Guy Savoy éblouissant mercredi, 28 février 2007

Il y avait bien longtemps que je n’étais pas allé au restaurant Guy Savoy. Quelle erreur. Y aller le jour de la parution du guide qui fait la piste aux étoiles, cela ne manque pas de sel, car je me souviens de la liesse chez Guy le jour de la troisième. Constater que le restaurant Laurent et celui de Patrick Pignol perdent une étoile me fait mal. Car un ami, écrivain du vin, est venu avec le guide qui ne paraîtra que demain et nous informe de ce que nous ne savions déjà. Et nous constatons les joies et les peines que le soubresaut du Michelin va créer. C’est le prix à payer pour que cette institution, toujours critiquée, mais toujours écoutée, prouve qu’elle est vivante.

Nous sommes quatre, cet ami écrivain, le cuisinier fétiche de dîners privés et de plus ami, et un correspondant de forum qui devient réel, de chair et d’os. Le champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1989 a été ouvert à notre arrivée. J’implore quelque chose à manger, car la première gorgée, sur la bouche du matin, paraît pâle. Le délicieux foie gras qu’un jeune garçon étage sur une pique fait vivre le champagne. Le 1988 bu récemment est plus monumental. Le 1989 est plus subtil et romantique. C’est un grand champagne.

Nous prenons le menu prestige dont voici l’intitulé : mini millefeuille d’hiver / Coquilles Saint-jacques « crues-cuites », pommes de terre et poireaux / saumon à la vapeur, jus « anis-réglisse », brochette de légumes en côtes / veau cuit lentement en bouillon, chou farci, quelques racines en compote / soupe d’artichaut à la truffe noire, brioche feuilletée aux champignons et truffes / pigeon « poché-grillé »,  salsifis et saveurs d’agrumes / fromages affinés / exotique / fondant chocolat au pralin feuilleté et crème chicorée.

 Je préfère annoncer la couleur, je persiste et signe, Guy Savoy est le chef avec lequel je suis en totale harmonie. Cela ne veut pas dire amour aveugle, car le veau, dont il nous avait annoncé l’originalité avant qu’il ne soit servi, ne m’a pas convaincu. Mais il y a des plats d’une telle grandeur, d’une telle sensibilité, que je suis anesthésié de bonheur. Le millefeuille d’hiver où des chips de betterave s’entrelacent de truffes est d’un équilibre absolu. C’est aussi parfait qu’un vin extraordinaire dont on vante la sérénité. La soupe d’artichaut est aussi un plat d’un équilibre parfait. Dans ces deux plats, pas une virgule ne pourrait être changée. Et puis il y a l’homme. Aucun chef ne dégage une telle empathie. J’ai fait vœu, en écrivant mes aventures de ne jamais être objectif et de ne suivre que mes sentiments. Ce chef est mon préféré. Je n’en ferai jamais mystère.

Le Corton Charlemagne Bonneau du Martray 1997, au moment où il se présente, est un vin intellectuel. Il faut en effet faire appel à des codes pour entrer dans sa logique. Et les coquilles Saint-jacques s’empressent de me le faire aimer. C’est assez extraordinaire comme sur la coquille crue ce Corton est sucré, et comme sur la coquille cuite il devient profond, long, sec et précieux. L’adaptabilité de ce vin remarquable est un immense plaisir. Je dois avoir un sixième sens, car c’est d’instinct que j’ai commandé Château Rayas Châteauneuf-du-Pape blanc 2001. Ce vin « est » réglisse. Vous avez sans doute déjà éprouvé l’usage du verbe être : Marion Cotillard « est » Edith Piaf, ou Sandrine Bonnaire « est » Jeanne d’Arc. Là, le Rayas « est » réglisse, ce qui crée un accord phénoménal avec le saumon qui ne vit que pour s’accoupler avec cette saveur. Ce qui est particulièrement étonnant, c’est que le Rayas restera réglisse même après le plat, sur le veau au bouillon rural et agreste.

Le vin qui suit est une suggestion d’Eric Mancio : Nuits-Saint-Georges Clos des Forêts Saint Georges Domaine de l’Arlot 1989. Il apparaît sur la fameuse soupe, mais reste sur son strapontin. Ce vin est une belle définition du Nuits-Saint-Georges, mais il n’est que cela. Trop scolaire, trop bon élève, il joue son rôle, mais ne m’entraîne pas, comme il devrait, dans une farandole. Sur le pigeon subtil, il n’est que le gardien de square.

Le Jurançon Clos Uroulat Charles Hours 1996 est une fantaisie de mes deux jeunes amis. C’est une gymnopédie destinée à délier le palais. On a de tout, du litchi, du kiwi, de la mangue, et des agrumes à profusion. C’est évidemment plaisant mais c’est une récréation. Cela excite les papilles pour les faire chanter. Et c’est bien agréable. Mais j’attendrais à ce moment du pastel plus que du flamboyant. La profusion des desserts crée une confusion mentale dont on ne se remet pas.

Guy Savoy est venu bavarder à notre table, car je prépare un dîner redoutable dont il sera le dompteur. Ce fut l’occasion de parler des plats car il est à l’écoute de tout. Grand moment de partage de sensations.

Le service est toujours précis, parfois amusant car il y a aussi de l’humour dans cette brigade. Les propos d’Hubert se dégustent comme des bonbons tant son accent est charmant, avec le même décalage désuet que la présentation du homard chez Jacques Le Divellec. Et moi, bon public, je marche. Le nouvel ami dira qu’en ce déjeuner il a connu plus d’accords merveilleux qu’en des dizaines d’autres. Des repas comme celui-ci sont des moments précieux de la vie.

 

Le mini millefeuille d’hiver est éblouissant. Regardez à gauche du saumon ces trois petites traces. C’est une poudre à base de réglisse qui donne au Rayas une puissance émotionnelle extrême.

Mouton 2001 ????? mardi, 27 février 2007

De retour à Paris, je vais chez Jacques Le Divellec le lendemain de la parution du bulletin 216. C’est un peu comme le joueur de foot qui vient de marquer un but : je peux courir dans la salle de restaurant en ouvrant les bras, la tête cachée par mon maillot, je peux me dépoitrailler en hurlant de façon hystérique, car je suis dans mon camp. Sur une brouillade d’oursins fort goûteuse, le Champagne Bollinger Grande Année 1997 est agréable. Encore très vert, il expose sa race avec élégance. Le numéro du homard à l’américaine est gentiment désuet. L’argumentaire, mille fois rôdé, est charmant dans son exposé décalé. J’adore ce retour aux valeurs qui datent au moins d’un demi-siècle. Et l’on peut se le permettre, car la sauce est redoutablement bonne, juste dosée mais pénétrante. Olivier m’a trahi, car lui posant la question de Mouton 2001, il acquiesça. Or Château Mouton-Rothschild 2001, c’est un vin que je n’aime pas. Il m’est plus facile de le dire car je suis amoureux de Mouton, qui peut être grandiose dans des années de rêve. Mais franchement, ce 2001 est raté. Il n’est que bois. Il ne raconte rien. Quel dommage que la belle étiquette couvre un vin qui ne donnera rien de bien. A oublier bien vite tant il existe de grands Mouton.

Il fait beau dans le Sud samedi, 24 février 2007

Les hirondelles volètent au mois de février dans le Sud de la France. Les pulls s’enlèvent. Il fait fort beau. C’est l’occasion d’aller déjeuner à la table d’hôte d’Yvan Roux. Un champagne Laurent-Perrier cuvée Grand Siècle est fort gouleyant sur des tranches de pata negra. Des montagnes d’oursins pêchés de la veille sont confrontés à un Vin Jaune Victor Richard 1990. Il faut prendre une infime gorgée de ce vin au lourd parfum pour ne pas écraser l’oursin. Le plus subjuguant, c’est que malgré la présence extrême de ce vin profond de 13°, la dégustation des langues d’oursin n’est pas altérée. C’est le goût pur qui est mis en valeur par ce vin typé qui ne dévie pas le palais. Je sens que la brouillade d’oursins appelle un rouge, ce qui, convenons-en, est assez peu orthodoxe. Et le Château Lynch-Bages 1978, qui a entamé sa période de maturité avant l’heure, a l’intelligence de s’effacer pour respecter le fumet intense et délicat à la fois. Les beignets d’anémones de mer repoussent le rouge de leur acidité finale en bouche et c’est le champagne qui leur convient. Nous revenons au rouge pour des fritures de crevettes, petites seiches et petits crabes que l’on croque. Les cigalons, préparés dans leur plus grande pureté, sont d’un goût passionnant où apparaissent les noisettes et le pain d’épices. Avec eux, le vin jaune chante à tue-tête. Un risotto à l’encre de seiche et jus de cigalons permet de finir joyeusement le Lynch Bages 1978, vin de grand confort, expressif même s’il s’est assagi. Sur un sofa profond mis au soleil d’une journée annonciatrice du printemps, les yeux clos, il m’apparaît que la vie est belle.

 

Le Devoir, journal canadien, parle de mes dîners et mes vins vendredi, 23 février 2007

Un article de Jean Aubry dans le devoir, gazette canadienne de langue française :

article

j’aime beaucoup le "l’homme, un chouïa compulsif". Interviewé quand j’ouvre les bouteilles d’un dîner, je n’ai pas la décontraction que j’aurais, confortablement assis dans un fauteuil.

Mais l’article est très flatteur.

imaginez que vous ayez une petit moment de vague à l’âme jeudi, 22 février 2007

Ce sujet n’a rien à voir avec le vin.

Mais par un hasard de discussions sur un forum, quelqu’un m’a donné l’adresse d’un site où il y a le texte intégral des "Tontons Flingueurs". Alors, si vous vous sentez un peu faible, une petite morosité passagère, allez lire quelques belles phrases.

Comme dit une publicité pour une barre chocolatée : un petit coup de Tontons Flingueurs, et ça repart.

C’est un peu dommage qu’il y ait des fautes d’orthographe, car ce texte devrait être gravé dans le marbre.

Pic à Valence sous une bonne étoile mercredi, 21 février 2007

Ce ne sera que justice d’écrire un petit mot pour féliciter Anne-Sophie Pic d’avoir décroché sa troisième étoile.
Pic, c’est une institution familiale.
Denis Bertrand, c’est "le" sommelier qui connait les vins du Rhône.
J’ai connu le père, puis la période de deuil, avec la mère désemparée et la lourde atmosphère du héros disparu, l’épisode du fils qui a tourné court, puis la consécration du retour à l’esprit du père avec la forte personnalité de ce petit bout de femme d’une immense sensibilité culinaire.

Longue vie à cette cuisine qui fait honneur à la France.

Nouvelle décoration à l’hôtel des Roches au Lavandou lundi, 19 février 2007

L’hôtel des Roches à Aiguebelle, près du Lavandou, accueille depuis un peu plus d’un an le jeune chef Matthias Dandine, ancien de l’Escoundoudo à Bormes-les-Mimosas, qui a très rapidement obtenu une étoile.

Ce chef de talent, inventif, dont j’ai raconté quelques repas de bord de mer, méritait un écrin un peu rafraîchi, car la décoration datait.

C’est Christophe Tollemer, de Cavalaire, qui prit en charge la refonte du lieu.

Un appel de Fabien Dandine : « nous inaugurons nos locaux rénovés. Nous serions heureux que vous veniez à un cocktail dînatoire ». Etant dans le Sud, sans agenda contradictoire, nous y allons. Une foule immense se presse dans la salle de restaurant. Il y a les amis d’enfance, quelques notables, des restaurateurs amis, et tous les corps de métiers qui ont participé à la réfection. C’est extrêmement sympathique.

La salle est remarquablement éclairée, les couleurs sont choisies avec raffinement. On ne peut pas juger comment sera le restaurant installé en vraie grandeur, car la foule joyeuse masque l’ordonnancement. Mais on devine que ce sera un lieu subtilement confortable, adapté au talent du chef.

Le buffet est absolument exceptionnel. Les tartines de truffe font exploser leur parfum, les huîtres sont goûteuses, les cromesquis de foie gras explosent en bouche, faisant penser à Marc Meneau qui vit des jours pénibles. Ce qui me subjugue, ce sont les chips. Car aujourd’hui, comme pour les pommes soufflées, personne n’en fait plus.

L’abondance invraisemblable de plats délicats est agrémentée de vins du pays dont les vignerons sont présents. Sébastien, tout sourire, me sert des rosés et blancs d’Ott qui rappellent la chaleur de l’été. C’est un appel à revenir au plus vite dîner chez ce restaurateur de grand talent.