La journée du centième de mes dîners commence par une visite impromptue à la cave d’Anselme Selosse. Les champagnes Jacques Selosse sont des vins de vignerons, qui parlent la langue de leur auteur. Ce sont des vins engagés. J’ai goûté des vins comme « initiale » ou « version originale », puis le 1998 et enfin le « Substance » que j’adore. Ces champagnes sont typés, expressifs. Ils ne laissent pas indifférents.
Je me rends ensuite au château de Saran où l’on m’a préparé un petit encas que je mange sur une table dressée sur une terrasse au soleil, car nous vivons la première journée qui ressemble réellement au printemps, après la morne grisaille des deux derniers mois. Ce déjeuner frugal est accompagné du champagne Dom Pérignon 2000 que je n’avais encore jamais vu, car il est né ce mois-ci. La première impression est légère et aqueuse. Mais j’ai encore en bouche la mémoire de Substance de Selosse. Dès que je commence à manger je prends conscience que ce champagne est un partenaire idéal de gastronomie. Je lui souhaite longue vie.
Tout au château de Saran respire l’esprit de service. Jean Berchon, l’homme grâce auquel j’ai eu la chance de pouvoir organiser le centième dîner en ce lieu, me rejoint dans la magnifique salle à manger pour assister à l’important moment de l’ouverture des bouteilles. Nous commençons par une séance de photos de l’impressionnante série de vins. Les bouchons se brisent souvent lors de leur montée, mais je réussis à ne laisser tomber aucune particule dans les précieux liquides. Les plus belles odeurs sont d’abord, évidemment, le vin de Chypre 1845 et l’Yquem 1904 absolument envoûtants de perfection olfactive. Ensuite, ce sont la Romanée-Conti 1972 et le Pétrus 1953. L’odeur qui me fait le plus hésiter est celle du Margaux 1959. Celle du Vosne-Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1987 est assez neutre. Celle du blanc vieux d’Arlay 1888 est impériale de sérénité.
J’ouvre aussi les vins tranquilles de la maison Moët dont le bouchon a la tête fendue en deux pour caler l’agrafe qui assure la solidité du bouchage. Pour certains d’entre eux, le métal tombe en poussière, l’agrafe réduite en poudre ne jouant plus aucun rôle. Je réussis à ouvrir tous ces bouchons alors que c’est un type de bouchage que je rencontre rarement.
Je rejoins mes amis au rendez-vous qui est donné au siège de Moët & Chandon pour une visite des caves. Jean Berchon explique l’histoire des familles dont il est un des descendants et c’est une hôtesse polonaise qui nous fera arpenter une infime partie des 28 kilomètres de cave. Nous visitons ce qui peuple mes rêves, les casiers des anciens millésimes d’années mythiques que j’espère un jour explorer.
En convoi serré nous nous dirigeons vers le château de Saran. Nous rejoignons nos chambres pour nous préparer. Les femmes seront belles, leurs maris élégants. Nous allons vivre un repas qui marque un moment rare de gastronomie.