galerie 1977 dimanche, 28 septembre 2003

Chambolle Musigny Amoureuses Domaine Clair-Daü 1977.

Si quelqu’un connait la différence entre "Amoureuses" et "les Amoureuses", qu’il m’écrive un message par ce blog.

 Corton Grand cru Les Languettes, Domaine du Pavillon Albert Bichot 1977

Les bouteilles vivent et meurent samedi, 27 septembre 2003

Comme je le rappelle ci-dessus, depuis la création de wine-dinners, je n’ai rejeté qu’une seule bouteille. Cela parait invraisemblable, mais il y a une explication. Quand je compose une liste de vins pour un repas, je prélève des bouteilles, et je choisis des bouteilles de belle présentation, même si parfois je tente une bouteille à niveau légèrement bas. L’expérience m’a montré que le niveau n’est pas toujours déterminant. En fait, le lent travail de destruction de Madame la Mort se fait dans mes caves comme dans toutes les caves. Et s’il y a peu de déchet, c’est que l’usure reste en cave. Je viens d’en avoir la démonstration.

Devant faire un transfert d’une cave à une autre, j’ai délicatement emballé des bouteilles portées religieusement. Aidé par des bras forts et précautionneux, j’ai égayé la pause sandwich de cette journée de manipulation de bouteilles précieuses à l’aide d’un Echézeaux 1988 Fromont Moindrot que j’avais plusieurs fois servi dans de grandes fêtes. Etait-ce l’effet d’une ou deux années de plus, était-ce pour oublier quelques pertes, toujours est-il que je l’ai trouvé diablement bon. Pas de fulgurance particulière, mais une belle synthèse en bouche de sensations fort agréables. Un vin qui ensoleillerait plus d’un repas.

Ce dont j’avais à me consoler est toujours triste : des bouchons tombés au fond des bouteilles, des niveaux qui se sont abaissés, blessures irréparables. N’aimant pas tellement abandonner les blessés sur la route, comme le hussard fidèle, je décidai de rapporter pour un repas à domicile trois bouteilles : un Macon générique 1964, bouteille de la cave d’Azé, bouteille roturière que je voulais voir cohabiter, c’est ma coquetterie, avec deux monstres sacrés : Romanée Conti 1929 et Richebourg du Domaine de la Romanée Conti 1942. Le choix du Macon était lié au fait que le bouchon était tombé dans la bouteille, mais la couleur du vin me donnait espoir. Le choix de la bouteille la plus légendaire qui soit (Romanée Conti 1929 est un mythe) venait de son niveau largement vidange, et le choix d’un Richebourg 1942 au niveau bas était un effet du hasard : Jean Charles Cuvelier, directeur du Domaine, venait de me dire il y a juste trois jours qu’il l’avait particulièrement aimé. Je ne pouvais pas résister à l’envie d’essayer, à coté de ces deux blessés graves. J’avais une autre raison : il précède le 1943 que j’ai tant aimé, comme La Tache 1943, ces deux bouteilles d’un grandeur gustative inestimable.

A l’ouverture du Macon, on sent l’effet du drame, mais l’espoir persiste. Ce sera un vin madérisé. On essaiera d’aimer le témoignage dont la couleur est divine. A l’ouverture de la Romanée Conti 1929, j’enrage : la cire a craquelé, ce qui a justifié le coulage, mais je suis sûr qu’un des propriétaires précédents de cette bouteille, particulier ou caviste, trop fier de la posséder, a dû la mettre en évidence dans un endroit trop chaud et trop éclairé et l’a stockée debout, car le bouchon s’est anormalement rétréci, signe d’un stockage indélicat.

Cela me rappelle cette Lafite 1787 ou 1789, je ne sais plus, qui était présentée en une maison de vente aux enchères de renom avant sa dispersion. Comment voudrait-on que je fasse une enchère si ce vin est tué debout dans une vitrine chaude et éclairée ? J’imagine que ma Romanée Conti a dû être blessée de la même façon par un amateur trop peu précautionneux.

L’odeur à l’ouverture est magnifique, mais la couleur affadie me fait craindre le pire, signe de trop de lumière là où il fut conservé. La bouteille du Richebourg, bouteille au verre bleu de la guerre quand on manquait de plomb a un niveau bas mais possible. Le bouchon noirci sent la terre et indique aussi des blessures liées au stockage. Le vin lui-même sent aussi la terre, mais je pressens qu’il pourrait renaître.

Nous passons à table. Le Macon peut rebuter, mais il a un nez superbe, une couleur royale, et un goût fort décent qui n’évoque que de loin le Macon. Il était buvable, mais il fallait bien un Pavillon blanc de Château Margaux 1998 pour nous ramener sur une terre où le vin a le goût d’agrumes et picote agréablement de saveurs gentiment agressives.

Au moment de servir la Romanée Conti 1929 j’ai eu une pensée pour Richebourg du Domaine de la Romanée Conti 1929 qui est à ce jour le plus grand bourgogne que j’aie jamais bu. Hélas, son conscrit est mort. L’odeur est divine, évocatrice de la perfection qu’il pourrait offrir, mais il est mort, définitivement mort. J’ai essayé de boire différentes parties de la bouteille, espérant que la concentration de bas de bouteille rachèterait le reste, mais rien à faire. Ce vin avait gardé sa noblesse dans l’odeur mais avait cessé de vivre. Paix à son âme.

Le Richebourg 1942 a une étiquette du Domaine, barrée de la mention « interdit d’exporter aux USA et en UK ». Curieusement il n’y a aucun nom de propriétaire, alors que sur la 1929 trois noms de famille sont cités. La seule mention est : mise en bouteille au domaine. Le nez est superbe, remarquablement mis en valeur par les verres Riedel. En bouche je retrouve les goûts chatoyants des Richebourg du domaine de la Romanée Conti. Il y a eu quelques instants où j’ai perçu la perfection d’un grand Richebourg, mais j’ai été souvent gêné par une fatigue réelle, avec de désagréables relents. Impressions contraires, d’excellence sur quelques gorgées et de fatigue sur beaucoup d’autres. Mon fils l’apprécia beaucoup plus.

Quelle leçon tirer de cette expérience ? La visite d’une de mes caves m’a rappelé une réalité : les bouteilles meurent forcément un jour. Je vivais dans l’euphorie que me donne le succès de ces bouteilles qui surprennent tous mes convives. Mais la vigilance s’impose. Il faut surveiller ces objets de bonheur afin de ne pas les voir finir comme cette Romanée Conti 1929. Je suis tout retourné d’avoir réveillé le plus beau chant du monde du vin et d’avoir constaté qu’il était muet. Le Richebourg 1942 m’aura quand même consolé en offrant de suffisantes réminiscences de sa beauté passée.

Par bonheur, les bouteilles inspectées m’ont rassuré sur la possibilité qu’auront mes convives de vivre avec moi des aventures passionnantes comme ce dîner enjoué chez Patrick Pignol avec tant de si bon vins. L’incertitude, les risques et les victoires font partie de ce parcours que je trace avec un plaisir qui ne faiblit jamais.

 

 

Cocktail chez Jacques Le Divellec vendredi, 26 septembre 2003

Jacques Le Divellec a écrit un livre pour Larousse sur la cuisine de la mer. C’est l’occasion de fêter la sortie du livre dont on fait la promotion autour d’un buffet copieux. La profusion des mets délicats est à l’image de ce chef si sympathique et authentiquement enthousiaste. Le caviar d’Aquitaine se tartinait à la chaîne, et on pouvait vérifier, si on ne le savait déjà, le large spectre social des amis de l’écrivain fêté. Belle réception généreuse.

Dîner de wine-dinners au restaurant « Patrick Pignol » mercredi, 24 septembre 2003

Dîner de wine-dinners au restaurant « Patrick Pignol » le 24 septembre 2003
Bulletin 89 – livre page 115

Les vins :
Champagne Salon « S » 1988
Chablis Premier Cru Vaillons Domaine François Raveneau 1997
Chevalier Montrachet Bouchard Père & Fils 1989
Château Petit Village Pomerol 1950
Château Haut-Brion Pessac 1924
Vosne Romanée Henri Lamarche 1959
Pommard Marius Meulien 1923
La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1960
Château Loubens Sainte Croix du Mont 1945
Château Rayne Vigneau Sauternes 1921

Le menu, créé par Patrick Pignol :
Huîtres chaudes en habit vert, jus iodé
Langoustines et topinambours infusés au bâton de citronnelle et de marjolaine aux éclats d’arachide
Cèpes et lard fumé à l’émulsion de livèche, noix de Dordogne et fine tranche briochée, dorée aux senteurs des sous-bois
Cannelloni de homard, jus de crustacés
Ris de veau doré au beurre de campagne, pistaches torréfiées
Grouse d’Ecosse en cocotte, betteraves rouges confites
Fromages
Figues de Solliès infusées à la pulpe de citron confit, sablé à l’huile d’olive et romarin

Dîner de wine-dinners au restaurant de Patrick Pignol mercredi, 24 septembre 2003

Bénéficier du talent de Patrick Pignol pour un dîner de wine-dinners est toujours un plaisir, car on est dans une ambiance de création souriante et d’expression libre. La composition du menu est un travail où nous coopérons. C’est bien plus gratifiant de créer ensemble des accords excitants.

L’ouverture des vins est un rite important et contribue au succès de la soirée. Je me faisais la réflexion que depuis la création de wine-dinners en décembre 2000 je n’ai retiré lors de l’ouverture qu’une seule bouteille de l’un des dîners, remplacée par une bouteille de secours que je prends le soin d’emporter. Et même la Romanée Conti 1956 (voir bulletin 77) que j’avais annoncée cliniquement morte a été servie puis notée par certaines convives en n°1 ou n°2 de leur vote, Alain Senderens constatant avec moi cette invraisemblable résurrection : « est-ce bien le même vin ? » fut notre commune remarque tant cinq heures d’oxygénation avaient fait renaître ce blessé. Il est évident que le contrôle de l’oxygénation des vins du dîner pour une présentation optimale est une phase majeure. C’est aussi un plaisir quand avec le sommelier, comme je le fis avec Nicolas, nous devisons aimablement, jugeant ensemble ces odeurs si subtiles qui vont changer entre l’ouverture et la dégustation. Les deux Bordeaux sont apparus immédiatement séducteurs et brillants. Les trois bourgognes nécessitaient de reprendre leur souffle avec une belle bouffée d’oxygène, avec l’espoir qu’ils ne s’essoufflent pas car certains paraissaient fragiles dans leur remontée vers leur apogée.

Patrick Pignol a construit un dîner particulièrement élégant : Huîtres chaudes en habit vert, jus iodé, Langoustines et topinambours infusés au bâton de citronnelle et de marjolaine aux éclats d’arachide, Cèpes et lard fumé à l’émulsion de livèche, noix de Dordogne et fine tranche briochée dorée aux senteurs des sous-bois, Cannelloni de homard, jus de crustacés, Ris de veau doré au beurre de campagne, pistaches torréfiées, Grouse d’Ecosse en cocotte, betteraves rouges confites, Fromages, Figues de Solliès infusées à la pulpe de citron confit, sablé à l’huile d’olive et romarin

Le Champagne Salon « S » 1988 est un petit bijou de champagne avec de nombreuses évocations. Il est vineux mais offre aussi beaucoup d’images de forêt, de fruits et d’espaces inviolés. Il marque déjà de son empreinte le niveau du repas. Le Chablis Premier Cru Vaillons Domaine François Raveneau 1997 a un nez de Chablis délicat. Très rond en bouche, c’est un blanc plaisant remarquablement marié au plat. Je le trouve assez typé Chablis au nez mais moins en bouche, avis qui n’est pas partagé par un vigneron bourguignon présent. Je ne garderai évidemment que son jugement. La langoustine subtile lui allait remarquablement. Le Chevalier Montrachet Bouchard Père & Fils 1989 est à la hauteur de ce qu’on peut attendre d’un vin de ce niveau. Il est à parfaite maturité, et montre des complexités passionnantes. Très profond, long en bouche, c’est un grand bonheur. Ce qui est intéressant avec des blancs si complets, c’est la variété des évocations qui satisfont le palais.

Un convive ayant lancé une discussion sur le cycle de vie des vins, qui doivent « forcément » vieillir, cela me servit de tremplin pour montrer la vacuité de cette théorie. Car les deux Bordeaux étaient d’une insolente jeunesse. Le Château Petit Village Pomerol 1950 est un délice. L’année 1950 va si bien aux Pomerol. Équilibré, subtil, avec cette finesse que permet la distinction, il enchante le palais. L’invraisemblable surprise venait du Château Haut-Brion 1924, qui avait offert la plus belle odeur à l’ouverture. Il a gardé cette odeur enivrante, et livre en bouche un goût puissant riche et alcoolique avec une délicieuse acidité qui est le signe d’une extrême jeunesse. Ce vin de 79 ans se compare à ses pairs de moins de trente ans. Epoustouflant, et largement meilleur que son année. Sur le homard, les deux Bordeaux brillaient et se situaient à un niveau très supérieur à ce que l’on pouvait attendre.

Si certains vins de mes dîners sont des sujets d’étonnement, le Vosne Romanée Henri Lamarche 1959 était l’expression absolue de l’idéal. La rondeur, ce sentiment de satisfaction et de plénitude quand il remplit la bouche, la profondeur tout en ayant une légèreté plaisante, puis une longueur qui n’en finit pas. Qu’on se sent bien avec ce vin là.

On est bien, et puis patatras, arrive une de ces surprises qui vous prend et vous terrasse : le Pommard Marius Meulien 1923, contre tout ce qui est écrit dans les livres vous met KO. Il a une puissance rare, une profondeur unique, et offre une aspect complètement opposé du vin de Bourgogne. Hyper concentré, puissant comme aucun Pommard ne peut l’être. Ce vin renverse tout ce que l’on pourrait prévoir. Il est grand comme le Haut-Brion 1924. Il subjugue.

Sur la grouse à la chair puissante, La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1960 présenté avec l’oxygénation idéale arrive lui aussi en dépassant les standards de son année. Très reconnaissable La Tâche, aérien, léger mais en même temps imprégnant. Un vin qui révélait des subtilités rares quand on prenait le soin de les lire. C’est l’accord de la puissance agressive de la chair de la grouse avec la trame fragile et aérienne de La Tache qui m’a le plus enthousiasmé. Un vin puissant aurait créé un choc avec la grouse, alors que cette délicate finesseopérait comme une prise de judo, accompagnant dans le sens de la force la grouse pour mieux la dominer. Accord rare comme je les aime.

Quelle surprise que ce Château Loubens Sainte Croix du Mont 1945. Provenant directement de la cave du Château, il offre un équilibre et une rondeur rares. Ce qui frappe c’est une noblesse à laquelle on est peu habitué. A l’ouverture je l’avais senti à un niveau peu commun, et je me demandais comment se situerait le Château Rayne Vigneau Sauternes 1921. Et aussi bien à l’ouverture qu’au moment de le consommer, alors qu’on croit avoir atteint avec Loubens un niveau inégalable, le Sauternes, de 24 ans son aîné, place la barre encore plus haut, avec une palette aromatique quasi infinie. Un de ces clins d’oeil que j’aime du grand chef : de la guimauve à la rose en petits dés crée une confrontation gustative pleine de charme, comme cette feuille de mélisse qu’il faut à peine mâcher.

Comme chaque fois les votes furent tous différents, et 9 vins sur 10 furent cités dans les quartés, ce qui montre que tous furent au goût des convives. Forte concentration de votes dans l’ordre sur La Tache 1960, sur le Pommard 1923, sur Haut-Brion 1924 et sur Rayne Vigneau 1921.

Mon classement personnel fut Pommard 1923, Vosne Romanée 1959, Rayne Vigneau 1921 et Haut-Brion 1924. Si je n’ai pas mis La Tâche, alors que c’est l’accord avec ce vin qui m’a le plus enchanté, c’est que j’ai bu beaucoup de grands La Tache, alors que le Pommard 1923, si exceptionnellement brillant et unique forçait mon choix. Il est à signaler que beaucoup de convives n’ayant pas l’expérience des vins anciens ont placé les trois vins les plus anciens de la décennie 20 dans leur vote.

Patrick Pignol a fait une cuisine d’une subtilité rare, sachant comme chaque fois mettre son talent au service du vin. Ce soir là tous les vins se présentaient en grande beauté, ce qui montre l’importance du rite de l’ouverture. Une fois de plus un service impeccable d’une équipe motivée a permis de réussir une de ces soirées de rêve qui placent chaque convive sous le charme de sensations raffinées qui ne finissent jamais.

 

 

Les Gorges de Pennafort (suite) mardi, 23 septembre 2003

Une petite anecdote pour s’en amuser : j’ai vanté (bulletin 85) les qualités du restaurant « les Gorges de Pennafort » où j’ai pu boire Pétrus 95, Salon 90 et Haut-Brion 2000. L’ami à qui j’ai offert de partager Pétrus 95 a voulu faire, peu après notre passage, le même cadeau à l’un de ses amis. Arrivant pour dîner, il constate que les prix des vins ont quasiment doublé.  L’équipe du restaurant, ayant sans doute vu des clients qui prenaient facilement ces bouteilles, a décidé d’ajuster les prix. Les restaurateurs qui me connaissent savent que je suis partisan d’une tarification qui permet de sauter le pas. Je l’avais sauté à Pennafort. Je ne le sauterai plus. Une source de Pétrus, rare dans le Var, s’est tarie. C’est bien dommage. J’y retournerai, bien sûr car j’oublie vite. Mais les grands vins méritent d’être bus. C’est mieux que de faire seulement joli sur la carte.

Repas au restaurant Apicius mardi, 23 septembre 2003

Apicius est une adresse où je me sens bien. Accueil toujours souriant de toute l’équipe efficace, et propositions de plats toujours aussi « démocratiques » de Jean Pierre Vigato qui conduit ses hôtes sur des chemins de rêve. Nous commençons par un Vosne Romanée Mugneret Gibourg 1989 que je trouve particulièrement fruité, juteux, rond, agréable et joyeux : c’est cela, c’est un vin joyeux. Et comme j’avais préféré le Cros Parentoux Rouget 89 au 90, à cause de la finesse discrète du 89, je me persuade avec ce Mugneret que l’année 89 est vraiment conforme à mes goûts, toute en évocations fines, discrètes et gaies. Vraiment un vin de plaisir.

 

Déjeuner en famille samedi, 20 septembre 2003

Déjeuner au soleil par un des derniers beaux jours de ce qui est encore officiellement l’été. Sur un saumon fumé fourré aux œufs de saumon, l’envie me prend, par un de ces mécanismes irréfléchis, de prendre un Pommard Coste Caumartin 1987. J’attends de cette année qu’elle soit légère, et que la crème adoucisse l’œuf de saumon. Et ça marche. Ce n’est évidemment pas l’association naturelle, mais ce Pommard, largement au dessus de ce que j’attendais, bien vivant et onctueusement chaleureux, a donné un de ces accords que j’aime tenter. Sur un filet de porc, L’Evangile 1979 Pomerol démarre comme un 1979, c’est-à-dire avec sa sévérité naturelle. Puis le vin s’encanaille et devient de plus en plus charmant. C’est en fait un vin très jospinien, qui démarre dans l’austère pour devenir rieur. Il a même brillé sur un fromage de chèvre qui n’est pourtant pas son territoire d’expression.

Déjeuner à l’Auberge des Saints Pères à Aulnay-sous-Bois vendredi, 19 septembre 2003

Déjeuner à l’Auberge des Saints Pères à Aulnay-sous-Bois, gentil restaurant dynamique où l’envie de bien faire se sent. La cuisine est juste. Comme pour les Magnolias au Perreux, il faut du courage pour faire de la grande cuisine loin de tout, c’est-à-dire loin du circuit que fréquentent les crocs acérés.

Un Doisy-Daëne sec Barsac 1959 est bu à l’aveugle, apport d’un ami que je retrouve avec plaisir. Je vois la forme de la bouteille qui imposeque ce soit un Bordeaux, mais au nez, je pense à un Meursault, typé, à la Coche-Dury. Mon ami m’expliquera plus tard que cette piste se justifie car il y a un apport de Riesling dans le Doisy, le cépage pouvant donner des odeurs de pétrole ou de métal qu’on trouve en Meursault. Je devine l’année, mais je suis incapable de citer le nom du vin, tant ce Barsac sec est spécial. Belle couleur citronnée, très jeune, goût fort agréable sur un discret foie gras bien rond. Le vin a une belle longueur, des arômes bien typés, même si moins larges que ceux des Graves. Vin intéressant car rare dans cette acception.

Sur un agneau délicieux arrive à l’aveugle un Beychevelle 1959. Là je me trompe tout simplement de 20 ans, car la légère fatigue du vin me faisait penser à 1937 (j’avais bu le 1928 dans un précédent dîner ; on voyait des racines communes). Belle couleur encore bien rouge, grande profondeur. On trouve Beychevelle, même si je ne l’ai pas immédiatement reconnu, charme des dégustations à l’aveugle, et ce vin assez monolithique a une structure d’une grande authenticité : c’est le travail de vignerons qui savent qu’ils traitent une grande année.

J’avais apporté une demie bouteille de Haut-Brion 1950, vin qu’avec mon convive nous avions adoré, pour rappeler de bons souvenirs. Je l’avais ouvert avant son arrivée, et je m’étais enivré d’une odeur immédiatement parfaite qui est le régal de tout collectionneur. Lorsqu’il est servi, le vin est d’un noir d’encre, des odeurs de sous-bois et de champignons forcent la narine. Une concentration de plaisir. En bouche il y a du caramel, mais on passe très vite à la sensation d’un grand Porto. Le vin est concentré comme le 1924 bu cette semaine. Il a sans doute un peu moins de charme que lui, mais montre toute l’excellence d’un grand Haut-Brion, sculptural. Le Beychevelle jouait le rôle de joli faire-valoir du Haut-Brion, chef d’œuvre de densité vineuse. L’équipe du restaurant est attentionnée, motivée, et on se sent bien. Que demander de plus avec ces trois vins qui représentent une page colorée des années 50 à Bordeaux.

 

 

Déjeuner chez Patrick Pignol jeudi, 18 septembre 2003

Chez Patrick Pignol j’ai aussi mon rond de serviette virtuel. La faconde du maître d’hôtel, le sourire de charme de Madame Pignol, la discrète complicité de Nicolas le sommelier et l’exubérance créatrice du maître, tout cela repose mon âme, car je sais que j’aurai toujours une bonne surprise. J’y allais pour livrer les vins du prochain repas  et pour mettre au point le menu. Mais ce chef est un Paso péruvien. On ne va pas l’enfermer comme cela dans un programme. Il veut s’inspirer des arrivages du jour et choisir le gibier quand j’aurai ouvert mes vins. Cela me va bien. Au déjeuner, à l’eau (!), je goûte une variation sur les cèpes. C’est traité avec un talent rare, car en mangeant, j’avais l’impression de marcher en forêt. J’avais la mousse sous mes pieds et une branche odorante me caressait la joue. Un délicieux plat champêtre. Une coquille Saint-Jacques traitée au naturel et à l’ail livre un message simple mais qui interdirait tout vin, du fait de cet ail prenant. Alors qu’un homard à la chair exquise appelait un vin. Je ressentais le manque. J’ai pensé à Pomerol, par exemple Vieux Château Certan pour accompagner ce délicieux homard à la sauce de viande, véritable appeau de Pomerol.

Cela m’ouvre les papilles pour le prochain dîner.