Le Salon des Grands Vins constitue l’un des événements majeurs de la dégustation publique de vins de prestige. Je vais en raconter quelques petites anecdotes.
A l’entrée, une table artistiquement luxuriante dont le charmant désordre a été créé par Pascal Morabito. Une autre table à l’ordonnance plus orthodoxe butinée par des papillons, structurée sur des couverts et vaisselles de haute qualité. Tout cela crée une ambiance de fête de haut niveau qui sied au message des producteurs présents.
Des conférences passionnantes où les producteurs sont plus techniques que jamais et les experts plus experts que jamais. La générosité de certains domaines est quasi sans limite. Des Cheval Blanc de très bonne facture (96/98) et un second vin 2000 qui n’était pas à mon goût : les grands Bordeaux qui veulent imiter le Roussillon ou le Chili ne seront pas forcément gagnants (question de goût personnel). Un Mouton-Rothschild 1970 délicieux de finesse et d’intelligence, suivi de Mouton intermédiaires variables (le 86 est encore fermé, le 98 se forme), puis un Mouton 2000 totalement époustouflant. Ce Mouton a la marque du génie à l’état pur. Ce vin aura tout pour lui tout au long de sa longue vie. Un Fargues 1989 délicieusement accompli, qui offre déjà tout le plaisir qu’il va délivrer sur le siècle à venir, plus généreux et plaisant que de si aimables Sauternes si généreusement offerts aux palais des visiteurs. Petite mention pour Malle qui a présenté un très bon vin, Lafaurie Peyraguey toujours aussi typé et La Tour Blanche si élégant. Daumas Gassac 1988 splendide de justesse : il est des modes qui sont fondées sur du solide. Et puis, quand le Président du champagne Salon est venu sur mon stand, c’est comme si Zinédine Zidane venait me rendre visite ! A sa conférence, un champagne Delamotte tout en ésotérisme de message, et un Salon 1985 de rêve : toute la subtilité du champagne qui vous bouscule d’arômes iodés si complexes. J’ai goûté relativement peu de choses et au gré du hasard. Mon classement est le suivant : en 1 Mouton 2000 éblouissant, en 2 Salon 1985 parce que je suis accro, en 3 Fargues 1989 vin de grand plaisir et en 4 Daumas Gassac 1988 parce que ces efforts méritoires doivent être signalés. Ce qui ne m’aura pas empêché de goûter avec bonheur les Maury de Mas Amiel, des Sauternes de belle tenue, des Cheval Blanc bien faits. Faute de temps, j’ai raté l’Angélus et Domaine de Chevalier !
Le stand wine-dinners (je l’ai décidé par curiosité, c’est si loin du métier de mon autre vie) avait été décoré par une jeune artiste. Il fut remarqué. Les visiteurs avaient le plus souvent peur de ce qu’ils considéraient comme un luxe inaccessible, sauf les jeunes qui s’émerveillaient d’une idée si éloignée de leurs prochains loisirs, mais de très nombreux contacts ont été noués. Nicolas de Rabaudy m’a fait la gentillesse de me faire parler pendant une heure sur les vins anciens. J’ai fait goûter un Saint-Raphaël # 1935, un vieux grenache # 1930, un Banyuls au vieux Rancio rouge # 1920 et un blanc des mêmes années, et un Xeres Amantillado sec (oui) des années 1950. Ce fut une révélation, même pour des palais aguerris.
Comme l’année dernière, un gentil petit monsieur à qui l’on donnerait trois sous vint me voir avec dans son petit panier un Barsac 1920, enveloppé dans une vielle serviette éponge, qu’il veut vendre pour un prix qui est à peu près dix fois le prix que je paierais. Je le reverrai sans doute l’an prochain, promenant à nouveau son trésor. Mes achats pendant ce salon furent plutôt atypiques par rapport à ceux des visiteurs puisque des experts, sachant que j’étais là, m’ont attendri avec un Gilette crème de tête 1945 et un Château Lafite Rothschild 1869 en très bon état.
A la conférence sur Cheval Blanc, on a parlé du mythe : Cheval Blanc 1947 que j’ai eu la chance de boire de nombreuses fois. J’ai demandé à Madame de Labarre de m’accompagner sur mon stand pour voir le magnum de 1947 que j’exposais (vide bien sûr à cause des sunlights). Madame de Labarre, ancienne propriétaire de Cheval Blanc, qui a le souvenir d’un goût de banane dans ce 1947, a délicatement posé sa main le long de la bouteille pour me montrer que le blason de sa chevalière était le même que celui de la bouteille. Ce geste charmant m’a procuré une émotion rare. J’ai fait peu après une photo de la beauté de ce geste si porteur de pensées émouvantes sur les aléas de la propriété des grands châteaux.
Madame de Lancquesaing fit une conférence brillante comme chaque fois. Elle est le bonheur de tout intervieweur qui peut se mettre en RTT, et d’un auditoire qui boit ses paroles aussi brillantes et historiques que ses vins.
L’anecdote la plus amusante est sans doute celle-ci : les dégustations faites aux conférences nécessitent un long travail de préparation : mise à la bonne température, ouverture, service en verres. Les châteaux éliminent les bouteilles imparfaites. Le lendemain de la conférence sur Mouton, un ami sommelier m’apporte une bouteille de Mouton 1970 et une de Mouton 1986 écartées pour goût de bouchon. Elles avaient bien évidemment perdu tous leurs infimes défauts (le goût de bouchon s’évapore) après une nuit d’oxygénation. Sur le stand, nous avons déjeuné d’un sandwich arrosé de Mouton 1970. Quand des visiteurs demandaient ce que nous faisions, je répondais que je considérais que sur un sandwich il était inconcevable de boire autre chose que Mouton 1970. J’en plaisantais, j’en suis maintenant convaincu.
Fatigués par ces longues journées sur le stand, nous sommes allés dîner au restaurant « chez Pauline » où, sur une honnête cuisine bourgeoise assez traditionnelle nous avons appauvri la cave de leur dernier Château Latour 1978, un vin délicieux, si juste, si jeune et étonnant, car il ressemble à un vin de 1998 qui aurait été fait par Michel Rolland. C’est d’un modernisme précurseur rare pour cette année, tout en ayant la perfection que l’on attend et aime chez Latour.
J’ai été vraiment impressionné par la qualité des conférences (lorsque je pouvais quitter mon stand), par la générosité des domaines et châteaux, par la qualité de la manifestation qui fait honneur à l’élite du vin français. Le journaliste et les experts ont été les propagateurs d’une masse d’informations passionnantes qui nous faisaient vivre l’histoire des domaines que nous adorons. J’ai pu partager des moments intenses avec des grands noms du monde du vin qui me font le plaisir d’encourager ma démarche de mise en valeur de leurs plus nobles réalisations. Cerise sur le gâteau, j’ai eu un reportage sur ma passion qui est passé au journal de 13 heures de France 2.
J’ai une fois de plus enrichi mon livre de souvenirs avec un bouquet rare de moments précieux.
Ce salon 2003 fut à mes yeux une belle réussite, même si pour plusieurs domaines on y vend moins que dans d’autres foires ou salons. Mais c’est le prestige et l’image du vin français qui sont ici défendus d’élégante façon.