Dîner de wine-dinners au restaurant Le Carré des Feuillants jeudi, 25 novembre 2004

Dîner de wine-dinners du 25 novembre 2004 au restaurant Le Carré des Feuillants
Bulletin 123

Les vins de la collection wine-dinners
Champagne Ruinart Brut NM
Champagne Veuve Clicquot rosé 1985
Pavillon blanc de Château Margaux 1981
Chablis Grand Cru « Blanchot » Domaine Vocoret 1988
Château Latour 1er GCC Pauillac 1962
Château Trottevieille Saint Emilion 1943
Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1987
Pommard Epenots Colomb-Maréchal Négociant Propriétaire 1926
Château Loubens Sainte Croix du Mont 1937
Château Rayne Vigneau Sauternes 1924

Le menu conçu par Alain Dutournier
L’huître de Marennes au caviar d’Aquitaine et les algues marines
Cappuccino de châtaignes à la truffe blanche d’Alba
Homard pimenté et rôti – nougatine d’ail doux
Noix de lotte croustillante, fumet mousseux au raifort
Gâteau de topinambour et foie gras aux premières truffes
L’aile d’oie grillée, la cuisse confite à l’étouffée dans l’argile
Douceurs d’oranges du Cap, crêpe soufflée, gelée de fleur d’oranger, cannelle de Ceylan
Blida de « Suzette – Marnissimo »

Dîner de wine-dinners au restaurant le Carré des Feuillants jeudi, 25 novembre 2004

Dîner de wine-dinners au restaurant le Carré des Feuillants. Alain Dutournier a composé un menu fort judicieux et ciselé pour les vins variés de ce repas. Qu’on en juge : L’huître de Marennes au caviar d’Aquitaine et les algues marines, Cappuccino de châtaignes à la truffe blanche d’Alba, Homard pimenté et rôti – nougatine d’ail doux, Noix de lotte croustillante, fumet mousseux au raifort, Gâteau de topinambour et foie gras aux premières truffes, L’aile d’oie grillée, la cuisse confite à l’étouffée dans l’argile, Douceurs d’oranges du Cap, crêpe soufflée, gelée de fleur d’oranger, cannelle de Ceylan, Blida de "Suzette – Marnissimo"

L’huître en gelée fut un pur plaisir de gastronomie, le gâteau de topinambour rappela fort opportunément qu’on peut manger solide et bon (quelle belle et goûteuse truffe noire qui arrive à propos). Et la douceur du Cap est décidément ce qui se fait de mieux sur les liquoreux.

A l’ouverture des bouteilles vers 17 heures, le bouchon du Pommard 1926 se brise en mille morceaux et libère une odeur qui va se bonifier pour devenir grandiose, je le sens. L’Echézeaux va s’épanouir en prenant un bol d’air, et les deux Bordeaux vont s’ébrouer. Si je goûte un peu du merveilleux Loubens et du puissant Rayne Vigneau avec Christophe, attentionné sommelier très intelligent, c’est par gourmandise. Aucune odeur ne me donne la moindre angoisse. C’est donc le cœur léger que je vais attendre le dîner en profitant d’un cocktail où je suis invité dans l’une des prestigieuses boutiques de la Place Vendôme, ouvertes ce soir pour mettre en valeur la décoration résolument moderne de la place, pour rappeler au monde que c’est ici, à Paris, que le luxe est inventif, festif et joyeux. Je n’y bus que de l’eau et revins au Carré attendre mes convives.

Le champagne Ruinart non millésimé de sans doute dix à douze ans est beau. Il est élégant, discret, et s’amuse à changer de costume chaque fois qu’Alain Dutournier lui propose une saveur complice. Très archétypal, il est le chevalier servant idéal. Le champagne rosé veuve Clicquot 1985 a une magnifique couleur d’hortensia d’automne. Il n’a pas pris une ride et éclate de jeunesse sucrée. Le capuccino lui va à merveille, accentuant par la châtaigne le doucereux délicat.

Le Pavillon blanc de Château Margaux 1981 surperforme largement sa droite de tendance comme on dirait au Palais Brogniart. Traduisez : très nettement au dessus de ce qu’on pourrait en attendre. Il explore des variations de saveurs, des changements de rythme dans le palais qui laissent surpris devant tant d’imagination. Le Bordeaux blanc, à ce niveau, a une complexité folle de grand art.

Le Chablis Grand Cru Blanchot, Domaine Vacoret 1988 confirme son statut de grand cru. L’âge lui a fait intégrer ses composantes, et il brille sur une lasagne au discret mais tenace caviar. C’est solidement bon.

Le gâteau de topinambour accueille Château Latour 1962 magnifique d’opulence de rondeur, de justesse de ton. C’est comme un piano qui vient d’être accordé : chaque note en est plus belle. Il fait un peu d’ombre – au départ – au Château Trottevieille 1943 encore un peu poussiéreux, mais qui se libère avec une grande facilité et devient un Saint Emilion raffiné qui sera même distingué dans l’un des classements finaux. La truffe très prononcée imprima un de ces mimétismes dont je raffole : le Latour 1962 avait un nez de truffe. Il avait dérouté les effluves de la précieuse tubercule pour se les approprier. De tels rapts sont fascinants.

L’Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1987, abondamment aéré, offrait une puissance rare pour l’année, et déclamait de beaux messages bourguignons. Sans doute pas explosif, mais élève studieux et doué. Le Pommard Epenots Colomb Maréchal 1926 m’a tiré des gloussements extatiques de pamoison. Je jubilais, je jouissais, possesseur que j’étais des clés de Champollion pour en lire tous les pictogrammes. Mais je fus –agréable surprise – rejoint dans mon extase par plus d’un convive qui acceptaient d’entrer dans ce monde de vins surprenants où la porte du grenier grince un peu, mais où les trésors enfouis dans les coffres sont des découvertes d’Ali Baba.

Comme le Pavillon Blanc, le Château Loubens, Sainte Croix du Mont 1937 s’afficha à un niveau quasi irréaliste pour son appellation. C’est un grand liquoreux, à la trame frêle (on n’est pas en sauternais) mais qui expose une palette d’arômes de la plus belle diversité. Et l’orange lui a donné des aspects sublimes. Grand vin.

Le Rayne Vigneau 1924, largement plus ambré, place la barre beaucoup plus haut, mais ne fait en rien pâlir Loubens qui n’est pas relégué en deuxième division. Le Loubens a la subtilité qui convient, et le Rayne Vigneau a un sourire, un chant ensoleillé et une séduction qui déshabille la Suzette de la crêpe dans une danse lascive.

Bien difficile de faire un vote dans cette diversité d’expressions. Les vins les plus cités en bon rang furent le Latour 1962, Le Pavillon Blanc 1981, le Château Loubens 1937 et  l’Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1987. Les votes, tous différents, mirent cinq vins sur dix, soit la moitié, en première place pour neuf votants, signe d’une grande diversité, et signe que cinq vins méritaient cet honneur. Mon vote fut le suivant : en un Rayne Vigneau 1924, car il n’y a rien d e plus beau que ces saveurs là. En deux le Château Loubens, car il a produit une performance rare, en trois le Pommard 1926, le plus émouvant, mais dont la légère blessure justifie cette place, et en quatre le Latour 1962, sublime d’équilibre.

Les plus beaux accords furent la châtaigne avec le Veuve Clicquot rosé, la truffe avec le Latour, la cuisse d’oie avec le Pommard et l’orange du Cap avec le Loubens. La plus belle saveur fut l’huître en gelée avec un biscuit d’algues.

Accueil toujours charmant, service bien rôdé, table bien proportionnée dans un décor adapté de couleurs sobres. Une table de convives qui apprenaient à grande vitesse et comprirent ces vins anciens. Une belle soirée amicale peuplée de saveurs qui ne seront plus jamais reproduites et n’existeront plus que dans la mémoire de convives conquis.

L’Académie du Vin de France mercredi, 17 novembre 2004

L’Académie du Vin de France se réunit pour son dîner de Gala au restaurant Laurent. C’est l’occasion de goûter les vins des membres de l’Académie dans leurs productions récentes de 2003, 2002 ou 2001 selon les vins. Où pourrait-on en quelques pas seulement passer de Zind-Humbrecht à Cauhapé, de Château Simone à la Maison Huet, de la Romanée Conti à Haut-brion, du Domaine Leflaive à Fargues ? Nulle part ailleurs. De plus, on trinque avec les propriétaires. Ce que j’ai fait pour La Tâche Domaine de la Romanée Conti 2002 dont j’ai apprécié le nez d’une belle élégance et le goût qui commence à se structurer. Hubert de Montille, la star de cinéma (Mondovino) était tout sourire ainsi que de nombreux propriétaires  satisfaits de leur année comme le sont les élèves au bon carnet scolaire. Ici, toutes vendanges étaient faites. Je suis placé à une table prestigieuse puisque s’y trouvent les propriétaires ou gérants de la Romanée Conti, de Haut-Brion, de Bonneau du Martray, de Château Simone, de la Commanderie de Peyrassol. Les discussions passionnantes furent précédées par de sobres mais denses discours du président sortant, Jean Noël Boidron justement acclamé et du nouveau président Jean Pierre Perrin au dynamisme connu.

Jacques Puisais fut le Monsieur Loyal du beau dîner conçu par un Alain Pégouret particulièrement brillant. Jacques commenta les vins et les mets avec un langage qui n’appartient qu’à lui, où la science des goûts le dispute au brio. Les blancs étaient de 1997 et les rouges de 1989. Voici ce qu’il en fut.

Des coquilles Saint Jacques avec des copeaux de noix et des traces de moutarde accompagnaient un délicieux Côtes de Jura du Château d’Arlay 1997. La virilité de ce blanc avec les noix me plait, quand ma voisine Madame Delmas (Haut-Brion) a du mal à entrer dans sa logique. Sur une autre préparation de coquilles Saint-Jacques présentée dans la même assiette, mêlant l’amer au sucré le Palette Château Simone 1997 fut particulièrement brillant sur le sucré naturel de la coquille, lui associant sa typicité poivrée. Belle profondeur de goût et l’occasion de tester deux accords très différents.

Une pince de homard (voire deux), aux haricots coco et coquillages, émulsion de fleurette citronnée est un plat qui m’a enchanté. Et le Puligny Montrachet « les Pucelles » Domaine Leflaive 1997 a trouvé une densité marquée, soulignée par la légèreté de l’émulsion et l’expressivité des haricots. La queue du homard, facile prétexte à l’humour Puisaissien gentiment gaulois, au beurre demi-sel sur une farce au corail avait la force qui convenait pour soutenir le puissant et alcoolique Hermitage blanc 1997 de Chave. Quelle force ! Ce plat puissant aurait d’ailleurs pu aussi s’accommoder d’un vin rouge.

Sur un magnifique exercice de style sur le thème du lièvre, intitulé par Philippe Bourguignon en toute sobriété : « lièvre dans tous ses états, pâtes fraîches » trois vins que des régions et des personnalités séparent allaient nous raconter de bien belles histoires. Les trois acceptions du lièvre étaient primitivement prévues chacune pour un vin, mais on s’amusa à brouiller les cartes, pour la plus grande joie de nos papilles en éveil. Le Beaucastel rouge 1989 a une générosité naturelle rare. Il emplit la bouche, s’y sent à l’aise, et décoche du fruité de pur plaisir. Le Bandol « Cuvée Cabassaou » 1989 Château Tempier de M. Peyraud, voisin de table, me plut particulièrement, car il tenait bien sa place à coté de ses illustres voisins de verre. Une belle trame, une joyeuse densité et une longueur respectable. Un beau vin. Et La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1989 au nez d’une particulière intelligence compléta le trio avec des variations de saveurs généreuses. Sur le râble, La Tâche s’amuse à faire des gammes de goûts, variant sa force et sa finesse avec un talent consommé. Cette dégustation était cependant assez difficile car les verres avaient une odeur désagréable que mes voisins vignerons attribuaient au carton d’emballage mais que je reliais plus volontiers à la méthode de séchage. Plusieurs milliers de verres posent des problèmes logistiques. Ils posèrent des problèmes d’odeurs et de saveurs. Et Patrick Lair, pour des raisons que je comprenais parfaitement, faisait servir les vins très frais. C’est justifié si le vin reste en verre, mais quand on est gourmand comme à notre table, le vin n’a même pas le temps de se réchauffer. Et La Tâche trop frais, ça limite assez le plaisir. Fort heureusement, en y mettant du sien, c’est-à-dire en « vinant » les verres et en attendant que le vin se réchauffe, tout alla bien. La maison « Laurent » fut parfaite à son habitude et la sommelière de notre table, Christèle, fit un travail de grand professionnalisme. Sur un délicieux Saint Nectaire fermier, le Corbin-Michotte, Saint-Emilion 1989 prouva à quel point Jean Noël Boidron avait mérité d’être président. Ce vin de couleur beaucoup plus foncée que les autres rouges, dense mais charmeur à la fois, d’une trame d’une légèreté séductrice me causa une forte émotion. Je l’ai particulièrement apprécié.

Les palmiers (en pâtisserie) du restaurant Laurent n’auront jamais le temps de nous faire de l’ombre, car on les dévore avec une voracité coupable au masochisme pondéral assumé. Avec le Tokay Pinot Gris « Clos Jebsal » sélection de grains nobles Zind-Humbrecht 1997, on est en plein péché, car les saveurs de grains de raisin délicieusement brûlés par le soleil, les arômes de pain d’épices, de thé et de caramel se bousculent sous les palmiers avec une volupté rare. L’équipe d’Alain Pégouret, toute toquée est venue au moment du Tokay se faire applaudir à juste titre tant la cuisine fut exacte et sensible. Une belle leçon.

Quels vins retenir ? Difficile exercice tant les vins différent. Je mettrais en premier le Corbin Michotte 1989 pour la pureté de son image, en deux le Tokay Zind Humbrecht pour sa volupté, en trois La Tâche DRC pour son élégance et sa complexité et en quatre l’Hermitage blanc de Chave pour son assurance et sa sérénité. Mais le Bandol, le Puligny, le Chateauneuf et tous les autres eurent aussi beaucoup de charme.

Dîner au restaurant Hiramatsu mardi, 16 novembre 2004

Le restaurant Hiramatsu a changé d’adresse. Il reprend le site de Faugeron où des authentiques passionnés ont écrit de belles pages de la gastronomie française. Je ne peux pas ne pas penser à eux, alors qu’ils se sont retirés. C’est en ce lieu qu’un ami m’a fait découvrir les vins de Henri Jayer, s’étonnant que j’ignore les prouesses de ce vigneron légendaire. J’ai rattrapé mon retard depuis. C’est pour cela que j’ai inséré la photo de quelques bouteilles bues de cette icône de la vinification que je n’ai pas l’honneur de connaître. La décoration du lieu est résolument virile, et ne doit pas détourner de l’intérêt pour la cuisine. Les tables sont bien espacées, ce qui donne un sentiment de luxe précieux. L’accueil de Hide est toujours aussi chaleureux, son français égrené à la mitraillette n’étant compréhensible que par une secte dont je fais partie. La brigade est toute neuve mais remarquablement motivée. J’ai eu l’honneur et le plaisir avec mes convives de saluer le chef qui nous a délivré un copieux menu de belle exécution. Cette cuisine correspond à un tendance que j’apprécie : les saveurs sont simples, voire simplifiées. Il n’y a aucune fioriture inutile, pas de chemin de traverse. On explore la sensation que doit donner l’élément principal du plat. Et pour le vin, c’est évidemment ce que je recherche.

Le parcours est imposant : un petit amuse bouche où est incluse de la chair de pigeon fondante comme un bonbon, une marinade de la mer fumée aux épices, mousse de fenouil et caviar Osciètre Royal, foie gras au chou frisé, jus de truffe, soufflé de homard breton, risotto de truffes blanches, noisette de chevreuil au genièvre, pommes acidulées et gnocchis de marron, vacherin Mont d’Or truffé, barbe à papa caramélisée sur gelée de poire william au champagne. C’est d’un classicisme de bon aloi, c’est le menu d’une installation nouvelle où l’on veut montrer courage et tradition. Si je devais donner un ordre à ces saveurs, je mettrais en un la barbe à papa, car ce sont des souvenirs qui reviennent quand on se colle les lèvres et les doigts, en deux le chou frisé, en trois la noisette de chevreuil et en quatre le risotto de truffe blanche.

Nous partagions ce dîner avec l’un des plus grands experts mondiaux en vin que j’avais rencontrée lors du dîner de Beaune (bulletin n° 121), Jancis Robinson. Elle est, comme son mari, journaliste et les deux ont sorti leur petit carnet de notes, consignant ce qu’ils mangeaient et buvaient mais aussi ce que je disais. Je suis tombé dans le piège, me mettant à raconter mes aventures, alors que j’aurais dû écouter, tant j’avais à apprendre. Stupide orgueil. Il faudra refaire ce dîner et je sortirai mon carnet.

Un Chablis Grand Cru Moutonne, monopole Long Dépaquit 1959 est une bouteille d’un superbe niveau, d’une couleur d’un jaune encore vert, le doré ne prenant pas le dessus, et d’un nez d’une noblesse rare. Opulent, marqué d’une acidité sensible qui s’estompa avec la nourriture, il m’a fait peur l’espace d’un instant, car j’ai craint qu’il ne s’évanouisse, mais pas du tout. La belle cuisine lui a fait développer une palette de saveurs où le beurre la crème et le miel le rendaient chatoyant. Les dernières gouttes de ce breuvage divin se finissant quand arrivait le homard, il n’était pas question de passer au rouge. Un Château Chalon Domaine Henri Maire 1986 que j’avais goûté récemment convenait parfaitement, accompagnant aussi le risotto et sa truffe de la plus adéquate façon. La Côte Rôtie La Mouline Guigal 1993 me fit peur, car son nez, non bouchonné, était trop déstructuré. En bouche notoirement incomplet, nous le fîmes remplacer par une Landonne du même moule, et la Côte Rôtie La Landonne Guigal 1993 se montra nettement plus fruitée chaleureuse et généreuse, facile compagnon du chevreuil. Ce n’est sans doute pas la meilleure année pour ces légendaires Côtes Rôties, mais c’est très grand quand même. L’ambiance fut amicale, enjouée. Nous avons profité de cette cuisine avec plaisir. Une belle expression d’une agréable gastronomie.

L’Ecole de cuisine du Ritz et vin d’Arlay lundi, 15 novembre 2004

L’Ecole de cuisine du Ritz (Ritz Escoffier) accueille les vins du Château d’Arlay.  Des élèves studieux suivent un chef talentueux au verbe fécond, Philippe Moreau, qui déroule devant eux toutes les phases de la préparation des plats qui seront dégustés. Beaucoup d’élèves prennent des notes, commentent, interviennent et ce qui me fascine, ignorant que je suis, c’est la valse des cuissons. Il y a tellement de composants des plats qui nécessitent des cuissons spécifiques et adaptées que je vois ce chef virevolter comme l’un de ces jongleurs chinois qui font tournoyer sur des joncs un nombre incalculable d’assiettes, qui ne restent en équilibre que par la vitesse de rotation, quasiment impossible à maintenir sans les cris d’alerte d’un public enthousiaste. La surveillance des cuissons procède de la même complicité entre maître et élèves : « le lait, le lait ! Il va se sauver !». C’est beau de voir un chef qui se fait le chorégraphe de sa propre prestation. Je vois autour de moi des élèves captivés. Alain de Laguiche parle avec pédagogie et passion des vins de sa région peu connus de beaucoup. Sur un crémeux de pousses d’épinards, langoustines et comté doux, le blanc d’Arlay Côtes du Jura 1998 est à son aise. Il a l’intelligence de s’exprimer, avec une persistance aromatique rare, sans jamais écraser le plat de son empreinte. Une association extrêmement élégante. Et ce vin reste en bouche de façon durable, ce qui me pousse à vous parler de lapin. Sur un lapin fermier au vin jaune, polenta de légumes et palets de céleri braisés, le vin jaune d’Arlay 1994 au nez de noix fraîche mais civilisée, à l’attaque lourde, se montre brillant. Bien sûr, comme en champagne à propos de Salon, j’ai perdu toute objectivité vis-à-vis des vins du Jura. Demandez à un fan de Cloclo si Alexandrie Alexandra est toujours actuel ! Des figues rôties, aux parfums de fruits rouges, huile d’olive et glace au citron accompagnent trois vins.  Le vin de paille d’Arlay 1998 a pour moi trop le goût de raisins frais. Ce vin que je bois avec délectation quand il a des décennies de plus n’existe qu’avec l’âge. Trop jeune il est trop fou, indompté. Deux Macvin, un blanc et un rouge sont de redoutables épreuves gustatives. La trace du marc est trop forte pour mon palais qui n’en peut mais. Le rouge mériterait sans doute un nouvel examen, car c’est une vraie curiosité. Ce que je recherche du Jura, c’est parfois les vins rouges, souvent les vins blancs, mais c’est surtout les vins jaunes, ces magnifiques expressions du Savagnin de charme qui est le beau message de cette région. Le vin jaune est par excellence le vin de toutes les audaces culinaires.

« Rencontres Vinicoles » mercredi, 10 novembre 2004

Je me rends à l’une des nombreuses présentations de vins, qui s’intitule sobrement « Rencontres Vinicoles ». C’est modeste de nom, mais il y a de gros calibres dans la salle de l’Espace Cardin. Je salue des têtes connues et je remarque le Champagne Diebolt Vallois 1999 d’une belle élégance (j’ai raté le 1976 qu’on m’a dit fameux). Des vins comme Carbonnieux, Léoville Poyferré, Larrivet Haut-Brion, Corbin Michotte me ravissent toujours par l’élégance du travail respectueux du sol. Je me livre à une intéressante comparaison du Clos des Lambrays dans ses expressions de 2000, 2001 et 2002. Trois années très différentes : le 2000 est déjà assis, le 2001 promet une belle élégance moins ronde et le 2002 va affirmer une particulière subtilité. Il y aura un Clos des Lambrays pour chaque palais. Je ne résiste pas à goûter un vin du Jura du Domaine de la Pinte dont le propriétaire ami abrite ses vins sous une impressionnante moustache. Le petit cadeau de ma visite, c’est quand je goûte un Banyuls de l’Etoile 1986. C’est un apaisement de l’âme comme une pâte de fruit. Il faut vite que je choisisse pour mes repas des Banyuls comme ceux de la photo du bulletin 121. C’est un plaisir total. Un ami expert en vins me signalait que dans mes repas on ne voit pas de vieux Portos. C’est vrai, car j’hésite à ouvrir ces nectars qui impriment tant de traces en bouche. Peut-être pour le cigare ? Mais avant il me faut célébrer les Banyuls, ces récompenses gustatives d’une des régions les plus belles de France : vendanger face à la mer, sur ces pentes dangereuses battues par le vent, ce doit être d’une excitation extrême.

Aux Caves Legrand le Beaujolais nouveau se boit sur des notes de jazz. Il faut bien cela pour un vin qui n’a rien de déraisonnable, qui habille gentiment le palais l’espace d’un instant, et dont la mémoire va se remiser jusqu’à l’année prochaine.

divers repas où je suis invité mardi, 9 novembre 2004

Dans divers repas où je suis invité, je trouve des vins assez intéressants. Un Daumas Gassac blanc 2002 malgré une belle structure ne m’inspire pas le soir où je le bois (ce sera passager car Daumas est grand), alors que le lendemain, un Fixin blanc de Louis Jadot 1999 me ravit l’âme, par son ingénuité, sa fraîcheur, et sa belle approche de discrétion sympathique. Un Hermitage La Chapelle 1999 me séduit beaucoup plus que lors d’expériences précédentes et ne rejoint pas les critiques que j’en ai entendues. Il n’y a pas la puissance et l’enthousiasme d’un Hermitage de Chave, mais il y a une belle typicité et une belle franchise. Un Coteau du Layon « la Seigneurie » domaine Leduc-Frouin 1990 est assez doucereux. A l’aveugle je le voyais dans la lignée des Pacherenc du Vic Bihl ou des Jurançon, car c’est plus monolithique que la Loire. Agréable sur un foie gras. A l’aveugle, un Château Ausone 1971 me fait penser à quelques Cheval Blanc solides, fumés, caramélisés. L’attaque est assez discrète en bouche, puis la structure superbe s’installe pour un final brillant, très Porto ou pruneaux. C’est un très bel exemple de Ausone. Un  Monbazillac Château Pion 1973 me séduit extrêmement. Il n’y a pas l’ampleur d’un Sauternes, il y a un coté plus ascétique, mais toute la gamme des épices, des fruits exotiques, de mangue, est au moins aussi subtile que celle d’un Sauternes car l’alcool plus discret laisse ces saveurs orientales s’exprimer de brillante façon. Sorti de lots divers que j’ai achetés au fil de ventes aux enchères, un vin italien de la côte de l’Adriatique, il Falcone Reserva Castel del Monte 1975 est plus que surprenant tant il est agréable. Qu’un vin aussi ordinaire se révèle aussi bon, légèrement poussiéreux mais agréablement gouleyant, me ravit, car il justifie ces petits coups de chance que l’on provoque dans les salles des ventes (je l’ai payé moins d’un euro). De ces essais de hasard, je retiens le Fixin blanc fort joli et le Ausone 1971 de belle prestance.

Dîner au au Bistrot du sommelier lundi, 8 novembre 2004

Mon livre est « nominé » pour un prix offert par une fondation prestigieuse. J’ai de bonnes chances, mais il y a de redoutables compétiteurs. Le jury hésite longtemps, jusqu’au dernier moment, et dans un des plus beaux hôtels particuliers parisiens, le suspense doit être levé. Philippe Faure Brac, meilleur sommelier du monde 1992 obtient le prix. Il apparaît alors assez évident qu’on doit fêter cela au Bistrot du sommelier. Un Dom Ruinart rosé 1990 est une splendeur qui convient pour saluer ce prix. Des arômes incroyablement flexibles, qui s’adaptent aux saveurs qui lui sont proposées. Un magnifique champagne de célébration, avec des variations extrêmement éclectiques. Un Chateauneuf du Pape Delas Frères 1955 a un nez de belle présentation. En bouche, l’alcool domine, mais il y a de belles subtilités, au-delà d’une fatigue perceptible. Sur une joue de bœuf, c’est un vrai bonheur. Je fais ouvrir un vin jaune de André et Mireille Tissot 1979, magnifique expression de ce Jura si envoûtant. Une fine champagne de cognac du château Jousson 1900, même si un peu éventée, donne des plaisirs d’une expressivité rare. Elle permet de confirmer à Philippe Faure Brac toute l’estime que l’on porte à sa démarche de mise en valeur didactique du patrimoine intelligent de la planète vins.