Dîner au restaurant de David Toutain vendredi, 1 novembre 2019

Bipin Desai, célèbre collectionneur américain a été l’initiateur des dîners de vignerons que j’organise depuis 19 ans. Il vient d’arriver à Paris, en provenance de Los Angeles, et m’avait demandé de réserver une table pour nous deux au restaurant de David Toutain. Je suis heureux de cette occasion de revoir un chef que j’apprécie. Lorsque j’arrive, le chef prend l’air sur le pas de la porte et nous bavardons quelques minutes. La décoration a changé. Elle est plus souriante. Je reconnais des personnes familières car j’ai vu Gautier, responsable de salle, et la sommelière Suzanne en d’autres lieux comme le Crillon.

Bipin arrive assez fatigué par son voyage mais je le trouve en très bonne forme pour ses 84 ans. C’est lui qui va décider ce que nous boirons sur la carte des vins et manifestement, son regard va dans des zones tarifaires que j’essaie d’éviter. Comme nous partageons l’addition, son choix pèsera lourd, car les coefficients du restaurant sont élevés sur certains vins.

Nous commençons par un Champagne Bollinger R.D. 2002. Le champagne est évidemment très grand mais je suis fort gêné par sa bulle insistante. Ce midi j’avais bu un Laurent-Perrier 1981 sans bulle et délicieux. J’ai du mal à m’adapter à ce saut dans la jeunesse où la bulle est envahissante et limite mon plaisir, même si le champagne joue dans la cour des grands.

On nous donne le choix entre deux menus, l’un à onze plats et l’autre à huit plats. Le petit menu s’appelle Reine des Prés. Le grand menu s’appelle Lierre Terrestre, pour une raison qui n’apparaîtra pas dans ce que nous mangeons. Mais ce titre est poétique.

Le texte du menu Lierre Terrestre n’est donné qu’à la fin du repas. Du bout des doigts : salsifis épeautre / topinambour bœuf fumé / betterave oxalys chocolat / huître échalote / Au fil du temps : caviar avocat banane / brioche beurre demi-sel / foie gras butternut clémentine / céleri rave foin truffe blanche / foccacia sapin / choux asperge Saint-Jacques douglas / poisson cèpe noix / homard genièvre pamplemousse / anguille sésame noir / viande Celtus curry / lièvre cacao / bleu de Séverac poire / Instant T. : cédrat marron livèche / pistache poivre Timut pomelos / mignardises.

On peut soupçonner qu’un chef qui coup sur coup nous offre salsifis, topinambours et panais a l’envie de susciter des symphonies intestinales…

Suzanne nous a conseillé de prendre un vin blanc compte tenu de l’orientation du repas. Ce sera un Meursault Charmes Domaine Comtes Lafon 2014. Bipin et Suzanne sont des admirateurs du millésime 2014 dont j’avoue ma faible connaissance. Ils ont raison car ce vin blanc est divin, riche, plein, joyeux, virevoltant et nous offrant des éclairs de génie. C’est un très grand vin.

La cuisine de David Toutain est inspirée et de haute précision. Le plat que j’ai adoré, c’est l’anguille cuite avec une justesse extrême. C’est délicieux. Ensuite vient le homard remarquable. Mais pourquoi le présente-t-on avec la pince dans une coupelle devant soi et la queue dans une coupelle commune où les deux morceaux à se partager reposent sur des branches de pin. La présentation parfois confuse des plats rebute un peu. Ensuite vient le foie gras au goût exceptionnel. Le seul plat qui ne m’a pas convaincu est le lièvre à la royale selon la recette du sénateur Couteaux, car la crème ne fait pas ressortir la richesse de la viande au goût profond. Comme c’est une question personnelle je veux bien admettre que je n’ai pas raison, mais je n’ai pas été séduit.

Il y a dans la cuisine de David Toutain une grande recherche des présentations qui fait penser à celles de René Redzepi du restaurant Noma. C’est parfois un peu compliqué, mais ce qui compte c’est la cuisine très précise d’un chef de talent. Le dîner à huit plats eut été un meilleur choix car nous avons Bipin et moi de lourds programmes. Ce furent d’agréables retrouvailles de la cuisine de ce chef.

quelle imagination créatrice !

Déjeuner au restaurant Laurent avec des vins italiens vendredi, 1 novembre 2019

Un ami des dîners, de l’académie des vins anciens et des casual Fridays veut partager avec moi un Gaja 1999 qu’il avait gardé depuis longtemps pour une future rencontre. Un autre ami m’envoie un message suggérant qu’on se voie. J’avais réservé une table pour moi seul au restaurant Laurent pour vérifier les plats du menu du dîner de vignerons qui se tiendra dans une semaine en ce lieu. La solution la plus cohérente est que j’invite mes deux amis à ce déjeuner.

Luc a apporté un Champagne Laurent Perrier Vintage Brut 1981. Sa couleur est d’un or orangé. La bulle est quasi inexistante. Le champagne est une corbeille de fruits de sa couleur. Il est confortable et il s’installe en bouche dans sa largeur. Il est horizontal et n’a rien de vertical. C’est un très agréable champagne aux vertus gastronomiques évidentes du fait de sa cohérence.

Philippe juge le Gaja Barbaresco 1999 beaucoup trop jeune par rapport à ce qu’il attendait, mais ce vin très vif et très jeune est d’une belle énergie. Luc dit qu’il est soyeux.

J’ai apporté un Sassicaia Tenuta San Guido 1987 pour accompagner le Gaja annoncé. Il y a une réelle différence de maturité entre les deux vins italiens. Luc dit du Super Toscan qu’il est velouté. Il est riche et très élégant. Il ne montre aucune puissance démonstrative, il est serein.

J’ai commandé le blanc-manger de langoustines, caviar impérial de Sologne condimenté et coulis de laitue, plat qui sera servi dans une semaine. Je voulais essayer ce plat en ayant peur de l’influence de la laitue sur les vins mais en fait la laitue est très discrète. L’épaisseur du blanc-manger rend presque inaudible le caviar. Cela doit pouvoir facilement se corriger. La volaille Culoiselle au foie gras, variation automnale autour des cèpes est parfaite. Il n’y a pas un iota à changer, sauf à servir la semaine prochaine des demi-portions car c’est un plat copieux.

Il est évident que l’entrée ne met pas en valeur les vins rouges qui chuchotaient leurs messages alors qu’avec la volaille les deux italiens se sont montrés brillants, le Sassicaia épanoui et jouant sur sa délicatesse subtile et le Gaja très vif promettant des merveilles lorsqu’il aura vingt ans de plus.

Nos discussions animées sur l’avenir du monde se sont poursuivies bien tard longtemps après que les autres tables se sont vidées. Un bien beau déjeuner d’amitié.

Dîner chez des amis vendredi, 1 novembre 2019

Avec ma femme nous allons dîner chez des amis de plus de trente ans. Nôtre hôte fait partie du club de conscrit où je le rencontre tous les mois. Nous prenons l’apéritif de délicieuses gougères avec un Champagne Henriot Blanc de Blancs Brut sans année très fluide et agréable sans trop de complexité.

J’ai apporté un Châteauneuf-du-Pape Domaine du Pégau 1985 que j’apprécie énormément dans ce millésime. Je voulais que mon ami goûte ce vin que j’adore et il est au rendez-vous. Il a une mâche d’une présence folle. Solide gaillard marqué par des suggestions de garrigue et d’olives noires, il est équilibré tout au long de son trajet en bouche et son finale est en panache.

Pour des quenelles mon ami a ouvert un Puligny-Montrachet La Garenne Etienne Sauzet 2015 fort agréable et ayant déjà une belle largeur.

Après le repas mon ami m’a fait goûter un Cognac Grande Champagne Paradis Le Château à Bourg-Charente. Il s’agit d’un assemblage de très vieilles eaux-de-vie fort agréable, qui a conclu ce repas d’amitié.

Tokaji # 1840 and Madeira # 1770 mercredi, 30 octobre 2019

Let’s face it, this is probably the biggest day of my life when wine is concerned. It goes back a long way. Joël, a madman of all that is antique, had sold me about fifteen years ago a bottle of a boat that had sunk in 1739. The bottle of onion shape was marked by marine erosion and Joel had me said that I should not expect wonders. He then sold me the oldest bottle I drank, whose year was estimated at 1690, which we drank together on a memorable day. Joel is a passionate for antiques and recently he tells me he would like us to share a Tokaji that Christie’s had estimated in the 1860s but had revised around 1840. Joel wants to drink it with me and I suggested that we drink it in my cellar, and that we choose together in my cellar the wine that would allow me to honor his bottle.

I have in my cellar a very important number of bottles of the 19th century of which a good number without readable label which I grouped in boxes. And among them, there is one, without the slightest label, totally opaque, which is the only one that can claim to be of the 18th century. I have other 18th century bottles with labels or markers. This one does not have one. This bottle could be a star of one of my dinners, but I want to share it with Joel because I love the passion that drives him.

There is a wild strike at the SNCF (railway system) for the High Speed Trains (TGV) of the west of France and our program could fall into the water but Joel who lives in Rennes finds a TGV and joins the train station closest to my cellar. I’m going to get him and we’re going together to buy an apple pie that may be suitable for the planned tasting. Sushi will be delivered at mealtime.

We visit my cellar and Joel is much more interested in very old bottles. The 1928 or 1947 do not enter the radar screen of his interests. We visit and I show him the bottle of the 18th century by saying that it is one I imagined for our meeting. He answers me: « I noticed it right away, and it was the one I was hoping for ».

For the aperitif, I open a Champagne Krug Private Cuvée years 50ies. The perimeter of the muzzle is dirty and when I want to remove the cork it comes without any resistance and without the slightest pschitt. The cylinder of the cork bears traces of mold, but the bottom surface of the cap is extremely clean and healthy. I pour the champagne which has a beautiful color of a mahogany gold. The champagne is of an absolute coherence. It is pure, intact, sparkling present but discreet, with evocations of dry Sauternes. Because it elegantly combines the dry and the sweet. What is fascinating is its balance and its unquenchable final. It’s a huge champagne. I had ordered with the sushis edamame which are not as good as those of the restaurant Pages because it lacks the added salt, but they marry divinely with the Krug which is part of the best that I could drink. Such a balance is unique.

I open the bottle of Tokaji # 1840 whose neck was covered with two layers of recent waxes. When removed, the top of the cork very small and very clean gives the impression of being original. When I pull it, doubt is not allowed, a cork of this quality can only be original. The cap is fine, soaked on a third, and everything looks healthy. The nose is so fresh and so precise, felt at the bottleneck, that I wonder if this wine is real, as it is so young. By pouring the wine into the glasses, the very clear and so wonderful gold is unequivocal, it is not possible to copy such a color.

The nose of Tokaji has discreet alcohol and hints of autumn leaves. On the palate there are beautiful yellow fruits and chestnuts, and a great freshness in the finish. It is an airy Tokay. It even has a floral finish. It is elegant and it is very close to sauternes rather dry, like the previous champagne, but with more amplitude and sun. At the first contact of the first sip, I felt the woof of a Tokaji, and at the tasting that follows, it is the Sauternes that is more suggested. On tuna sashimi, the deal is as good as salmon sushi, which showcases the tangy side of sweet wine.

I did not want to read Christie’s expert’s tasting note in advance to not be influenced, but here it is:  » short friable cap, amber-colored pure gold and oily consistency. The aromas are sweet with a hint of orange and apricot. The wine is resinous and slightly nutty. Honey with a rose hip fragrance. Touch of balsamic character with a rich and persistent aftertaste  ». This is very consistent with what we taste, but I felt more freshness and less balsamic.

The stopper of the 18th century is of a very sparse cork, as one finds for the very old wines of Cyprus. It is glued to the glass and I have to curette it by removing crumbs by crumbs. His powerful perfume exhales well before I finish the operation. Before putting my nose on the neck I think of an alcohol as the emanation is strong and when I bring my nose, there is no doubt that it is a Madeira. The nose is rich, intense and muscaté. Given the bottle I would say it is a Madeira # 1770. A knowledgeable amateur on Instagram told me that the bottle is from 1720 to 1730. Would the wine be older? In any case it is eternal.

Joel had asked me in the course of discussion which wines have impressed me the most and I told him that these extreme wines are always accompanied by a physical reaction, such as shock or chills. Coincidentally, the first contact with the wine of # 1770 makes me take my head in my hands, as if I had just received a punch. It’s a shock and I’m putting myself in a silent bubble. My God, what a shock. In the mouth, the wine is opulent, incisive, sharp. It has classic markers like pepper and liquorice, but a trace of salt is a trail of powder that ignites the pleasure. This wine is a bomb of power and salt transcends it. I immediately think about the Cyprus wines of 1845 which are for me the most complex wines that I have drunk, but here I think we are even higher, with this damn salt that radiates all the other directions that take this wine. There is a lot of sun fruit and this wine with infinite length leaves a heavy trace in the mouth and fresh at the same time. I am groggy.

We are obliged to notice that this wine is very much above the Tokaji 1840, even if this wine is itself fabulous. We reach an unreal peak. And circumstances lend themselves to the seventh heaven, because Joel bought this wine to drink with me and I chose this unique bottle to honor Joel, and everything was perfect. Apple pie is ideal for both wines.

I accompanied Joel to his train. He made me the gift of leaving me his bottle that I will finish with family and that will enlarge my collection of relics. A day like this is the highest reward of my passion.

(the pictures are in the article in French. see below)

Un Madère vers 1770 inoubliable mardi, 29 octobre 2019

Disons-le tout net, c’est probablement le plus grand jour de ma vie dans le domaine du vin. Cela remonte à bien loin. Joël, un fou de tout ce qui est antique, m’avait vendu il y a environ quinze ans une bouteille d’un bateau qui avait coulé en 1739. La bouteille de forme oignon était marquée par l’érosion marine et Joël m’avait dit qu’il ne fallait pas en attendre des merveilles. C’est lui ensuite auquel j’ai acheté la bouteille la plus ancienne que j’ai bue, dont l’année a été estimée à 1690, que nous avons bue ensemble lors d’une journée mémorable. Joël est un fou d’ancienneté et tout récemment il m’annonce qu’il aimerait que nous partagions un Tokaji que Christie’s avait estimé des années 1860 mais qu’il avait révisé autour de 1840. Joël a envie de la boire avec moi et je lui ai proposé que nous la buvions dans ma cave, et que nous choisissions ensemble dans ma cave le vin qui me permettrait d’honorer sa bouteille.

J’ai dans ma cave un nombre très important de bouteilles du 19ème siècle dont un bon nombre sans étiquette lisible que j’ai regroupées dans une case. Et parmi elles, il en est une, sans la moindre étiquette, totalement opaque, qui est la seule qui peut prétendre être du 18ème siècle. J’ai d’autres bouteilles du 18ème siècle avec des étiquettes ou des repères. Celle-ci n’en a pas. Cette bouteille pourrait être une vedette d’un de mes dîners, mais j’ai envie de la partager avec Joël car j’aime la passion qui l’anime.

Il y a une grève sauvage à la SNCF pour les TGV de l’ouest de la France et notre programme pourrait tomber à l’eau mais Joël qui habite à Rennes trouve un TGV et rejoint la station RER la plus proche de ma cave. Je vais le chercher et nous allons ensemble acheter une tarte aux pommes qui pourrait convenir à la dégustation prévue. Des sushis seront livrés au moment du repas.

Nous allons visiter ma cave et Joël s’intéresse beaucoup plus aux bouteilles très anciennes. Les 1928 ou 1947 n’entrent pas sur l’écran – radar de ses intérêts. Nous visitons et je lui montre la bouteille du 18ème siècle en lui disant que c’est celle que j’imaginais pour notre rencontre. Il me répond : « je l’avais remarquée tout de suite, et c’est celle que j’espérais ».

Pour l’apéritif, j’ouvre un Champagne Krug Private Cuvée années 50. Le pourtour du muselet est sale et quand je veux retirer le bouchon il vient tout seul sans la moindre résistance et sans le moindre pschitt. Le cylindre du bouchon porte des traces de moisissure, mais la surface du bas de bouchon est extrêmement propre et saine. Je verse le champagne d’une magnifique couleur d’un or acajou. Le champagne est d’une absolue grandeur. Il est pur, intact, au pétillant présent mais discret, avec des évocations de sauternes sec. Car il combine élégamment le sec et le doucereux. Ce qui est fascinant, c’est son équilibre et son finale inextinguible. C’est un immense champagne. J’avais commandé des edamame qui sont moins bons que ceux du restaurant Pages car il manque le sel, mais ils se marient divinement avec le Krug qui fait partie des plus chaleureux que j’aie pu boire. Un tel équilibre est unique.

J’ouvre la bouteille de Tokaji # 1840 dont le goulot était recouvert de deux épaisseurs de cires récentes. Lorsqu’elles sont enlevées, le haut du bouchon très petit et très propre donne l’impression d’être d’origine. Lorsque je le tire, le doute n’est pas permis, un liège de cette qualité ne peut être que d’origine. Le bouchon est fin, imbibé sur un tiers, et tout semble sain. Le nez est si frais et si précis, senti au goulot, que je me demande si ce vin est réel, tant il est jeune. En versant le vin dans les verres, l’or très clair et si merveilleux est sans équivoque, il n’est pas possible de copier une telle couleur.

Le nez du Tokaji a de l’alcool discret et des notes de feuilles d’automne. En bouche il y a de beaux fruits jaunes et marrons, et une grande fraîcheur dans le finale. C’est un Tokay aérien. Il a même un finale floral. Il est élégant et il s’approche fortement de sauternes plutôt secs, comme le champagne précédent, mais avec plus d’ampleur et de soleil. Au premier contact de la première gorgée, j’ai senti la trame d’un Tokaji, et à la dégustation qui suit, c’est le sauternes qui est plus suggéré. Sur des sashimis de thon, l’accord se trouve bien comme sur des sushis de saumon, qui mettent en valeur le côté piquant du vin doucereux.

Je n’avais pas voulu lire à l’avance la note de dégustation de l’expert de Christie’s, mais la voici :  »court bouchon friable, couleur d’or pur ambré et consistance huileuse. Les arômes sont doux avec un soupçon d’orange et d’abricot. Le vin est résineux et légèrement noisette. Miel avec un parfum de cynorrhodon. Toucher de caractère balsamique avec un arrière-goût riche et persistant ». Ceci est très cohérent avec ce que nous goûtons, mais j’ai senti plus de fraîcheur et moins de balsamique.

Le bouchon du vin du 18ème siècle est d’un liège très peu dense, comme on en trouve pour les vins de Chypre très anciens. Il est collé au verre et je dois le cureter en prélevant miette par miette. Son parfum puissant s’exhale bien avant que je n’aie terminé l’opération. Avant de mettre mon nez sur le goulot je pense à un alcool tant l’émanation est forte et quand je rapproche mon nez, il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’un madère. Le nez est riche, intense et muscaté. Compte tenu de la bouteille je dirais qu’il s’agit d’un Madère # 1770. Un amateur bien informé sur Instagram m’a dit que la bouteille est de 1720 à 1730. Le vin serait-il plus vieux ? De toute façon il est éternel.

Joël m’avait demandé en cours de discussion quels sont les vins qui m’ont le plus impressionné et je lui avais dit que ces vins extrêmes s’accompagnent toujours d’une réaction physique, comme un choc ou des frissons. Comme par hasard, le premier contact avec le vin de # 1770 me fait prendre ma tête dans mes mains, comme si je venais de recevoir un coup de poing. C’est un choc et je me recueille. Mon Dieu, quel choc. En bouche, le vin est opulent, incisif, tranchant. Il a les marqueurs classiques comme le poivre et la réglisse, mais une trace de sel est une trainée de poudre qui enflamme le plaisir. Ce vin est une bombe de puissance et le sel le transcende. Je pense immédiatement aux vins de Chypre de 1845 qui sont pour moi les vins les plus complexes que j’ai bus, mais là, je crois bien qu’on se situe encore plus haut, avec ce satané sel qui irradie toutes les autres directions que prend ce vin. Il y a beaucoup de fruits de soleil et ce vin à la longueur infinie laisse une trace lourde en bouche et fraîche en même temps.

Nous sommes obligés de constater que ce vin est très largement au-dessus du Tokaji 1840, même si ce vin est lui-même fabuleux. On atteint un sommet irréel. Et les circonstances se prêtent à ce que l’on touche le septième ciel, car Joël a acheté ce vin pour le boire avec moi et j’ai choisi cette bouteille unique pour honorer Joël, et tout fut parfait. La tarte au pomme est idéale pour les deux vins.

J’ai raccompagné Joël à son RER. Il m’a fait le cadeau de me laisser sa bouteille que je finirai en famille et qui viendra grossir ma collection de reliques. Une journée comme celle-ci est la récompense de ma passion.


dans ma cave une case de vins inconnus

je choisis celle de droite

estimation de la date du Tokaji par l’expert londonien de Christie’s

Déjeuner au restaurant Saint-Germain de l’hôtel Lutetia samedi, 26 octobre 2019

Il y a peu de temps, j’avais pris rendez-vous avec un homme du livre au bar de l’hôtel Lutetia. C’était la première fois que je retrouvais cet hôtel Art Nouveau chargé d’histoire, restructuré il y a quelques années par l’architecte Wilmotte et qui a été fermé pendant quatre ans pour travaux. Si les volumes sont respectables, la décoration du bar est très conventionnelle voire trop.

Aujourd’hui, je déjeune avec un homme du vin, célèbre parmi les célèbres, dans le restaurant Saint-Germain de l’hôtel Lutetia. Le volume de la pièce est impressionnant, les tables sont basses et les fauteuils profonds, mais le lieu a perdu son âme, à mon goût, comme le bar. Il y a une immense verrière peinte au plafond, qui a des couleurs qui rappellent celles du plafond de l’Opéra Garnier de Marc Chagall. Que fait un bibendum approximatif qui évoque celui de Michelin ? Si on a perdu une partie de l’âme, le lieu est cosy et on s’y trouve bien. A mon grand étonnement mon ami qui m’invite ne boira pas de vin. J’ai accompagné mon repas en prenant au verre un Champagne Ruinart Blanc de Blancs sans année.

Le menu que j’ai commandé est : oignons des Cévennes en ravioles, châtaignes et pamplemousse / saint-pierre grillé, courgette violon, tomates, pignons et vierge acidulée de petits légumes. Les plats sont bien réalisés et agréables. La pâte des ravioles est un peu trop présente et le poisson un peu trop cuit pour mon goût, mais c’est une cuisine internationale de bon aloi. Le champagne Ruinart est définitivement l’un des meilleurs bruts sans année que l’on puisse boire au verre. Il est agréablement consensuel.

Nous avons eu la chance d’avoir une très jeune serveuse très attentionnée, qui a été formée à l’école Ferrandi. Ce lieu se prête bien à des repas calmes et simples, dans un cadre agréable, même si une partie de son âme s’est envolée.

Déjeuner de conscrits au restaurant Le Petit Sommelier samedi, 26 octobre 2019

Pour je ne sais quelle raison, des membres de mon club de conscrits ont envie de se retrouver à déjeuner entre deux réunions statutaires. Nous serons cinq et sur ma suggestion, ce sera au restaurant Le Petit Sommelier, que je retrouve une semaine à peine après un récent déjeuner. Je serai actif dans le choix des mets et des vins, aidé par Pierre Vila Palleja propriétaire des lieux et par Manon la jolie et compétente serveuse et sommelière.

Nous commençons par un Champagne Billecart-Salmon Extra Brut 2008 qui est d’une belle expression dans ce beau millésime. Il est un peu strict du fait de l’absence de dosage mais pas trop et sait se montrer assez large pour entraîner nos adhésions. Le menu que je suggère est : poêlée de cèpes, émulsion au persil / bœuf bourguignon, pommes de terre et oignons.

J’avais imaginé un chablis avant que nous ne consultions le menu, et grâce aux suggestions de Pierre nous prenons un Château Simone Palette 1997 qui devrait mieux convenir. Le goût des cèpes est opulent, large, gras, et le vin des Bouches du Rhône est idéal pour ce plat. Car le vin a de la race. On dirait volontiers : c’est un vin qui cause. Car il occupe le palais de sa largeur, de son insistance aromatique. C’est un grand vin de 22 ans. Il est racé, riche et convaincant, et l’accord avec les cèpes est joyeux.

Le bœuf bourguignon a été cuit pendant 22 heures, mais j’aurais ajouté sans problème 22 heures de plus pour avoir encore plus de moelleux dans la mâche de la viande délicieuse. Le Châteauneuf-du-Pape Vieux Télégraphe 2005 a donné lieu à une petite querelle d’école entre Pierre Vila Palleja et moi. Pierre aurait aimé carafer le vin pour qu’il soit épanoui dès le début de la dégustation alors que je souhaitais voir son éclosion et profiter de la fragile ouverture d’un vin délicat.

Et ce qui est amusant, comme nous vivons en l’ère macronienne, c’est que nous avons pu observer que le vin était un adepte du « en même temps ». Car clairement la première bouteille de ce vin devait vivre son éclosion comme je l’avais souhaité tant sa subtilité la méritait. Et la deuxième bouteille, plus stricte, moins virevoltante, aurait profité d’un carafage qui l’aurait épanouie. Il n’y a donc pas de vérité absolue mais je suis heureux que la première bouteille ait vécu ce que j’aime, l’éclosion qui fait ressembler le vin aux ailes charmantes des danseuses du Lac des Cygnes. Car le vin est subtil, délicat, dosant ses charmes à tout moment de son passage en bouche. Il est riche sans l’être, aérien sans l’être, car rien n’est imposé, tout est gracile ce qui est franchement étonnant de la part de ce solide vin. On l’a retrouvé dans sa forme plus virile sur la deuxième bouteille. Le bœuf bourguignon est un plat de plaisir campagnard. On se sent bien, la pomme de terre adoucissant la sauce.

Pour le dessert, un délicieux millefeuille à la vanille, nous avons bu un Champagne Delamotte Brut sans année absolument agréable compagnon du dessert excellent. Le Petit Sommelier est un restaurant agréable par la qualité des plats et par l’étendue intelligente de sa carte des vins. Le service est très professionnel et compétent. Que demander de plus ?

Un beau champagne aux caves Legrand Fils & Fille samedi, 26 octobre 2019

J’ai rendez-vous aux Caves Legrand avec Margareth Henriquez, présidente du champagne Krug, qui participera au prochain dîner de vignerons que j’organise chaque année. Ce sera le 19ème dîner. Nous avons des sujets à discuter à l’heure de l’apéritif. Margareth a un dîner mais nous allons déguster des planches garnies de tranches de poissons fumés en buvant un Champagne Krug Grande Cuvée 166ème édition. La base de ce champagne est 2010 mais il y a une douzaine de millésimes dans sa composition.

Ce qui caractérise ce champagne, c’est sa complexité et sa sérénité. Margareth m’explique la philosophie de sa conception et on dira ce qu’on voudra, mais boire ce champagne avec la présidente de Krug offre infiniment plus de perspectives. Elle explique la redécouverte du fameux carnet de Joseph Krug, le fondateur de Krug, dans lequel il avait défini ce que devrait être un champagne qui représente le meilleur de la Champagne. Et je dois dire que les complexités et la finesse de ce champagne, jeune pour moi, sont impressionnantes. Il est tellement bon que nous faisons ouvrir une deuxième bouteille qui se montre plus romantique que la première, plus délicate quand celle qui précède était plus affirmée. Il y a des idées que nous avons envie de pousser ensemble. Ce moment d’apéritif fut riche en évocations, sans doute favorisées par ce champagne accompli.

Déjeuner au restaurant Le Chiberta samedi, 26 octobre 2019

Au restaurant Le Chiberta qui fait partie des restaurants de la galaxie Guy Savoy, je retrouve Gilles de Larouzière, président du groupe qui possède entre autres les champagnes Henriot et la maison Bouchard Père & Fils. Je lui avais demandé si je pouvais apporter un vin et il m’a fait savoir que je pouvais.

Que choisir en cave ? Son groupe est actif en Champagne et en Bourgogne, il est donc exclu que je choisisse dans ces régions. Comme nous déjeunons, j’élimine les liquoreux peu propices au travail postprandial. Que reste-t-il ? J’arpente des allées en cave et mes yeux se portent sur une bouteille de Vin d’Alsace Léon Beyer qui indique « Rouge d’Alsace » Pinot. La bouteille est assez sale et opaque, avec un verre teinté mais par transparence je vois un liquide clairet qui s’inscrirait plus dans le camp des rosés que celui des vins rouges. Il n’y a pas de millésime mais on peut penser aux années 60 voire un peu avant. Voici une bouteille énigmatique qui conviendrait bien à ce repas.

J’arrive en avance et mon hôte avait déjà fait ouvrir une bouteille. Je demande la permission d’ouvrir la mienne et je l’obtiens. Le nez de mon vin est très expressif et engageant. Gilles arrive et nous commandons les mêmes plats : noix de Saint-Jacques de Normandie en fine chapelure de sarrasin, mousseline de topinambour, salade amère, sauce diable au cresson / faux-filet de bœuf Angus rôti, légumes comme un pot-au-feu, vinaigrette moelle-estragon.

Nous goûtons le Rouge d’Alsace, Pinot Léon Beyer années 60 et le nez puissant est sympathique. Il n’est pas incompatible avec le nez d’un vin rouge. En bouche, au début, j’ai du mal à imaginer un vin rouge, mais Gilles reconnaît sans conteste le pinot. Et le vin s’assemble, ne montrant pas de véritables traces d’âge. Il est riche, rond, et plus il s’épanouit, plus il évoque pour moi les vins de la Romanée Conti d’une année frêle, car il y a dans le finale le sel qui est un marqueur fort des vins du domaine. S’il en a le sel, il n’a pas, bien sûr, les complexités des vins de la Romanée Conti, mais il a beaucoup de charme. Ce vin se montre gastronomique et porteur de plaisir. Jamais je n’aurais cru qu’on obtiendrait un résultat aussi agréable. Plus il va évoluer dans le temps, plus je reconnais un vin rouge d’une région froide, comme l’Alsace ou le Jura. Son acidité est superbe et ses amers et sa râpe sont fort agréables. En fait, je me mets à l’aimer.

Pour la viande, nous goûtons le Bonnes-Mares Grand Cru Domaine Bouchard Père & Fils 2009. Le nez est élégant, avec de jolies notes veloutées. L’attaque est superbe, riche et équilibrée. C’est d’Artagnan quand il est sage. Le finale est un peu plus court, ce que Gilles ne pense pas, et effectivement, sur le plat de viande, il gagne en longueur. C’est un vin extrêmement subtil et noble, dont j’apprécie le velours qui n’exclut pas la richesse.

La viande baignant dans son pot-au-feu n’est pas exactement le compagnon idéal pour le Bonnes-Mares, alors que le vinaigre de la sauce crée un accord magistral avec le vin d’Alsace qui s’épanouit dans cet accord. Pour prolonger le plaisir du vin de Bouchard nous prenons chacun une assiette de fromage et le Bonnes-Mares devient plus opulent et heureux de vivre.

Le Bonnes-Mares est sans conteste un plus grand vin mais j’ai les yeux de Chimène pour le vin d’Alsace qui nous a offert beaucoup plus que je n’espérais et a créé un accord avec le plat de viande de la plus belle complémentarité. Ce déjeuner nous a permis d’ébaucher de belles idées. Le restaurant est agréable pour l’espace entre les tables et pour le service. Nous n’aurions sans doute pas dû choisir une viande dans un bouillon, difficile à couper dans l’assiette creuse. Ce fut un beau déjeuner.

Un beau Laurent Perrier Grand Siècle lundi, 21 octobre 2019

Le dimanche au déjeuner avec ma fille et un petit-fils, il y aura du poulet, des pommes de terre sautées et des haricots verts. Il se trouve que l’on m’a proposé récemment un lot significatif de Laurent-Perrier Grand Siècle que je situe en fin des années 70, au vu des couleurs de la cape et de l’étiquette. Les photos ne sont pas très précises, mais j’ai confiance dans ce champagne. L’envie me prend d’en essayer une bouteille pour vérifier si j’ai fait un bon achat. Le bouchon vient facilement, accompagné d’une belle énergie du pschitt. Le bouchon est cylindrique, ce qui est logique pour l’âge que je lui prête. La couleur est assez claire d’un or joyeux. La bulle est discrète mais présente, avec de très fines bulles. Dès la première gorgée ma fille est conquise. Et je le suis aussi. Ce Champagne Laurent Perrier Grand Siècle fin des années 70 est noble et raffiné. Il a une belle énergie, et un message typé. Il ne donne que du plaisir. Il fait partie des champagnes que je trouve romantiques, car ils expriment de belles suggestions sans essayer de passer en force. Le finale est de belle intensité. C’est un vin à maturité mais qui n’a pas perdu du tout de sa vaillance. Il est au sommet de son épanouissement.

Nous l’avons bu aussi avec un brie bio un peu crémeux et il est devenu plus strict, plus policé, tout en gardant beaucoup de charme. Un achat réussi, ça s’arrose. Ah, nous venons de le faire…