champagne Salon et caviar samedi, 4 novembre 2006

Je vais le raconter de façon « people » pour m’en amuser (1). Ma fille cadette m’a donné en cadeau d’anniversaire un « bon pour… ». Très souvent, ces « bon pour » se perdent dans l’oubli. Celui-ci ne sera pas perdu car il s’agit d’une paire de chaussures de chez Berluti. Rendez-vous est pris au magasin, avec promesse d’un déjeuner. Création exubérante, travail de bottier, je prends deux paires dont une est mon cadeau. J’ai retenu une table. Ce sera au restaurant Pétrossian où j’ai évidemment retenu ma boîte de caviar. Nous profiterons d’une montagne de caviar Malossol, special réserve Persicus. Le caviar n’est bon que quand on en a trop. Le grain est gros, bien délié, d’un gris clair, et son attaque en bouche est d’une précision extrême. Le sel est élégant, l’iode enjôleuse. C’est un très grand caviar. Le lecteur attentif se demande sur quel vin ou quel champagne nous allons croquer ces précieux grains. Question facile ! Sur le champagne Salon 1988 bien sûr. Une cave trop chaude sans doute a fait vieillir plus vite ce grand champagne et ce n’en est que mieux. Son vineux affirmé est absolument parfait sur le caviar. L’un et l’autre se prolongent. L’accord sera encore plus beau avec un plat que j’expérimente pour la première fois, un tartare de bœuf avec du caviar Sévruga. Car la tendresse de la viande apaise le choc de confrontation du Salon et du caviar. Pendant le repas je regardais mes pieds chaussés d’un cuir à la patine inimitable. Il est des samedis matin qui ne sont pas chagrin.

(1) si j’évoque ce sujet « people », c’est que sur un forum français de vins, dès que je parle de mes aventures, c’est considéré comme de la provocation si je cite un nom prestigieux ou un vin inaccessible. Ce sujet serait considéré comme odieusement people. D’où l’allusion.

Pour le caviar regardez cet article en tapant sur "slate"

Les Chateau Chalon montent à Paris ! jeudi, 2 novembre 2006

A l’INAO, dans un hôtel particulier à la décoration luxueuse d’une autre époque, dans une salle vert et or dont le vert insistant, imprégnant, crée une atmosphère d’irréalité, les vignerons du Jura présentent leurs Château Chalon, et uniquement ce vin là, pour les années 1999, 1998 et 1997. Et puis ils se laissent aller pour remonter les années jusqu’en 1947. Une des conditions pour accéder aux plus anciens est d’avoir goûté tous les plus jeunes. Comparer les mérites de Tissot, Macle, la fruitière de Voiteur, Durand-Perron, Courbet, Grand, Bourdy et autres vignerons est sans doute d’un grand intérêt pour les professionnels qui sont venus nombreux par curiosité, devoir de savoir, soutien et amitié. Pour moi qui n’ouvrirai sans doute jamais des années aussi jeunes, c’est plus l’occasion de butiner. Et je fais bien, car en passant des années qui m’inspirent à ces vins jeunes, je me plais à les aimer. Si l’âge convient à Château Chalon, la jeunesse est loin d’être rédhibitoire. Mais un tropisme certain m’attire vers la table où Jean-François Bourdy présente les plus anciens présentés, que je connais déjà. Le Château Chalon Bourdy 1958 est très plaisant, joyeux.

Château Chalon Bourdy 1952, que j’avais déjà encensé lors de la fabuleuse dégustation de plus d’un siècle de Château Chalon me plait au-delà de tout. Il est plus aérien, moins vineux, et son élégance naturelle s’accorde à mon palais. Le Château Chalon Bourdy 1949 d’une première bouteille me paraissait un peu limité. Une seconde bouteille à l’ouverture d’une minute seulement m’apparaît beaucoup plus excitante.

celui-ci sera bu le 9 novembre

Le Château Chalon Bourdy 1955 que je vais d’ailleurs ouvrir à un dîner la semaine prochaine est toujours aussi sûr, complet, parfait. Le 

Le Château Chalon Bourdy 1947, c’est le Château Chalon parfait, impérial de construction. Mais j’avoue un petit faible pour le 1952 moins typique. Dans la hiérarchie logique, le 1947 sera devant 1952. Ce sont des vins de pur plaisir qu’un Comté de 24 mois et un Comté de 15 mois mettent en valeur avec classicisme et pertinence. C’était un exploit de faire venir à Paris autant de vignerons du Jura ensemble pour présenter leurs vins. Beaucoup de sommeliers et gens de presse sont venus. Il fallait que cette promotion de vins merveilleux eût lieu.

Pétrus 1990 et autres folies amicales mercredi, 1 novembre 2006

C’est un pavillon de banlieue à l’orée d’une forêt. Le terrain est en friche car on y refait l’allée. Dans la maison, tout respire le vin. Les cartons de vins s’amoncèlent et attendent d’être descendus en cave. Un peintre a fait de nombreux portraits de toute la famille et sur presque tous les tableaux, le sujet tient en mains un verre de vin. La cuisine étroite bruisse de mille mouvements car Laurent, qui nous invite, exécute avec minutie les recettes de son gros livre. Les effluves sont sympathiques. Laurent est cet ami que j’ai rencontré chez Marc Veyrat et que j’ai vu pleurer quand il a constaté que son vin était splendide. Un tel homme nous fera forcément une cuisine sensible.

On m’avait suggéré de ne pas apporter de vins « car il y a ce qu’il faut ». Mais j’en ai apporté, « pour le cas où ». J’ouvre mes bouteilles pendant que l’on nous sert un champagne Pol Roger 1989. La couleur est d’un jaune pur, sans trace d’ambre, la bulle est presque éteinte. On sent en le goûtant qu’il a beaucoup vieilli, sans avoir pour autant accroché ce qui fait le charme des champagnes anciens. C’est cependant un excellent champagne.

D’une bouteille de Pol Roger 1934, il ne reste que moins de la moitié. Que va donner ce champagne qui est au-delà de tout seuil de vidange ? Le champagne a une couleur de thé austère. La bulle n’existe plus et pourtant la langue est titillée par un perlant de bon aloi. Le nez est expressif et je trouve ce champagne extrêmement passionnant. Il est un témoignage encore très vivant d’un beau champagne.

Un autre champagne Pol Roger 1934 d’un meilleur niveau, d’une couleur plus claire, va accompagner un foie gras poêlé et des tranches de pomme. On ne peut pas juger du nez quand l’assiette est servie. Le champagne devient doucereux avec la pomme au goût très pur. Ce champagne élégant, civilisé, plait plus à mes convives alors que je préfère le plus blessé, plus sauvage, plus excitant.

Un magnum sans étiquette ni capsule est posé sur la table. Le vin est joyeusement doré. Le nez est expressif, dense, minéral et fruité. C’est un grand vin. En bouche, beaucoup de charme, d’expressivité, d’intensité. Personne ne trouvera qu’il s’agit d’un magnum de Chablis Grand Cru Les Clos François Raveneau 1975. Je m’en veux, car je l’ai déjà souvent bu. Une lotte au riz basmati a une sauce faite de fenouil, de réglisse et de gingembre. C’est avec cette sauce divine que le Chablis s’exprime le mieux.

La générosité de notre ami est sans borne, car arrive maintenant Pétrus 1990. La robe est belle, très dense, foncée. Le nez est assez discret mais annonciateur. En bouche, c’est comme l’hostie d’une première communion. J’avais déjà bu Pétrus 1990 au sein d’une prestigieuse verticale où il avait brillé. Ici, en situation de repas, c’est le vin tel qu’on doit le boire. La finesse d’un tapis d’orient se mesure au nombre de nœuds par mètre carré.  Ici, c’est le tapis au grain le plus fin qui puisse s’imaginer. La trame de ce vin, sa consistance, sont exceptionnelles. On sent le sérieux du merlot, la rigueur du Pomerol, mais c’est tellement élégant que je suis, comme toute la table, frappé par la grâce et la longueur de ce vin de légende. Bien sûr, en le buvant, on est fortement influencé par le fait que c’est Pétrus. Et alors ! Pourquoi pas, si cela augmente le plaisir. Le poulet de Bresse fort bon laisse la vedette au vin, car ce n’est pas tous les jours qu’on boit un tel trésor.

J’avais apporté un Chambolle-Musigny de Chonion négociant 1973, parce que je crois beaucoup à ce vin au niveau parfait dans la bouteille. Il y a autour de la table de très grands amateurs. Je voulais qu’ils partagent mes coups de cœur. Je suis ravi que le vin ait été compris. Tout le charme de la Bourgogne est là. Il y a des évocations de confiture de rose que je trouve ravissantes. Je me plais avec ces petits vins agréables, chantant un air bourguignon. Ce vin est un de mes petits régals.

Sur une côtelette d’agneau, un Beaujolais Choix de Pasquier-Desvignes 1967 est une joyeuse surprise. L’un de nos amis, un scientifique (il y en a beaucoup autour de la table), qui a donné à une époque de sa vie des cours d’œnologie, a trouvé beaujolais quand nous nous égarions en Bourgogne. C’est une belle prouesse car ce vin pinotait allégrement.

Le Chambolle-Musigny les Charmes Grivelet 1934 est d’une sensualité exceptionnelle. C’est un grand et fringant bourgogne. Sur un filet de biche aux choux le Pommard Charles Viénot 1947 que j’avais apporté fait un peu cuit, torréfié. Ce défaut est atténué par le gibier qui se plait à son contact. Mais ce vin qui avait fait un long périple jusqu’ici avait souffert du voyage après avoir, sans doute, un peu gémi en cave.

A partir de ce vin, mon attention va se brouiller, même si je suis attentif, car la profusion de bonnes choses est extrême. Le Pommard Rugiens de Bouchard Père & Fils 1966 est absolument superbe. Sa jeunesse est rassurante et ne sera pas contredite par le bambin qui suit. Le Gevrey-Chambertin Claude Dugat 1999 est joyeux mais je serais bien en peine d’en dire plus. Il accompagne les fromages, comme le Chablis Montée de Tonnerre Verget 1995.

Sachant que ces amis ont tout bu, tout connu, pour les étonner, il me fallait du gros calibre. J’avais dans ma besace un vin dont je suis amoureux fou : Côtes du Jura blanc Jean Bourdy 1942, l’année d’une des plus grandes réussites de ce vin. J’ai évidemment vibré à sa perfection excitante, car ce vin fait partie de mes recherches gustatives. Je perds toute objectivité quand je bois ce vin aux évocations sans limite.

Le Château Suduiraut 1990 est une façon certaine de bien conclure un tel repas d’anthologie, mais on n’allait pas s’arrêter là, car un thé de Brassempouy de 1989 (à Brassempouy, je ne connais que le Dame), constituait pour moi une découverte étonnante, un Bas Armagnac Cépages Nobles Boingnères 1977 rappelle que les alcools d’Armagnac comptent parmi les plus fins. Un alcool de poire fut le dernier drap qui bordera le sommeil d’une future nuit impénétrable. Tant de générosité, d’érudition sur le vin et le goût, ravissent l’âme. Il faut vite une revanche tant le feu de la passion de ces esthètes mérite d’être attisé.

un bien étrange message de Robert Parker mardi, 31 octobre 2006

Voici le message (cliquez sur le mot message avant cette parenthèse)

Si Robert Parker n’aime pas les vins du Domaine de la Romanée Conti en 2002, pourquoi pas, c’est son droit.

Mais de là à dire que l’amateur qui boit ces vins est un buveur d’étiquettes, il y a un pas que Robert Parker ne devrait pas franchir.

Il doit rester dans son rôle, suggérant au consommateur vers quels vins orienter ses achats.

Tout jugement sur le consommateur, avec un dédain évident, devrait être proscrit de sa communication.

Quand le gourou descend dans l’arène, ce n’est jamais très bon.

La Mairie de Paris va-t-elle vendre ses billets de 500 € ? mardi, 24 octobre 2006

La Mairie de Paris a décidé, quelques mois avant les élections présidentielles que boire du Pétrus ou de la Romanée Conti n’était pas très républicain.

Ce n’est pas l’image républicaine et socialiste qu’elle veut donner au monde.

En vendant les bouteilles achetées pendant l’ère Tibéri à des prix qui sont vingt fois les prix d’achat, le maire actuel a montré l’excellence de la gestion précédente, puisque aucun placement ne peut approcher de près ou de loin ces rendements.

Mais le plus triste pour moi, c’est que cet ostracisme à l’égard des plus symboliques de nos grands vins, produits en France par des mains françaises, est strictement le même que celui qui condamne les billets de 500 €.

En France, un billet de 500 € est un animal suspect, très sûrement associé au commerce de la drogue ou de la chair peu fraîche des trottoirs.

Pétrus et Romanée Conti sont comme les billets de 500 €. La morale actuelle bien pensante doit les exclure.

Est-ce vraiment une conquête citoyenne ? Du fauxcuïsme oui.

déjeuner de famille avec Salon 1969 dimanche, 22 octobre 2006

C’est l’anniversaire de ma fille cadette. Décidément, les occasions de boire en famille sont fréquentes. Au lieu de prendre les classiques symboles qui sont les vins de son année, je choisis d’autres pistes, en prenant un champagne de l’année de mon fils et des vins rouges dans la tendance parkérienne des goûts de ma fille aînée. Mais, ne soyons pas hypocrite, tous ces vins correspondent à mes envies.

Le champagne Salon 1969 représente une extrême rareté. Il faut savoir que la maison de champagne Salon n’avait, tout au début du 20ème siècle, qu’un seul client, Monsieur Salon, puisqu’il avait acheté cette parcelle miraculeuse pour sa consommation personnelle. Plus tard, tout a été vendu, et ce qui reste en cave des millésimes d’avant 1976 est microscopique. Boire un Salon 1969 est vraiment rare. Avec des coquilles Saint-jacques et du caviar d’Aquitaine absolument délicieux car non marqué par une amertume ou une salinité excessive, c’est un régal. Et sur le sucré de la coquille et la marque iodée du caviar, le Salon joue à son aise, montrant l’immense variété de ses qualités. L’âge lui a apporté une longueur sans équivalent. Le 1966 a été pour moi une émotion unique. Ce 1969 est d’une sérénité fantastique.

c’est mon premier Salon 1969 !

Le Château Pavie 2001 est l’enfant chéri des juges officiels des vins actuels. C’est le bon élève de la génération moderne. Le premier contact avec ce vin me fait un choc, car on est dans des tendances très éloignées de mes recherches. Mais lorsqu’on analyse, on voit bien que c’est un Saint-émilion et non pas un vin de nulle part. C’est sans doute un peu trop pour moi, mais je comprends que l’on puisse l’aimer.

Le Vega Sicilia Unico 1989, vin de la Ribera Del Douero,  qui, comme on le sait, n’est pas en Sicile mais en Espagne, est complètement dans ma démarche. Le nez était de loin le plus élégant à l’ouverture à dix heures ce matin et confirme cette impression sur le porcelet rôti sur un lit de pommes de terre. Il a un joli bois, et je mets à imaginer un séquoia géant. Le plus important caractère de ce vin est l’équilibre entre toutes ses composantes de fruit et de bois. Ce vin très racé est d’un plaisir absolu.

Le Penfolds Grange Bin 95 de 1989 est aussi déroutant et éloigné de mon palais que l’est son pays, l’Australie. Il démarre comme un jus de mûres qui serait mélangé à un bouquet de fleurs. J’ai beaucoup de difficultés à entrer dans le monde de ce vin au sirop prononcé. Lorsqu’il s’anime dans le verre et lorsque l’on s’habitue, on comprend sa célébrité, car il a de belles qualités. Mais je ne suis pas très motivé à apprendre plus sur ce type de vins.

Ce qui est assez intéressant, c’est que les trois vins annoncent 13,5° ce qui me parait d’une modestie évidente pour le Pavie et le Penfolds. Je tenais à faire cette comparaison intercontinentale, et j’en suis satisfait. J’aimerais bien faire un autre essai où le Vega Sicilia côtoierait un Beaucastel et des Côtes Rôties de Guigal. Pourquoi pas ? La réunion familiale fut marquée d’un rare Salon, d’un bel espagnol, d’une cuisine dominicale parfaite (je protège ma paix future), de rires et d’affection.

carte de la région au dos du Vega Sicilia Unico

un beau Chambertin chez Jacques Le Divellec mercredi, 18 octobre 2006

J’invite à déjeuner un journaliste gastronomique pour le simple plaisir de parler de gastronomie. Je réserve chez Jacques Le Divellec, car l’assassin revient toujours sur le lieu de ses crimes : j’y ai fait un des plus mémorables de mes dîners. Subodorant que notre expert en restauration, auteur d’un guide connu, n’est pas forcément un accro des vins anciens, je fais déposer une bouteille ancienne, mais pas trop, pour que ma persuasion soit efficace.

Après de délicieuses crevettes grises (la crevette grise partage avec quelques produits, dont le saucisson une propriété : « quand c’est pas bon, c’est pas bon, mais quand c’est bon, qu’est-ce que c’est bon ») et deux petits amuse-bouche marins, de belles huîtres fines de claires d’Oléron d’un petit calibre vont cohabiter avec champagne Bollinger Grande Année 1997. Ceux qui ont de l’année 1997 une image de tendresse délicate vont devoir réviser leur calendrier. Ce champagne est impérieux, puissant, vineux. Son année lui donne effectivement une caresse particulière. Mais c’est imposant. Avec l’huître, la cohabitation est parmi les plus pacifiques.

Nous goûtons ensuite un des plus classiques de Jacques Le Divellec, le foie gras en terrine fourré de langoustine. Cette ajoute ne s’impose pas, car le mariage avec le Bollinger, qui marche agréablement, n’est pas nécessaire à ce stade.

Pour mon vin, Jacques a adapté la recette de son bar en créant une sauce légère au bourgogne (un Marsannay). Le Chambertin Clos de Bèzes Pierre Damoy 1961 ouvert depuis quatre heures, au niveau parfait, au bouchon exceptionnel d’homogénéité, à l’étiquette de vin à deux sous, est absolument phénoménal. Son nez est impérial. Il attaque sur un fruit de bambin, s’impose par sa puissance, et montre, comme par magie, combien les vins anciens ont un structure inégalable. Ce vin a un équilibre, un fruité qui sont inimaginables. Olivier, le sommelier et Jacques, le chef, le boiront avec un plaisir indicible. Notre journaliste aura senti que les certitudes des sceptiques des vins anciens sont à remettre en cause. Ai-je réussi ma démonstration ? J’ai pris avec ce vin à l’aspect roturier un plaisir de première grandeur.