud 1928, en 3 ex aequo Krug 1982 et Chevalier Montrachet 1990.

Mon vote : 1 – Sigalas Rabaud 1928, 2 – Château margaux 1934, 3 – Chevalier Montrachet Bouchard 1990, 4 – Château Chalon Bourdy 1934.

Je suis bien sûr extrêmement sensible au talent de Christian Le Squer, et je retiens le jambon, la sardine et les cèpes. Mais c’est surtout l’ambiance et la motivation de l’équipe qui créent une atmosphère amicale. C’est un réel plaisir de boire de grands vins quand on dispose de tant d’atouts. 

Les vins du dîner du 13 septembre 2007 jeudi, 13 septembre 2007

Voici les vins.

(pour voir plus grand, cliquer sur la photo)

Magnum de Champagne Krug Vintage 1982

(ce magnum est particulièrement élancé)

Chevalier Montrachet Bouchard Père & Fils 1990

Châteauneuf-du-Pape blanc les Cansonniers L. de Vallouit 1961

Château Palmer, Margaux 1959

(je devrais dire que c’est 1859, ça ferait plus chic !)

Château Margaux, Margaux 1934

Vosne-Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1989

la bouteille de 1989, pleine, trône auprès de ses petites soeurs, souvenirs…

Nuits 1899

sans doute la plus belle étiquette des vins de ma cave

Château Chalon Jean Bourdy 1934

Château Sigalas Rabaud Sauternes 1918

 

 

(bouteille sans étiquette)

Le joker, pour le cas où..

 

 Vosne Romanée Mugneret Gibourg 1972.

un menu d’affaires excellent à Hiramatsu mercredi, 12 septembre 2007

Un ami gastronome me dit : il faut absolument aller à Hiramatsu, leur repas d’affaires à un prix défiant toute concurrence est de grande qualité. Ayant envie de revoir cet ami et de retourner à Hiramatsu, j’accepte avec enthousiasme. La salle de restaurant est spacieuse, de couleurs gaies. On est loin de la confidentialité exiguë mais sympathique de l’Ile Saint-Louis. Attendant mon ami, je scrute la carte des vins abondante et intelligente et j’y repère une envie. Mon ami arrive avec dans sa musette un Apremont 1989. Nous le goûtons sans grande conviction. Nous n’irons pas plus loin.

Le repas d’affaires offre du choix et nous prendrons chacun une branche différente des alternatives. Un sorbet sert d’amuse-bouche, mais ce n’est pas avec du froid qu’on émoustille les papilles. La suite est infiniment plus belle. Le thon rouge en trois préparations est d’une grande finesse. Le turbot est goûteux et joyeux et le dessert, sabayon de whisky, montre une vraie science des desserts. Le service est impeccable souriant et attentionné, l’ambiance générale est très deux étoiles. On peut dire sans hésiter que c’est un sans faute  à un prix imbattable. Oui mais le vin dans tout ça ? Eh bien, j’ai jeté mon dévolu sur un Chambertin Armand Rousseau 1999. Ce domaine fait de sublimes chambertins. Le premier nez est d’une pureté extrême, et nous décidons avec le sommelier de laisser le vin s’épanouir tout seul dans le verre. C’est un vin dans sa pleine jeunesse, rassurant car on le comprend très vite. Le fruit est beau, l’amertume est discrète. Il y a un léger manque de coffre, car j’attendais que cela trompette un peu plus, mais l’élégance et la finesse ravissent le palais.

M. Hiramatsu est venu nous saluer. Il possède une quinzaine de restaurants au Japon, il s’occupe de restaurants de Paul Bocuse au Japon, et il vient tous les deux mois superviser son antenne parisienne. Il fait ici une vraie cuisine française qui fut aujourd’hui d’un niveau de deux étoiles. Une belle expérience.