Saint-Valentin par procuration mercredi, 17 février 2021

Les hasards du calendrier font que ma femme et moi ne serons pas ensemble pour la Saint-Valentin. Nous utiliserons les liaisons téléphoniques ou internet pour nous souhaiter tout le bonheur possible. Seul pour respecter ce rite, je choisis un champagne que je considère promis au plus grand avenir, Dom Pérignon 2008. Et rien ne pourrait mieux l’accompagner que du caviar osciètre prestige Kaviari, associé à deux éléments essentiels, une baguette croustillante et du beurre. Ensuite il y aura le sacrosaint gâteau en forme de cœur, aux tons de fruits rouges comme le sang du cœur.

Le Champagne Dom Pérignon 2008 est absolument fantastique. L’image qui me vient est celle de d’Artagnan impulsif et courageux. Car ce champagne est vif et entraînant. Il a une énergie farouche. Mais comme d’Artagnan à la Cour, le champagne sait aussi être raffiné et galant.

La deuxième image qui me vient est celle de Gérard Philippe dans Fanfan la Tulipe, qui est sauvage et séducteur. Ce champagne qui deviendra une référence absolue est déjà un champagne accompli, comme l’a été le Château d’Yquem 2001, merveilleux dès les premiers jours.

Le sel bien dosé du caviar excite le champagne qui pétille de joie. Le gâteau est très conventionnel, mais il faut jouer le jeu. Il me semble que nous aurons à faire un dîner d’amoureux pour rattraper cet éloignement inopportun.

Déjeuner dans mon petit musée vendredi, 12 février 2021

Un ami journaliste m’a suggéré de rencontrer une personne qui a écrit sur le vin dans une perspective historique. L’idée me vient de l’inviter à déjeuner dans le local où se trouve ma cave principale et la grande salle où reposent les plus belles bouteilles que j’ai bues. Il y a de quoi parler d’histoire.

En consultant sa fiche Wikipédia, je peux lire qu’il est né en 1948. Ayant envie de faire un repas avec des sushis, car mes capacités culinaires voisinent le zéro absolu, je cherche un vin de 1948 qui pourrait s’accorder avec les mets prévus. Un Vin Jaune d’Arbois 1948 pourrait faire l’affaire. Pour avoir une autre solution, je cherche dans mes fichiers un champagne de 1948 mais il n’y en a pas. Ce doit être une année difficile à trouver et je n’ai bu que deux champagnes de ce millésime. Je me porte vers l’année 1949 et je choisis un Champagne Pommery 1949.

Mon invité arrive vers midi et nous commençons par une visite de cave. Nous allons ensuite dans la salle musée si on peut l’appeler comme cela, où nous allons déjeuner. Le menu sera : tarama à la poutargue / dos de saumon fumé / sashimi de thon / sashimi de thon épicé / riz / camembert / tarte aux pommes. Je propose de choisir le vin et nous concluons rapidement que ce sera le champagne.

Le Champagne Pommery 1949 est ouvert au dernier moment. A mon grand étonnement le bouchon en s’extirpant délivre un joli pschitt montrant que le vin a du gaz. La couleur est joliment ambrée d’un ambre clair. Le parfum est pur. En bouche, il y a une légère amertume, ce qui est normal, qui va disparaître avec le temps mais surtout avec les mets.

L’accord avec le tarama est superbe, car mets et vin se complètent, l’insistance de la poutargue rendant le champagne très vif. Le champagne n’est pas le meilleur ami du saumon qui aurait mieux profité du vin d’Arbois. L’accord avec le thon est entraînant. Le champagne est un peu strict, droit et il nous séduit par ses complexités. On voit que le champagne ancien développe une palette gustative infinie et plus riche qu’un champagne jeune.

Nous parlons, nous parlons et il faut se rendre à l’évidence, il faut ouvrir autre chose. Comme la suite est un camembert, il faut un champagne plus jeune. Je vais chercher en cave un Champagne Dom Pérignon 1985. Ce qui m’étonne c’est que le 1985 est d’un ambre presque aussi prononcé que celui du 1949. Je ne m’y attendais pas. La bulle est belle et le Dom Pérignon est manifestement plus expressif que le Pommery. Il est aussi beaucoup plus ensoleillé et joyeux. Masculin et affirmé, il rayonne. Avec le camembert qu’il faut prendre sans pain, l’accord est idéal.

Le 1985 cohabite bien avec la tarte aux pommes. Et j’ai envie que mon hôte goûte un peu du Madère vers 1740 que j’ai déjà ouvert il y a quelques mois. La couleur est magique, si vive et brillante avec des notes de pierres précieuses marron comme l’agate. En bouche ce vin est un miracle, porteur d’éternité. Complexe, joyeux, solide et indestructible, c’est un moment de pur bonheur.

Ce repas fut un moment précieux et pour moi une libération. Depuis un an j’ai vécu une sorte de confinement avec bien sûr des moments de joie et de partage, mais aussi le sentiment du danger. Il doit être possible d’utiliser cet endroit pour organiser des repas aussi joyeux et gratifiants. Un détail amusant. J’ai publié des photos des vins sur Instagram et un lecteur attentif a constaté que la bouteille de Pommery 1949 a été habillée d’une couronne princière pour célébrer le mariage du Prince Rainier et de Grace Kelly le 19 avril 1956. Je ne l’avais même pas remarqué !

Vins de 1913 et de 1919 dimanche, 7 février 2021

Les mesures gouvernementales ont été prises pour limiter les possibilités de se rencontrer entre amis ou en famille, virus oblige. J’envisageais de dîner seul avec une belle bouteille. Mais en cours de route il m’est apparu que rien ne vaudrait le plaisir de partager. J’ai appelé ma fille cadette pour un déjeuner dominical à trois. Ce qui fut convenu.

Deux jours avant, en me promenant dans ma cave, je vois une bouteille que je reconnais immédiatement malgré des inscriptions difficiles à lire : c’est un Grand Chambertin Sosthène de Grésigny Jules Régnier. J’en ai bu onze fois, dont cinq 1913, trois 1929, deux 1919 et un 1918. L’année étant difficile à voir, je suis allé sur mon blog pour voir les photos des capsules. Sans hésitation la réponse est 1913.

Le niveau est assez bas, mais j’ai entièrement confiance dans ce vin qui a toujours brillé lorsque je l’ai ouvert. C’est d’ailleurs dans ce climat de confiance que j’avais ouvert un 1913 au restaurant Laurent avec un de mes Nuits Cailles Morin 1915 que je chéris, pour essayer de convaincre Mark Squires, le manager du forum de Robert Parker, que les vins anciens sont des trésors de goûts. Les deux bouteilles avaient brillé, Mark en était convenu, ce qui n’a pas changé son désamour pour les vins anciens.

Toujours en cave, je vois un lot de très vieux Krug Private Cuvée des années 50 que j’avais achetés à petit prix car les niveaux étaient bas.

De retour à la maison et rangeant les deux bouteilles en cave en prévision du repas, je vois une bouteille d’un sauternes dont le nom est illisible, y compris sur la capsule, dont l’année est clairement lisible sur le bouchon, 1919. L’idée de boire au même repas un vin de l’année précédant la grande guerre et un vin de l’année qui a suivi la fin de la grande guerre me plait.

Flânant dans la cave du domicile, je vois une bouteille de vin blanc dont le bouchon flotte dans le vin. C’est un Montrachet du Château de Beaune 1971 qui avait été posée verticale il y a longtemps. Le vin est sûrement mort. Autant l’ouvrir avant de l’écarter.

Ma femme étant dans le sud je fais des courses en vue du repas, et le jour venu, je prépare la table, les verres et les mets. Le Chambertin a été ouvert à 9h du matin, le champagne est ouvert à 11 heures, le vin blanc carafé et le liquoreux ouvert à la même heure.

Le bouchon du chambertin est noir sur son pourtour et sort en mille morceaux car le cylindre du goulot n’est pas régulier. Le pincement du bouchon le brise à la montée. Il faudrait qu’un huissier soit présent quand de telles bouteilles sont ouvertes, car l’odeur est peu engageante, ce qui pourrait conduire à écarter ce vin. Mais on sait que l’oxygénation lente fait des miracles. J’ai donc bon espoir.

Le bouchon du Krug Private Cuvée année 50 est tellement recroquevillé qu’il vient sans aucun effort. Et ce que je vois n’est pas beau. Haut du goulot très sale, bouchon noirci et sale et le goulot lui-même est très poussiéreux. Ce champagne ne sera pas gardé si l’essai n’est pas convaincant au moment où il sera servi.

Le Montrachet Bouchard 1971 est carafé seulement à moitié car des poussières en suspension apparaissent. L’essai de ce vin sera court car il faut éviter de nous empoisonner.

La bouteille du sauternes 1919 est très ancienne et soufflée, d’un verre totalement transparent et sans couleur. Le nom écrit sur la capsule est illisible. C’est le bouchon qui donne le nom très lisible : Château Rieussec 1919. Le bouchon est tellement rétréci que deux ou trois millimètres seulement collent au verre. Ayant enlevé la capsule, le bouchon perd ce qui le retenait. Va-t-il tomber ? Il me faut une patience d’ange pour que je trouve un coin du bouchon dans lequel la pointe de mon tirebouchon puisse s’accrocher sans pousser le bouchon vers le bas. Heureusement j’en trouve un et le bouchon remonte entier, tout fripé. Le parfum est divin.

Mes invités arrivent. J’ai mis la table et préparé les éléments du repas. Ma fille n’en revient pas, car je ne suis pas connu pour être addictif aux tâches ménagères. Nous aurons pour l’apéritif du fromage de tête, des chips à la truffe et des quiches au jambon.

Le Champagne Krug Private Cuvée années 50 a une couleur beaucoup moins ambrée dans le verre qu’elle ne paraissait dans la bouteille. La bulle est absente mais le pétillant est sympathique. L’attaque est belle, l’amertume est charmante, mais l’acidité est extrêmement prononcée. Le champagne n’a pas souffert de la défaillance du bouchon car rien de poussiéreux n’apparaît au palais. Il n’est pas besoin de le remplacer par un autre et le plaisir serait parfait, car le champagne est généreux et fruité, s’il n’y avait cette acidité trop présente.

Le Montrachet Bouchard Domaines du Château de Beaune 1971 a lui aussi une couleur beaucoup plus claire dans le verre que dans la bouteille. Le nez est précis et fort étonnamment, le vin est buvable. On sent évidemment qu’il a souffert, qu’il est imprécis dans son message, mais il pourrait être bu. Nous ne continuons pas, par précaution, mais il n’y aucun pourrissement du goût résultant du bouchon flottant. Curieuse constatation.

A l’apéritif, l’envie m’est venue d’essayer les quiches avec le sauternes. Le Château Rieussec 1919 a une belle couleur ambrée et un parfum très joyeux et ensorceleur. Ce n’est pas le parfum des sauternes les plus riches et complexes, mais il est charmant. En bouche, quand un sauternes est grand, il est parfait et ce sauternes est abouti. On y reviendra au dessert.

A table il y aura un pâté en croûte au foie gras puis un époisses. Le Grand Chambertin Domaine Sosthène de Grésigny Jules Régnier 1913 a une superbe couleur au rouge vif, sans trace tuilée. Le nez est parfait et je regrette l’absence d’un huissier qui attesterait que l’oxygénation lente fait des miracles.

Le vin est sublime, noble, riche avec une pointe de truffe dans sa structure, et sa longueur est extrême. L’idée qui me vient est qu’il s’agit d’un chambertin archétypal, qui a beaucoup de points communs avec les chambertins Armand Rousseau. Et cette idée me plait. Car le vin très long est parfait. Il n’a pas d’âge. J’ai mis dans mes dîners huit des onze chambertins Sosthène de Grésigny que j’ai bus et ils ont été classés cinq fois premiers, deux fois deuxièmes et une fois quatrième par moi et six fois premiers et une fois quatrième par le consensus. C’est donc une chance inouïe que d’avoir acquis des vins d’une telle constance dans la perfection.

Ma fille a poêlé des tranches de mangue pour le Château Rieussec 1919. Elle a ensuite poêlé des suprêmes de pomelos. Avec la mangue le Rieussec paraît avoir mangé son sucre et se présente presque sec alors qu’avec les pomelos il paraît beaucoup plus large et liquoreux, tout en perdant un peu de longueur. Globalement ce sauternes n’a pas d’âge, est très équilibré et joyeux.

La vedette du repas est cet extraordinaire chambertin dont la solidité semble inébranlable. On mesure à quel point sont nécessaires les repas de famille, dont nous sommes hélas privés.

un bouchon comme celui-ci, ça fait peur

l’ouverture pas à pas du 1913

le haut du goulot a été nettoyé

couleur de ce vin magnifique

La Tâche 1957 mardi, 2 février 2021

De retour à Paris l’horizon semble bouché pour partager des vins avec des amis. Je suis seul à la maison, confiné de fait, même s’il n’y a qu’un couvre-feu. Qui aurait cru il y a un an que je puisse évoquer une telle situation. Mais les hasards se produisent. En rangeant des vins en cave j’ai vu une bouteille au niveau très bas. Voilà une bonne occasion de tromper ma solitude.

Je rapporte la bouteille à la maison et le lendemain, vers 15h30, j’ouvre la bouteille de La Tâche 1957. La capsule collée au bouchon se déchire lorsque je veux la retirer. Le haut du bouchon est dur comme du béton et il est très difficile de planter la mèche du tirebouchon. Cela me surprend toujours que des bouchons qui paraissent hermétiques comme celui-ci aient donné lieu à une évaporation importante, puisque le niveau est à environ 13 centimètres sous le bouchon, alors que des bouchons qui tournent facilement dans le goulot n’ont donné lieu à aucune perte.

Le bouchon vient en mille morceaux car le goulot est resserré tout en haut, ce qui déchire le liège à la traction. J’avais humé le haut du bouchon si dur et ce n’était pas très engageant alors que parfum qui se dégage du vin est magnifique. Riche, dense, très fruité, il est prometteur. Il évoque pour moi le parfum de très vieux Lafite, très concentrés. Alors je mets un bouchon neutre pour couvrir le haut, pour ne pas perdre cette belle odeur, tout en laissant au vin le temps de s’élargir.

Vers 19h30, c’est l’heure de l’apéritif. J’ouvre une demi-bouteille de Champagne Léon Camuset Blanc de Blancs sans année de Vertus. Ce champagne était le champagne de famille de mon grand-père. La demi-bouteille doit avoir environ trente ans. L’ambre est assez prononcé et le champagne n’a plus de bulles. Il a un pétillant encore présent et j’aime son côté un peu suranné, vieillot, mais qui raconte de belles choses. Sa légère amertume lui donne du caractère. Je coupe des tranches de saucisson qui sont le compagnon idéal pour ce champagne.

Je suis un bien piètre cuisinier, limitant mes compétences à cuire des œufs à la coque. Au-delà, je ne m’aventure pas. Aussi la dégustation de La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1957 se fera avec deux morceaux de saint-nectaires différents, ce qui se révèlera idéal. Le nez du vin n’a plus le caractère fruité que j’avais senti il y a presque cinq heures. C’est le sel, marqueur des vins du domaine qui s’impose. Au premier contact, je sens l’âge. Mais l’âge n’est pas un problème pour moi car il y a la noblesse. Ce que je ressens c’est le terroir de La Tâche aux pentes et courbes si harmonieuses. Il se trouve que j’ai bu 129 fois La Tâche sur 56 millésimes et je ressens ici l’âme de La Tâche. Le vin est plus fatigué que d’autres mais l’âme est là. Le message est de sel, de terre, janséniste, simplifié tout en étant subtil, et le vin me dit : je suis La Tâche. Et j’adore cette période où les vins furent difficiles. Et ce que je retiens le plus, c’est l’émotion qu’il dégage. Et cette émotion est encore plus forte parce que je suis tout seul, puisque je n’ai que ce vin sur lequel me concentrer. Chaque gorgée me lance un message et je le reçois avec émotion.

Ce qui me surprend, c’est la longueur extrême de ce vin, qui n’est pas puissant mais long. Il y a des similitudes avec des années discrètes mais expressives de la décennie 70. La lie que je verse dans mon verre est un concentré de puissance et d’expression du vin. C’est un bouquet final magistral. Je suis ému au point que les larmes ne sont pas loin de poindre.

J’aurais aimé ne pas être seul à boire ce vin émouvant, mais j’ai eu une belle bouffée de bonheur.

curieuse marque sur la bouteille

Sublime Hermitage samedi, 23 janvier 2021

L’amie que nous devions recevoir nous rend visite deux jours plus tard. Il n’est plus question d’épaule d’agneau. Ce sera un poulet. J’ai l’humeur à ouvrir de grands vins. L’apéritif se prendra avec un Champagne Krug Grande Cuvée étiquette crème sans année, qui a été commercialisé, si ma mémoire est bonne, dans les années 90, avec des vins sur des années des décennies 90 et 80. Il y aura des olives de Kalamata, des chips à la truffe, du fromage Jort, une rillette parfaitement adaptée au champagne, mais le meilleur accord, surprenant, sera de petits toasts à la confiture de fraise et des copeaux de stilton. Le champagne avait été ouvert une heure avant le repas et son bouchon très court était venu sans problème, délivrant un pschitt discret. Dans le verre la bulle est active et la couleur légèrement ambrée est jolie.

Ce champagne est un voyage sur une autre planète car aucun champagne récent ne pourrait offrir de telles subtilités. Ce champagne complexe est insaisissable comme un félin. Quand on croit avoir compris son message, il en change, délivrant une nouvelle palette de complexités. Il est d’un charme raffiné. C’est un grand champagne que j’adore.

Il se trouve que sur Instagram un grand amateur avait raconté sa dégustation d’un Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Aîné 1990 et il l’avait trouvé parfait au point de lui accorder une note de 100 points sur 100. Ça m’a donné l’envie d’en goûter un que j’ai ouvert ce matin vers 9h30. J’ai cru pouvoir utiliser le tirebouchon limonadier pour remonter le bouchon mais le bas du bouchon, imbibé, n’est pas remonté. Je l’ai doucement levé avec la mèche que j’aurais dû utiliser avant la levée complète du bouchon. A l’ouverture la complexité du parfum annonçait un vin très riche. Au moment du service, dès le premier nez, je me suis senti comme le héros d’un film de cambriolage de banque, au moment où la combinaison du coffre, enfin découverte, libère une lourde porte et laisse montrer un trésor incommensurable. Car ce vin est une expression de la perfection du vin.

L’émotion n’est pas aussi vive que celle que j’avais eue en buvant l’Hermitage La Chapelle 1961, qui trône en haut de mon Panthéon, mais je ressens l’émotion que me donnent les vins parfaits, ceux dont on sait qu’ils ont atteint une forme totalement aboutie. Alors, je jouis de ce vin merveilleux, plein, riche, velouté, à l’amertume magiquement dosée. C’est du bonheur pur. J’imagine très bien que 1990 est le grand successeur de 1961 parmi les plus grands vins de ce domaine. Sa cohérence et sa longueur sont de vrais bijoux.

Le repas s’est conclu sur une galette des rois qui comportait une fève et un santon. Ce devait être un jour particulier pour moi, car j’ai eu la chance de trouver sur mon assiette à la fois le santon et la fève. Tout en ce jour était bonheur.

mes fèves

Rimauresq 1983 vendredi, 22 janvier 2021

Nous devions recevoir une amie. Une épaule d’agneau avait été mise au four pour une cuisson préparatoire à basse température la veille du déjeuner. Mais il a fallu reporter le rendez-vous. La viande ne pouvait pas attendre. Nous l’avons mise au programme du dîner. Un vin s’impose. Je choisis en cave un Côtes de Provence Rimauresq 1983.

Le niveau dans la bouteille est à un centimètre sous le bouchon, ce qui est parfait. En tournant le tirebouchon, je m’aperçois que le bouchon peut tourner dans le goulot sans effort, car il n’est pas comprimé. Je vérifie une fois de plus un phénomène curieux : un bouchon extrêmement serré peut accompagner une baisse de volume et un bouchon peu serré peut avoir mieux empêché l’évaporation. Le nez à l’ouverture trois heures avant le repas est magnifique et prometteur, j’entrevois la garrigue.

La viande d’agneau est superbe et typée, forte. La souris est d’une grande intensité tout en étant fondante. Le vin est velours. Il évoque le sud, la garrigue, le romarin et le genêt. Son amertume est très sensible, atténuée heureusement par ce goût velouté. Le finale n’est pas très long.

Il n’a pas l’énergie d’un vin jeune mais compense par sa cohérence. La viande et la sauce mettent en valeur ce vin qui a un peu perdu de sa vivacité. J’adore les vins du sud et l’image qui me vient est d’aimer ce Rimauresq comme j’aime les vins du domaine du Pégau en Châteauneuf-du-Pape. Ce vin était nécessaire pour profiter d’un agneau de grande intensité. Un Mont-d’or s’est montré plus pertinent sur le vin de 1983 qu’un saint-nectaire.

 

Dom Ruinart et caviar vendredi, 22 janvier 2021

Les couvre-feux qui varient au gré des humeurs gouvernementales rendent difficiles les occasions de partager des vins avec des amis. L’envie d’ouvrir du vin me prend et ce d’autant plus qu’il reste une boîte de caviar, non utilisée lors des fêtes de fins d’année. Dans la cave beaucoup de bouteilles me tentent et je jette mon dévolu sur un Champagne Dom Ruinart 1988.

Alors que nous adorons la combinaison coquilles Saint-Jacques crues avec caviar car le sucré des coquilles se marie divinement au salé du caviar, ma femme a envie d’essayer un accord du caviar avec des coquilles Saint-Jacques poêlées. Les coquilles sont superbes, mais l’accord ne se trouve absolument pas, car la coquille ainsi poêlée n’a dans sa palette de goûts aucun qui puisse faire vibrer le caviar. Nous le saurons pour une prochaine fois.

C’est avec une baguette de pain et du beurre que le caviar va prendre son envol et pourra converser avec le champagne. Le champagne a été ouvert au dernier moment. Le bouchon est extrêmement difficile à tirer et vient entier, offrant un pschitt dynamique. La bulle est active, la couleur est très peu ambrée. Le champagne offre une belle complexité, vif, intense, avec des petites traces de maturité qui ne gênent pas le plaisir. Il va s’arrondir au fur et à mesure de la dégustation. Il est bien titillé par le sel du caviar. Son énergie et sa palette large en font un champagne noble, de grand plaisir. Il y a sans doute des champagnes plus adaptés au goût du caviar. Ce champagne appelle plutôt des viandes blanches et des sauces pour délivrer toute sa générosité. Mais j’en ai bien profité.

Quand Lucullus déjeune chez Lucullus lundi, 11 janvier 2021

Des amis qui ont participé depuis de longues années aux réveillons du Nouvel An et aux agapes du 15 août nous invitent à déjeuner chez eux. Notre amie est une cuisinière généreuse et talentueuse. L’apéritif est varié et copieux : carottes que l’on trempe dans une crème au thon, beignets, dés de saumon, tomates, saucisson, coquilles Saint-Jacques et de délicieuses petites tartines au fromage de chèvre posé sur une confiture de fruits rouges. J’en oublie sûrement.

Nous commençons par un Champagne Dom Pérignon 2009 dont je trouve l’attaque amère. Certaines saveurs arrivent à atténuer l’amertume, mais le champagne que j’avais beaucoup apprécié, lorsqu’il est arrivé sur le marché, avant le 2008, ne me convainc pas aujourd’hui. Comme la bouteille est assez vite consommée, mon ami ouvre un Champagne Dom Pérignon 2008 qui crée un saut qualitatif spectaculaire, fait d’un charme extrême associé à une belle puissance. Ce champagne sera une merveille dans vingt ans mais brille déjà.

L’entrée froide est un foie gras associé à des magrets de canard, une salade, des pignons de pin et des noix. La sauce vinaigrée et le plat s’associent au champagne de façon pertinente. C’est un régal.

Sur des foies de poulet rôtis, apparaît un Château Mouton-Rothschild 1992. Ce vin fait réviser toutes les idées reçues sur les petites années. J’avais bu il y a deux jours un Mouton 1970. La ressemblance entre les deux est spectaculaire, aussi bien en ce qui concerne la typicité que la puissance. Il y a la même mâche très riche. C’est un grand vin. Il est associé aussi aux coraux des coquilles Saint-Jacques et l’accord, très différent, est tout aussi pertinent.

Il y a quelques jours, préparant un futur repas, je vois une bouteille qui attire mon attention. C’est un Châteauneuf-du-Pape Domaine Chante Perdrix Nicolet Frères 1978. Son niveau impeccable et sa présentation générale m’ont fait penser que ce vin serait une pépite de très haut niveau. Je l’ai apportée pour ce repas et ouverte au moment de notre arrivée chez nos amis. Le bouchon d’une qualité exceptionnelle a libéré un parfum à se damner.

Sur une épaule d’agneau « oubliée » dans le four, c’est-à-dire cuite extrêmement longtemps, donc fondante, nous avons sursauté, mon ami et moi, tant le vin est miraculeux. Son charme est inouï, et la subtilité de ses complexités est infinie. 1978 est une année particulièrement réussie dans cette appellation et ce Chante Perdrix se situe, à mon avis, au niveau du légendaire Rayas 1978. Les petites pommes de terre ajoutent au plaisir. Si l’on essayait de définir le Châteauneuf idéal, on serait forcé de décrire ce vin-là. Il est totalement velours, doté d’un charme hors du commun. Le vin du Rhône accompagne aussi bien un saint-nectaire au crémeux envoûtant.

Pour une brioche aux fruits confits, mon ami ouvre un Champagne Veuve Clicquot 2012 agréable mais un peu jeune à mon goût. Il promet.

Pour la galette des rois à la frangipane un Rhum Rivière du Mât est un bon compagnon qui appelle un cigare Romeo y Julieta de la Havane. C’est le troisième cigare que je fume depuis trente ans. Que de souvenirs sont revenus à la surface de ma mémoire.

Nous avons quitté nos amis après 20 heures, ce qui n’est pas banal pour un déjeuner qui démarre à midi et demi. Cela prouve que nous nous sentions bien et que nous avions beaucoup de choses à nous dire. Et le Châteauneuf a illuminé ce repas par sa perfection, ainsi que la cuisine de notre amie.

Déjeuner avec un grand Chablis dimanche, 10 janvier 2021

Nous sommes invités par notre boucher fétiche qui propose dans ses échoppes une vaste gamme de produits de haute qualité. L’apéritif nous permet de goûter du jambon Pata Negra bien gras et délicieux, du pain à l’huile d’olive Guttiau, pain sarde, que l’on recouvre d’une préparation de crabe à l’huile d’olive, avec de la ciboulette et un zeste de citron ainsi que du jus de citron. Le Champagne Amour de Deutz brut millésime 2008 est d’une jolie couleur claire, vif et intense, mais je trouve que sa longueur s’arrête un peu trop vite, ce qui ne l’empêche pas d’être agréable à boire.

Cédric a ouvert un Côtes de Provence Point G de Château Gasqui 2004. Il me le fait goûter et attend mon avis. Le nez est agréable et évoque les vins chauds des côtes méditerranéennes. En bouche, c’est chaud et agréable, bien balancé, mais pour mon goût, c’est un peu trop international, car on trouverait des saveurs identiques dans des vins d’Afrique du Sud, d’Australie ou du sud de l’Italie. Mais ça ne l’empêche pas d’être agréable.

J’ai apporté un Chablis Grand Cru Moutonne, Domaine Long-Dépaquit 2002 mis en bouteille par la maison Albert Bichot. Sa robe est d’un or d’été, joyeux. En bouche, le fruit explose, riche et la complexité est extrême. C’est un vin magistral, fluide et rafraîchissant comme un torrent de montagne.

L’entrée est un spaghetti de calamar frais, pancetta basque, artichaut cru, poutargue et huile d’olive verte fruitée. Le plat est délicieux et le chablis est absolument adapté au plat. La symbiose est superbe.

Le plat suivant est une lotte rôtie, une réduction de rouget montée au beurre et des carottes fanes. Le chablis trouve une belle communion avec la chair idéalement très peu cuite de la lotte.

Ensuite, apparaissent des calamars farcis aux aubergines confites, de la pancetta et têtes de calamars, ail et échalotes. Le vin rouge se comporte bien avec ce plat mais on peut mesurer à quel point il est plus simple que le blanc. Le fromage Jort accompagne naturellement le chablis, mais le vin de Provence joue aussi le jeu.

J’ai apporté une bouteille de Tokaji Eszencia Aszu 1988 qui titre 11,5° au goût de compote de pruneaux et de café, qui voisine avec une galette à la frangipane et avec de délicieux chocolats. Ce vin charmeur est d’une douceur enjôleuse et jouit d’une longueur infinie.

Cédric a travaillé pendant longtemps en cuisine aux côtés d’Yvan Roux et montre des qualités de cuisinier qui sont à signaler. Le Chablis Grand Cru Moutonne, Domaine Long-Dépaquit 2002 a montré qu’à 18 ans, il a une maturité parfaite et une vivacité exceptionnelle. On devrait boire plus souvent de grands chablis. Nos discussions joyeuses se sont prolongées fort tard dans l’après-midi.

Déjeuner ensoleillé avec un Dom Pérignon 1966 samedi, 9 janvier 2021

Un jeune ami âgé de 35 ans avait participé il y a treize ans à un repas chez Yvan Roux et avait été impressionné par les vins que j’avais apportés pour cette occasion. Il avait alors attrapé le virus des vins anciens et s’est mis à en acheter. Il vient aujourd’hui déjeuner dans notre maison du sud.

Après des journées de grand froid, inhabituel dans cette région, il fait tellement beau qu’en ce début janvier nous prendrons l’apéritif sur la terrasse. Il y aura du dos de saumon royal, du gouda au pesto, un magnifique saucisson et des chips de maïs au chili accompagnées de noix de macadamia. J’ai ouvert une heure avant de le servir un Champagne Dom Pérignon 1966. Le bouchon vient entier et pendant la montée, que je voulais très lente, je vois de fines bulles éclater le long du bouchon. Le cylindre est très droit et le bouchon est court. Quand je verse le champagne, aucune bulle n’apparaît. La couleur est ambrée. Le nez est très engageant.

En bouche je suis fasciné par le complexité du finale explosif. Ce champagne que je bois pour la 25ème fois est celui que je préfère de la décennie des années 60. Il est au sommet de ce qui peut se faire pour un champagne ancien. Il est grand et c’est surtout sa complexité et sa fluidité qui nous fascinent. Mon ami qui n’a bu que de jeunes Dom Pérignon mesure à quel point ce 1966 offre plus de sensations que l’excellent 2008 qu’il a bu récemment. Effet de l’âge ! L’accord le plus pertinent est avec le saucisson qui excite la vivacité du champagne.

Nous passons à table et sur du boudin blanc à la truffe, surmonté de fines tranches de truffe, le champagne est idéalement gastronomique. C’est sur de telles saveurs que l’on mesure à quel point ce 1966 est transcendantal.

Pour le poulet rôti servi avec des pommes de terre au four, j’ai ouvert de tôt matin un Château Mouton-Rothschild 1970 dont l’étiquette a été personnalisée par Chagall. Le nez est intense et profond et dès la première gorgée je suis impressionné par la densité et la mâche de ce vin. Il est nettement supérieur à ce que j’attendais, jouant dans la cour des grands Mouton. Il a des accents de truffe et une mâche de charbon. Sa longueur est extrême. Sur un délicieux et doux saint-nectaire, le vin fait des prodiges.

Ma femme a préparé une crème au citron avec une petite touche de gelée de coquelicot pour adoucir un Kouign-Amann. Les deux accompagnent le reste du Maury Mas Amiel 15 ans d’âge bu lors du réveillon. Il a toujours une magnifique palette aromatique de pruneau et de café, tout en douceur.

Notre ami a particulièrement apprécié ces vins. Je sens que sa passion pour les vins anciens ne fera que s’amplifier.

couleur par un beau soleil