Ritz et Crillon lundi, 18 octobre 2004

Dans un salon du Ritz, remise de décoration rouge sang à un écrivain du vin et grand oenophile. Les chefs aux têtes les plus étoilées par un guide de la même couleur, voire chapeautées de noir, se retrouvaient avec plaisir pour l’honorer. Discours académique et documenté d’un Ministre, réponse émouvante d’un homme de la plus belle sincérité, dont chaque mot exsude la vibrante émotion du talent, de la poésie et du cœur. On toaste sur un Château Clarke 1999 astringent comme l’année mais vibrant ce soir d’être si gentiment, lui aussi, mis à l’honneur. Délicieux canapés de Michel Roth et parterre de personnalités dont les faits d’armes ou exploits rempliraient des encyclopédies.

Je retrouve cet ami le lendemain midi au restaurant de l’hôtel Crillon. Je commande à David Biraud un Dom Pérignon 1996, réussite incontestable de cette grande appellation, pour honorer le nouveau chevalier. Son ruban appelle un signal de fête. A l’ouverture, le nez est délicieusement floral, mais l’attaque est acide. Ce sont les délicates variations de Jean François Piège qui vont révéler tout le potentiel de ce champagne marmoréen comme les stucs de cette belle salle. Chaque nouvelle saveur des entrées inventives va dévoiler un degré de magnitude du champagne. Je reste en bouche sur les pétales de roses, les lilas printaniers, tant les subtilités frêles effleurent de sensualité contenue. Sur une mousse pétillante où le foie gras côtoie l’écrevisse, le Dom Pérignon est d’une justesse extrême. Sur des langoustines en papillotes au caviar osciètre, le Dom Pérignon explose de bonheur. On lui envoie un signal chic, il répond en étant chic. Mais c’est la crème plus que le caviar qui magnifie le champagne. Le bar de ligne aux cèpes en persillade et noix fraîches (ah ces cèpes !) est un compagnon idéal du Nuits Saint Georges Premier Cru les Bousselots de Jean Chauvenet 1993. Mon ami me fait goûter son canard, mais c’est sur le bar que le Nuits Saint Georges est éblouissant. Couleur de rubis charnu, nez délicieusement plein, et en bouche la rondeur opulente d’une odalisque d’Ingres. La longueur est un peu absente, mais qui s’en plaindrait quand on a tant de charme dans le verre. Le chef a incontestablement atteint la stature d’un « trois-étoilé ». Le nouveau guide, puisque les têtes et l’esprit changent, ne peut pas ne pas le consacrer. La maison est joyeuse, David Biraud est un être exquis. La capitale est heureuse de gastronomie.

l’Union des Grands crus de Bordeaux mercredi, 13 octobre 2004

En un autre endroit l’Union des Grands crus de Bordeaux présentait ses 2002. J’y allais plus pour voir des amis que pour goûter les vins. On voit parfaitement le clivage entre ceux qui boisent sans vergogne et ceux qui préservent romantiquement le terroir. L’année 2002 sera moins petite qu’on ne le dit. Tant de millésimes grandioses se succèdent que 2002 sera sans doute le 1993 de l’époque actuelle. Mais les voies des uns et des autres se sont tant séparées, modernisme contre terroir, qu’aucune généralité ne sera confirmée. Tout le monde se réjouit de 2004.

Club des professionnels du vin mardi, 12 octobre 2004

Manifestation de vignerons qui s’appellent le Club des professionnels du vin. Je goûte avec beaucoup de plaisir un champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1989 qui a déjà gagné une belle maturité et donne, sous un nez floral, des enluminures de goût du plus bel effet. Il y a une rondeur qui enveloppe les bulles de caramel beurré et de parchemin délicat. Je goûte peu, butinant, et j’étonne un jeune viticulteur du Jura qui présente la palette quasi complète des vins de sa région en ne goûtant que son vin de l’Etoile, car je sentais que j’allais lui trouver des complexités rares. Ce fut le cas. Je goûte aussi sur les conseils d’un ami un très joli Pomerol, Château Gombaude Guillot 2002 dont le travail est d’une pureté  à signaler.

Repas de famille dimanche, 10 octobre 2004

Le lendemain, visite surprise de mes enfants. Je vais acheter des tranches de terrine de saumon, des tranches épaisses de filet de bœuf et des girolles. Avec un Mission Haut-Brion 1963, quel régal. On quitte la grande cuisine, mais ce plat simple est magnifiquement bon. Le Mission que j’ai depuis plus de vingt ans en cave a un niveau remarquable, inchangé. Un nez immédiatement expressif. En bouche c’est un vin qui va vers le porto, les fruits noirs brûlés. Il étonne par sa jeunesse et se révèle très au dessus de ce qu’on imagine de cette année. Un très grand vin.

La famille est très présente en ce moment, et un événement familial mérite un repas d’exception. Le choix des vins doit correspondre à la solennité de l’évènement. Sur deux jambons espagnols connus, l’un  relativement sec et l’autre plus gras et plus viandeux, j’ouvre le champagne Salon 1982. Cette année est magique, et chaque gorgée, chaque goutte de chaque gorgée le confirme. Champagne absolument éblouissant à la bulle exacte, et aux parfums floraux, de fleurs blanches et roses. La bouche danse avec ce champagne qui finit sur des tonalités de pèche et d’agrumes roses. Le jambon existe mais n’est pas forcément l’allié idéal de ce champagne beaucoup plus subtil que ces goûts primaires. Il se boit surtout seul, avec la passionnante découverte de sa complexité.

Un grand moment d’émotion est l’apparition du Montrachet Domaine de la Romanée Conti 1999. A l’ouverture le nez était extrêmement riche. En bouche une puissance affirmée. Essayé sur une escalope de foie gras aux haricots noirs, il préfère ne rien dire. Sur des dés de foie gras au potiron, il révise son texte. Mais sur des pommes de terre aux truffes noires et crème légère, il devient ce qu’il est, l’un des plus beaux vins blancs du monde. Bien sûr, on sent que quelques  années de plus vont élargir encore la palette de ses talents. Mais déjà, la convaincante démonstration imprime dans nos palais une trace indélébile.

Sur un agneau fondant traité avec de multiples épices suffisamment fondues et intégrées, le Pétrus 1974 se présente comme un Pétrus satisfaisant, discret et montrant sa complexité de façon plutôt confidentielle. Je possède la grille de lecture qui me permet de le situer assez honorablement dans la lignée des Pétrus, mais pour des palais moins habitués, le message est plus composé de hiéroglyphes que de textes actuels. Le Pommard Grands Epenots Michel Gaunoux 1974 se présente assez amer, mais je connais cette approche. Le vin va s’épanouir. Et ce qui me fascine, m’envoûte, c’est que ce vibrant Pommard a capté toutes les épices du plat au point qu’en le buvant, on peut réciter toute la gamme des épices du plat. C’est fascinant et donne à ce Pommard un charme invraisemblable. Je dirais même en exagérant bien sûr que si on me faisait goûter à l’aveugle la sauce du plat et le Pommard, je ne saurais les distinguer.

Sur deux tartes aux pommes et aux abricots, le Château d’Yquem 1955 est une magistrale démonstration de la royauté d’Yquem. A l’ouverture, j’ai réveillé ou plutôt libéré une tornade de parfums. La couleur est d’un or pur. Le nez est envoûtant, et en bouche, c’est un Yquem concentré, très dense, un peu caramel. En analysant, j’ai été frappé par ses nuances de thé. Brillantissime Yquem.

Pour la joyeuse tablée, c’est le Montrachet et le Salon qui émergent dans un vote informel. Pour moi, à cause de cette osmose magique du plat et du vin, c’est le Pommard que le classe en premier, suivi du Salon et de la promesse époustouflante du Montrachet. J’avais voulu associer des vins que j’adore et honorer l’année 1974 qui était célébrée. Un repas dont on se souviendra.

une conférence aux Hospices de Beaune mardi, 5 octobre 2004

Aux Hospices de Beaune, une conférence dont le sujet est la présentation de la situation des vins à l’époque du Prince de Conti. Informations passionnantes sur les écrits de 1728 d’un moine anglais sur les vins de Bourgogne avec des classifications qui sont d’une actualité étonnante, des traités sur la dégustation des vins, l’approche de Thomas Jefferson, attentif analyste des vins français et fin connaisseur, le relevé de cave de Louis XVI où figurent Tokaj, Constanzia et les plus beaux vins de Bourgogne. L’influence de la politique et de la religion sur les évolutions patrimoniales des vignobles. On se plait à constater à quel point ce qui parait moderne aujourd’hui procède de savoirs déjà à pleine maturité avant la Révolution.

Dîner au Château de Clos Vougeot lundi, 4 octobre 2004

De grands Antiquaires sont réunis en Salon aux Hospices de Beaune dans des salles où chaque objet est mis en scène dans l’esprit des lieux. Un raffinement extrême. Au milieu d’une foule impressionnante de britanniques et de français, un dîner célèbre le 955ème Chapitre de la Confrérie du Tastevin au Château de Clos Vougeot. Les organisateurs du salon, les antiquaires et quelques exposants fêtent l’événement dans une salle immense, un cellier qui a connu des vins en fûts il y a plus de huit cents ans. Discours joyeux, chants bourguignons, plaisanteries grivoises ou « almanach-vermotesques » intraduisibles pour des non bourguignons ou non rabelaisiens, sonneries de cors, « époumonement » de trompettes, tout y était pour une fête qui réjouit le cœur des convives prêts à succomber aux arômes diaboliques des vins de la Côte des  mille et une Nuits. L’organisation est rodée comme une montre suisse, la cuisine est bourguignonne à l’excès, et les vins servis pour 600 personnes donnent un spectre suffisamment significatif des vins de la région petits et grands. J’ai retenu un Mazis Chambertin Grand Cru 1999 de belle tenue qui se mariait avec une justesse rare à un fromage de Cîteaux. En gastronomie, les plus beaux mariages culinaires sont consanguins, c’est-à-dire région et région.

présentation des vins de Henri Maire vendredi, 1 octobre 2004

Je suis invité à une présentation des vins de Henri Maire. Les plus anciens se souviennent qu’il fut l’inventeur de la vente directe des vins aux particuliers. La publicité pour son Vin Fou, un pétillant du Jura, inonda les ondes, les écrans de cinéma et toutes les routes de France, chaque village ayant le décompte du nombre d’habitants qui lisent Paris match et le rappel de Henri Maire à boire son Vin Fou. Sa fille nous présente ses vins. Un Arbois Chardonnay 2003 est un bien agréable blanc bien fait. Le rouge est un peu moins appréciable pour moi, mais je me délecte d’une cuvée rare, un Arbois rouge vigne « Pasteur » 1990 qui n’est jamais vendu dans le public car, provenant du Clos Rosières de la famille Pasteur, il est gracieusement vinifié par Henri Maire et offert à des scientifiques. Ce vin titillerait volontiers le cerveau pour qu’on invente de nouveaux vaccins. Fait de cinq cépages, il a une personnalité rare, car de saveur jamais bue. Le Château Chalon Henri Maire 1986 est un très joli vin jaune qui raconte des histoires quand on croque avec lui un beau Comté. Et sur les délicieux desserts de l’hôtel Bristol, un vin de paille la Vignière 2000 bien jeune encore offre des promesses de bonheur lorsqu’il aura pris de l’âge. La publicité insistante de Henri Maire il y a plus de quarante ans avait associé son nom à l’idée de vins de quantité, donc sans qualité. L’intérêt de cette séance conduite par l’héritière de Henri Maire, outre d’avoir réveillé des souvenirs d’enfance, est d’avoir montré que ses vins savent aussi trouver la qualité.

galerie 1953 mardi, 28 septembre 2004

La couleur du vin à travers le verre est d’un rose subtil. Ce vin, Yquem 1953, a été bu en Mai 2006 en Californie lors de mon voyage (voir archives de Mai 2006).

Vin Jaune Chateau Chalon 1953 Nicolas.

 Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1953

 Un Pétrus 1953 de mise belge dont tout m’indique que ce doit être bon.

 Chateau Laroze Saint Emilion 1953

 Chateau Pichon Longueville Baron 1953 (étiquette à comparer à celle de Petrus 1948)

Dîner chez Pierre Gagnaire vendredi, 24 septembre 2004

Avec l’un des californiens et son épouse je me rends le lendemain chez Pierre Gagnaire où il était convenu que nous prendrions le menu dégustation. L’éclectisme des plats et les saveurs innombrables annoncées au programme suggéraient un champagne. Nous prîmes un magnum de Dom Pérignon 1988. Le sommelier avait annoncé une certaine évolution. C’est en toute connaissance que nous accueillîmes cet élégant champagne qui s’est élargi tout au long de la soirée. Il fallait bien un champagne tant notre palais allait faire les montagnes russes, le saut de la mort et le saut à l’élastique tout au long de la soirée. Pierre Gagnaire a un immense talent qu’il pousse au-delà des limites de ses convives. Sur les nombreux plats qui jalonnent cet extraordinaire parcours, il y a des moments de pur génie. On est confondu devant l’imagination créatrice. Mais à d’autres moments, peut-être sur trois ou quatre plats, on se demande : « pourquoi nous provoque-t-il aussi loin ? ». Je n’ai pas besoin d’explorer une saveur rebutante pour savoir que Pierre Gagnaire est grand. Son talent devrait être poussé jusqu’à la limite de l’acceptable, variable selon les individus, mais avec quelques constantes. Je suis d’accord de voyager dans des amertumes peu coutumières et de les explorer avec lui. Jusqu’à la limite du bon sens. Picasso ou Dali ont repoussé des limites sans franchir certaines limites. J’applaudis des deux mains au Gagnaire qui me force à explorer des chemins de traverse s’il ne me pousse pas dans un buisson. Deux ou trois plats sont des monuments de satisfaction culinaire car on est porté plus loin que tout. Quelques desserts sont des plaisirs d’enfance. Il y a du diable dans cet homme là tant on sent qu’il touche si souvent le génie.

Le Dom Pérignon s’est comporté comme un brave. J’ai eu furieusement envie d’un Montrachet sur un plat, tant le cèpe l’appelait. Je n’ai pas pu résister au plaisir de faire ouvrir un vin d’Arlay sur une petite merveille au caviar, car j’en avais besoin. Ce fut un grand moment de gastronomie, une leçon d’exploration talentueuse des saveurs. Je suis prêt à admettre que mon intolérance passagère à certains goûts m’est personnelle et instantanée, et que d’autres expériences seront de grands succès.

Dîner de wine-dinners au restaurant Le Cinq jeudi, 23 septembre 2004

Dîner de wine-dinners du 23 septembre 2004 au restaurant Le Cinq
Bulletin 119

Les vins de la collection wine-dinners
Champagne Houdart de la Motte Brut
Champagne Salon « S » 1983
Anjou Caves Prunier 1928
Le Montrachet Domaine René Fleurot 1985
Château Ausone 1959
Château Gruaud Larose 1926
Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1988
Nuits Cailles Morin Père & Fils 1961
Nuits Cailles Morin Père & Fils 1915
Château d’Yquem 1942
Château Coutet Barsac 1919

Le menu conçu par Philippe Legendre avec Eric Beaumard
Gougère et aiguillettes de fromage
Huîtres chaudes au foie gras aux saveurs de noisettes
Potage Sarladais à la truffe noire du Périgord
Homard Breton en coque fumé et rôti au lard de Toscane
Terrine de cèpes de Sologne à la vinaigrette d’aubergine
Sarcelle des Marais de Vendée au jus gras,
Chou farci au lièvre de Beauce
Le Bleu et ses accompagnements
Mille-feuille au coing et au miel, crème au caramel