Dîner de wine-dinners au Carré des Feuillants jeudi, 27 novembre 2003

C’est un plaisir que d’organiser un dîner au Carré des Feuillants car Alain Dutournier est un grand chef en permanente recherche de goûts nouveaux mais aussi parce que c’est un amoureux respectueux des vins. La salle redécorée est résolument moderne, avec des lithographies et tableaux qui parlent à mon goût, car Alechinski a longtemps peuplé mon bureau et ses couleurs s’inscrivent dans une démarche esthétique très actuelle.

J’ouvre les vins avec Christophe, complice d’aventures précédentes. Le nez du Margaux est grand, celui du Traminer étonnamment plaisant de richesse contenue, et nous nous disions que des amateurs peu attentifs élimineraient le Muscadet et le Charmes Chambertin, tant la pestilence initiale évoque les destins brisés. Lorsque j’ai relaté cela pendant le dîner, des convives ne comprenaient pas que l’on eut pu envisager d’éliminer de si beaux vins. Que de fois cependant des trésors de nos terroirs auront été sacrifiés à cause de cette première odeur nauséabonde qui disparaît quand on donne du temps au temps. L’ouverture de tous les vins me rassure. C’est surtout pour le Muscadet que j’avais des craintes, vite levées. Le Suduiraut 1928 est tellement transcendantal que même en l’ayant déjà maintes fois ouvert je ne peux que m’extasier de son invraisemblable perfection.

Alain Dutournier a conçu un menu fort intelligent qui s’est mis « au service » des vins, c’est à dire que chaque création est adaptée au vin qui doit créer une magie fusionnelle, pour parler comme les documents de stratégie pédagogique de l’Education Nationale. Le menu : L’huître de Marennes au caviar d’Aquitaine et les algues marines, capuccino de châtaignes et faisane à la truffe blanche d’Alba, la langoustine pimentée et rôtie, nougatine d’ail doux, réduction de muscat au piment d’Espelette et cébettes, pavé de turbot sauvage « vapeur » caviar et raifort, gâteau de topinambour et foie gras aux premières truffes, quartier d’agneau de lait des Pyrénées, cresson meunière, palets de céleri au jus, fourme crémeuse et coings confits, biscuit chaud fourré de mandarines en marmelade, pané au poivre de Sechuan, gelée, jus et sorbet.

Le Champagne Krug 1982 en magnum est déjà un régal pour les yeux, car cette bouteille de forme unique est d’une rare beauté. Quel champagne ! La couleur est extrêmement jeune, la bulle est racée, et en bouche, un vineux affirmé d’une délicatesse et d’un raffinement extrême. C’est un champagne de pleine maturité, à l’élégance exquise. Ce qui fut amusant, c’est de constater combien le champagne a changé sur les différents goûts qui l’ont accompagné. Seul, il est vineux et légèrement fumé au goût. Sur l’huître le vineux disparaît et la bulle domine. Sur les algues, on a l’équilibre d’un champagne délicat, où l’empreinte Krug est moins marquée, et sur une belle crème typée, le champagne reprend son vineux. Ce Krug explique à lui tout seul le sens de la démarche de nos dîners : un vin – ou un champagne – changera de registre, de magnitude,si l’accord avec le plat se réalise. Sur la truffe blanche d’Alba, ce Krug est un bonheur.

Le Traminer Trimbach 1962 est une des plus belles surprises de la soirée. Légèrement doux, il a des accents fugitifs de vendange tardive. Lançant de ci de là des évocations de pétrole comme ses cousins Riesling, il frappe par l’effet bénéfique de l’âge qui lui a permis d’atteindre des équilibres et des séductions que la jeunesse ne donnerait jamais. J’avais en bouche des saveurs de litchi. Avec la farce de la langoustine ce vin chante, mais il fait un duo avec l’une des énigmes de la soirée, le Muscadet Lagrive 1960. Je tenais beaucoup à offrir à Alain Dutournier l’occasion d’exprimer son talent sur des vins inhabituels. Ce Muscadet, largement hors des limites habituelles de consommation, et qui aurait été condamné à l’évier par son odeur d’ouverture s’est révélé un blanc sec très intéressant, de structure très simplifiée, mais formant avec le petit gâteau d’ail un accord au moins aussi passionnant que celui formé par le Traminer avec la langoustine. C’est excitant de réveiller de tels vins et de voir ce qu’ils peuvent atteindre avec l’âge.

Sur le délicat turbot le Chablis Premier Cru Butteaux François Raveneau 1997 ramène les convives dans des saveurs connues. Celui-ci est bien « nature », facile à vivre. Je lui ai trouvé des arômes de pain d’épices. Là aussi on pouvait vérifier comme le vin change selon les composantes du plat.

Le Château Margaux 1986 est une bombe. Quelle puissance ! Un vin de couleur dense opaque tant les tannins sont concentrés. Un nez qui dès l’ouverture avait une insolente présence comme une tirade de Cyrano de Bergerac, et en bouche une affirmation merveilleuse, faite surtout de puissance mais aussi de densité. Si sa trame était celle d’une cotte de maille, elle rendrait invulnérable. A coté la Romanée de Bouchard 1986 à la couleur délicieusement rose rouge faisait gaminet. Mais le gamin avait de la ressource car son odeur était l’exacte reproduction du plat de topinambour. Il chantait sur chaque composante du plat. On avait donc le seigneur Margaux d’une insolente jeunesse qui bousculait tout sur son passage et la Romanée qui collait au plat pour briller avec lui. Patinage artistique en solo pour le Margaux et patinage en couple pour la Romanée et le plat. Grâce à cette confrontation d’un soir, chacun des deux vins, si différents, nous a fait rêver. Notons que le plat était diablement savoureux.

Sur l’agneau, autre association osée : le Fleurie Bichot 1945 côtoyait un Charmes Chambertin Grivelet 1934. Ma voisine était en extase devant le Fleurie, s’émerveillant à chaque seconde que ce vin puisse être aussi brillant. Il est vrai que son état était particulièrement exemplaire. Nous nous disions, avec quelques convives, qu’à l’aveugle, nous aurions dit un grand Bourgogne de 1978. Ce qui prouve que ce vin mérite d’être encore servi dans de grands dîners. Le Charmes était encore plus brillant, l’ascétisme du Fleurie contrastant avec la généreuse rondeur d’un Charmes séducteur. Accompli comme tous les vins de cet âge, il savait recréer ce que la Bourgogne a de bon dans ces années là. Il était assez difficile de départager ces vins différents qui accompagnaient l’un et l’autre parfaitement l’agneau. On aura évidemment compris que j’ai mis ce Fleurie 1945 dans ce dîner là parce qu’il se situait juste une semaine après la date officielle du beaujolais nouveau.

Sur la fourme retravaillée par Alain Dutournier, le Château d’Yquem 1990 est à son aise. Mais c’est sur le coing confit qu’il atteint des sommets gustatifs. Immense Yquem qui promet beaucoup. Chacun se délectait de ce grand Sauternes et aussi des accords d’une subtilité rare, mais nul ne s’imaginait qu’on puisse aller tellement plus haut avec le vin suivant. Le Château Suduiraut 1928 est une vraie légende. Il a un nez à nul autre pareil. Comme lorsque nous l’avions bu chez Guy Savoy, on pouvait se contenter de le sentir. Une des convives attendit même près d’un quart d’heure avant d’y porter les lèvres, tant elle voulait profiter de la pureté de cette odeur. Entendons nous bien, Yquem au même âge que le Suduiraut va montrer sa classe naturelle et son niveau. Mais le jeune talentueux ne peut pas rivaliser aujourd’hui avec le maître. Dans les odeurs, ce Suduiraut donne un spectre quasi infini d’agrumes, de fruits jaunes et roses, et d’épices luxuriantes. En bouche, c’est l’explosion de bonheur dans les mêmes tonalités. Fortement alcoolique, cela le rend charmeur comme un grand cognac. Le dessert avait l’exacte proportion pour que le mariage comble d’aise. On comprenait – si ce n’était déjà largement fait – combien les plats ont de l’importance pour propulser le plaisir d’un vin dans d’autres dimensions. Le Suduiraut se suffisait à lui-même, tant il est complet. Mais avec la mandarine confite, il gagnait encore en attrait. Ce fut certainement le plus bel accord.

Grand plaisir personnel au moment où toute la table fait le classement de vins disparates, car dans les quartés que chacun fit, chacun de mes vins fut cité au moins une fois. Les préférences furent : 1 – Suduiraut, 2 – Charmes Chambertin ex-aequo avec Margaux 86, et 4 – le Traminer. Mon vote personnel fut : 1 – Suduiraut 1928, 2 Charmes-Chambertin 1934 , 3 – Traminer 1962, 4 – Fleurie 1945.

Alain Dutournier qui avait senti et goûté certains vins nous a fait le plaisir de nous rejoindre pour bavarder avec nous en fin de repas sur l’intérêt de ces vins anciens, qui permettent une créativité culinaire motivante. Nous l’avons complimenté sur l’extrême sensibilité de ses choix. Il aura permis à des vins de briller encore plus pour un repas qui marquera chacun des convives.

 

 

Dîner de wine-dinners au restaurant « Le Carré des Feuillants » jeudi, 27 novembre 2003

Dîner de wine-dinners au restaurant « Le Carré des Feuillants » le 27 novembre 2003
Bulletin 98

Les vins de la collection wine-dinners :
Champagne Krug 1982 en magnum
Traminer Trimbach 1962
Muscadet Lagrive 1960
Chablis Premier Cru Butteaux François Raveneau 1997
Château Margaux 1986
La Romanée Bouchard 1986
Fleurie Richot 1945
Charmes Chambertin Grivelet 1934
Château d’Yquem 1990
Château Suduiraut 1928

Le menu mis au point par Alain Dutournier :
L’huître de Marennes au caviar d’Aquitaine et les algues marines,
Capuccino de châtaignes et faisane à la truffe blanche d’Alba,
La langoustine pimentée et rôtie, nougatine d’ail doux, réduction de muscat au piment d’Espelette et cébettes,
Pavé de turbot sauvage « vapeur » caviar et raifort,
Gâteau de topinambour et foie gras aux premières truffes,
Quartier d’agneau de lait des Pyrénées, cresson meunière, palets de céleri au jus,
Fourme crémeuse et coings confits,
Biscuit chaud fourré de mandarines en marmelade, pané au poivre de Sechuan, gelée, jus et sorbet.

Déjeuner au Carré des Feuillants samedi, 22 novembre 2003

Déjeuner au Carré des Feuillants, sur base de langoustines, cèpes et turbot. Le Y d’Yquem 1988 arrive à bonne température, c’est à dire pas trop froid. Belle couleur très jeune. Contrairement à l’habitude, le nez n’est pas très Yquem. En bouche, l’alcool domine, puis ce vin généreux, riche, envahit le palais. Il y a des notes épicées passionnantes. Le passage en seau lui convient, car en fait c’est légèrement plus frais qu’il s’épanouit. Mais je préfère cette arrivée un peu chaude plutôt qu’un peu trop froide. La langoustine est un grand classique. Mariage naturel avec le Y qui brille sur la chair délicatement épicée de la langoustine. Avec les cèpes, l’accord se fait très bien, mais la force des épices appellerait plus volontiers un lourd vin du Rhône. Le turbot au caviar est une merveille de cuisson. Là, le Y est en plein dans son sujet. Il brille, et ses légères notes fumées enveloppent la chair si parfaite du turbot. Le Y a maintenant trouvé une longueur extrême, laissant une trace comme un bonbon au miel et au coing. J’ose un dessert au litchi et gelée de rose. Choc intéressant. Le litchi raccourcit le vin mais le bouscule gentiment, et la gelée de rose fait découvrir des aspects insoupçonnés du vin. Ça n’a que l’intérêt de l’anecdote, mais c’est amusant. Avantage indirect : le vin apparaît encore meilleur quand on le boit seul.

Déjeuner à la Grande Cascade vendredi, 21 novembre 2003

Dans le cadre de la Grande Cascade, si agréable même quand le temps est morose, une cuisine rassurante, de bonne exécution, sûre et experte. Le Musigny Comte de Voguë 1986 a une couleur originale. Très transparente, d’un beau rubis de pierre précieuse, avec une petite trace de couleur métallique. Le nez est élégant, un peu poussiéreux, de vieux parchemin. En bouche, c’est très austère. On sent ce vin un peu guindé. Mais la profondeur de la trame, l’élégance de sa structure en font un Bourgogne original, amer, astringent, mais très intéressant. Assurément un grand vin qui ne fait rien pour séduire. La Grande Cascade est une étape de plaisir.

dîner dégustation au Dauphin jeudi, 20 novembre 2003

Je vais à un dîner dégustation où l’entreprenant Jean Louis Laborde propriétaire de Clinet et grand propriétaire de Tokaji en Hongrie présentait ses vins hongrois. Le Szamorodni extra-dry 1983 me plait bien. On est dans les notes de xérès, de vin jaune, et j’aime ce coté dérangeant et énigmatique. Le Harslevelü vendanges tardives 2000 est délicatement sucré. Vin d’apéritif qui n’agresse pas, mais ne laisse pas de souvenir particulier. Le Furmint sec 2002 et le Zempleni Chardonnay 2002 sont deux vins secs qui n’appellent pas de ma part un grand intérêt. Ce qui l’appelle en revanche c’est la démarche suivie par Jean Louis Laborde avec Michel Rolland. Ils ont en effet travaillé tout particulièrement ces vins secs qui permettent les dosages des puttonyos. C’est très intelligent. Le Château Pajzos Szamorodni doux 1991 qui accompagne un poisson le fait particulièrement bien. La cuisine du Dauphin est de haute qualité. Le Megyer 5 Puttonyos 1993 est l’archétype du beau Tokaji d’une grande année. Le fromage de brebis l’assèche, mais le même fromage avec une confiture d’ananas l’anime élégamment, et la trace de piment le transcende, composant un accord d’une rare efficacité. Le Pajzos 6 Puttonyos 1997 est trop sucré pour moi, alors que le Muskotaly, muscat vendanges tardives 1997 montre une rare élégance. C’est le charme à l’état pur, avec des évocations de fruits confits. Ce vin séduisant pourrait accompagner tous les plats avec bonheur et inventivité. Je vois bien un lourd canard avec ce vin enveloppant. Je classerais en premier le Megyer 93, puis le muscat 97 et enfin le petit vin extra-dry de 83. Belle présentation des vins d’un touche-à-tout consciencieux et sans limite.

Déjeuner d’amis dans un cercle mercredi, 19 novembre 2003

Déjeuner d’amis dans un cercle. Champagne Mumm 1985 d’une rare élégance. Il pirouette en fin de bouche. Il donne la démonstration, s’il en était besoin, que le champagne brille de plus en plus avec l’âge. Ce champagne est diablement séduisant. La Conseillante 1990 est vraiment un immense Pomerol. Mais comme il a bien profité de son âge, il s’est arrondi, il est devenu onctueux et ce qu’il a gagné en charme sensuel l’éloigne de l’austérité habituelle du Pomerol. Comme il a une structure d’une précision rare, ce vin ajoute le charme à l’élégance. Il est, à ce jour, au sommet de l’art d’un vin jeune. Il va bien sûr attraper d’autres qualités lors de son épanouissement. Cette année sera l’une des plus longues qui soit. Un gentil Barsac, Château Saint Marc 1989 montre qu’il est bien du Sauternais. Mais aussi qu’on est loin des sensations que procure un Sauternes de 60 ans de plus ou de quelques classements de plus. Un monde les sépare.

Déjeuner chez Guy Savoy lundi, 17 novembre 2003

Déjeuner chez Guy Savoy qui lance un nouveau menu de découverte de saveurs. C’est extrêmement intéressant car on joue sur les textures, les températures, les impressions immédiates et celles plus construites. C’est gustatif, tactile, sensuel.

Ce menu est fait par le Dieu Pan, qui envoie des notes dans toutes les directions, séduit sous les buissons et se rit de toute pesanteur. Création débridée avec un plat, le turbot, qui mériterait déjà d’entrer à l’Académie Française tant il est présidentiel. Choix des vins par Eric Mancio. La Cuvée A 360 P (Pinot Gris) 2000 Domaine Ostertag dont l’étiquette porte une profession de foi « solitaire mais libre comme un vieux chêne au coeur du grès rose » que le domaine a décidé d’appeler d’un numéro, car il n’a pas eu l’agrément pour l’appellation Grand Cru. Un beau jaune de tournesol, une belle puissance, une lourde charge alcoolique. Je le ressens comme une énigme tant il faut aller chercher en profondeur tous les messages qu’il envoie. Extrêmement gras, c’est un vin de plaisir, mais il peine à accompagner les nombreux plats pour lesquels il est prévu, car on se lasse un peu d’un discours identique. Il serait idéal au verre, et sur seulement deux plats.

Sorti poussiéreux de la cave, le Chateauneuf du Pape Domaine de Beaurenard Paul Coulon 1982 est un beau Chateauneuf. Puissant, élégant, il a une délicate amertume qui me plait bien. On pourrait même dire qu’il est sec, voire poussiéreux comme son enveloppe tant il assèche les papilles. Mais j’aime bien cette expression ascétique qui lui donne du caractère.

Le service est d’une précision extrême. Il y a même un exciseur d’oeuf mollet ! La bonne humeur règne, car on ne mange bien que dans la joie, et c’est un plaisir de venir profiter de cet Etna de création gustative à l’imagination sans limite. On aura compris que j’ai aimé.

Je vous raconte le turbot : une assiette arrive, joli tableau où sur du chou vert cru coupé en fines lamelles et répandu comme la chevelure d’une Ophélie martienne, un oeuf mollet forme un oeil cyclopéen. Un maître d’hôtel nous présente des cassolettes où d’épais morceaux de turbot ont été cuits. Il les sépare devant nous, les dispose dans l’assiette. Puis il verse généreusement de l’huile d’olive. L’expert ès oeufs mollets vient fendre l’iris qui se met à larmoyer de son or liquide. On mange allégrement sans se préoccuper de petits trous dans l’assiette surélevée. Je pensais juste comme cela, sans réfléchir, à la fonction de ces trous : ce serait bien qu’ils diffusent de la musique. Avoir une assiette dont la Tosca, la Somnanbula ou Nabucco accompagneraient qui une sole, qui un perdreau et qui un lièvre, cela aurait une folle allure. Quand on croit avoir fini de manger ce que l’on considère comme un grand plat, un maître d’hôtel vient enlever ce qui n’était qu’un couvercle, et de plate l’assiette devient creuse. Au fond, donc sous ce que l’on a mangé, une autre préparation s’est imprégnée du jus de turbot, de l’huile d’olive et du jaune d’oeuf qui se sont échappés par les trous. On ajoute alors les barbes du turbot pour donner une deuxième saveur totalement exquise rehaussée de petites pommes de terre délicates. Dictionnaires gastronomiques de tous les pays, faites vite un chapitre sur ce plat. Il écrit l’Histoire.

 

 

Soirée Grand Siècle au Pavillon d’Armenonville dimanche, 16 novembre 2003

Soirée Grand Siècle au Pavillon d’Armenonville. Le Comte de Nonancourt rassemble chaque année un parterre d’amis et de personnalités pour une soirée où l’on fête une personne remarquable désignée par un jury éclectique et compétent. Je rencontre avec joie des propriétaires de vignobles dont j’adore les vins. Belle occasion de les féliciter.

Quelques amis ici et là qu’il fait plaisir de saluer. Le repas est préparé par Potel & Chabot et servi par des laquais Grand Siècle pour plus de 300 personnes. Il subit fort opportunément l’influence de recettes africaines du meilleur goût. De gigantesques bouquets de fleurs du Sénégal sont comme des tableaux d’un coloriste extrême comme par exemple Corneille du mouvement Cobra. On boit Cuvée Grand Siècle de Laurent Perrier non millésimé, assemblage de trois millésimes. C’est une belle expression de champagne pur, mais mon palais est trop influencé par des champagnes plus typés, et je ne profite pas comme il convient de cet élégant champagne qui mérite l’intérêt. A l’inverse, en fin de repas, alors que je ne suis pas un fanatique des champagnes rosés, j’ai beaucoup aimé le Cuvée Grand Siècle rosé 1990. Belle couleur de coeur de fraise, et belle onctuosité qui a gommé l’amertume que l’on trouve parfois dans ces champagnes. Champagne très séduisant à l’équilibre élégant. Le repas s’est déroulé avec Rausan Ségla1986 en magnum. Nez très jeune de beau tannin. Beau fruit. Une consistance un peu sèche mais une belle personnalité. On sent que ce vin sera nettement plus complet dans vingt ans, quand les pièces du la belle mécanique se seront assemblées.

La nourriture et les vins enchantaient le palais, mais c’est surtout le délice des oreilles qui marquait la soirée. Pierre Messmer a complimenté le récipiendaire d’un discours fort bien tourné, discret mais densément affectueux. Celui que l’on honorait est le Président Abdou Diouf, ancien Président du Sénégal, et actuel Président de la Francophonie. Magnifique discours de circonstance, marqué d’un amour profond de la France et de sa langue. Dans un pays où l’amour de la patrie est parfois pris en ironie, c’est particulièrement impressionnant que le Président musulman d’un pays d’Afrique nous irradie du sentiment de fierté d’être français et de l’envie de promouvoir notre belle langue. L’émotion était grande tant l’enthousiasme du grand homme et son amour de notre pays est communicatif. Ce sont des instants rares à déguster. On m’a raconté que l’an dernier, quand soeur Emmanuelle a reçu ce même prix Grand Siècle, presque toute la salle pleurait …

 

 

Dîner impromptu à domicile samedi, 15 novembre 2003

Au détour d’un dîner dans un restaurant de type « tendance », un Chablis Premier Cru Vaudevey Domaine Laroche 1997 que je connaissais déjà. Belle surprise, l’iode des huîtres mettant en valeur ce joli Chablis, nettement moins marqué que des grands crus, mais agréable ici. Nénin 1996 est un Pomerol très typé. Très sec, il évoque du bois de chauffage mis à sécher. Mais l’élégante structure arrive à le rendre charmant.

Dîner impromptu à domicile. Sur des courgettes cuites au four et fourrées de parmesan, un Pinot Blanc Domaine Schlumberger 1991 est très « Alsace », avec cette petite amertume si caractéristique, mais il a de la rondeur et de la longueur qui lui permettent d’accompagner ensuite une épaule d’agneau cuite quatre heures, et même de briller sur un Brie prononcé. Pour suivre sur les fromages, une demie bouteille de Lafite 1969 au bouchon collé au verre, au nez immédiatement étonnamment chaleureux et vivant. Un vraiment beau vin, au dessus de ce que donne cette année. Une demie bouteille de Yquem 1990 se prête un instant au jeu d’un crumble aux pommes. C’est le meilleur 1990 que j’aie bu à ce jour. Fumé, rond, gorgé de saveurs de fruits confits lourds et goûteux, ce Yquem est un vrai plaisir. Il se boit très bien tout seul, comme un dessert.

 

 

Dîner de wine-dinners au restaurant de l’hôtel Bristol mercredi, 12 novembre 2003

Dîner dans la belle salle du Bristol pour un dîner de wine-dinners. Compte tenu des âges des bouteilles je ne me fais pas de souci à l’ouverture. Tous les niveaux sont parfaits. Le Richebourg du Domaine de la Romanée Conti a un magnifique bouchon d’une belle texture. Il a immédiatement une belle odeur, comme ce Passion Haut-Brion. Le Cérons évoque de prometteuses saveurs.

Le bouchon du Mission adhérait mal au goulot. Eric Fréchon arrive au bon moment, quand j’ouvre la Malvoisie des Canaries 1828. Nous dérobons chacun une goutte de ce nectar et sommes saisis par la complexité extrême de cet élixir à la densité infinie. Pendant plus de deux heures j’avais encore la bouche prise de cette invraisemblable complexité.

Voici l’intelligent menu qu’Eric Fréchon et Jérôme talentueux jeune sommelier ont créé : Feuilletés d’apéritif, Tête de cochon persillée et relevée au raifort, girolles au vinaigre, toast de campagne, Araignée de mer, jus de carcasse pressée, chair et corail à la coriandre, cébette et gingembre, Lobe de foie gras de canard rôti en feuilles de figuier au miel et citron, Jeune palombe rôtie à la broche, tartine d’abats au foie gras, sauté de girolles, Lièvre de Beauce, l’épaule cuisinée en civet, le râble rôti au poivre vert, pennes cuits au bouillonde truffe noire, Sabayon au chocolat noir Trinitarios, caramel mou effleuré d’épices, glace à l’infusion de vanille Bourbon, Friandises et chocolat.

Nous démarrons sur Bollinger grande année 1989. Belle bulle fine sur une couleur dorée. Il a déjà commencé à prendre un léger goût de fumé, signe de maturité. Il est opulent, assis, rassurant. Il fait plus vieux que son âge. Paradoxalement le Krug 1988 parait léger à coté de lui. Ciselé, on dirait un cristal de roche. Quelle joie de l’exciter par une tête de porc. Courageux mariage. Le Cérons, château du Mayne, sec que je date autour de 1960 a un nez de Sauternes ancien, avec cette délicatesse qui mêle le citron et le fruit confit. En bouche, il se retrouve Graves sec, et l’araignée simplifie son message d’un équilibre épuré rare. Voilà un vin à qui l’âge a apporté la noblesse qu’il n’avait pas. Il était Porthos. Il est devenu d’Artagnan.

Le Tokay Pinot Gris Hugel Vendanges Tardives 1985 se présente dans des conditions idéales. Il est déjà très doué naturellement, offrant des saveurs passionnantes. Mais il fait voyage avec un foie gras qui est sans doute le meilleur que j’aie jamais mangé. Alors, ce Pinot exulte, et nous fait un numéro de charme exquis. Bel Alsace qui a été mis en valeur en pleine justesse à ce moment du repas.

J’avais voulu m’amuser à mettre ensemble trois rouges de la même décennie qui ont la même racine de patronyme. Le Passion Haut-Brion 1976 a le meilleur nez des trois et de loin. En bouche, il étonne par sa réussite. Beaucoup de convives le placeront au dessus de ses deux voisins, pourtant plus gradés que lui. Le Mission Haut Brion 1971 a un premier nez fatigué. On sent une blessure dont le comportement du bouchon avait été l’indice. Mais la chair de la palombe si bien présentée a réveillé en lui ses pulsions animales. Il a fort bien épousé la palombe. Le Haut-Brion 1970 se demandait ce qu’il faisait à coté de ces deux là, le Passion qui brillait plus qu’il n’aurait dû, et le Mission qui jouait du muscle, comme un brigand de faubourg. Ayant choisi d’offrir un nez discret, il s’affirmait en bouche par une distinction de gentleman anglais. Le Passion était Alain Delon, le Mission était Arnold Schwarzenegger et le Haut Brion Sean Connery. J’ai aimé ce Haut-Brion quand d’autres préféraient Passion. Caprices de goût.

Le silence s’est fait lorsque fut dégusté sur un lièvre viril et distingué le Richebourg du Domaine de la Romanée Conti 1981. La couleur est claire et un peu grisâtre, le nez s’habille de celui du lièvre et en bouche, l’animalité du lapin se confond avec lui. Si je devais faire une image – il m’arrive d’en faire – je dirais que ce Richebourg, ce sont les plombs qui ont terrassé l’animal. Il y a une telle fusion sensorielle que le Richebourg a acquis sur le lapin un pouvoir de vie et de mort comme les plombs du chasseur. Ce Richebourg sensuel, qui n’existe que parce que le lièvre existe fut un plaisir largement sanctionné dans les notes.

Ce qui est à signaler, c’est que l’épice qui supportait ce plat arrangeait bien le Richebourg. Mais elle convenait aussi aux trois Bordeaux : le Haut-Brion confirmait la finesse de son architecture gothique, le Mission reprenait vie et retrouvait ses couleurs, et le Passion maintenait sa performance. Cette première partie de repas, avec des vins très jeunes laissait déjà pantois tant Eric Fréchon avait créé une justesse de mariages inégalable.

Arrivaient maintenant les « vrais » vins que l’âge habille.

Le Banyuls Grand Cru Sivir (groupement de propriétaires) 1929 montre tout ce que l’ancienneté apporte au Banyuls. Tout est arrondi, calibré, pour ne retenir que le vrai message de ce vin chaleureux. C’est un brasero du coeur. J’ai toujours un peu peur quand des desserts trop imaginatifs vont dans l’excès quand mes vins de dessert très anciens attendraient des esquisses. Là, l’accord fut parfait car Eric Fréchon a su suggérer sans tomber dans la lourdeur des desserts trop typés qui se veulent talentueux. Merveilleux Banyuls.

Il fallait remonter la pendule d’un siècle pour l’élixir qui suivait. Aucun goût connu ne peut approcher la complexité sensorielle de ce vin insoupçonnable : Malvoisie des Canaries 1828. Il y a du caramel, du café, du fruit confit, de la citronnelle, de l’épice, de la vanille et du cuir qui se mettent à danser comme en un manège, chacun n’apparaissant que lorsqu’il a envie. Complexité, longueur, un moment d’énigme historique qui jalonne une vie.

Je suis assez fier, car dans les quartés des dix convives, chacun des vins a été cité au moins une fois. Le plus acclamé fut le Richebourg, cité sept fois dont six fois premier, puis la Malvoisie cité neuf fois dans le quarté, puis quasi ex aequo, le Tokay, le Passion et le Cérons Château du Mayne cités quatre ou cinq fois.

Mon choix personnel, combien difficile cette fois fut Canaries, Richebourg, Château du Mayne et Haut-Brion. J’aurais autant de mal à choisir le meilleur accord tant tous furent d’une rare perfection. Le meilleur plat fut le foie gras qui est un plat de légende. Le meilleur accord est sans doute celui du lièvre et du Richebourg. Mais l’araignée et le Cérons mérite aussi une mention. En fait, chaque accord m’a plu, car il permettait à chaque vin de se transcender. Le Cérons, s’il s’était comparé aux grands Bordeaux secs, eut fait modeste figure. Là, en situation, avec une araignée intelligente, il devint un seigneur.

C’est le secret d’une gastronomie de coeur au service du vin.