Dîner de wine-dinners au restaurant de l’hôtel Meurice jeudi, 9 décembre 2004

Dîner de wine-dinners du 09 décembre 2004 au restaurant de l’hôtel Meurice
Bulletin 125

Les vins de la collection wine-dinners
Côtes du Jura blanc Léon Rouget 1973
Champagne Salon « S » 1982
Chante-Alouette Hermitage blanc M. Chapoutier 1955
Le Pin Pomerol 1987
Château Tertre Daugay GCC Saint-Emilion 1970
Château Gadet Médoc 1929
La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1957
Chambolle Musigny Domaine Grivelet 1972
Bonnes Mares Fernand Grivelet 1933
Château d’Yquem 1978
Château Doisy Védrines Haut-Barsac Sauternes 1940

Le menu composé par Yannick Alléno
Noix de coquilles Saint-Jacques et foie gras iodé aux langues d’oursin
Croustillant de pomme de terre, sucs de fenouil
Délicate gelée de bulots aux langues d’oursin
Crème de riz et croûte aux algues
Tronçon de turbot rôti aux échalotes grises
Gratin de cardon à la moelle et au parmesan
Tarte « Flammenkuechen » aux truffes
Jus tranché et coeur de salade à la crème
Noisette de biche façon Rossini
Pâtes gonflées au jus de truffe, sauce périgourdine
Assiette de bleu « Termignon »
Macaron au pamplemousse rose et coquelicot
Sauce à la pistache de Sicile

Dîner de wine-dinners au restaurant de l’hôtel Meurice jeudi, 9 décembre 2004

 

J’arrive à l’hôtel Meurice pour ouvrir les vins d’un nouveau dîner. Un imposant sapin blanchi de neige trône au milieu des ors et une exposition sur le thème du sapin, dont les couleurs et les formes originales s’étalent à l’envi, donne une note de gaieté et de modernisme dans le décor luxueux mais assez conventionnel de ce bel hôtel. Dans la salle du restaurant Yannick Alléno surveille la mise en place d’un sapin de cristal, pièce unique de Lalique, qui diffuse une lumière chirurgicale et blanche de très bel effet sur les marbres blancs de cette extraordinaire salle à manger. Originale décoration dans ce décor libertin. Bruno m’assiste pour les ouvertures. Malgré des parcours odorants que je peux décrire à l’avance, je n’ai pas la même décontraction que lors de dîners précédents, car il pourrait y avoir quelques caprices ou accidents. Le Bonnes Mares 1933 est radicalement mort, son bouchon ayant plongé dans la bouteille, ce qui était impossible à voir ou à prévoir. J’ouvre en compensation un Chambolle-Musigny 1972 du même propriétaire qui fut de loin la bouteille la plus épanouie à l’ouverture, avec cette odeur si palpitante de la belle Bourgogne. Yannick qui ne perdait pas une miette de l’opération d’assemblage de l’œuvre de cristal en profitait quand même pour venir sentir ces flacons. Il avait le même enthousiasme que moi, comme un enfant qui découvrirait un jouet posé sous le sapin. Je le voyais imaginer toutes les saveurs qu’on pourrait associer à ces arômes, d’une complexité qu’on ne trouve qu’en eux. La suite démontra qu’il les avait anticipées.

 

Il faudra qu’Aubert de Villaine m’explique pourquoi sous la capsule, dès qu’on la découpe, les bouchons des vins du Domaine de la Romanée Conti, donc de cette Tâche, sentent la terre, et pas n’importe quelle terre, celle de la plus vieille cave du Domaine. C’est frappant de voir se reproduire ce phénomène aussi souvent. Et de voir que cette odeur imprégnante de terre occulte toute autre sans affecter le vin.

 

Le menu composé par Yannick Alléno : Noix de coquilles Saint-Jacques et foie gras iodé aux langues d’oursin, Croustillant de pomme de terre, sucs de fenouil, Délicate gelée de bulots aux langues d’oursin, Crème de riz et croûte aux algues, Tronçon de turbot rôti aux échalotes grises, Gratin de cardon à la moelle et au parmesan, Tarte « Flammenkuechen » aux truffes, Jus tranché et coeur de salade à la crème, Noisette de biche façon Rossini, Pâtes gonflées au jus de truffe, sauce périgourdine, Assiette de bleu « Termignon », Macaron au pamplemousse rose et coquelicot, Sauce à la pistache de Sicile.

 

J’adore faire un dîner avec Yannick Alléno, car il est ouvert et empathique comme un Guy Savoy, attentif et créatif comme un Guy Martin. La différence avec le dîner précédent qu’il fit en ce début d’année, c’est qu’il ne va pas vers une troisième étoile, il y est. La notation n’est pas parue, mais elle est dans l’assiette. (Il se peut que chacun de ces chefs n’aime pas être assimilé à un autre car ces artistes sont uniques, sculptés dans le marbre de leur forte personnalité. Mais j’aime chacun des trois, ainsi que beaucoup de ces chefs studieux qui font l’excellence de la France).

 

Voyons un peu les vins. Le Côtes du Jura blanc Léon Rouget 1973 est apparu avec une oxygénation idéale qui avait musclé son expressivité. Nous avions la chance que la table comptât des amoureux du Jura. Ils apprécièrent d’autant plus la générosité épanouie de ce vin. J’avais demandé à Yannick de pousser un peu l’oursin afin de provoquer le Côtes du Jura. Ce fut un combat gustatif de belle passion. Je ne pensais pas que le Champagne Salon « S » 1982 allait venir avec le même plat, je ne m’en souvenais plus, et c’est en fait une erreur. Le sublime Salon, aux évocations de vin ancien, au charme quasi irréel était mis à mal par le Léon Rouget qui avait tant d’aisance. Il eût fallu sans doute que le Salon soit seul. C’est du pointillisme tant ce champagne montra que l’on peut aller loin dans la qualité. Il servit même de tremplin au vin du Jura, adoré de tous.

 

J’avais absolument voulu que Yannick mît le Chante-Alouette Hermitage blanc M. Chapoutier 1955 sur le plat de bulot. J’avais en effet en tête le goût du bulot. Mais en fait le plat est d’une subtilité iodée qui chavire l’âme. Entraîné comme par une sirène, on succombe à l’invraisemblable perfection de la gelée, on croque l’auréole verte d’algue, cache-sexe de Neptune, montée sur un porte photos à pince, biscuit qui se marie bien à l’Hermitage. Et ce vin que je trouve absolument charmant de rondeur et d’affabilité discute bien avec l’algue, quand il ne peut pas se frotter à l’iode de la gelée. Ce vin est remarquable mais fut peu remarqué, tant le programme était dense. Lorsqu’en fin de repas on dit à Yannick que ce fut l’accord le moins naturel, celui-ci, d’un sourire qui fut un tacle assassin contre un équipier de son camp, répondit : « c’est le choix de François ». C’est vrai, c’est moi, je l’avoue, car je voulais ce plat. Et même si le Côtes du Jura eût été divin sur ce bulot, j’assume cette envie que j’avais eue.

 

Le Pin Pomerol 1987 est un vin dont on parle, mais qu’on ne boit jamais. Pour moi, c’était le premier essai. Regardons les choses, c’est un vin qu’on ne boit que quand on vous l’offre. Il fallait l’essayer. Ce fut fait. A propos de ce vin je ne peux m’empêcher de vous raconter à nouveau une anecdote que j’avais relatée dans le N° 11 (c’est vieux maintenant, ce qui justifie la redite). Reçu à un cocktail à Yquem, je bavarde avec la fine fleur de l’aristocratie vineuse du bordelais. Discutant avec une charmante dame, celle-ci me dit : « mon mari est garagiste ». Immédiatement, du fait de l’atmosphère dans laquelle nous baignions, je lui demande si son mari est l’heureux propriétaire de Le Pin, le vin de garage par excellence. Elle me répondit : « non monsieur, mon mari a la concession pour la Gironde de … » et elle me cita une marque automobile très éloignée de la vigne. J’ai ri de ma méprise. Revenons à Le Pin : à l’ouverture, j’avais été effrayé par un nez métallique, mais j’espérais le retour. Bruno me servant à table la première rasade, j’eus encore cette odeur désagréable qui me fit grimacer. Ceci allait conditionner la suite, alors que je voyais ce vin revivre à grande vitesse. J’eus même quelques beaux moments de grande vibration. Disons le sur ce que j’ai vu : on imagine très bien la construction attentive, l’application dans les méthodes. On ressent les concentrations extrêmes. On est poussé vers les meilleurs vins du monde avec assez d’élégance. Mais ce ne fut pas suffisant, du fait de cette bouteille, pour adhérer définitivement à un vin dont on peut soupçonner des réalisations spectaculaires. A coté, le Château Tertre Daugay GCC Saint-Emilion 1970 paraissait élégant, subtil, précieux même comme un incunable. Joli Saint-émilion à qui d’aucuns trouvèrent du bouchon que je n’ai en aucun cas détecté. C’était un joli vin, plus frêle qu’un 1970 habituel, mais vrai dandy séduisant. Le gratin de cardon était à se pâmer et l’une de mes jolies voisines succombait à cette perfection gustative.

 

Le Château Gadet Médoc 1929 allait faire l’unanimité absolue. Il faut que je raconte son ouverture. La bouteille est belle et je la prends en main. Immédiatement je remarque que la bouteille est du 19ème siècle, soufflée, et même particulièrement ancienne. La capsule est d’origine et le niveau est très haut pour cet âge. Un aspect sain et rare. Je débouche, et je tire un bouchon tout rabougri et tordu. Un tel bouchon ne peut pas avoir permis de garder ce niveau. Où est l’anomalie ? Et c’est alors que je remarque que c’est le goulot de la bouteille qui a imprimé la forme au bouchon. Il ne s’était pas rétréci mais avait épousé un goulot incroyablement petit, le verre étant irrégulier et par endroit trois fois plus épais qu’il ne devrait. Et ce bouchon très nettement comprimé avait gardé un vin parfait. Ce qui me remit en mémoire le Chambertin 1811 que Jean Luc Barré avait fait partager à quelques amis. Nous avions un bouchon très court et très étroit, d’une densité quasi indestructible, qui avait parfaitement conservé ce vin. Que faut-il en déduire ? Je serais tenté de le faire : des bouchons de pureté extrême mais plus fins ne conserveraient-ils pas mieux les vins de garde ? Grâce à cette surprenante verrerie, nous eûmes un Médoc sublime, d’un épanouissement absolu, charmeur, rond, et d’une couleur extrêmement jeune. Un beau vin de charme qui forma avec la tarte aux truffes un moment d’extase. Un très grand gastronome, esthète et écrivain présent, confessa que si l’on arrêtait le repas à ce moment là, il n’aurait besoin d’aucun autre plaisir : il était touché par la perfection du moment. Il est resté. Il a bien fait.

 

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1957 bien oxygéné est vraiment le point de départ idéal, pour le « baptême » de beaucoup de convives, quand on découvre pour la première fois le charme des vins du Domaine de la Romanée Conti. On a, dès le premier contact, ce nez qui affiche le message de la Bourgogne : « n’attendez pas de moi la moindre séduction, je ne vous délivre que de l’énigme ». Et je l’avouerai volontiers, je succombe à cette approche troublante. Comme je l’ai déjà dit dans un bulletin, c’est « suivez-moi jeune homme ». C’est le mystère. Et en bouche l’énigme continue, mais les pièces s’emboîtent. On sent qu’à l’attaque du palais, le charme commence à opérer. Ce fut un beau La Tâche, magistralement aidé par la tendreté expressive de la biche. Mais comme le Jura de Léon Rouget ne s’en laissait pas compter par le Salon, le Chambolle-Musigny Grivelet Père et Fils 1972, remplaçant du Bonnes Mares, montrait un niveau qualitatif rare, très supérieur à son niveau attendu. Et, il faut bien le dire, apparu flamboyant dès l’ouverture, il a continué d’éblouir, au point de surpasser La Tâche sur ce plat. Ce qui, compte tenu de la performance inhabituelle de ce Chambolle, n’enlève rien à la prestation de La Tâche, de grande qualité. Le Bonnes Mares Fernand Grivelet 1933 fut absent à l’appel. Rien n’aurait pu le réveiller, contrairement à ce qui apparut dans un dîner chez Guy Savoy où ce vin fut ouvert (bulletin 13). J’eus la mauvaise surprise alors de voir le bouchon tomber devant moi quand je découpai la capsule. Ici, le bouchon avait déjà rendu l’âme bien avant, sans que ce fût visible. Chez Guy Savoy le Bonnes Mares revint brillamment à la vie. Ici point.

 

Comme notre palais est encore sur ce brillant 1972, il faut que je vous conte une anecdote collatérale. Un américain ami, Bipin Desai, palais incommensurable, m’avait appelé peu de jours avant, me demandant avec une politesse toute anglo-saxonne s’il pouvait utiliser mon nom pour se recommander auprès de Yannick Alléno. Précaution de pure politesse. Il n’avait pas annoncé le jour. Je découvris avec surprise que ce serait le même soir. Il n’était pas possible de fusionner nos tables. Trois américains dînèrent donc à portée de rond de serviette.

 

Mon ami me fit savoir avec fierté ce qu’ils buvaient : Montrachet du Domaine de la Romanée Conti 1995, Cheval Blanc 1990 et Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti (je répète pour que l’on voie bien que c’est bien elle) 1972. Je vins les complimenter, pensant que notre Premier Ministre avait trouvé là, par la grâce de ces américains, la solution du comblement du déficit budgétaire de la France, et mon ami me fit goûter le Cheval Blanc 1990 puis me donna un verre de la Romanée Conti 1972. Le Cheval Blanc est grand, mais ayant eu en bouche des vins parfaitement oxygénés, la première impression d’un vin qui n’a pas pris son essor me poussa à le juger parfait mais non encore accompli. Je le sens d’un fort potentiel.

 

Le fait d’avoir eu en bouche le goût de la Tâche 1957 et de ce grandiose Chambolle 1972 m’aida à profiter de façon totalement idéale de la perfection absolue de la Romanée Conti 1972. Le nez est le même que celui de cette Bourgogne qui parle par énigme. Le nez est suffisamment déstructuré pour tenir en haleine. Puis en bouche, un liquide particulièrement loquace. Tout se raconte en à peine une gorgée. On a une des subtilités les plus extraordinaires qu’un vin soit capable de délivrer. Quel bonheur que ce vin là, qui justifie pleinement pourquoi il est si recherché. Il dit tout, il pense tout. Il existe, il est là, il irradie. Un pur privilège.

 

Le Château d’Yquem 1978 n’allait pas se laisser impressionner par cet environnement. Plutôt discret pour un Yquem, il joua un duo avec un fantastique fromage qui le propulsa dans des explorations très inhabituelles de saveurs. Le chemin que les deux firent ensemble est d’un remarquable intérêt. Ce Yquem fut « the right wine at the right place », situé exactement où il fallait qu’il fût. Le Château Doisy Védrines Haut-Barsac Sauternes 1940 m’avait ravi à l’ouverture et j’en attendais plus. Bien sûr j’avais perçu une légère blessure, mais tout semblait en place. Et là, bien que délivrant de beaux messages, la belle restait sous sa voilette, se cachait derrière son éventail, suggérant au lieu d’exploser de beauté. C’est évidemment un beau Sauternes complexe, rehaussé par la subtilité d’un dessert réussi. Mais il eut pu briller plus.

 

Le classement, tradition de fin de repas, fut nettement plus concentré que d’habitude sur les têtes de liste, tant certains vins surclassaient les autres. J’adore quand les performances des vins entraînent qu’ils soient nombreux à être classés dans les votes. Ici ce fut plus resserré. Ma joie vient du fait que ce sont le Jura, le Gadet, le Chambolle et la Tâche qui furent les plus prisés.

 

Mon vote fut en un le Chambolle-Musigny 1972, en deux le Gadet 1929, en trois la Tâche 1957 et en quatre le Côtes du Jura 1973.

 

On serait en peine de classer les saveurs tant elles furent belles. La Flammenhkuechen est une institution et avec le Gadet, ce fut l’accord sublime. Le gratin de cardon est une saveur intergalactique. Mais j’ai quand même un faible pour la gelée des bulots et les langues d’oursin. On entre là dans la belle invention d’un artiste affirmé.

 

L’assemblée fut joyeuse, les échanges furent animés, chacun trouvant avec d’autres convives des sujets d’intérêt. Ce repas fut d’une perfection subtile particulière. Le Gadet fur envoûtant.

 

Mais mon Dieu que la Romanée Conti 1972 est belle !

 

Sachant que mon ami américain était à nos cotés, et me souvenant que ce fut avec Alexandre de Lur Saluces que nous nous connûmes, j’avais apporté pour cette retrouvaille un Château de Fargues 1989, petite attention à l’égard de notre ami commun, pour lequel nous trinquâmes. Ce Fargues est un grand Fargues, épais, de pur miel, et de pur bonheur amical. Il a trouvé des prolongements le lendemain que j’ai racontés dans le bulletin 124, où il fut miel mais aussi caramel, pur caramel.

 

Déjeuner d’amis mercredi, 8 décembre 2004

Déjeuner d’amis. Un Mumm 1982 est particulièrement brillant, un léger fumé accompagnant une intensité rare. C’est un champagne joyeux, beaucoup plus accompli que le beau 1985 prélevè sur la même cachette. Le Château Montrose 1986 est un bon Bordeaux. Un tannin bien équilibré, une structure très tramée. Il est assez ascète, et ne cherche pas à en faire trop. Son passage en bouche est assez court (tout est relatif), et l’on retient surtout la véracité de la construction et sa bonne éducation. Mais aussi une certaine absence d’émotion.

Dîner aux Ambassadeurs mardi, 7 décembre 2004

Je retins des fidèles d’entre les fidèles de l’Académie pour un dîner aux Ambassadeurs, sur l’élégante et technique cuisine de Jean-François Piège. L’agneau du Limousin se présenta avec une cuisson et des saveurs intenses de la plus belle qualité. Conseillé par l’un des fidèles et de plus ami, je choisis un Hermitage « Le Gréal » Marc Sorrel 1999, mais à aucun moment je n’eus le moindre plaisir, la bouteille souffrant du froid et d’un ton liégeux. Nous accueillîmes donc un Pommard « Les Rugiens » Hubert de Montille 1989. Comme le premier, ce vin apparut trop froid, ce qui n’est pas normal. Car on ne reçoit que la moitié du message qu’il émet. Bien sûr le palais exercé sait ce qui va venir, mais ce n’est qu’à la moitié de la bouteille que ce vin décline son identité, montre ses papiers, et déclare ses intentions. Magnifique travail dans le respect du terroir. C’est un Pommard comme on les aime, qui chante et lance de folles vocalises dans des prés romantiques. Sur un dessert au marron, j’essayai un Passito di Pantalleria « Bukkuram » de Bartoli 2001 flatteur mais pas encore structuré. C’est en fait un Rhum de 7 ans d’âge (ne riez pas, il est écrit : « vieux ») distillerie de Savanna à la Réunion, au goût magnifique, profond, sensuel, plus expressif encore en bouche qu’au nez, qui fit briller le dessert.

David Biraud que j’apprécie pour son talent va vite corriger ce problème de température. Il reste la belle impression d’un temple de la gastronomie qui promet de nous ravir de plus en plus.

La réunion pré-inaugurale de l’académie des vins anciens mardi, 7 décembre 2004

Dans les ors et les stucs de l’hôtel de Crillon, quarante amis s’étaient rassemblés à la demande de Nicolas de Rabaudy et moi-même pour parler du patrimoine des vins anciens. Il s’agissait d’évoquer la structure que je souhaite créer pour la mise en valeur et la compréhension des vins anciens. Ce parterre prestigieux, comptant des grands vignerons, des gens de presse, des habitués de mes dîners et des amateurs a accueilli avec chaleur ce projet, à mettre en place au courant de l’année 2005. J’y reviendrai sans doute. Mais parler de vins sans en boire eut été criminel. Se plaçant dès à présent dans l’esprit de ce que sera « l’Académie des vins anciens », qui publiera ses travaux, j’obtins que des dégustateurs bénévoles fassent le compte-rendu de dégustation de cette séance de travail pré inaugurale. Les rapports enrichiront les archives de cette Académie à naître.

Pour faire entrer chacun de plain pied dans un monde de saveurs ignorées, je fis servir d’abord un Saint-Raphaël des années 40. Les amertumes se sont estompées, les acidités se sont regroupées et on a en bouche un pur rancio de pleine maturité où l’écorce d’orange se fait discrète sur la finale en bouche. Un pur bonheur. Bernard Antony nous avait adressé des fromages de compétition : affinage parfait, maturité idéale. Mais ces fromages de haute personnalité occupent souvent le devant de la scène. Il n’était pas question ici de raffiner dans l’extrême détail mais de suggérer. Sur cet apéritif, une délicieuse fourme fut précieuse. De nombreux convives furent étonnés de l’extrême légèreté de cet apéritif pourtant puissant. La rondeur acquise était le signe que je voulais donner à cette docte assemblée.

Le Gewurztraminer Clos Zisser Sélection de Grains Nobles Klipfel 1976 a séduit toutes les tables. Quatre bouteilles furent ouvertes, fort heureusement assez homogènes de goût. Deux bouteilles avaient des robes très contrastées. L’une était de miel pur quand l’autre était dorée comme un coing. En bouche, une longueur extrême et des évocations subtiles où le pain d’épice, l’agrume mais aussi l’iode et le thé se mêlaient. Sur un cadeau royal, un Comté de l’automne 2000, donc de quatre ans d’âge, je fus surpris que l’intensité d’imprégnation du fromage puisse aussi bien se marier à l’élégance de ce prodigieux Alsace.

J’avais pris mes risques avec un double magnum de Château Meyney 1969. Il lui manquait un peu d’oxygène dans le verre, et quelques minutes plus tard, on découvrait des subtilités discrètes mais réelles à ce vin apparu un peu plat, un peu court, un peu coincé. Il fallait cependant que l’on eût ces témoignages qui s’inscrivent dans la démarche. Plusieurs dégustateurs attentifs eurent la récompense de leur patience, car lentement ce Saint-Estèphe accomplissait son éclosion, pour offrir une dentelle de belle facture.

Le Mazoyères Chambertin Grand Cru Camus Père et Fils 1989 montra fort opportunément qu’un vin jeune comme celui-là peut apparaître plus vieux que ses aînés. Belle subtilité un peu discrète, un peu aqueuse, et témoignage qu’il fallait découvrir. On le fit sur une tomme d’abondance du plus bel effet.

Il fallait évidemment terminer sur les saveurs qui me rendent fou d’amour. Un Banyuls Ermitage de Consolation Hors d’Age, qui a probablement cinquante à soixante ans enthousiasma notre groupe studieux. Ces saveurs toutes en rondeur, intégrées, mais imprégnantes de pruneaux, pâtes de fruits et confiture de mirabelle réjouissent l’âme. Et le délicieux Stilton très typé se mariait au mieux.

Riedel nous avait prêté les verres de dégustation parfaitement adaptés. J’ai signé mon livre à m’en fatiguer le poignet. Cette séance qui n’est pas inaugurale mais la prépare a permis de mesurer l’accueil fervent que recevra cette Académie, qui correspond à un réel besoin de compréhension et d’activation de ce trésor souvent enfoui dans des caves inertes.

galerie 1947 – Cheval Blanc vendredi, 3 décembre 2004

Au Salon des Grands Vins, en Mars 2003, je présente quelques bouteilles vides de grand prestige, dont un magnum de Cheval Blanc 1947.

Une ancienne propriétaire de ce prestigieux salon voit cette bouteilleet reconnait les armoiries qui figurent sur sa chevalière. C’était l’occasion de photographier cette correspondance. Grande nostalgie d’avoir dû vendre cette propriété familiale.

Présentation des vins Hugel à Hiramatsu vendredi, 3 décembre 2004

Devant préparer une conférence qui se tiendrait le lendemain, j’avais prévu de déjeuner avec Nicolas de Rabaudy, co-initiateur de cet événement. Nous réglons quelques sujets d’intendance et il m’annonce : je ne peux pas déjeuner avec vous. Ah, bon ! Mais que faites vous ? Je vais déjeuner avec Jean Frédéric Hugel chez Hiramatsu. Estimant que ce déjeuner ne pouvait se faire sans moi, je priai Nicolas de me prendre dans ses bagages. J’ai pu participer à un déjeuner de rêve.

Je suis accueilli chaleureusement par Hide de Hiramatsu et par Jean Frédéric Hugel qui, comme Maurice Chevalier quand il annonçait tous les mois sa retraite, fête dix fois plutôt qu’une son quatre-vingtième anniversaire. Le repas fut d’une belle conception, les saveurs inventives mettant en valeur des vins particulièrement beaux. J’aurai pu constater lors de ce repas la belle réalisation d’une cuisine intelligente, et l’ampleur imaginative des vins d’Alsace, dont les grands vins devraient plus souvent trôner sur nos tables, y compris avec des plats qu’on ne leur associerait pas spontanément.

Voici le menu raffiné offert à la fine fleur de la presse vineuse : homard breton mi-cuit, crème de noisettes caramélisées, dans son jus de corail, noix de Saint-Jacques poêlées et rhubarbe en brick, sauce champagne aux baies roses, foie gras poêlé, confiture d’oranges amères, canard de Challans fumé et pané au pain d’épice, sauce à la violette, Tatin caramélisée, glace Earl Grey et coulis exotique à l’aneth.

Le choix des vins fut éclectique et intelligent, destiné à séduire le palais le plus difficile. Le Riesling Hugel Vendange Tardive  1998 est beau, rond, expressif et jeune. Il a un beau gras en bouche. Le Riesling Hugel Vendange Tardive 1961 en magnum a un nez très prononcé. Un goût de miel aussi beau que sa couleur, des évocations légères de miel, de fumé, de pâte de fruit. Le  Riesling Hugel 2003, vin ordinaire s’il en est, a un joli nez alsacien. En bouche, c’est un bonbon acidulé. Sa caractéristique, c’est une grande pureté. Le Riesling Hugel Jubilée 1998 est d’un ascétisme rare. C’est l’expression totalement pure, sans aucune fioriture, du beau Riesling. Ce sont deux Riesling très typés qui nous sont offerts, intéressants dans leur définition authentique. Le Jubilée a un beau final. Le Pinot Gris Hugel Vendange Tardive  2001 forme avec l’endive orangée une association de rêve parce que rien ne peut normalement dompter l’endive. Belle pirouette culinaire, et belle persuasion du Pinot. Le Pinot Gris Hugel Vendange Tardive  1961 en magnum est explosif de perfection arrondie. C’est un concentré parfait de ce que doit être ce vin quand il est accompli. Le 2001 est exubérant de jeunesse pré pubère et le 1961 a la certitude de la maturité. Voilà du grand vin. Le Pinot Gris Hugel les neveux 2003 a un nez intéressant, mais ce vin est vraiment trop jeune pour moi tel qu’il est là. Je ne peux pas juger. Le Gewurztraminer Hugel Sélection de Grains Nobles 1997 « S » est magnifique de fruits confits. Il y a de l’orange, de la prune confite. Le  Gewurztraminer Hugel Sélection de Grains Nobles 1976 a un nez unique. C’est d’une noblesse rare. Il n’y a pas que les grains qui sont nobles, il y a aussi le résultat final. Si le 97 évoque le caramel, le prodigieux 76 est un beau fruit.

Jean Frédéric Hugel adore parler et il dispense généreusement son savoir immense, fondé sur un bon sens indestructible, doublé d’une expérience frottée aux savoirs ancestraux. On devrait noter tout ce qu’il dit, avec truculence bien sûr, mais surtout avec pertinence. Il aura réussi par ce déjeuner à nous faire aimer encore plus les beaux vins d’Alsace, si complets dans leurs expressions complexes.

Salon des Saveurs jeudi, 2 décembre 2004

Je signe mon livre dans une boutique dédiée aux articles pour le vin. Je suscite l’intérêt de quelques clients. Le lendemain, c’est pour France Info que je vais parler de mon livre au Salon des Saveurs. Quelle fabuleuse tentation ! Tout a l’air bon. On pourrait avoir jeûné pendant un mois et jeûner ensuite pendant un mois tant des produits de grande qualité n’attendent que nos papilles. De nombreux vins sont présentés. Je retiens un très beau Chablis Grand Cru Blanchot la Chablisienne 2002 déjà plus ouvert et fruité que le « Grenouille ». Je retrouve avec bonheur la famille Laborde qui fait le beau Château Clinet et de délicieux Tokaji.

galerie 1948 lundi, 29 novembre 2004

Chateau Mouton Rothschild 1948. Dessin de Marie Laurencin.

Vu la photo, le concept de "château" est assez extensif ! Il y a de fortes chances que ce soit un vrai Pétrus 1948, celui-là !

Présentation de vins samedi, 27 novembre 2004

Les ventes aux enchères se succèdent à un rythme fou en cette période de fin d’année. Pour faire la différence, les sociétés de vente choisissent des lieux flatteurs et des événements connexes. Artus, accolé à Chateauonline, fait une vente à l’Hôtel Meurice suivie d’un cocktail. J’en profite pour aller dire bonjour à Yannick Alléno dans son bureau en sous-sol, irrespirable tant de magiques truffes noires et blanches (une fortune étalée comme chez un diamantaire) explosent d’odeurs enivrantes. Je croque quelques hosties noires et contemple émerveillé les toutes dernières créations de la nouvelle carte. Quelle joie de vivre se dégage de ce chef enthousiaste et convaincu. Auprès de lui je me sens bien, rassuré que la grande cuisine soit incarnée par sa belle personnalité. Je remonte dans les ors et les stucs où des vignerons présentent de bien beaux vins expliqués par Jean-Michel Deluc, l’expert sommelier attaché à Chateauonline. Ce n’est pas la première fois que je l’entends expliquer les vins, et j’avoue que j’aime ses discours toujours positifs, qui savent avec sérénité faire apparaître les beaux aspects des vins. Le savoir est discrètement saupoudré pour ne pas lasser, les descriptions sont expansives, poussant à la limite de l’imagination les analogies. Car, avouons-le, comme j’aurais du mal à reconnaître certaines épices si on me les présentait seules, on comprendra que j’hésite à les trouver dans un vin. Mais c’est avec une belle élégance que Michel Duluc élargit notre champ de vision sur de beaux breuvages. Le champagne Delamotte non millésimé est très élégant. Il est de belle stature. J’ai un peu de mal à m’habituer à Salon 1995, tant ses aînés ont du talent quand le vineux s’exprime. Il va dans peu de temps se révéler magistral (je sens déjà une évolution depuis le dernier essai d’il y a deux mois). Mais c’est encore trop dur à boire, alors que Didier Depond l’aime déjà comme cela. Ce que je peux concevoir, sur une cuisine plutôt rebelle.

Olivier Humbrecht présente un très joli Pinot Gris Windsbuhl Zind-Humbrecht 2002 au nez d’une belle personnalité. Ce vin déjà goûteux va gagner une joie de vivre resplendissante avec quelques années. Ces beaux Alsace ont des choses à dire. Je ne comprends pas bien comment Jean-Michel Deluc peut préférer Clinet 2001 à Pétrus 2001. C’est évidemment un beau Pomerol, mais Pétrus est Pétrus. Comme c’est une question de goût, je peux l’admettre, mais ce Clinet puissant n’est pas, pour l’instant, dans les goûts que je chante.

Taylor’s présente trois vins de Porto de types radicalement différents. Mon Dieu que ces vins ont des choses à dire. Quelle expression, quel charme, quelle jouissance sous-jacente. Bien sûr l’alcool aide. Mais l’impression de ces fruits noirs que l’on croque avec gourmandise, que c’est bon. Si un 20 ans d’âge est rassurant, c’est le coté canaille d’un Quinta de Vargellas vintage 2001 qui me surine de sa brutalité interlope. Antonin Rodet présentait hors programme un bourgogne ordinaire vanté par Jean-Michel Deluc. Franchement je n’ai pas compris ce choix. Un ésotérisme qui m’échappe. Ce qui ne dévalorise en rien cette grande maison.

Je quittais cette belle assemblée car un autre commissaire priseur m’attendait au Fouquet’s. Là, on avait prévu de biens bons petits fours, mais on avait sans doute oublié que l’on recevait des collectionneurs de vins (ou au contraire on le savait), car aucun breuvage ne pouvait retenir l’attention. En revanche les collectionneurs rencontrés avaient du talent. C’est peut-être ce raffinement là qui était visé.