Dîners de vins très anciens à la maison dimanche, 27 janvier 2019

Florent est un ami passionné de vin qui boit des vins antiques. Il pourrait être mon fils. Il habite près de Lyon aussi les opportunités de rencontres sont rares. Il vient passer le week-end chez moi. Il m’annonce un champagne de 1899, un Corton de 1915 et deux autres vins blancs, de 1949 et 1962. Je cherche dans ma cave des vins qui pourraient lui plaire et je choisis aussi des bouteilles de bas niveaux ou qui semblent avoir souffert, car le repas principal devant se tenir dans ma cave, s’il y a des déchets, il est facile de remplacer.

Je vais chercher Florent dans Paris, à son arrivée. Lorsqu’il entre dans ma cave, je lui propose que nous trinquions avec un Champagne Krug Private Cuvée années 40 qui a perdu du volume. Le champagne est ambré, assez sombre et le pétillant est faible. En bouche il a une belle personnalité, avec des amers virils, mais il n’est pas très net. Nous lui laissons du temps pour qu’il s’épanouisse et effectivement, cinq minutes plus tard il est net, droit, avec un fruit agréable et une amertume un peu présente. Curieusement, il ne va pas continuer à s’épanouir et restera dans une forme figée, assez noble mais de moindre plaisir que d’autres bouteilles similaires du même lot.

Comme j’avais choisi une bonne quinzaine de bouteilles possibles, nous avons devant nous une vingtaine de bouteilles qui peuvent être ouvertes. Nous allons les choisir et les affecter aux deux repas que nous ferons ensemble. Nous sommes seulement deux car ma femme est partie dans notre maison du sud. Notre choix dépendra des résultats de l’ouverture des bouteilles les plus incertaines.

J’ouvre une bouteille dont l’étiquette totalement illisible a toutes chances d’être de Château Margaux par sa forme mais aussi parce que Florent croit reconnaitre des lettres de Pillet-Will, ce qui situerait Ce Château Margaux au début du 20ème siècle, disons 1910. Le parfum est incertain. Nous mettons la bouteille de côté. Elle sera peut-être un outsider demain.

Je continue à ouvrir une bouteille de forme inhabituelle au long col dont l’odeur est tellement désagréable que je la pose loin des bouteilles de ma cave, pour que cette odeur ne contamine pas ma cave.

J’ouvre une demi-bouteille qui a la forme d’une bouteille de porto. Le nez m’évoque un porto, ou à tout le moins un vin muté doux. Florent est dubitatif sur mon estimation mais nous ne goûtons pas les vins pour garder l’efficacité de l’oxygénation lente.

Les autres ouvertures se feront à la maison pour le dîner et demain en cave pour le déjeuner.

Le programme prévisionnel qui résulte de nos choix est pour le premier dîner : Champagne Krug Grande Cuvée étiquette crème en ½ bt / Domaine de Chevalier blanc 1962 / Meursault inconnu d’une cave de restaurant années 40 / Château Pichon Baron de Longueville 1904 / Château Lafite 1900 / Bouteille inconnue de format demi-bouteille, probable porto / Marc de rosé du domaine d’Ott 1929.

Et pour le déjeuner demain : Champagne Heidsieck Monopole sec ½ bt 1904 / Champagne Veuve Clicquot ½ bt 1899 / Meursault Goutte d’Or Morin Père & Fils 1949 / Corton Geisweiler 1915 / Nuits-Saint-Georges Les Cailles Morin Père & Fils 1915 / Vin de Moselle Allemagne années 10 avec en supplément possible : Probable Château Margaux vers 1910. Un tel programme nous imposera d’utiliser des crachoirs.

A la maison je commence les ouvertures pour les vins du dîner. Un Meursault inconnu d’une cave de restaurant années 40 a une odeur tellement putride que la cause semble entendue et irrémédiablement compromise, mais comme je professe de ne jamais condamner trop vite, nous la laissons tranquille pour un très improbable retour à la vie.

Le Domaine de Chevalier blanc 1962 à la belle couleur d’un or blond a une odeur très prometteuse. Le Château Lafite 1900 a un parfum porteur de tous les espoirs et le Château Pichon Baron de Longueville 1904 me semble aussi apte à tenir sa place au dîner.

Tout est ouvert sauf celle qui va démarrer le repas, le Champagne Krug Grande Cuvée étiquette crème en ½ bt qui doit être des années 90. Je suis frappé par le fait qu’il y a une grande continuité de goût entre ce champagne délicieux et le Champagne Private Cuvée des années 40 que nous avons laissé en cave. C’est un champagne noble, vif, de grande personnalité.

Notre menu sera ainsi composé, après mes emplettes chez un traiteur : foie gras de canard entier / saumon fumé en tranches / rillettes de homard / quiche lorraine / quiche au poireau / saint-nectaire et comté / millefeuille.

Le Domaine de Chevalier blanc 1962 est d’un or blond. Son nez est d’une grande pureté. C’est un vin expressif et puissant, avec une belle minéralité et un gras qui le rend gastronomique. C’est un très beau vin de bordeaux que le saumon met en valeur.

Le Meursault inconnu d’une cave de restaurant années 40 est servi sans illusion et le choc que cela nous cause est incroyable. Ce vin non seulement existe mais il est un vrai meursault. Sur le premier verre, l’attaque est un peu plate, mais le finale est en place. Plus il s’élargit dans le verre plus il devient précis, parfait et gourmand. Alors, nous nous mettons à parler de ce phénomène. Tout d’abord 98% des amateurs de vin auraient immédiatement mis ce vin à l’évier. Ensuite, si nous racontions cette histoire de vin putride qui devient grand, personne ne nous croirait. Et les cas où je suis moi-même persuadé qu’un vin est mort mais revient à la vie comme Lazare ressuscité par Jésus-Christ deviennent assez nombreux. Il y a de quoi alimenter les doutes de ceux qui ne croient pas que ce soit possible. Mais c’est un fait, un vin condamné est devenu bon et même grand.

Je suis aux anges car il y a pour moi beaucoup plus d’émotion de constater qu’un vin ressuscite que de constater qu’un vin attendu comme grand le soit.

Le Château Pichon Baron de Longueville 1904 a une couleur d’un rouge rose d’une grande jeunesse. Le nez est fin et ciselé et en bouche le vin est d’un grand plaisir raffiné. L’acidité est belle, les fruits rouges et roses, légèrement aigrelets sont jolis, composant un vin tout en délicatesse. C’est un grand vin à qui l’on donnerait trois fois moins que son âge. Je l’ai acquis d’un couple de particuliers dont les grands-parents avaient muré une cave avant la guerre de 40.

C’est aussi le cas du Château Lafite 1900 qui provient de la même cave murée. Le nez du vin est d’une noblesse incroyable. Il explose de truffe. Le vin est d’un rouge plus soutenu que le Pichon et sa matière est riche, truffée. Le vin est d’une race très supérieure à celle du Pichon. Nous sommes face à un vin exceptionnel, la perfection du vin de Bordeaux. C’est très probablement le plus grand Lafite que je bois, que je classerais juste derrière le 1844 préphylloxérique et exceptionnel que j’ai bu il y a environ dix ans. Les deux quiches conviennent aux deux rouges.

Nous nous regardons avec Florent et nous pensons l’un et l’autre que personne ne croirait que nous puissions avoir ce soir des vins aussi parfaits, le 1962 dans la plus belle expression des vins de graves, le meursault inconnu, vibrant et authentique meursault épanoui, le 1904 très féminin et le 1900 glorieux et guerrier. Ce n’est que du bonheur.

La bouteille vilaine et inconnue sans étiquette que j’avais ouverte m’avait suggéré un vin muté et dès que je sens et je goûte, aucun doute n’est permis, c’est un Pedro Ximenez des années 10. L’année est évidemment estimée, par le goût, mais surtout par les blessures du temps sur la bouteille et sur le bouchon. La couleur très sombre a des reflets d’or selon l’angle de vision dans le verre. Le liquide est lourd et gras. Le nez intense évoque le café et en bouche, c’est le café, le cacao, les raisins brûlés par le soleil et une combinaison magique de lourdeur et de légèreté. C’est un magnifique vin si pur lui aussi alors que la bouteille paraissait misérable. Décidément, lorsque j’ai choisi des bouteilles à risque, ces vins ont voulu me remercier de les avoir choisies.

Florent ayant lu mes écrits voulait absolument goûter le Marc de rosé d’Ott 1929. Autant dans certaines circonstances ce marc me paraissait doux, autant en ce repas, ce marc semble d’une vigueur extrême et d’un nez de marc puissant. C’est très probablement lié au fait que le marc suit le vin doux très sucré.

Les vins de ce repas ont fait un sans-faute absolu, avec des performances remarquables. Le premier de loin est le Lafite 1900 impérial. En second Florent suggère le Marc de rosé d’Ott 1929 et je vais le suivre dans ce classement. Le troisième serait le Pedro Ximenez car il est d’une pureté et d’une fluidité rare. Les suivants seraient ex-aequo le 1904 et le 1962, le Pichon et le domaine de Chevalier.

Ce dîner d’amitié, avec un ami qui a la même attitude que moi face aux vins anciens est un bonheur total.

Le Pedro Ximenez

le marc d’Ott rosé du domaine d’Ott

Quatre vins bus au dîner.

le Pedro Ximenez et le marc sont à droite sur cette photo

Dîner de conscrits au Relais Louis XIII vendredi, 25 janvier 2019

Parce que nous atteignons un âge qui représente trois quarts de siècle, notre groupe de conscrits décide que cela mérite un dîner, en plus de nos périodiques déjeuners au Yacht Club de France. Le choix se porte sur le Relais Louis XIII de Manuel Martinez, ex chef de la Tour d’Argent et MOF 1986. Nous sommes accueillis par sa charmante compagne qui nous dira lors de la composition de notre menu, que chaque plat choisi est le meilleur de Paris, voire de France, voire du Monde.

J’ai la charge de suggérer les vins, mais sous haute surveillance de mes conscrits. Nous prenons un champagne d’attente car un des amis a eu une panne sur sa voiture et ne viendra que plus tard. C’est le Champagne Initial de Selosse dégorgé en décembre 2010. J’ai prévenu mes amis du fait que c’est un champagne atypique et il l’est. Il combine un caractère vineux avec des évocations de fruits roses un peu compotés. Dans les très efficaces verres conçus par Philippe Jamesse, l’ancien et célèbre sommelier des Crayères à Reims, le champagne s’élargit et devient de plus en plus charmant, le vineux étant compensé par une belle douceur. Mes amis l’apprécient.

Nous changeons de style avec le Champagne de Souza Cuvée des Caudalies extra brut blanc de blancs sans année. Ce champagne est d’une grande pureté. Il est précis, franc et a toutes les qualités des chardonnays d’Avize. Il est élégant et appréciable aussi nous en reprenons un pour accueillir notre ami en panne de voiture. Les petites choses à grignoter sont exquises, dont un pâté en croûte particulièrement bon.

Mon choix de plat sera : quenelle de bar abondamment couverte de truffe / ris de veau / comté trente mois / millefeuille. Le Château de Beaucastel Roussanne Vieilles Vignes Châteauneuf-du-Pape 2015 est tonitruant. Son nez est incroyable de puissance, comme celui d’un Montrachet qui aurait connu du botrytis. Les vieilles vignes se sentent dans le caractère fumé du vin. Ce vin est impérial. La quenelle est la plus exquise que Dieu ait donnée. Elle est gourmande et l’accord est idéal. La deuxième bouteille a un peu moins d’énergie que la première.

Pour le ris de veau qui est magnifiquement bien traité Nous buvons le Châteauneuf-du-Pape Clos des Papes 2005. Le vin est puissant, riche, entraînant. Il est facile à vivre car il est direct et compréhensible. La deuxième bouteille sera nettement meilleure que la première, avec plus de pureté et de précision. Le comté trente mois découpé en fines lamelles est parfait.

Le millefeuille est d’une légèreté incroyable. Il n’est peut-être pas le meilleur du Monde, qui sait, mais il nous ravit tant on le mange avec bon cœur, après tant de richesse dans les plats précédents. Sur le dessert nous buvons le Champagne Amour de Deutz Brut 2009 qui est fort agréable même si l’accord avec la vanille n’est pas spontané.

Le restaurant a une décoration avec des boiseries anciennes et des tableaux résolument modernes. Dans la petite salle qui nous a été réservée, les deux tableaux de Combas ne plaisent pas à plusieurs amis. Des goûts et des couleurs … La femme du chef est dynamique et joyeuse, et vendrait du pain à un boulanger ! J’ai pu bavarder avec le chef sur des souvenirs communs. On se sent bien dans ce restaurant rassurant, à la cuisine traditionnelle généreuse mais tellement bien exécutée. Champion du monde, dirais-je pour faire plaisir à notre hôtesse.

La carte des vins est de belle variété et les prix sont très acceptables tant qu’on ne va pas sur le terrain des vins recherchés par des amateurs étrangers. Lorsque j’avais discuté avec Yannick Alléno lors du dîner à Kaviari, il m’avait vanté les qualités du relais Louis XIII. Il avait bien raison, cette table mérite qu’on s’y rende au plus vite.

Préparation du 232ème dîner à la Cave d’Exception de l’hôtel de Crillon jeudi, 24 janvier 2019

Le 226ème dîner avait eu lieu à la Cave d’Exception de l’hôtel de Crillon et j’avais apprécié la cuisine de Christopher Hache, chef du Crillon. J’ai donc réservé en novembre le même beau salon pour faire avec Christopher Hache le 232ème dîner fin janvier. Et j’avais réservé une table pour faire un déjeuner de travail avec le chef et son équipe une semaine avant le dîner. L’ennui, c’est que des mouvements de personnel ayant eu lieu au sein de l’hôtel, mon mail de réservation, confirmé par la responsable, s’est perdu, faute de réelles passations de pouvoir. Un silence étonnant régnait autour de ma réservation pour le déjeuner de travail, comme si on n’osait pas me dire certaines choses.

Le déjeuner est reporté au lendemain de la date prévue et c’est Boris Campanella, nouveau chef de la restauration du Crillon qui est mon interlocuteur. Je dois donc comprendre que Christopher Hache n’est plus dans le circuit de la mise en place de mon dîner. Boris a travaillé aux côtés de Yannick Alléno à Megève au 1947 Cheval Blanc qui a obtenu trois étoiles. Je pensais à un déjeuner de travail, mais en fait je vais déjeuner seul à l’Ecrin de l’hôtel de Crillon, tout en ayant des séances de travail très productives.

D’emblée, Boris Campanella est ouvert, précis et collaboratif. Nous travaillons sur le menu du dîner et nous nous comprenons. Le menu se construit en un temps très court car questions et réponses s’enchaînent logiquement. Je demande au chef quels plats pourraient me permettre d’apprécier sa cuisine ce midi et il me suggère les coquilles Saint-Jacques et le veau.

La coquille Saint-Jacques à la truffe noire se présente dans sa coquille lutée très jolie. On présente les deux coquilles dans une assiette qui contient les légumes et le jus de cuisson est rajouté sur les coquilles. Le plat est absolument délicieux et on mange le lut comme une pâtisserie.

Le veau glacé à la truffe est d’une tendreté agréable. J’avais commandé au verre un Champagne Pierre Péters extra-brut blanc de blancs sans année de belle personnalité. Avec le plat, il perd le côté abrupt de l’extra-brut et avec la sauce seule, divine et un peu salée du fait de la réduction, le champagne devient d’un charme envoûtant. La sauce féconde le champagne de bien belle façon.

Le directeur de salle me fait remarquer que l’on m’entend glousser tant je me régale de cette cuisine. Le dessert à la pomme et au coin est un plat qui est tellement abouti qu’on ne pourrait pas le concevoir autrement. Il est divin et correspond à un niveau de trois étoiles. J’ai félicité Boris pour la qualité de cette belle cuisine. J’étais tenté de remplacer des plats du dîner par ceux que je venais de manger, tant je les ai aimés, mais l’équilibre de ce que nous avions composé en souffrirait.

Le sympathique sommelier m’a proposé une liqueur de yuzu au saké qui est rafraîchissante et digestive.

L’amitié ne se conçoit que si elle est fidèle. Je suis désolé de ne pas avoir été informé de l’indisponibilité de Christopher Hache que j’apprécie et avec qui j’ai une belle complicité. Mis devant le fait accompli, c’est avec Boris Campanella que l’aventure continue. J’ai vérifié que le dîner de fin janvier est en de bonnes mains.


un lustre du salon de thé

la salle de l’Ecrin, le nouveau restaurant gastronomique.

inutile de dire que je regrette l’ancienne salle où se tenait le restaurant gastronomique à la belle décoration de vrai et faux marbre, façon 18ème siècle, qui accueille maintenant le bar.

Visite des champagnes Henriot et déjeuner au restaurant Le Millénaire mercredi, 23 janvier 2019

C’est la première fois que je visite la maison de champagne Henriot, à l’invitation de son président, Gilles de Larouzière, qui est aussi président de la maison Bouchard Père & Fils et des autres domaines de son groupe. Nous visitons les salles où d’immenses cuves inox de 46.000 litres ou plus contiennent des vins en vieillissement, dont la fameuse Cuve 38 qui contient des champagnes de 1990 jusqu’à la dernière vendange et qui est soutirée selon les années de 3 à 20% de son contenu. C’est dans le même esprit que la technique de la solera par laquelle on ajoute dans un fût le vin de l’année qui compense ce que l’on vient de soutirer.

Béatrice, la responsable des relations extérieures, nous propose de goûter un verre du vin tranquille de la Cuve 38. Le nez est celui du champagne, alors que la bouche montre un peu de fleurs blanches mais surtout un caractère lacté. Tenant en main chacun notre verre, nous descendons dans les caves à 18 mètres sous terre. C’est toujours impressionnant et la réserve des vieux millésimes est ce qui fait battre mon cœur un peu plus fort.

Nous remontons et dans la jolie salle de dégustation j’ouvre le vin que j’ai apporté, Un Vin de l’Etoile de la Coopérative Vinicole de l’Etoile 1973, car j’aimerais que nous puissions vérifier s’il y a une fécondation possible entre ce type de vin et l’un des champagnes Henriot. Béatrice ouvre un Champagne Henriot Cuvée Hemera 2005 qui est le premier millésime de la cuvée phare de la maison Henriot et se substitue à la cuvée des Enchanteleurs. Cette cuvée est à parts égales en chardonnay et pinot noir, et composée uniquement de grands crus. Son ambition est d’être un vin lumineux comme la déesse Hemera est la déesse de la lumière du jour. Le champagne est frais, précis, mais je le trouve sacrément guerrier pour un vin lumineux. Il est d’une très belle expression, tendu, vif, et sera un vin de haute gastronomie.

Le Vin de l’Etoile de la Coopérative Vinicole de l’Etoile 1973 a une attaque curieuse, évoquant la pierre ronde d’un cours d’eau de montagne et des saveurs iodées. C’est dans le finale qu’il s’anime le plus, avec de beaux fruits jaunes mais aussi un peu de fruits rouge clair. Lorsque l’on revient au champagne, on s’aperçoit que le champagne est plus large, plus ample et la fécondation que j’aime se produit. Dans le sens inverse, lorsque l’on retrouve le vin du Jura, il n’y a pas de fécondation et le champagne n’arrive pas à rendre plus aimable l’attaque de ce vin qui brille surtout par son finale joyeux.

La neige vient de tomber sur Reims et nous allons déjeuner au restaurant Le Millénaire de Laurent et Thibault Laplaige. Nous avons pris la bouteille du 1973 avec nous et demandons la permission de la boire à notre table de deux, Gilles et moi.

Le menu que je choisis est : langoustines à la plancha, velouté de lentillons de Champagne aux châtaignes, espuma jambon de Reims / le turbot rôti, ravioles de poireaux ricotta et citron vert, émulsion champagne / tarte amande-mirabelle, poire pochée, gel tonka et sorbet mirabelle.

Gilles avait fait livrer une bouteille dont la forme m’est connue mais dont je ne vois pas l’année. Nous sommes servis et nous goûtons et Gilles me demande quelle est l’année. Je réfléchis et le premier chiffre que je propose est 1964. Gilles me tape dans la main : c’est 1964. Je ne suis pas peu fier. Le Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1964 combine une très grande vivacité avec une sérénité accomplie, toute en douceur. Le champagne est à la fois rond et profond et d’une personnalité extrême. Bu seul, on sent son dosage agréable et prononcé. Dès qu’il accompagne un plat, il gagne en tension.

Le vin du Jura lui aussi prend de l’étoffe avec les plats délicieux. Les langoustines sont d’une cuisson parfaite, les raviolis mettent en valeur la belle chair du turbot et le dessert convient idéalement au champagne. C’est une cuisine de très haut niveau. Le cadre est agréable et joli. Le service est un peu austère mais cette table me fait une excellente impression. Le patron dont Gilles me disait qu’il sort rarement de sa cuisine est venu nous saluer deux fois en cours de repas en souriant. Le Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1964 est un champagne de très haut niveau dans une gamme de goûts généreux qui correspondent à ce que j’aime le plus. Plus gourmand, je crois qu’il n’y a pas. Faudrait-il le garder à côté de la Cuvée Hemera ? Je ne dirais pas non, si c’est possible.

Les discussions ont été riches. Ce repas est un grand repas illuminé par un champagne d’exception dans une de ses plus belles années.


visite en cave

la fameuse cuve 38

la salle de dégustation

Déjeuner du dimanche avec un Vieux Château Certan mardi, 22 janvier 2019

Le repas du dimanche midi réunit mes deux filles et trois des quatre petits-enfants. A l’apéritif il y aura des petits fours préparés par une des petites-filles et du jambon Pata Negra. Je sers le Champagne Dom Pérignon 1988 que nous avions ouvert il y a deux jours et dont le défaut de bouchon avait disparu très rapidement. Qu’en est-il aujourd’hui ? La surprise est belle. La couleur est joliment ambrée comme l’autre jour, la bulle est beaucoup plus rare mais le goût est particulièrement bon. Il y a des fruits dorés de miel mais aussi des suggestions de fruits rouges et le tout combine charme romantique avec un message virilement affiché. Ce champagne est grand. Je n’en attendais pas autant.

Ma femme ayant annoncé des harengs marinés au curry et d’autres à la moutarde, le choix d’un vin était délicat aussi ai-je ouvert un Meursault Charmes Hospice de Beaune 1960 dont le vigneron est illisible. Je l’ai choisi en cave car la couleur est très claire, à travers la bouteille, et le niveau est parfait. A l’ouverture, dès que j’ai voulu piquer le bouchon avec la pointe du tirebouchon, il est immédiatement tombé dans la bouteille. J’ai rapidement carafé, mais un petit morceau du bas du goulot est tombé dans la carafe. Allait-il souiller le liquide ? Fort heureusement non. La couleur du vin est plus ambrée dans le verre que dans la bouteille et elle est jolie. Le nez est très pur et le liquide est bien intact. C’est un parfum très précis, de belle personnalité, qui annonce un vin de qualité. En bouche il y a une acidité très présente, ce qui va permettre au vin de se comporter très pertinemment avec les harengs aux goûts très forts. Après avoir mangé du hareng et apaisé son palais, on constate que l’acidité s’est apaisée et le meursault devient riche et élégant. C’est un vin fort agréable et qui tient bien sa place rafraîchissante et de belle longueur linéaire (on peut penser qu’une longueur serait linéaire, mais il arrive avec certains vins qu’elle fasse l’école buissonnière). Ce n’est pas le cas pour ce joli meursault.

Le plat principal est un agneau fourré avec un ail très présent, cuit à basse température, et un gratin dauphinois et des petits légumes. Le Vieux Château Certan Pomerol 1967 était emballé dans un fin papier bleu gris très foncé ce qui fait que l’étiquette est comme neuve. Le niveau est dans le goulot, sans la moindre perte de liquide. Le bouchon vient comme il faut même s’il se fend un peu et en le levant, je pensais que bouchon est neutre, ce qui n’est pas normal, mais en fait les impressions sont conformes et se sont affadies. A l’ouverture le nez était exceptionnel, promettant un vin de très haut niveau. Au service, le nez est impérial et impérieux. C’est un très grand vin. En bouche il est noble et ample, large, insistant, avec des notes de belles truffes. Mes filles se rendent compte qu’elles sont en face d’un vin qui a atteint un niveau de perfection rare. L’accord avec le plat est naturel.

Pour la galette des rois qui nomme roi mon petit-fils, je sers le Xérès La Merced Solera Sherry semi-dulce Bobadilla probablement des années 60 que j’avais ouvert à Noël et qui n’a pas perdu la moindre parcelle de son charme doucereux. Ce repas a été illuminé par un Vieux Château Certan 1967 de très haut niveau.

le meursault mis en carafe

Déjeuner au restaurant l’Ecu de France sans vin mardi, 22 janvier 2019

Une de mes petites-filles est seule avec ses grands-parents. Ma femme souhaite qu’elle découvre le restaurant l’Ecu de France, ce relais de poste à la décoration aux fleurs de lys et chargée d’histoire. Les repas cette semaine ont été tellement nombreux que je décide de ne pas boire, malgré l’intérêt de la carte des vins. Je vais saluer Peter Delaboss, le souriant chef d’origine haïtienne. J’adore l’exubérance que l’on sent dans ses plats.

L’amuse-bouche est un essai du chef à base de daurade crue, d’huître et de mille autres saveurs savamment jetées sur l’assiette. Il y a du peintre Matthieu dans sa création dynamique. C’est ce plat que ma femme préférera.

L’entrée est une soupe à l’oignon revisitée, avec de magnifiques coquilles Saint-Jacques. Le plat principal est pour chacun une sole de grande taille préparée de façon classique. Sagement nous n’avons pas pris de dessert car la cuisine du chef est généreuse.

En partant nous avons bavardé avec les propriétaires, la famille Brousse, père, mère et fils, et avec Peter toujours aussi souriant et inventif qui rêve en permanence à de nouvelles recettes. L’Ecu de France est un lieu où nous nous sentons bien.

ce plat est un comme un tableau du peintre Matthieu

Dîner de famille, champagne et alcools samedi, 19 janvier 2019

Mon fils et une de mes filles dînent à la maison. Le programme est de différentes préparations de harengs, au curry, à la moutarde et à la crème qui ne sont pas des amis naturels des vins. Il y aura ensuite un cœur de saumon fumé et du caviar osciètre que ma femme a achetés avant notre dîner à la Manufacture Kaviari.

J’ouvre un Champagne Veuve Clicquot Ponsardin rosé Brut Cave Privée 1978 dont la couleur rose est très prononcée. Ce rosé a une très belle personnalité. Il s’impose, carré, solide et percutant. Il accompagne à l’apéritif un tarama à l’oursin et l’accord se trouve bien. Avec les harengs, si l’on prend soin de calmer son palais avant de boire, on s’aperçoit que le champagne donne beaucoup de plaisir. C’est un rosé plus solide que charmeur. Il est grand.

Pour le caviar, un choix naturel est un Champagne Dom Pérignon 1988. Le nez du champagne est bouchonné, ce qui n’arrive quasiment jamais, et la bouche est aussi marquée par le bouchon, mais sans que ce soit rebutant. Le bouchon ne sent pas le bouchon, ce qui donne une lueur d’espoir. En une dizaine de minutes le parfum et le goût n’ont plus la moindre trace de bouchon. Alors, peut-on dire qu’il s’agissait de bouchon, qui est généralement un défaut très tenace ? Le champagne devient agréable sans être transcendant, alors que son année est l’une des plus belles.

J’ai rapporté pour ma fille, mais aussi pour nous quelques fonds de bouteilles. Il y a le Vin de Chypre 1870 d’un précédent dîner, large, puissant, à la belle acidité et au poivre affirmé.

Après lui, ce sont les restes du Marsala 1872 qui avait été servi aussi au château d’Yquem. Il est tout en douceur et évoque des fruits légers et variés. J’adore sa complexité car il est insaisissable. Il me plait beaucoup par la diversité de ses fruits suggérés.

Il restait beaucoup du Marc de rosé d’Ott 1929 qui se montre différent de ce qu’il avait montré à Rhône Vignobles et au Taillevent. Il paraît plus fort, plus marc avec beaucoup de charme. Lorsque les trois petits verres sont vides, on remarque à quel point les parfums de ces trois alcools sont forts, entêtants et vraiment différents. C’est très difficile de les hiérarchiser car le Malaga 1872 est le plus discret mais subtil. C’est sans doute le Chypre 1870 qui est le plus glorieux. Ces vins doux et alcools très anciens sont fascinants.

Déjeuner au restaurant Le Petit Sommelier samedi, 19 janvier 2019

Au dîner au château de Beaune qui précède la vente des Hospices de Beaune, j’avais rencontré un amateur de vin qui souhaitait que nous puissions continuer nos discussions autour du vin. Il suggère un déjeuner avec l’un de ses amis qui a eu un parcours professionnel ayant des étapes similaires aux miennes. Nous discutons du lieu et je propose le restaurant Le Petit Sommelier qui a l’une des plus belles cartes de vins de Paris.

Etant en avance j’ai le temps de consulter la carte des vins et le nombre de bonnes pioches est très important. Nous discutons à trois et l’accord se fait très vite sur deux vins. Nous choisissons nos plats. Pour moi ce sera : pâté en croûte et entrecôte.

L’ Hermitage Jean-Louis Chave Blanc 2002 a une jolie couleur de miel clair gorgé de soleil. Le nez m’évoque du fumé alors que pour mon ami c’est le tabac qui est en avant-scène. Le vin est riche, ample, gras, et le fumé lui apporte une force de conviction. C’est un grand vin gastronomique, solide et indestructible. Avec le pâté en croûte l’accord est une évidence. Ce vin a une très belle longueur.

Le Nuits Saint Georges Clos des Forets Saint-Georges 1er Cru Domaine de l’Arlot 1999 a une couleur à peine violacée. Le nez est d’un charme confondant, car tout est suggéré, subtil comme un nocturne de Chopin. En bouche, le vin est délicat, élégant, et c’est un vin qui fait aimer la Bourgogne, si riche en subtilités. Le vin est si jeune qu’on ne peut imaginer qu’il a un peu plus de 19 ans. C’est un régal. Il vit sa vie sans chercher à copiner avec l’entrecôte.

J’ai pris dans ma musette le reste de la bouteille du Vin de Chypre 1869 que j’avais fait goûter au Taillevent à un groupe de grands professionnels du vin. Le dessert avec des fruits délicats convient magiquement à ce vin qui éblouit mes convives. Ils n’imaginaient pas qu’à 140 ans un vin puisse avoir cette puissance et cette présence. L’acidité du vin est très forte et sa persistance aromatique est infinie. Pour un vin doux, il est sec comme un Xérès et frais. C’est une apparition divine. La délicieuse Manon qui a fait le service des plats et des vins mérite de goûter ce breuvage qu’elle décrit avec pertinence.

Déjeuner au Petit Sommelier, c’est un plaisir assuré.

Dîner de chef de Yannick Alléno à la Manufacture Kaviari jeudi, 17 janvier 2019

Karin Nebot, qui gère la Manufacture Kaviari a créé le concept « dîner de chef », prêtant les locaux de la manufacture à un chef qui fait un menu où le caviar joue un rôle. Des chefs prestigieux et étoilés se sont succédé et ce soir le chef qui officie est Yannick Alléno qui a trois étoiles gagnées à l’hôtel Meurice et s’exprimant pleinement au Pavillon Ledoyen.

Yannick avait fait la cuisine notamment de mon 50ème dîner et de mon 200ème et j’ai pour sa cuisine une grande admiration. L’engouement lié à sa présence est tel que la table habituelle n’est plus la seule car on a dressé en cuisine une autre table. J’ai invité deux amis pour fêter les succès de l’un d’entre eux et ma femme est avec moi.

Nous prenons l’apéritif debout avec un Champagne Billecart-Salmon Brut qui sera le champagne qui accompagnera toute la soirée, servi en magnum puis en bouteille. Ce champagne très agréable et sans aspérité est le compagnon parfait des différentes cuisines de ces événements. A l’apéritif le caviar est présenté sous trois formes d’amuse-bouche. La préparation avec de l’artichaut met moins en valeur le caviar. Celle au hareng est divine.

Le menu composé par Yannick Alléno qui est présent avec plusieurs personnes du staff du Ledoyen est : jus de courge et fine gelée, crème à la noix de muscade / tarte de langoustine aux grains de caviar, traditionnel beurre blanc / poularde de chez Tauzin, pain charcutier, vinaigrette au gingembre et à la truffe noire, blanc poché, extraction maïs de cime de rapa, porridge de céleri et œuf conservé à la chaux, moutarde / fuseau au caramel et truffe / mignardises.

La gelée est divine et j’ai rarement goûté une aussi belle mise en valeur de l’oursin. Ce plat est d’une subtilité inouïe et plante le décor : on sait qu’on est au sommet de l’excellence. La tarte est sacrément copieuse et le caviar est généreusement dispersé sur la tarte à la feuille d’or. Cette tarte est d’une légèreté rare. Le pain charcutier est très original et gourmand, le porridge de céleri fait voyager dans des saveurs peu fréquentes et la chair de la poularde est d’une tendreté irréelle. La sauce est superbe et magnifie la volaille. Elle est dotée d’une belle dose de caviar osciètre. Ce plat est d’un niveau exceptionnel.

Le fuseau au caramel est gavé de truffe de forte présence et la petite tarte finale est légère.

Ce repas est au niveau le plus haut de la gastronomie, mais le cadeau le plus beau de cette soirée est que Yannick Alléno est venu s’asseoir à notre table pendant un temps très long et nous a émerveillés par ses considérations sur l’histoire de la cuisine, sur les sauces qui sont un élément essentiel de la cuisine et sur l’extraction sur laquelle il a abondamment travaillé. L’entendre expliquer le sens de sa cuisine est un plaisir qui surpasse le plaisir de son repas même s’il est d’un niveau exceptionnel. Yannick est resté longtemps et a bavardé avec tout le monde. Son ouverture d’esprit est rare. Ce fut sans doute le plus beau repas auquel j’ai assisté à la manufacture Kaviari et un moment précieux. Vive les « dîners de chefs » Kaviari.


la table habituelle

la table nouvelle installée dans la cuisine

préparatifs d’apéritif

Yannick Alléno s’amuse avec Karin Nebot

Dîner de vins en 9 au restaurant Taillevent jeudi, 17 janvier 2019

Olivier Bernard, l’heureux propriétaire du Domaine de Chevalier m’appelle et me dit : « j’aimerais que tu viennes dîner au Taillevent avec quelques personnes du monde du vin et Thierry Gardinier. Nous serons onze ». C’est sibyllin. Je m’étais imaginé qu’il s’agissait des vignerons qui ont avec lui racheté Guiraud, mais pas du tout. Je connais Thierry Gardinier dont la famille est propriétaire entre autres du Taillevent et des Crayères, Jean-Philippe Delmas dont son père et son grand-père, comme lui, « font » Haut-Brion et à part un ou deux autres, les convives me sont inconnus, consultants de domaines vinicoles, propriétaires ou ex-propriétaires de domaines fameux, négociants ou courtiers, et sans doute d’autres professions. Ce petit groupe d’amis a trente ans et pour fêter ces trente ans, tous les vins de ce soir fournis par les membres doivent avoir un millésime en « 9 ». Lorsqu’Olivier m’a annoncé la règle j’ai dit que j’apporterais un vin en 9 qui serait sans aucun doute le plus vieux. Olivier me répond : « pas sûr ». J’en étais sûr…

Le Champagne Egly-Ouriet Brut Grand Cru magnum millésime 2005 est bu debout dans le joli salon chinois du premier étage du restaurant Taillevent. Antoine Pétrus qui nous accueille participe au service du vin et les petites joutes verbales entre Thierry Gardinier et Antoine sont savoureuses. L’ambiance est à rire et à s’amuser. Ce champagne manque de cinglant. Il est un peu lourd, un peu farineux et manque de longueur, ce qui est étonnant pour un champagne de cette maison si réputée. Il s’anime un peu sur les petits fours.

Le menu préparé par David Bizet chef qui a été photographié avec tout le groupe est : fines feuilles d’artichaut, truffe noire, oignons doux caramélisé au madère / saint-pierre au plat à la poutargue, jus de crevette grise à la clémentine / consommé de poule faisane, raviole de foie gras / dos de chevreuil rôti au miel d’acacia, épaule confite, salsifis à l’ail maturé / fromages affinés / fruits exotiques en Pavlova à la crème cru rafraîchie aux herbes.

Nous passons à table et l’usage de ces amis est que l’on goûte à l’aveugle. Nous commençons par une difficulté, car la table se divisera en deux clans qui désignent soit bordeaux soit bourgogne et je ne répondrai pas car je suis perplexe. Le Château Haut-Brion blanc 1989 est en effet déroutant car il a un gras et une épaisseur qui ne sont pas faciles à situer en bordelais. Le vin est intense, profond. C’est un grand vin mais difficile à situer. Le plat est un peu compliqué, et si la truffe est sublime de goût, il y a une acidité un peu dérangeante et des goûts trop nombreux.

Le sublime saint-pierre à la chair parfaitement mise en valeur accueille deux vins. Si la Bourgogne a été facilement trouvée, personne, je crois n’a reconnu chablis. J’ai eu la chance d’être le premier à reconnaître Leflaive dans le deuxième vin. J’avais trouvé l’année du Chablis Grand Cru Valmur domaine François Raveneau 2009 à la couleur car elle est si blanche qu’elle ne peut appartenir qu’à l’année 2009. Le vin est vif, puissant et d’un charme certain.

Le Bienvenues Bâtard-Montrachet domaine Leflaive 1989 a des accents de Bâtard et une épaisseur qui appartient aux vins du domaine Leflaive. Il est solaire, chaud et joyeux.

L’avantage d’un consommé est qu’il réchauffe le palais qui devient plus accueillant. A la couleur, j’aurais bien dit que le Château Brane-Cantenac Margaux 1959 serait de 1929. En fait c’est un grand vin qui fait plus vieux que son âge, car un 1959 devrait être plus fringant. Il est quand même de belle tenue.

Le Château Lafite-Rothschild Pauillac 1979 accompagne aussi le consommé. Il est superbe et je n’aurais pas reconnu Lafite, partant sur une direction plus au sud du médoc, juste en dessous. Ce 1979 est beaucoup plus grand que les Lafite 1979 que j’ai pu boire. On dirait qu’il a enfin atteint sa grandeur. Il est brillant. Il a beaucoup de douceur cohérente.

Sur le chevreuil très bien exécuté et de belle chair, il y a trois vins et Olivier nous demandera de les hiérarchiser. Les vins sont de la même année alors que j’aurais eu tendance à penser que le troisième est beaucoup plus vieux que les deux autres. N’ayant pas pris de notes, ce qui est mon habitude, ma mémoire est trompée par le fait que j’ai pu partir dans de mauvaises directions à l’aveugle, or ce sont les premiers contacts avec un vin qui s’impriment dans ma mémoire. Ce que je sais, c’est que j’ai été très impressionné par le deuxième vin servi, le Château Pichon Longueville Comtesse de Lalande Pauillac 1989, qui me semble être un bordeaux parfait, d’un équilibre rare. J’ai classé ensuite le premier vin servi, le Cos d’Estournel Saint-Estèphe 1989, vin de très belle énergie et en troisième le troisième servi, le Château Kirwan Margaux 1989 dont des amis ont dit qu’il souffrait d’un léger défaut. Mais globalement cette série de trois est idéale pour la chair gourmande du chevreuil. Olivier nous dit que le Cos est globalement classé légèrement devant le Pichon.

Le Château La Mission Haut-Brion Pessac Léognan 1989 a été séparé des autres 1989 car Jean-Philippe Delmas ayant eu une brutale envie de prendre un deuxième service de purée de pomme de terre à la truffe, nous en avons tous profité avec ce vin. Nous n’avons pas pensé à le classer avec les trois précédents, mais je le mettrais volontiers deuxième derrière le Pichon 1989.

Le saint-nectaire est accompagné de deux superbes vins, le Château Léoville Poyferré Saint-Julien 1929 peut-être un peu plus vieux qu’il ne faudrait et le Cos d’Estournel Saint-Estèphe 1929 qui confirme la grandeur de cette année mythique.

Pendant tout le repas, Thierry Gardinier nous a impressionnés par sa capacité à reconnaître les vins. Toutes ses pistes ont été cohérentes. J’ai assez souvent vasouillé et voici que la chance me sourit. Quand le vin est servi, je dis que la couleur est certainement de 1929. Je hume, je bois, et j’annonce : ‘suivons la première idée qui vient, et je pense que c’est Coutet 1929’. L’apporteur de ce vin me regarde étonné et confirme qu’il s’agit du Château Coutet Haut-Barsac 1929. Son nez est miraculeux. Il a un gras superbe et une profondeur merveilleuse. C’est un immense sauternes.

Ma gloire warholienne ne dura qu’une seule minute car je n’ai même pas reconnu le Château Climens Barsac 1979, car mon palais n’était pas préparé à un vin aussi jeune après le Coutet. Une fois que je l’ai su, je m’en suis voulu de ne pas avoir reconnu ce vin que j’adore. Le dessert est superbe pour accompagner les liquoreux, et s’est remarquablement marié au Coutet.

C’est alors qu’apparaît mon vin que je débouche devant mes honorables convives, un Vin de Chypre 1869. C’est une merveille et je suis content que tous l’aient apprécié. C’est une bombe de poivre. C’est un vin doux naturel mais il est sec comme un Xérès. Il a des notes légères de réglisse, et une persistance en bouche infinie. Sa couleur combinant un or jaune ensoleillé et un or acajou est belle comme celle d’une pierre précieuse aux multiples facettes.

J’avais ouvert hier un Marc de rosé d’Ott domaine d’Ott 1929 qui apparaissait d’une douceur infinie à côté du très viril marc de champagne Oudinot des années 20. Quelle n’est pas ma surprise de voir cette honorable assemblée ressentir ce marc comme très fort. Il est en effet très titré en alcool mais il est doux tant on est sur des fruits frais. Il a beaucoup plus de charme que lorsque je l’ai bu hier. Il est tout velours.

Je pensais n’être qu’un convive parmi d’autres mais on m’a beaucoup fait parler et je pense avoir un peu étonné ces grands connaisseurs de vin lorsque j’ai parlé de vins de plus d’un siècle, qui donnent à ma vision du vin une certaine profondeur de champ. Tous ont été à mon égard d’une extrême gentillesse.

Le service du Taillevent est exemplaire. Antoine Pétrus a eu l’occasion ici et là de nous montrer l’étendue de son savoir. Thierry Gardinier m’a impressionné par sa capacité de goûter à l’aveugle. Le saint-pierre m’a ébloui. Une gentille querelle a été lancée sur le thème ‘carafer ou ne pas carafer’ les vins anciens. Ces hommes du monde du vin sont de grands enfants.


Mon apport de vins en 9

comme il n’y a pas d’étiquette pour le Chypre 1869, j’ai photographié, pour preuve, la zone où je garde les Chypre 1869

Notre honorable assemblée avec le chef au milieu

les vins

la beauté des couleurs des vins sur table