282ème déjeuner à l’Appartement de Moët Hennessy samedi, 25 mai 2024

Le 282ème repas sera un déjeuner à l’Appartement de Moët Hennessy à Paris, où j’ai déjà fait plusieurs repas. La cuisine sera réalisée dans les locaux par l’équipe du restaurant Pages par le chef Ken et sous la direction de Naoko Oishi, propriétaire du restaurant Pages.

Nous serons douze, dont un contingent de quatre belges et hollandais, un australien, un new-yorkais, un californien et cinq français. La plupart des étrangers se sont inscrits parce qu’ils me suivent sur Instagram. Il y a cinq nouveaux.

J’arrive à l’Appartement à 9h30 pour ouvrir douze bouteilles de vins, dont trois magnums. Jamais je n’ai pris autant de temps pour faire les ouvertures. Deux heures et demie, ce qui fait plus de douze minutes par vin. J’ai fini à 12 heures. Cela est dû au nombre extrêmement grand de bouchons qui sont venus en charpie, la mèche ne remontant qu’une masse de miettes collées au métal, les parois du goulot gardant le liège friable. Même les bouchons d’Yquem qui normalement viennent entiers sont sortis déchirés. Et le magnum de Krug avait un fil d’acier si gros qu’il m’a fallu beaucoup de temps pour tourner la petite oreille qui ferme la capsule du bouchon. La satisfaction que j’ai eue heureusement est qu’aucune miette de bouchon n’est tombée dans le vin. L’autre satisfaction est celle des parfums des vins. Celui de l’Y d’Yquem 1964 riche comme celui d’un Yquem, la saveur complexe et riche du Musigny 1947, la bombe olfactive du Château Chalon 1921, le parfum absolument parfait de l’Yquem 1959.

Le menu a été conçu avec le chef Ken et il m’est apparu qu’entre la Romanée Conti 1963 et le Musigny, une pause s’imposerait pour le champagne Krug que j’avais mis en tête et qui sera mis en milieu de repas. Nous démarrerons le repas avec un champagne rosé de Veuve Clicquot.

Les convives arrivent et nous buvons le Champagne Veuve Clicquot Cave Privée Rosé Magnum 1979 de la cave de l’Appartement. Ce champagne est majestueux, d’un équilibre papal. Quel plaisir de savourer ce champagne riche et séducteur. Un bonheur. Les amuse-bouches sont copieux et variés, ce qui met en valeur la flexibilité du champagne : huître, gougères, pata negra, tempura, poisson cru. Chaque accord est pertinent.

Le menu du repas est : homard sauce vin blanc, asperge blanche de la Torche / veau sauce vin rouge légère, morilles, purée de pommes de terre / Wagyu, jus de bœuf et gaufres de pommes de terre / foie de canard poché / Risotto au jeune parmesan / pigeon, salmis et millefeuille de pommes de terre / vieux Comté 18 mois et saint-nectaire maturé / tarte agrumes et crème d’amandes / financier à la rose.

Le premier plat de homard accompagne les deux vins blancs. L’Y d’Yquem 1964 est d’une année où le sauternes d’Yquem n’a pas été produit. Il y a donc des grains botrytisés qui se sont mêlés aux grains du vin blanc pour produire un vin d’une richesse extrême. L’accord qu’il va créer avec la bisque du homard est un accord d’anthologie. Ce vin de forte personnalité est envoûtant.

Le Musigny Blanc Comte Georges De Vogüé 1993 a lui aussi une particularité, car son millésime est le dernier produit par des vignes anciennes, qui ont été arrachées après la récolte. Le domaine de Vogüé a eu la délicatesse d’appeler les millésimes suivants « Bourgogne Blanc » et non Musigny pendant plus de vingt ans. Ce Musigny riche et noble à la longue trace en bouche crée un accord splendide avec les belles asperges blanches.

La suite sera de quatre vins de la Romanée Conti, les quatre plus grands, et d’années très disparates. La Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 1983 est associée au Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1953 sur le veau, plat délicat. Le Richebourg a un parfum qui n’est pas très net aussi il est quasiment effacé par la magnifique Romanée Saint-Vivant qui a la fougue de la jeunesse d’un vin de la Romanée Conti avec élégance et subtilité.

Contrairement au plan prévu deux autres vins auront été servis ensemble alors qu’ils n’auraient pas dû l’être. Ils ont accompagné un Wagyu d’une cuisson exceptionnelle d’un gras idéal, qui a fait briller La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1943 vin que je considère comme exceptionnel dans un millésime qui a réussi au Domaine. Le vin est particulièrement élégant, suave et doucereux, avec un final fragile et délicat.

La Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1963 a un nez de bouchon désagréable, mais qu’on ne ressent pas en bouche. On voit même à quel point ce vin est intense avec un beau fruit inattendu. Il n’aura pas eu le compagnon que je voulais, le foie gras poché et la force du Wagyu ne lui convient pas. Inquiet à cause du parfum de la Romanée Conti je n’ai pas réagi assez vite pour que son plat arrive. C’est dommage.

Le Champagne Krug Private Cuvée Brut Réserve magnum années 50 est d’une bouteille absolument magnifique. Lorsque je vois que l’on sert le champagne, je réalise qu’il est clair au premier verre et devient de plus en plus sombre, car du dépôt apparaît de plus en plus. Le champagne a une belle personnalité, mais il ne brille pas autant qu’il le devrait. L’accord avec le délicat risotto est un régal.

Le Musigny Vieilles Vignes Comte de Vogüé magnum 1947 est un régal absolu. Ce vin immense est riche et glorieux. Je l’avais acheté il y a plus de trente ans et je pensais souvent à créer une occasion de le mettre en valeur. Quoi de mieux que de le faire précéder par quatre vins de la Romanée Conti. Et il tient bien son rôle impérial. Nous sommes tous frappés par sa splendeur. Et le pigeon superbe est exactement ce qui lui donne une ampleur idéale.

Le Château Chalon Bourdy 1921 a un parfum à se damner. Quelle puissance pour un vin de 103 ans ! Le vin est magique et j’en suis amoureux. Il est un peu plus majestueux que le 1906 que j’ai bu la semaine dernière. L’accord vin jaune et comté est divin et sacré.

Du fait du glorieux parfum du Château d’Yquem 1959, probablement l’un des plus grands parfums des Yquem que j’ai bus, je m’attendais à ce qu’il surpasse le Château d’Yquem 1937 plus profond mais au parfum plus discret même s’il est intense. Et à ma grande surprise, le 1937 a surpassé le 1959 du fait d’une intensité extrême, et d’une noblesse plus affirmée. Le 1959 est le charmeur et le 1937 est le penseur plus profond. Le dessert subtil est magique pour ces deux vins.

Le menu a été idéal et la réalisation mérite tous les compliments, même après l’erreur sur le foie gras poché dont je me sens aussi responsable. Les accords ont été splendides du homard avec l’Y 1964, du Wagyu avec La Tâche 1943, du pigeon avec le Musigny et des Yquem avec la tarte. Mais on n’oubliera pas le Musigny blanc avec les asperges.

Le moment du vote est très attendu car il est très difficile d’anticiper ce que sera le classement tant il y a de compétition en dehors du Musigny qui va avoir une insolente victoire. Huit votes de premier sur douze votants, c’est un score très rare. Quatre autres vins ont eu un vote de premier, la Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 1983, La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1943 et les deux Château d’Yquem, le 1937 et le 1959. Onze vins sur douze ont eu au moins un vote, ce qui est très satisfaisant, seul le Richebourg 1953 n’ayant pas de vote car il était associé à la Romanée Saint-Vivant qui lui a fait de l’ombre.

Le classement de l’ensemble de la table est : 1 – Musigny Vieilles Vignes Comte de Vogüé magnum 1947, 2 – Château d’Yquem 1937, 3 – Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 1983, 4 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1943, 5 – Y d’Yquem 1964, 6 – Château d’Yquem 1959.

Mon vote est : 1 – Musigny Vieilles Vignes Comte de Vogüé magnum 1947, 2 – Château d’Yquem 1937, 3 – Château Chalon Bourdy 1921, 4 – Y d’Yquem 1964, 5 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1943.

Le vote s’est fait dans une atmosphère joyeuse car nous étions tous submergés de beaux souvenirs, les petites imperfections s’oubliant sans problème.

Nous sommes passés au salon pour boire un Cognac Hennessy Richard accompagné d’un financier à la rose, accord parfait dont je suis fier d’avoir eu l’idée.

L’ambiance était tellement amicale que lorsque j’ai évoqué un dîner qui aura lieu dans cinq mois, plus de la moitié des présents m’ont dit qu’ils viendraient. Quel bonheur !

Un agréable Clos des Lambrays mercredi, 22 mai 2024

Pour fêter l’anniversaire de ma fille aînée, nous allons au restaurant « au bourguignon du Marais » tout proche de chez elle. Le cadre est sympathique et les serveurs sont très sympathiques mais un peu submergés. La carte des vins est très bistrot, mais bistrot intelligent. Je déniche une pépite, un Clos des Lambrays Grand Cru Domaine des Lambrays 2014. A ma grande surprise, ce vin m’est apparu beaucoup plus joyeux et ensoleillé que le Bonnes-Mares Roumier 2017 bu récemment.

Ce 2014 est un vrai plaisir. Il a un bel avenir devant lui mais il est déjà très convaincant.

La viande est bonne et l’atmosphère est agréable. Nous avons passé une belle soirée.

Déjeuner au restaurant L’Ecu de France mardi, 21 mai 2024

Lorsque je téléphone au restaurant L’Ecu de France, madame Brousse me dit : « ça fait longtemps qu’on ne vous a pas vu ». Je reçois ce message comme une gentillesse.

Nous arrivons ma femme et moi au restaurant et on nous propose de déjeuner dehors, face à la Marne. Malgré un temps incertain nous choisissons d’être dehors. Deux bernaches de belles tailles qui volaient sans bruit amerrissent en glissant sur leurs pattes palmées comme le ferait un skieur nautique qui lâche la corde qui le tirait.

Pendant le repas nous verrons passer des personnes faisant du kayak et même une jeune femme faisant du paddle. Sa vitesse dans le sens du fleuve est nettement plus grande qu’au retour.

La carte des vins est toujours un sujet d’intérêt. Je choisis pour l’entrée un Champagne Selosse Initial sans année dont la date de dégorgement n’est pas indiquée.

Lorsque nous nous dirigions vers notre table je vois qu’un jeune couple a choisi un vin de Georges Roumier. Je les félicite et cela me donne envie. Je choisirai un Bonnes-Mares Grand Cru Domaine G. Roumier 2017.

Sur la carte je choisis un haddock comme entrée et du bœuf Simmental comme plat principal.

Le Champagne Selosse Initial sans année est agréable et bien fait. Je préfère la Version Originale dont j’apprécie le style, mais cet Initial s’il a une belle solidité est un peu fermé. Le plat de haddock est délicieux.

Le Bonnes-Mares Grand Cru Domaine G. Roumier 2017 a été ouvert au dernier moment pour que je puisse suivre son éclosion. Ce vin est absolument délicieux, d’une grande fraîcheur, ciselé et sa jeunesse n’est pas un handicap car il est déjà affirmé. Ce vin est adorable dans sa jeunesse.

Le plat de viande est un peu compliqué par une abondance de saveurs différentes. Le Cantal s’est bien marié avec le vin.

C’est toujours un plaisir de déjeuner en cet endroit que je connais depuis plus d’une soixantaine d’années car il a accompagné beaucoup d’événements familiaux.

Le vin réserve toujours des surprises. J’avais pris les bouteilles qui n’étaient pas finies pour boire les vins à la maison. Le lendemain, le Champagne Selosse que j’avais trouvé fermé se montre brillant, épanoui, presque joyeux. Le Bonnes-Mares quant à lui, subtil et raffiné hier est devenu ensommeillé.

Il y a des vins qu’il faut boire le jour même et d’autres qui se réveillent le lendemain. Rien n’est définitif.

dîner chez des amateurs de vins lundi, 20 mai 2024

Depuis quelques années j’avais réservé des places à l’Académie des Vins Anciens à des élèves de grandes écoles qui bénéficiaient d’un tarif avantageux, sans obligation de fournir des vins. Des relations amicales se sont créées avec certains d’entre eux et nous nous sommes revus notamment lorsqu’ils ont gagné un concours européen de dégustation réservé aux grandes écoles.

Je suis invité à participer à un dîner d’amateurs de vins qui font partie de clubs de dégustation et sont extrêmement affutés pour les dégustations à l’aveugle. Leurs connaissances sont largement supérieures aux miennes. Les âges de ces dégustateurs vont de 23 ans à 40 ans peut-être. Ils sont entrés dans le monde des vins anciens et en achètent volontiers. J’ai rencontré certains dans des événements sur le vin.

Le dîner se tient dans l’appartement de deux des membres, Laure et Alexandre. On m’a demandé de venir à 16 heures pour l’ouverture des vins, ce que je fais bien volontiers.

Dans la grande cuisine, des plats étaient en cours de réalisation mais on fait place nette pour que je puisse officier. Pendant la séance d’ouverture, j’ai le temps de raconter des anecdotes avec plusieurs convives venus pour assister à cet épisode important. Les vins ont des comportements qui diffèrent, sans aucun problème majeur sauf un bouchon irrattrapable qui a glissé dans le vin. Il a fallu le carafer. C’est un 1929 qui servait de secours éventuel pour l’apport d’un participant.

Nous quittons ensuite la cuisine, car Alexandre va réaliser la composition et la présentation des plats. Les parfums dans la cuisine donnent faim.

Pour l’apéritif nous avons : Pata Negra 44 mois / Tarama au caviar Petrossian / Gougères au vieux comté. C’est un beau départ. Nous buvons un Champagne Telmont Héritage 1976. Je ne connais par cette maison centenaire dont l’actionnariat compte aujourd’hui un minoritaire du nom de Leonardo di Caprio. Le champagne est solide, sérieux et fait beaucoup plus jeune que ses 48 ans. Il a de belles complexités mais est un peu trop sérieux pour moi.

Le Champagne Pommery 1959 est un rayon de soleil. Quel bonheur, quelle jouissance. Ce champagne est rond, plein, joyeux et gourmand. Que du bonheur. Et il montre à quel point les champagnes anciens sont transcendants par rapport aux champagnes récents.

Le menu préparé par Alexandre est : homard rôti au beurre noisette, condiment cèpe, jus réduit des têtes / fricassée de morilles et asperges vertes au vin jaune, jaune d’œuf coulant / poulpes grillés , coulis de piquillos brulé et chorizo / chevreuil du Loiret rôti , jus corsé truffé , mini légumes de chez Eric Roy / mini carré d’agneau Le Bourdonnec, petit pois au lard fumé et oignons nouveaux, mousseline de carottes à l’orange / fromages : Brillat-Savarin à la truffe, Stichelton, vieux comté, Sakura / ananas Victoria rôti et flambé, brunoise de fruits exotiques et caramel passion, glace vanille / Financier amande, tartelette citron, bonbon au chocolat, tuile coco.

Dès qu’Alexandre nous sert le premier plat, on sait immédiatement qu’il a un niveau de cuisine proche de grands cuisiniers. Car la présentation du plat est parfaite et son parfum un délice. Le Montrachet Chanson 1967 est très clair. Son nez est délicat. Il n’a pas la puissance habituelle du montrachet mais sa fluidité et son élégance en font un vin très agréable à boire et raffiné.

A côté de lui, le Clos Vougeot Blanc Héritiers Guyot 1949 est une bombe. C’est un voyage dans les complexités ultimes. Riche, vibrionnant, il est un pur plaisir avec une longueur liée à son millésime, c’est-à-dire infinie.

Si on croyait être au sommet de la complexité, il fallait vite chasser cette idée, car le Château Lafite Blanc 1935 est irréel. C’est un voyage dans l’inconnu du vin, subtil, kaléidoscopique, charmeur, magique. Nous sommes tous frappés par ce vin car il n’y a aucun repère sauf peut-être le Y d’Yquem qui est aussi capable de nous surprendre.

Les deux plats faits pour les vins blancs sont absolument superbes, les cuissons parfaites et les produits de haute qualité.

Alexandre a voulu que les poulpes soient associés aux vins étrangers. Le Brunello di Montalcino Riserva Argiano 1975 est un solide gaillard, bien structuré, mais qui n’est pas porteur de beaucoup d’émotion. Comme on dit de façon un peu vulgaire, il « fait le job », mais pas plus.

A l’inverse, le Vega Sicilia Unico 1969 nous fait entrer dans la magie de ce grand vin que j’adore car au-delà de la puissance il est capable d’offrir des saveurs mentholées.

Je pensais qu’après les vins puissants d’Espagne et d’Italie, les bordeaux anciens auraient du mal mais il n’en fut rien, car le chevreuil les a mis en valeur. Le Château Latour 1937 et le Château Léoville Las Cases 1937 sont deux grands vins d’une des rares grandes années de la décennie 1930-1939. Le Latour est plus noble et construit. Le Léoville ne manque pas de charme, mais je trouve que ces deux beaux vins n’ont pas offert tout ce qu’ils pourraient. Il n’est pas impossible que, fasciné par les vins blancs, j’aie été plus sévère avec les vins rouges.

L’agneau est une merveille faite pour les bourgognes. Le Vosne-Romanée les Beaumonts Charles Noëllat 1959 est un grand vin d’un grand vigneron. Sa sérénité et sa rondeur sont superbes.

Alors que 1929 est une année que je chéris et pour laquelle je suis prêt à admettre tous les écarts, les deux 1929 qui vont suivre ne m’ont pas vraiment plu, marqués par de la fatigue. Pourtant je défendrais volontiers le Clos Saint Denis mise Nicolas 1929 qui a des accents de la noblesse de son millésime, alors que pour le Corton Julien Damoy 1929 dont le bouchon était tombé dans le vin, la fatigue est trop forte. Il y a eu par instants de belles évocations du millésime que je considère comme le millésime du siècle, mais la joie n’était pas là.

La propriétaire du Château Villeneuve avait adressé à Laure et Alexandre une bouteille du Saumur Blanc sec Château Villeneuve 1945 avec un papier manuscrit de Caroline Chevallier expliquant qu’elle adressait ce vin vinifié par son grand-père et son arrière-grand-père, Robert et Armand Chevallier, pour participer à l’événement de ce jour. Pour ce vin de chenin blanc, je n’ai pas beaucoup d’expérience, mais il a une grande élégance et j’aime l’équilibre que donne son beau millésime. C’est une heureuse surprise.

Le Château Chalon Bourdy 1906 qui est un de mes apports est d’une année rare pour les vins jaunes. Il crée avec le comté un accord qui est l’un des plus anthologiques de la gastronomie. Puissant, de longueur infinie, il sait aussi se faire doucereux. Il a une rémanence en bouche indélébile et comme souvent, je tombe amoureux du vin que j’ai apporté, ce qui ne se produira pas, hélas, pour les deux autres apports.

Nous avons deux liquoreux de 1947, année superbe, qui vont s’épanouir avec un délicieux Stichelton. Le Château Gilette 1947 est un Gilette doux, qui est excellent bien sûr mais dégage beaucoup moins d’émotion que le Château Climens 1947 beaucoup plus affectif et brillant.

Le dessert à l’ananas est brillantissime. Lorsque j’avais annoncé le Champagne Taittinger Brut 1943 comme l’un de mes apports, je n’avais pas vérifié le vin en cave. Lorsque je l’ai pris en main, j’ai eu du mal à voir à travers le verre la couleur du champagne. Tout me paraissait sombre. J’ai donc par précaution pris un Champagne Taittinger Brut 1964 dont la couleur plus claire était plus rassurante.

Au moment d’ouvrir le 1943 avant le repas, Alexandre avait éclairé la bouteille et par transparence, la couleur paraissait normale. En versant le champagne maintenant, on voit que le premier verre a une belle couleur, qui s’assombrit au fur et à mesure du service. Le champagne se montre fade et sans longueur ce qui m’attriste. Le 1964 compense un peu cette contreperformance mais pas suffisamment à mon goût.

Il est déjà très tard et il est temps de voter pour nos cinq vins préférés. Je collecte les votes sur une demi-feuille de papier. Les résultats sont étonnants car pour douze votants il y aura 9 vins votés premiers. C’est très rare d’avoir une telle diversité. Trois vins auront deux places de premier, le Clos Vougeot Blanc Héritiers Guyot 1949, le Château Lafite Blanc 1935 et le Saumur Blanc sec Château Villeneuve 1945, c’est-à-dire trois blancs. Six vins auront une seule place de premier, le Champagne Pommery 1959, le Vega Sicilia Unico 1969, le Château Latour 1937, le Vosne-Romanée les Beaumonts Charles Noëllat 1959, le Clos Saint Denis mise Nicolas 1929 et le Château Chalon Bourdy 1906. Quelle variété de votes !

Le vote de l’ensemble de la table est : 1 – Clos Vougeot Blanc Héritiers Guyot 1949, 2 – Champagne Pommery 1959, 3 – Château Lafite Blanc 1935, 4 – Château Latour 1937, 5 – Vosne-Romanée les Beaumonts Charles Noëllat 1959, 6 – Vega Sicilia Unico 1969.

Mon vote est : 1 – Château Chalon Bourdy 1906, 2 – Château Climens 1947, 3 – Champagne Pommery 1959, 4 – Château Lafite Blanc 1935, 5 – Clos Vougeot Blanc Héritiers Guyot 1949. Il est à noter que je n’ai mis aucun vin rouge dans mon vote ce qui est très rare. Avais-je un palais aux vins blancs, qui peut le dire ?

Cette soirée amicale fut une vraie réussite. Alexandre a un talent de cuisinier qui mérite des compliments, la générosité des participants a été sans limite. J’avoue que ce qui m’a poussé à accepter l’invitation est le Lafite blanc 1935 car j’avais ouvert lors du dîner où j’avais mis neuf vins du domaine de la Romanée Conti un Lafite blanc 1959 extraordinaire. Mais il y aurait eu mille autres raisons pour que je dise oui.

Tous sont des passionnés de vin et de gastronomie. Merci à tous de leur gentillesse et d’avoir écouté mes anecdotes et merci surtout à Laure pour son accueil charmant.

281ème dîner au restaurant Astrance samedi, 18 mai 2024

Le 281ème dîner se tient au restaurant Astrance de la rue de Longchamp à Paris. J’avais déjà fait trois repas à l’Astrance de la rue Beethoven. Dans ce nouveau lieu, nous aurons un espace beaucoup plus grand et une belle table comme je les aime, en forme de ballon de rugby.

Nous serons onze. Il y a trois participants qui sont déjà venus à mes dîners et sept nouveaux, qui suivent mes récits sur Instagram. Les convives viennent de Houston, de Londres, de Genève, de Belgique, d’Aix et de Paris.

J’étais venu au restaurant il y a quelques semaines pour mettre au point le menu avec Pascal Barbot, qui est très motivé à recommencer à créer de nouvelles recettes pour mes dîners.

J’arrive à 16 heures pour ouvrir les vins, aidé par le sympathique sommelier Lucas. Beaucoup de bouchons viendront avec des déchirures et Lucas est étonné de constater qu’aucun morceau de bouchon ne tombe dans le vin.

Aucun parfum ne me semble douteux. Certains vins comme l’Ausone 1962 sont immédiatement brillants alors que d’autres comme le Pommard 1929 auront besoin de quelques heures pour s’épanouir. Deux participants sont venus voir comment je procède et c’est l’occasion d’évoquer des souvenirs et des anecdotes.

Le menu a été mis au point en échangeant avec Pascal Barbot. J’ai eu un mail hier me disant qu’il avait la certitude d’avoir turbot, rouget et pigeon, car il tient à avoir les meilleurs produits. Cette exigence me plait beaucoup.

Les convives arrivent et nous commençons par l’apéritif debout avec un Champagne Jacques Selosse millésimé 2002 accompagné de tuile pois chiche, gribiche aux algues, brioche toastée, beurre de romarin et mélilot. Le champagne dégorgé en 2013 a atteint un état de sérénité parfait. C’est un seigneur. Quel plaisir de goûter ce champagne qui a échangé la fougue de sa jeunesse avec une magistrale maturité.

J’ai profité de l’apéritif pour donner les conseils et consignes pour que le repas soit vécu de la meilleure façon.

Le menu créé par Pascal Barbot, pour lequel j’indique le ou les vins associés est : Salon 1988 : huître et échalote confite, grosse praire , jambon Bellota / Puligny Montrachet Les Combettes Domaine Leflaive 1988 et Chablis Grand Cru Blanchot Vocoret & Fils 1988 : langoustine vapeur, consommé et huile de crustacé, biscotte à la confiture de crevette / riz koshihikari fraîchement poli au naturel et bisque de homard / Château Ausone 1962 : filet de turbot à la braise, beurre blanc et sauce sola / Château Nénin 1982 gros rouget vapeur de laurier et sauce beurre rouge / Pommard Epenots Joseph Drouhin 1929 et Vosne Romanée Grivelet Cusset 1943 : côte de veau cuit au sautoir, jus de cuisson / Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1986 et Châteauneuf du Pape Paul Drevon 1945 : pigeon rôti sur coffre, une rôtie et baie de genièvre / Château Rayne Vigneau 1966 : mangue au naturel et éclat d’un cake aux agrumes / Porto Quinta do Noval 1976 : une tartelette tiède chocolatée, caramel au beurre salé.

On pourrait faire au Champagne Salon 1988 les mêmes compliments que ceux que je viens de faire au Selosse, car ce 1988 montre un accomplissement idéal. Tout en lui est serein, puissant, parfait. Les deux champagnes semblent avoir atteint un âge idéal. L’huître est magique pour le champagne ainsi que la merveilleuse sauce de la praire. Un convive demande : pourquoi le jambon ? C’est mon souhait de montrer à quel point les grands champagnes sont flexibles car comment trouver des mets aussi opposés qu’une huître et un jambon espagnol puissant. C’est la magie du champagne.

Les deux vins blancs sont servis ensemble sur la langoustine et ensuite le riz poli.

Le Puligny Montrachet Les Combettes Domaine Leflaive 1988 est d’une belle rondeur. Il est avenant. Le Chablis Grand Cru Blanchot Vocoret & Fils 1988 est plus complexe et sophistiqué. Le raffinement du chablis convient à la délicieuse langoustine alors que la séduction du Puligny s’accorde divinement à la sensuelle bisque de homard. Cette bisque est un des grands moments du repas. Pascal Barbot est très fier de la préparation et du polissage du riz.

Le Château Ausone 1962 a un parfum d’une élégance exceptionnelle et le vin est à un stade d’évolution ou tout est raffiné, c’est un vin galant. Le turbot lui convient à merveille.

Le Château Nénin 1982 est un gamin à côté de l’Ausone mais il a une solide structure qui en fait un vin conquérant. Le rouget est délicieux et c’est un de mes caprices d’associer les pomerols avec le rouget. Et c’est pertinent.

Le veau est d’une tendreté extrême et c’est ce qu’il faut pour le Pommard Epenots Joseph Drouhin 1929. Deux convives très amateurs de vins avaient en se présentant émis des doutes sur les vins vieux, pensant qu’ils seraient sur une pente descendante, idée préconçue hélas trop répandue, et voilà qu’ils découvrent qu’un vin de 95 ans a une vivacité incroyable. Ils entrent dans un monde nouveau. Le pommard est subtil et expressif. Sa longueur est remarquable. C’est un vin de plaisir raffiné. Je l’adore.

Le Vosne-Romanée Grivelet Cusset 1943 est très élégant mais un peu moins brillant que le 1929. Il est toutefois fort agréable à boire. Il est servi sur le veau en même temps que le 1929 ce qui explique qu’on lui réserve un accueil moins marqué.

Le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1986 est accompagné du Châteauneuf du Pape Paul Drevon 1945 sur le magnifique pigeon. Contre toute attente, le Châteauneuf est tellement exceptionnel, absolument parfait, qu’il fait (presque) oublier le Richebourg, fort bon mais moins tonitruant. Comment est-ce possible que ce Châteauneuf ait atteint une telle perfection ? Il est d’une jouissance absolue. Le pigeon est le plat le plus marquant de ce repas à mon goût mais ils sont tous brillants.

Le Château Rayne Vigneau 1966 qui a presque 60 ans est entré dans une zone où l’âge apporte des saveurs magiques. D’un beau gras que donne l’âge il est gourmand et agréable. L’accord avec la mangue est naturel.

Le Porto Quinta do Noval 1976 est riche et agréable. Il est encore trop jeune pour offrir les complexités les plus subtiles.

L’ambiance de la table a été joyeuse et appliquée, chacun cherchant à profiter au mieux des plats et des accords. Pascal Barbot est venu expliquer les plats et c’est passionnant de voir à quel point il a travaillé les présentations et les cuissons au service des vins.

Il est temps de voter. Tous les douze vins ont eu des votes ce qui est remarquable. Quatre vins ont eu des votes de premier, le Châteauneuf quatre fois, Le Pommard et le Richebourg trois fois et le Salon 88 une fois.

Le classement de l’ensemble de la table est : 1 – Châteauneuf du Pape Paul Drevon 1945, 2 – Pommard Epenots Joseph Drouhin 1929, 3 – Château Ausone 1962, 4 – Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1986, 5 – Château Rayne Vigneau 1966, 6 – Champagne Salon 1988.

Mon Classement est : 1 – Châteauneuf du Pape Paul Drevon 1945, 2 – Pommard Epenots Joseph Drouhin 1929, 3 – Vosne-Romanée Grivelet Cusset 1943, 4 – Champagne Salon 1988, 5 – Château Ausone 1962.

J’avais cherché dans ma cave un vin pour finir le repas si l’ambiance était bonne. Elle l’est et j’ai ouvert une bouteille totalement inconnue dont l’étiquette porte la mention : « Vin Blanc Supérieur ». Le contenu a certainement été mis dans une bouteille vide avec un bouchon à moitié enfoncé. J’avais déjà eu une expérience du même genre il y a quelques années et à ma grande surprise c’était un Rhum ancien superbe. J’espérais un rhum mais en fait après avoir cherché, nous avons conclu qu’il s’agit d’un Bas-Armagnac années 20 fort agréable lorsqu’il s’est épanoui.

Ce fut le point final d’un dîner joyeux et convivial très réussi.

Dîner à la Manufacture Kaviari par Georgiana Viou mardi, 14 mai 2024

La Manufacture Kaviari organise des dîners en petit comité en demandant à un chef étoilé de composer un menu mettant en valeur ses caviars. Des grands chefs comme par exemple Yannick Alléno se sont prêtés avec plaisir à cet exercice. Le dîner sera fait ce soir par Georgiana Viou, qui a une étoile au restaurant Rouge à Nîmes. Originaire du Bénin, elle offre une cuisine qui mêle deux inspirations, l’une de la cuisine béninoise et l’autre de la cuisine du sud de la France.

Ce matin, le directeur de la manufacture m’appelle et me dit qu’il serait prêt à m’acheter des vins pour ce repas car il est en manque. Il m’envoie le menu et me dit que le budget qu’il pourrait m’attribuer est limité par rapport à celui que j’engage pour les vins de mes dîners.

J’ai pour principe de ne jamais vendre des vins de ma cave, mais comme je participerai avec ma femme au dîner, ce n’est pas une vente mais un accompagnement, et, sans le lui dire, je n’ai aucune envie de facturer les vins que j’apporterai.

Il faut des vins inhabituels, pour accompagner la cuisine de la cheffe, et si possible, d’une région proche de Nîmes. Je fais une recherche sur le fichier de l’inventaire de cave et je choisis cinq vins qui devraient accompagner les cinq plats prévus : Un Jurançon sec Domaine de Souch 1991, un Costières de Nîmes Domaine Juliande 1998, un Vin jaune Château l’Etoile 1982, un Mas de Daumas Gassac Vin de Pays de l’Hérault 1986, un Mas Amiel Maury Cuvée Spéciale 1974. Ils sont tous très proches de Nîmes, sauf le Jurançon.

Nous arrivons assez tôt à la Manufacture pour que je puisse ouvrir les vins. Presque tous les bouchons se brisent en morceaux, sauf celui du Daumas Gassac très beau et au contraire le Maury a un bouchon dont le liège trop léger colle aux parois et se déchire en mille morceaux dont certains sont tombés dans le vin. Nous avons évoqué l’idée de servir ce vin en utilisant un chinois, mais une cuiller magique que j’ai dans ma trousse a évité de recourir à ce procédé.

De tous les vins ouverts c’est le Maury qui a le parfum le plus éclatant d’une grande suavité.

Les participants du dîner arrivent, esthètes et gastronomes, ainsi qu’un ami aux activités aux multiples facettes dans le monde du vin et de la gastronomie, que j’ai invité.

Traditionnellement le champagne d’accueil est un Champagne Billecart-Salmon sans année agréable et suffisamment discret pour ne pas heurter les subtilités des caviars que nous allons déguster dans une pièce très froide qui impose que l’on prenne un gilet molletonné pour ne pas geler sur place.

Le caviar Baeri au gris très foncé me plait beaucoup pour sa longueur incroyable. Le caviar Osciètre Prestige est solide et complexe et c’est en fin de bouche que sa richesse s’exprime. Le caviar Kristal est extrêmement court en bouche et très consensuel. On nous dit que le Kristal est le préféré des chefs car c’est celui qui s’adapte le mieux à leur cuisine.

Après cette belle dégustation, nous passons à table. La souriante Georgiana se présente ainsi que son jeune chef Lukatao Debenath. Elle décrira chacun des plats en expliquant les points importants de sa création. C’est très agréable.

Le menu composé par la cheffe met en majeur le caviar ce qui est une excellente chose. D’autres chefs de précédents dîners en ce lieu ont eu moins de considération pour les caviars.

Voici le menu : Osciètre Prestige, brocoli, échalotte noire, jaune d’œuf confit / Baeri Français, bleu de la pêche de Mathieu Chapel, ragoût de fève et fraises des bois fermentées / Osciètre, asperges blanches de pays, sauce blanquette / Kristal et Pressé, filet de taureau, caviar végétal / Osciètre, chocolat Tuma Yellow et miel de Nîmes.

Face à ce menu que j’ai reçu ce matin il y avait des évidences : les asperges appellent le vin jaune et le chocolat appelle le Maury. Ensuite la viande de taureau ira avec un Mas de Daumas Gassac, le plus grand vin proche de Nîmes. Le Costières de Nîmes s’imposait par son origine et j’ai pensé le mettre avec le poisson. Il restait l’entrée et l’idée du Jurançon m’est venue.

Le Jurançon sec Domaine de Souch 1991 a une couleur assez ambrée tendant vers le rose. Le nez est plaisant et en bouche j’adore le fait que ce vin sec ne peut s’empêcher d’avoir des intonations de vins doux. Et c’est ce qu’il faut pour une entrée aux multiples facettes. Mais le plat est si fort que je demande qu’on serve un peu du vin jaune qui est le seul capable d’affronter la virilité de l’entrée.

Le Costières de Nîmes Domaine Juliande les Vignerons de Montfrin 1998 est un vin qui m’est inconnu. Sa couleur dans le verre est rosée. S’agit-il d’un vin rosé ou d’un vin rouge, j’aurais du mal à le dire, mais sa douceur est très agréable et l’accord se trouve extrêmement bien avec le poisson et aussi avec l’onctueux ragout de fève. Ce vin n’est pas complexe mais il s’est montré élégant et ouvert aux saveurs du plat.

Ma femme n’aime pas les asperges quand elles sont croquantes alors que je les apprécie. L’une des deux servies est légèrement brûlée au chalumeau et Georgina nous explique son choix. L’accord avec le Vin jaune Château l’Etoile 1982 est absolument superbe, et il fallait bien la puissance du vin pour dompter les asperges. Le vin est droit, conquérant et intense, fait pour la gastronomie.

Le Mas de Daumas Gassac Vin de Pays de l’Hérault 1986 est un vin magnifique, au sommet de son art. Il est fait de 75% de cabernet sauvignon. Sur la contre-étiquette on indique qu’il faudrait servir ce vin à 18°, ce qui me paraît assez chaud. La viande de taureau est exquise à la fois seule ou avec le caviar qui se marie bien. Il est intéressant de constater que le caviar de ce plat ne s’oppose à aucun moment au beau vin rouge.

Le dessert au chocolat est d’une grande originalité avec des saveurs douces mais aussi intenses. Le Mas Amiel Maury Cuvée Spéciale 1974 est le compagnon idéal de ce plat, doux, subtil, délicieusement féminin.

Ce qui m’a impressionné c’est que Georgiana a su « apprivoiser » les caviars pour qu’ils soient parfaitement intégrés aux plats. C’est, je crois, la plus belle composition de repas où le caviar est toujours en cohérence parfaite et non pas ajouté comme un voyageur clandestin.

Je suis content car aucun de mes vins n’a été hors sujet. Le plat le plus difficile à accompagner était le premier et le vin jaune est venu au secours du Jurançon.

Les discussions avec des participants que je ne connaissais pas ont été animées et passionnantes. La cheffe a réussi un beau repas dans une ambiance souriante.

Ce fut un beau dîner de la Manufacture Kaviari.

déjeuner à la maison avec des vins de 60 ans et plus jeudi, 9 mai 2024

Ma plus jeune fille vient déjeuner à la maison avec ses deux enfants et la nounou qui les a suivis pendant des années. C’est l’anniversaire de la nounou, occasion de se rappeler de beaux souvenirs. J’adore le choix des vins pour les événements familiaux. La première bouteille qui attire mon regard et mon intérêt est un Château Montrose. Il y a plusieurs millésimes dans le casier mais c’est le 1959 qui me semble le plus intéressant à boire. Le niveau est à mi- épaule, mais ça devrait aller.

De peur que l’on manque de vin rouge, je choisis une demi-bouteille de Le Corton du Château de Beaune 1964. J’ai la même réflexion pour le niveau.

Le troisième choix est celui d’un Moët Brut Impérial 1964 car cette année est particulièrement réussie pour ce vin.

Le dessert étant une mousse au chocolat, nous pourrons utiliser un Maury La Coume du Roy 1948 qui avait été ouvert récemment.

J’ouvre en premier le Montrose 1959. Le bouchon est descendu de deux centimètres et une couche de poussière le recouvre. Je trouve un point de liège où mon tirebouchon peut s’accrocher et doucement, je remonte le bouchon entier. Il est très beau. Le nez est prometteur ce qui me réjouit.

Le Corton 1964 a un bouchon qui se cisaille pendant la remontée, mais j’arrive à le tirer entièrement aussi. Le nez est moins précis, mais l’oxygénation lente fera son œuvre.

L’entourage du bouchon du Moët 1964 est assez sale et poussiéreux mais je remonte entier un joli bouchon au liège de grande qualité. Le parfum me semble idéal.

C’est à pied que je vais chercher du pain. La boulangerie est fermée. En cherchant un raccourci pour aller à une autre boulangerie je me suis perdu. Google Map devrait être mon sauveur, mais ne sachant pas comment orienter mon téléphone par rapport aux rues, j’ai fait des allers et retour avant de trouver le bon chemin. On dit que ce sont les femmes qui ne savent pas s’orienter. Les six kilomètres que j’ai marchés montrent que cet adage n’a pas de fondement.

Les quatre invités arrivent et sentent les fleurs du jardin pendant que les oiseaux chantent avec entrain. Pour une fois depuis longtemps le soleil se montre et les fleurs de printemps sont un bonheur champêtre.

Le menu sera très simple. Il y aura du gouda, des chips et une tarte à l’oignon pour l’entrée. Puis un poulet aux pommes de terre et gousses d’ail, un camembert et la mousse au chocolat.

Le Champagne Moët & Chandon Brut Impérial 1964 a une belle couleur dorée claire. Incroyable. Aussi long et fluide qu’une rivière qui coule à une vitesse douce ce champagne a une belle amertume subtile. Il est immense et tellement confortable avec la tarte à l’oignon.

Le Château Montrose 1959 mi- épaule offre un parfum noble et ce qui frappe, c’est sa perfection. Tout dans ce Saint-Estèphe est exactement comme il se doit. C’est dû au millésime 1959 qui est le millésime ancien que j’ai le plus bu : 354 fois. Une pure réussite pour Montrose. Avec la gousse d’ail qui accompagne le poulet, la combinaison est passionnante. Ma fille a été très impressionnée.

Le Corton Château de Beaune Bouchard Père & Fils 1964 est en demi-bouteille. J’ai envie de le boire avec le camembert. Et cela crée une combinaison orgasmique absolue, celle que l’on désire de trouver même lorsque c’est improbable comme ici. Ce vin solide est plein d’énergie et l’amertume du camembert enveloppe le vin tel un boa constrictor. C’est un accord étonnant.

Le Maury la Coume du Roy 1948 avait déjà montré son charme il y a quelque temps. Délicat et subtil, c’est le compagnon idéal de deux mousses au chocolat l’une de ma fille, plus sophistiquée et intellectuelle et l’autre de ma femme, plus campagnarde, solidement attachée à la cuisine française.

La combinaison créée par Le Corton est quelque chose d’unique et mettrait ce vin hors concours. Mais le classement plus strict des vins est : 1 – Montrose 1959, 2 – Moët 1964, 3 – Le Corton 1964, 4 – Maury 1948.

Tous les vins ont été à leur meilleur niveau. C’est agréable de vérifier que des vins de soixante ans et plus ont leur place entière dans la gastronomie.

Déjeuner au restaurant Garance vendredi, 3 mai 2024

Pour un déjeuner à deux j’ai choisi le restaurant Garance dirigé par Guillaume Muller, chez qui j’ai fait plusieurs dîners. J’arrive en avance et derrière la porte vitrée de l’entrée, je vois sur une pancarte : « FERMÉ ». Je toque à la porte et par les vitres je peux voir le personnel de cuisine qui déjeune et se soucie peu du bruit que je fais. Il fait froid en ce début de mois de mai.

Par chance j’ai le numéro de téléphone de Guillaume qui me dit que la porte n’est pas fermée et vient m’accueillir avec le sourire.

J’ai apporté une bouteille que j’ouvre avec mes outils sur le bord du comptoir. Le bouchon du vin de 1955 se brise en plusieurs morceaux mais fort heureusement rien ne tombe dans la bouteille. Le nez du vin est superbe, joyeux et prometteur.

Lorsque mon invité arrive, j’ai déjà choisi avec Guillaume le champagne que nous boirons. C’est un Champagne Duval-Leroy Clos des Bouveries 2002 que j’ai choisi pour son âge canonique car il est assez rare qu’on en propose d’aussi vieux.

Bonne pioche ! Quel régal que ce champagne de totale sérénité. Il est majestueux et se situe bien au-dessus de ce que je pouvais imaginer. C’est son millésime qui lui donne cette grâce, cette noblesse et cet aboutissement.

L’entrée aux morilles est subtile et convient parfaitement au champagne.

La délicieuse côte d’agneau aux pommes de terre en robe des champs accompagne le Châteauneuf-du-Pape Paul Jaboulet Aîné 1955. Ce vin est d’une grâce absolue. Presque doux, ce vin est équilibré et remarquablement fait. Guillaume à qui j’ai fait goûter ce vin a eu la même remarque que celle que faisait mon grand-père : si on veut se faire plaisir, rien ne vaut un Châteauneuf-du-Pape. Et j’ajouterai : rien ne vaut un Châteauneuf-du-Pape ancien, car ce 1955 est d’une rondeur que n’aurait jamais un vin plus jeune.

A une table voisine une jolie femme avait remarqué le vin de notre table. Je lui ai proposé de goûter le 1955 mais elle refusa, disant simplement qu’elle était fascinée par la couleur du vin.

L’ambiance de ce restaurant est extrêmement conviviale et la cuisine est intelligente, fondée sur la qualité des produits. Au moment de payer l’addition, je suis près d’une table où deux femmes bavardent. L’un est proche des 80 ans et l’autre a 89 ans. Elles sont guillerettes. Je leur propose de goûter le champagne. Elles aussi sont éblouies par la qualité du champagne et sa maturité. J’adore ces rencontres inattendues.

Bonne cuisine et bonne ambiance, c’est un atout pour Garance.

Déjeuner au siège du Yacht Club de France mercredi, 1 mai 2024

Notre groupe de conscrits s’est agrandi d’une unité. Nous avons fermé les yeux sur l’âge de ce jeune conscrit comme nous l’avions déjà fait pour un autre ami. Disons que quand on aime on ne compte pas.

C’est le nouveau presque conscrit qui nous invite pour la première fois au siège du Yacht Club de France. Il a travaillé avec Thierry Le Luc, le directeur de la restauration pour mettre au point le menu et les vins.

Le résultat de leurs travaux est : hors d’œuvre en apéritif avec coquilles Saint-Jacques, ris de veau, charcuteries fines, toasts de foie gras / carpaccio de bar et mangue ivoirienne et croustillant de Saint-Jacques / filet de veau Ségala de l’Aveyron, pommes Président, légumes de saison, sauce poivre / fromages d’Éric Lefebvre MOF / Saint-Honoré revisité, fraises, basilic.

Sur le menu l’étiquette du veau fermier d’Aveyron figure et je ne résiste pas au plaisir de mentionner ce qui est indiqué : né et élevé à la ferme dans de bonnes conditions de confort et de bien-être, allaité par sa mère et nourri de compléments de céréales et de foin de la ferme. L’origine est France Occitanie et l’absence d’OGM ainsi que les indications sont certifiées par un organisme tiers indépendant, dont les coordonnées du service consommateur sont données. Ce texte montre le fossé qui existe entre une alimentation de qualité et ce qu’on appelle la ‘malbouffe’.

Comme toujours, les mets de l’apéritif sont si copieux et si bons que toutes nos résolutions de modération fondent comme un iceberg. Le Champagne Deutz Brut Classic sans année ne m’émeut pas. Est-ce parce que mon palais n’était pas préparé, c’est possible, mais le courant ne passe pas, alors que j’aime les champagnes de cette belle maison.

Le Champagne Laurent-Perrier ‘La Cuvée’ Brut sans année me paraît beaucoup plus adapté et se montre fort agréable.

Avec mes amis, nous avons une différence d’opinion sur le plat de poisson. Ils l’apprécient particulièrement, ce que je peux comprendre. Mais dans ma perspective, tournée vers les vins, la présence de mangues avec du bar en carpaccio et un croustillant de Saint-Jacques, ce n’est pas possible. Comme quoi tous les goûts sont dans la nature.

Je n’ai pas touché aux tranches de mangue, ce qui m’a permis d’apprécier le Puligny Montrachet Le Trézin Domaine Gérard Thomas 2020, jeune bien sûr mais avec un joli gouleyant.

Le veau est remarquable et la carte d’identité de sa provenance correspond à une réalité. Nous avons bu trois bouteilles de vins de Bouchard, deux Gevrey-Chambertin Bouchard Père et Fils 2016 et un Gevrey-Chambertin Bouchard Père et Fils 2013. J’avoue que dans le rythme passionné de nos discussions, je ne peux pas dire lequel ou lesquels j’ai bus mais ces vins sont agréables et francs.

Lorsque j’ai vu l’assiette de dessert se poser devant moi, j’ai été frappé par la beauté de la présentation et lorsque Thierry Le Luc nous a dit que c’est son fils qui a réalisé ce dessert, je lui ai demandé de le féliciter.

Comme toujours ces réunions de conscrits sont de beaux moments d’amitié.

Déjeuner au restaurant Astrance samedi, 27 avril 2024

Le prochain dîner, qui sera le premier de l’année, se tiendra au restaurant Astrance, de Pascal Barbot et Christophe Rohat. J’avais fait plusieurs dîners à l’ancien Astrance et j’ai envie d’en refaire dans le nouvel Astrance. J’ai réservé une table pour qu’après le déjeuner on puisse composer avec le chef le menu du repas.

Ma femme devait m’accompagner mais n’a pas pu aussi, le matin même, je demande à un ami de déjeuner avec moi en lui disant que l’on élaborera le menu du prochain dîner, auquel il participera.

L’idée m’est venue de faire plaisir à mon ami généreux en apportant une bouteille qui servirait aussi à donner au chef un rappel du goût des vins anciens pour qu’il en tienne compte dans ses réflexions.

Quand j’arrive, je suis accueilli avec des sourires aimables. Je n’ai pas apporté mes tirebouchons habituels, aussi j’ouvre la bouteille de Romanée Saint-Vivant Marey-Monge Domaine de la Romanée Conti 1974 en prenant un soin tout particulier. Le bas du bouchon ne remonte pas avec le haut aussi me faut-il beaucoup d’attention pour qu’il ne tombe pas dans le vin.

Je sens le vin et instantanément je sais qu’il sera grand. Le niveau dans la bouteille est très convenable. La première couleur a quelques nuances terreuses, mais deviendra beaucoup plus rouge par la suite.

Nous bavardons avec Pascal et Christophe pour composer le menu du jour en insistant sur le fait qu’il faudra simplifier les recettes en vue du futur dîner. Je ressens une volonté forte d’aller dans ce sens.

En regardant la carte des vins je vois qu’il existe un Champagne Pierre Péters, Cuvée les Chétillons Blanc de Blancs Œnothèque 2002. C’est un champagne que j’ai adoré dès sa parution. Le prix est un peu lourd, mais j’en ai envie. Je demande au sommelier de me montrer la bouteille pour que l’on voie la date de dégorgement. Aucune indication n’est inscrite sur l’étiquette. Il y a une image à scanner, mais je n’aime pas ce procédé.

On nous sert le Champagne Pierre Péters, Cuvée les Chétillons Blanc de Blancs Œnothèque 2002 et je ressens une amertume qui tue un peu le plaisir. Il n’est pas question de refuser la bouteille mais je suis un peu déçu que ce champagne si vif ait perdu de sa superbe. Il est bon, bien sûr, mais il n’a plus la folle pétulance qu’il avait.

Les plats que nous allons goûter ont des cuissons absolument parfaites. Nous aurons successivement un petit biscuit magique, une brioche gourmande, une langoustine merveilleuse, dont la soupe est un régal, un riz spécial qui convient à un vin rouge et mettra en valeur le prodigieux Romanée Saint-Vivant Marey-Monge Domaine de la Romanée Conti 1974, un turbot d’une cuisson idéale avec les barbes bien grasses qui excitent le vin rouge, un rouget que Pascal préfère de grande taille alors que j’aurais aimé un rouget moins épais. Pascal a expliqué sa préférence et je suis sûr qu’il a raison.

Le pigeon est magistral de tendreté et le toast au foie est exactement ce qu’il faut pour le grand vin de la Romanée Conti. C’est un accord fusionnel. La petite assiette de lentilles est très croquante, mais peut-être pas nécessaire pour le futur plat.

Le dessert éthéré d’une meringue aérienne est parfait, mais ne pourra pas être utilisé pour les vins que nous aurons.

La Romanée Saint-Vivant aura été divine tout au long du repas et appréciée par Pascal et Christophe et bien sûr par mon ami ému de ce cadeau, qui n’a pas reconnu les habituels marqueurs de la Romanée Conti, la rose et le sel. Cela arrive que les vins de la Romanée Conti ne montrent pas ces marqueurs. J’ai aimé sa longueur extrême et la grâce subtile de son message. Il y a à la fois les complexités que donne l’âge mais aussi un joyeux récital de saveurs.

L’ambiance de la création du menu a montré que nous avons les mêmes visions pour espérer réussir le prochain dîner de wine-dinners.