galerie 1947 – 1 mardi, 28 décembre 2004

L’une des plus grandes réussites de l’année 1947 : Clos Fourtet 1947

Larour 1947 est un vin immense aussi, bu comme le Clos Fourtet ci-dessus en même temps qu’un Cheval Blanc 1947 (pour lire le compte-rendu, faites la recherche sur le mot "Astrance").

 

Magnum de Musigny Comtes de Voguë 1947 !

 Il faut bien lire cette étiquette de Haut-Brion 1947. La bouteille a été réétiquetée et non pas reconditionnée. Elle a donc son bouchon d’origine (ce que je préfère).

 Cos d’Estournel 1947 à l’étiquette un peu fripée comme les pagodes. Provenance cave Nicolas.

 Chateau Pape Clément 1947.

Chateau Margaux 1947 à côté de son aîné d’un an.

 

Repas de Noël samedi, 25 décembre 2004

Noël se poursuit le lendemain avec Bollinger Grande Année rosé 1990. Belle couleur saumon, bulle active, et une délicatesse de ton appréciable. C’est un champagne qui accompagnerait bien un repas, ce qu’il fit avec un remake du caviar et Saint-Jacques. A l’apéritif, c’est un gentil compagnon, montrant selon la saveur qui lui est opposée des goûts de sucre ou d’iode. Champagne adaptatif de très grande séduction.

Nous allons abondamment user des restes de la veille qui ont, grâce à l’oxygène supplémentaire, encore accru leur talent. Le Corton Charlemagne Bouchard 1997 est de venu plus rond. Le Cheval Blanc 1981 a gagné en intensité et en chaleur humaine, et les dernières gouttes du Petit Faurie de Soutard 1947 sont porteuses d’une émotion rare : ce vin a une densité, une jeunesse épanouie d’une immense qualité. Comme on ne pouvait pas vivre que de « restes », la fondante noisette de chevreuil fut décorée par Pétrus 1994. D’une éclosion lente, comme l’ouverture d’un Opéra qui annonce les mélodies à venir, le Pétrus déploya ses antennes pour que l’on soit réceptif à son message. Et progressivement on entrevit ce qu’il avait à dire, le langage d’un Pomerol d’abord austère puis jouant sur les saveurs avec les claquettes d’un  Sammy Davis Junior. Pétrus, petit bijou de séduction progressive.

Nous rejouâmes le dessert avec les mêmes acteurs, Tarte Tatin et Sauternes 1929, et crème au chocolat et caramel avec la Fine Bourgogne du Domaine de la Romanée Conti. Comme le savent les bons entraîneurs de football, on ne change pas une équipe qui gagne (en ce moment, c’est plutôt d’entraîneurs que l’on change !).

Repas de Noël vendredi, 24 décembre 2004

Noël va cette année se fêter en deux fois, nos enfants devant se répartir sur deux jours entre famille et belle-famille. Le sapin revêtu de boules très anciennes, dont les bougies jettent des flammes de gaieté, abrite les cadeaux pour la troisième génération. Après tous ces déballages, il faut réparer une soif avec un champagne Dom Pérignon 1975. La couleur est magiquement dorée, d’un or antique. La bulle est active dans la coupe. Et le goût de ce champagne est profond, envoûtant, impressionnant. C’est un champagne d’une grande personnalité. Comme on a du temps, on va pouvoir le confronter à de nombreuses saveurs de canapés variés et constater qu’il révèle à chaque fois des aspects nouveaux. Nous l’essayons sur un très bon Jésus ce qui l’excite bien. C’est incontestablement un champagne de grande classe.

Sur des coquilles Saint-Jacques crues au caviar, le Corton Charlemagne Bouchard Père & Fils 1997 se positionne bien : nez expressif, belle amertume sur une suffisante puissance. Mais j’ai l’intuition du Jésus. Et avec cette délicieuse charcuterie, le Corton Charlemagne prend une longueur rare. Il fuse en bouche et devient brillant. N’était cet apport typiquement lyonnais, je le trouve objectivement un peu moins bon que quand je le déguste dans la cave de Bouchard.

Le foie gras en terrine accueille Cheval Blanc 1981. Ce vin est d’une jeunesse particulière. Niveau parfait, bouchon comme d’hier, couleur noire d’encre, et des sensations envoûtantes de complexité : il change d’aspect en bouche à chaque instant. Ce  n’est pas le Cheval Blanc rassurant habituel des années solides. Mais ce vin énigmatique à vastes facettes me conquiert.

Arrive alors sur une très pulpeuse volaille de Bresse une de ces surprises qui valorise tous les vins anciens : Château Petit Faurie de Soutard 1947. Très beau niveau aussi, bouchon de belle structure, nez d’ouverture rassurant, et présentation parfaite après six heures d’oxygénation. Ce qui frappe, c’est l’insolente sérénité de l’année 1947. Ce vin est simple, à l’aise, tranquille, sûr de lui. Il respire le bon vin. On sait que 1947 a fait des immenses Saint-Émilion, comme le légendaire Cheval Blanc (il y avait un petit clin d’œil de mettre un Cheval Blanc d’un coté et un Saint-Émilion 1947 de l’autre) et le magistral Clos Fourtet. Et là, ce Petit Faurie de Soutard affichait une élégance de Brumell. Très beau vin qui n’a évidemment pas la densité des plus grands vins, mais montre parfaitement la pertinence de 1947.

La crème au chocolat et caramel de mon épouse est un moment de séduction qui avait conquis Pierre Hermé, ce Satan de la pâtisserie, tant il achète facilement nos âmes avec ses saveurs diaboliques. J’eus une idée Dalinienne, transcendantale pour tout dire, de lui adjoindre une Fine Bourgogne du Domaine de la Romanée Conti 1979. Un orgasme culinaire total. Absolument redoutable. La tarte Tatin quant à elle se maria avec une ravissante bouteille (voir photo ci-dessus) que j’avais prélevée au hasard en cave : la capsule est dorée comme un beau cuivre. Le bouchon est sain, le niveau est particulièrement plein, l’étiquette passe-partout est d’une beauté ancillaire : « Grand Vin d’Origine », suivi de « Sauternes ». Et en petit : « appellation contrôlée ». Seul un lourd blason emprisonnant un puissant lion rouge toutes griffes dehors veut faire oublier l’origine roturière. Le détail qui a de l’importance, c’est l’année : 1929. Et la couleur magiquement dorée de ce Sauternes 1929, mis en bouteille en négoce ou chez un caviste, m’avait incité à retenir ce vin pour Noël.

A l’ouverture des arômes d’agrumes. En bouche, agrumes, caramel, coing, pâtes confites. Un certain manque d’ampleur. Mais un témoignage  supplémentaire d’un thème d’évidence : ce qui vient de 1947 est bon, ce qui vient de 1929 est bon. De ce premier dîner de Noël j’ai préféré et de loin le Dom Pérignon 1975, suivi du Petit Faurie de Soutard 1947.

galerie 1947 – 2 jeudi, 23 décembre 2004

Hospices de Beaune, Cuvée Guigone de Salins, 1947, mise Vandermeulen.

 

Cette bouteille de Pétrus 1947 provenant de la cave Nicolas et dont on voit la capsule est sans doute possible une vraie.

 Une autre Petrus 1947

 Charmes Chambertin Docteur Barolet 1947

Déjeuner d’amis au restaurant Laurent jeudi, 16 décembre 2004

Déjeuner d’amis au restaurant Laurent. Qu’est-ce qui fait que je me sens si bien ? Une atmosphère, un site ? Forcément un charme. Un Chablis Grand cru « les Clos » Raveneau 1998, ça rafraîchit l’esprit. Petite touche acidulée quand le vin est frais. Puis les arômes se découvrent comme dans un ballet où les danseurs se présentent d’une inclinaison de courtoisie. Sur les grenouilles, le Chablis respire de bonheur. Et comme me fait remarquer mon hôte avide de bons mots, ce n’était pas un Chablis Grenouille. Belle consistance, peu de gras, mais expression de Chablis. Sur un pigeon que l’on déguste rosé un Hermitage Chave 1992 apparaît trop acide. Manque de temps pour s’exprimer et je repense au Margaux 1900 : me voilà qui écarte un Chave 1992 quand je reproche à Joël Robuchon d’avoir écarté un Margaux 1900. Bonne leçon d’humilité. Un Hermitage Chave 1998 montra une différence tellement nette qu’il n’y avait pas de question à se poser. Bel Hermitage tout en rondeur qui m’a fait penser qu’un 1961 aurait de cet équilibre, ce jeunet ayant déjà belle prestance. Bonne cuisine, propos échangés dans la bonne humeur, confort de chaude sympathie : une agréable respiration parisienne.

repas « du Siècle » organisé par Robert Parker au Japon mercredi, 15 décembre 2004

Ma fille m’appelle et me dit de regarder TF1. Je prends avec retard le compte-rendu du fameux repas organisé par Robert Parker au Japon au budget pharaonique. Je vois avec un infini bonheur Joël Robuchon dans ses cuisines, donnant ici des conseils, des ordres et contrôlant là la beauté d’un plat. C’est le vrai Robuchon, celui que je considère comme le Dalaï Lama de la cuisine, le Dieu vivant. Et la suite du reportage me montre une succession d’erreurs commises non pas sur la nourriture mais sur les vins, que mon cerveau va sans doute d’autant plus détecter que je n’y étais pas.

D’abord il y a vingt convives, ce qui est une erreur pour des vins de ce niveau. Il y avait deux bouteilles de Margaux 1900. L’une est déclarée morte par Joël Robuchon, j’y reviendrai. Que va-t-on faire de la seule conservée ? Donner un demi  verre à chaque convive ? Quelle frustration. La vérité est dans une table de dix, chacun des convives participant à la même aventure. Lorsque l’on ouvre une bouteille de Latour 1934, tout le monde boit Latour 1934. Lorsque l’on ouvre deux bouteilles de Latour 1934, plus personne ne boit Latour 1934. Chacun essaie de savoir comment est « l’autre » Latour 1934. On n’imagine pas à quel point ce détail change le plaisir de la dégustation. La deuxième erreur est d’avoir ouvert les bouteilles au dernier moment. Le vin n’aura pas profité de l’oxygénation salvatrice. On aura noté sur Envoyé Spécial que les bouteilles de 1865 ont été ouvertes deux heures avant. Mais Bernard Hervet nous dit : « buvez lentement, car en une heure le vin va encore s’améliorer dans le verre ». Ce qui justifie pleinement ma méthode d’ouvrir quatre heures avant et de gérer l’oxygénation des vins, car deux heures d’ouverture de plus auraient donné instantanément dans le verre la perfection recherchée par la maison Bouchard. La troisième erreur est la façon dont les vins furent ouverts. On voit une bouteille verticale d’où s’extrait un tirebouchon ordinaire de sommelier avec des lambeaux de bouchon. Méthode mauvaise. La quatrième erreur, c’est que Joël Robuchon sent la bouteille qui vient juste d’être ouverte. Elle pue forcément, et sans attendre l’oxygène qui l’eût ressuscité, Joël Robuchon qui en goûte une infime gorgée la déclare morte. J’ai failli m’évanouir, car cette bouteille vient très probablement rejoindre le contingent des bouteilles injustement condamnées. Mon « Dieu vivant » a forcément un nez que je respecte et son jugement est peut-être bon. Mais j’ai trop souvent constaté que des odeurs putrides précèdent de vraies perfections pour que ce jugement abrupt me paraisse inutilement rapide. La cinquième erreur est d’avoir carafé les vins, ce qui casse leur structure intime. Et quand j’ai vu une femme dont le sous-titre annonce « professeur d’œnologie » remuer le vin dans son verre, je me suis dit : « la messe est dite ». Tout est juste au plan culinaire. C’est faux au chapitre des vins, sur ce que j’en ai vu, malgré la compétence extrême des organisateurs.

Je suis persuadé que ce repas aura comblé les participants. Mais de même que j’admire le perfectionnisme exigeant de Joël Robuchon en matière culinaire, on comprendra qu’avec le même souci de la perfection, centre de ma démarche, je réagisse quand on s’écarte des voies indispensables pour la mise en valeur de ces trésors de l’histoire œnologique. Cela donne encore plus de motifs de créer cette Académie des Vins Anciens. On a peut-être jeté à tort une Margaux 1900. On a utilisé des méthodes inadéquates. Il est temps d’agir.

Emission d’Envoyé Spécial sur France 2 mardi, 14 décembre 2004

Emission d’Envoyé Spécial sur France 2. Jamel Debbouze, star qui démontre la réussite d’un jeune français. Patrouilles de policiers dans les transports en commun : c’est l’échec d’autres français, jeu de cache-cache inutile puisque les mineurs incivils ont une totale impunité. Contre cette situation, un néo-nazisme des plus agressifs. Heureusement, ça ne se passe pas chez nous, pense-t-on. Après ces trois sujets qui abordent trois facettes d’un même problème, que viennent donc faire les vins anciens ? Je me le suis demandé. Et à force d’avoir vu des personnages au visage caviardé pour qu’ils ne soient pas reconnus, je me suis dit : « c’est sûr, moi aussi je vais être brouillé ». Et survient alors un sujet poétique, un vigneron qui garde dans sa poche et pour sa tombe de la terre ancestrale comme on gardait autrefois des marrons dans ses poches, des flacons d’une émotion rare. De magnifiques images de vignes dont les allées sont foulées par un historien enthousiaste.

Tout le monde aura salivé en nous voyant déguster ces vins de 1865 follement jeunes (bulletin 121). Le sujet fut bien traité, conduisant à penser que ce patrimoine des vins ancestraux contient des saveurs qui sont des sujets de vénération. La maison Bouchard y a trouvé une légitimité renforcée. Et les vins anciens aussi.

conférence sur « la science et les grands crus » dimanche, 12 décembre 2004

Peu de temps après je me rends au Musée des Arts et Métiers pour écouter une conférence sur « la science et les grands crus ». Hubert de Montille a plus l’esprit à s’amuser, à vagabonder sur les questions qu’à parler de science et les orateurs scientifiques vous dégoûteraient du vin tant la froideur de leurs analyses glace le plus enthousiaste des amateurs. L’un d’entre eux fit sa conclusion, en gros, sur cette affirmation : « les grands vins, ça n’existe pas, puisque personne n’a le même goût ». J’ai abondamment montré dans ces bulletins que les votes des convives exprimaient des goûts différents. Mais on peut plus vibrer à Van Gogh qu’à Delacroix ou à Ingres, et savoir différencier le peintre du dimanche de l’immense artiste. Même si l’on s’émeut plus à Brahms, à von Suppé où à Ravel, on accueillera autrement la musique de bastringue que le génie. Je suis resté sur ma faim.

Conférence sur les vins anciens samedi, 11 décembre 2004

Je prononce une conférence sur les vins anciens avec un thème intéressant : « la psychologie du collectionneur », suggéré par Nicolas de Rabaudy, instigateur de l’événement. Le maire du 16ème arrondissement me présente comme si nous étions des compagnons de dégustation de toujours alors que je fais sa connaissance. Les premiers arrivants me font penser qu’ils sont plus à la recherche du buffet de la mairie que du sujet évoqué. Mais en fait pas du tout. Un auditoire attentif posa de bonnes questions. Un auditeur me remercia d’avoir, grâce à mon livre, aimé un Moulin à Vent 1945 qu’il aurait sans doute ignoré quand d’autres constatèrent les erreurs qu’ils ont commises en n’écoutant pas le message de vins anciens qu’ils ont rejetés. La conférence fut utile. Nicolas de Rabaudy avait apporté deux beaux champagnes et un magnum d’un Quincy délicat. J’avais apporté quelques bouteilles d’un Coteaux du Layon La Roche Moreau 1981 qui fut très apprécié ainsi que des pépites, des Rivesaltes ambré domaine Cazes 1991 de pur charme, qui furent une révélation pour beaucoup de participants.

Repas de famille vendredi, 10 décembre 2004

Je me rends le lendemain de ce dîner chez ma fille cadette et mon épouse et moi sommes comme le petit chaperon rouge : notre panier est rempli de provisions. Je fais goûter un reste de Saint-Raphaël avec le comté de quatre ans, ce bijou de Bernard Antony. L’association est tout simplement prodigieuse. Le Saint-Raphaël s’est encore plus oxygéné, et comme le comté est parfait, sans cette trace insistante que l’on trouve dans quelques vieux comtés, on a un mariage gustatif élégant. Mon gendre ouvre, pour l’agneau au curry que nous avions apporté, un Vosne Romanée Domaine du Clos Frantin Albert Bichot 1999. Un vin ouvert à la dernière minute, et si jeune, est bien loin des saveurs de la veille. Mais dans son registre, c’est agréable, bien fait et discrètement distingué. Et ça fonctionne bien avec l’évocation du curry. Nous reprenons un peu de comté pour un Vouvray Albert Moreau que je situe avant 1929. Est-il des années dix ? Je n’en serais pas étonné. Inscrivons le circa 1920. Ce Vouvray a une couleur d’ambre tendant vers le thé. Le nez est extrêmement chaleureux, de thé, d’infusion, et de fruits compotés. En bouche, le vin va se livrer à une opération de mimétisme invraisemblable. Je serais heureux que des lecteurs me disent s’il existe une bibliographie de ces mimétismes de goûts. Le Vouvray montra une face de sa personnalité sur le Comté. Ayant près de moi une corbeille de fruit, je lorgnais sur une mandarine et ne pus résister. Et sur la mandarine, le Vouvray est devenu mandarine. De même que le bouchon de La Tâche 1957 de la veille (voir n° 125 à venir) était la terre de la cave de la Romanée Conti et n’était que cela, de même le Vouvray était devenu mandarine, et n’était plus que cela. Une fois le goût du fruit estompé en bouche, le Vouvray redevint multiple, avec des évocations de fruits dorés. Et le mimétisme reprit avec le Fargues 1989 rescapé de la veille, et à qui plusieurs heures d’oxygène supplémentaires firent un bien énorme. Sur les œufs au lait préparés par ma femme, le Fargues devint du même caramel que le jus, l’un ne pouvant se dissocier de l’autre. Fargues était caramel. Et seulement caramel. Et quand le plat s’éloigna, le Fargues reprit son opulente générosité de saveurs multiples.

Nous accueillons des invités à la maison. Lorsque j’avais participé à un jury de champagnes, j’avais été impressionné par la qualité d’une maison : Egly Ouriet. Nom inconnu, mais l’un des membres du jury me dit : « tu peux oublier Salon, la vérité est à Ambonnay ». Ouvert à toutes les expériences je repérai dans un catalogue de vente des Egly-Ouriet 1990. Il fallait en ouvrir un. Ce fut fait. Le champagne Egly-Ouriet grand cru 100% 1990 a une belle couleur légèrement fumée. La bulle est active mais de discrète densité. Le nez est profond, intense. Et en bouche, c’est un rayon de soleil qui éclaire le palais. Beau champagne qui coule de source, marquant la langue de belles saveurs complexes. Il raconte de jolies choses. On aura du mal à me faire oublier Salon, mais on pourra au moins me faire retenir ce nom difficilement prononçable : Egly Ouriet.

L’entrée consiste en une crème d’anchois et compote de betterave rouge. L’Arbois, chardonnay André et Mireille Tissot, « la Mailloche » 2000 a le cran de soutenir ces saveurs là. Il n’a pas l’empreinte des Jura forts mais une délicatesse rare. Il s’adapte sans jamais s’imposer.

On me raconte ici et là (le sais-je ?) qu’il existe des chefs qui ont trois étoiles dans un guide renommé. Mais combien de milliers de millions d’étoiles, de galaxies, d’amas galactiques faudrait-il pour couronner mon épouse et sa potée au chou ? Bien sûr, la potée n’est pas franchement incitative pour un vin et ma première idée était du coté de la bière. Mais je pris en cave un Saint-Nicolas de Bourgueil cave M. Allouin, « les vins de la mariée » 1979. A l’ouverture, on se dit que la nature ne peut pas être provoquée trop longtemps après les dates limites décentes, mais quelques heures d’oxygène lui donnèrent un semblant de restructuration. Et avec de l’imagination, on pouvait croire que les deux s’accordaient. Et en jouant le jeu, ça marchait. Mais c’est en fait l’Arbois qui fut suffisamment flexible pour s’adapter à la potée. Et il montra de bien belles évocations.

Le dessert consistait en un granité de mandarine et une tarte aux abricots. Malgré l’expérience de la veille, la froideur du granité empêcha le Vouvray de renouveler sa performance sur l’impression de mandarine. Il se vengea sur les abricots qu’il apprivoisa.

Le soir même je découvris un gentil champagne premier cru Fabrice Roualet non millésimé. Sur une belle tranche de foie gras, un Gewurztraminer vendanges tardives Edmond Rentz 1999 est fort acceptable. Belle présence subtile. Je repensai à Jean Frédéric Hugel qui déconseille vivement de commencer par le foie gras. Il n’a pas tort. Sur un plat au saumon fumé le Chablis Premier Cru Montée de Tonnerre François Raveneau 1974 a une jeunesse qu’on ne peut pas imaginer. Beau Chablis de charme. La viande rouge accueillit un Léoville Poyferré 1988 bien dense et sans histoire, quand la tarte au citron nécessitait un Besserat de Bellefon.

La France a cette chance immense, c’est qu’il existe toujours un plat pour aller sur un vin et toujours un vin pour aller sur un plat. Et quand on a l’esprit à s’enrichir de toute expérience nouvelle, chaque repas est un grand moment de bonheur.