La Tour Blanche est un sauternes que j’apprécie pour son goût, mais aussi pour la fabuleuse histoire d’Osiris, mécène comme on n’en faisait qu’au 19ème siècle. Banquier, il a acquis La Tour Blanche en 1876 et en a fait don à l’Etat à la condition qu’on y construise une école de viticulture et de vinification. Elle accueille aujourd’hui 140 élèves par an. Osiris a créé l’ancêtre des restos du cœur, a été le plus généreux donateur de l’Institut Pasteur, a restauré pour en faire don à l’Etat la Malmaison. Bien sûr, il y avait dans cette générosité un intense besoin de reconnaissance, mais les dons sont concrets et d’une ampleur impressionnante. Alors, en buvant La Tour Blanche, je trinque à cet homme atypique, controversé peut-être, mais diablement généreux.
Didier Fréchinet responsable commercial, m’accueille à l’aéroport et me conduit au château La Tour Blanche. Nous faisons une petite visite du site de l’école d’où l’on a une vue qui s’étend à l’infini et surplombe le Ciron, le fameux cours d’eau qui est responsable de l’apparition du trésor du sauternais, la pourriture noble. Nous visitons les chais puis nous nous rendons dans une salle de dégustation très cosy où se regroupent Alex Barrau, directeur du château, Didier, Philippe Pélicano maître de chai qui travaille au château depuis 2001 et dont le premier millésime géré seul est le 2012. Se joint aussi Adeline, jeune stagiaire dont c’est le dernier jour de stage.
Château La Tour Blanche 2012 est un vin dont l’assemblage vient d’être fait hier, en vue de la semaine des primeurs du début avril. La couleur est d’un jaune vert et le vin est un peu trouble. Le nez est très pur, très frais, de très grand niveau. La bouche est lourde au sucre fort et dominant. Le vin est gourmand, mais il faudrait que le sucre se calme. Le goût qui reste en bouche, c’est le sucre. Aux experts de dire ce que ce bambin aux yeux à peine éveillés deviendra. Son nez est un signe positif de grandeur.
Château La Tour Blanche 2009 est fortement bouchonné. Elle est remplacée par une deuxième bouteille. Le nez est discret mais on sent un vin intense. La bouche est superbe, suave, d’un vin riche, sucré mais beau. Sa fraîcheur est invraisemblable et il est diablement bon. Quel dommage ! Car il est si goûteux que les amateurs vont le boire trop tôt, alors qu’avec quelques décennies de plus il sera immense. Tout est réuni pour faire un vin d’anthologie.
Château La Tour Blanche 2001 a un nez qui n’est pas parfait, d’iode, de camphre et si l’attaque est belle, le final est trop marqué. Aussi, Philippe va chercher une deuxième bouteille au nez un peu marqué, mais nettement meilleur. En bouche l’attaque est belle de caramel, de crème de lait et le final est sur les fruits confits. Il y a une belle fraîcheur mais je préfère le 2009. Ce 2001 n’est pas un vin de plaisir. Il faut le garder en cave pour qu’il trouve sa voie. Le 2009 donne une plus grande impression de fraîcheur. Et son final claque.
Château La Tour Blanche 1986 a une couleur claire, peu évoluée. Son nez a aussi une pointe de camphre. La bouche est très douce, raffinée, avec des fruits jaune clair. Le parcours en bouche est beau mais le final n’est pas assez précis, trop rêche.
Château La Tour Blanche 1983 a une couleur plus foncée, d’un bel or intense. Le nez a un soupçon d’animal et le pain d’épices est plus nettement marqué. Le vin est opulent, frais, de belle ampleur en bouche. Il est équilibré, au final un peu en dedans mais beau. Le 1986 s’améliore par l’aération, le 1983 est vaillant, solide sur ses jambes, au final court mais solide aussi. Il y a beaucoup de similitudes entre le 1986 et le 2001. Le 1983 devient nettement meilleur et son final s’allonge. Il convient de signaler que chacun des vins que nous buvons est ouvert au moment même. Il aurait beaucoup plus d’ampleur avec quelques heures d’aération lente.
Château La Tour Blanche 1967 a une couleur d’un ambre très clair. Le nez est frais, de fruits confits. Le vin est noble. Il est doux, élégant, au beau final. C’est un grand vin. Si son final est un peu sec, c’est à cause de sa minéralité. Alex évoque deux cailloux que l’on frotte. De ce vin de grande fluidité on aimerait ne garder que l’attaque pour oublier le final et ne rester que sur la première impression.
Château La Tour Blanche 1962 est plus sombre d’un très bel or foncé. Le nez est minéral. En bouche, c’est une merveille. Le sucre affleure, mais sur un nuage de bonheur. Riche, à la forte impression sucrée, à l’alcool marqué, il dégage une impression de luxure. Le final de ce vin voluptueux est beau. Le caramel et le zeste d’orange sont là, sur un alcool présent. Il y a dans le 1962 un infime côté liégeux que Philippe avait remarqué mais n’osait exprimer pour nous laisser libres de le découvrir. J’aime son côté atypique.
Château La Tour Blanche 1957 a un nez très Tour Blanche. Comme dirait Audiard, la bouche, elle cause. J’adore ce vin qui n’est pas orthodoxe. Il a un final magique. On sent les pomelos, le vin est légèrement acidulé, marqué par une forte tension. Son final rebondit sans cesse. Il est vivant, vibrant et claque comme un fouet. Ce vin de fraîcheur a le plus beau final.
Château La Tour Blanche 1950 a une couleur qui va plus vers le thé. Le nez est discret, retenu. Le vin est de grande pureté, très équilibré et très intégré. C’est un vin noble, serein, calme, avec un beau final. C’est le bon élève, droit dans la définition d’un sauternes accompli. Il a une très grande fraîcheur même si on sent un peu l’alcool. Le 2001 est nettement meilleur maintenant et devient ce que 2001 doit être.
Voici nos classements. Alex : 50 62 57 67 83 86 09 01 12. Didier : 62 83 50 57 67 86. Philippe : 57 62 83 67 50 86. Adeline : 62 50 83 57 67 86. Mon classement : 57 50 62 83 67 86 09 01 12.
Nous sommes unanimes pour mettre le 1986 en dernier des anciens, mais avant cela, nos préférences divergent. C’est le goût de chacun. Alors que nous avons adoré le 2009 si agréable à boire, lorsqu’on le boit après les 1957 et 1950, il paraît dénué de toute complexité ! L’avenir est au sauternes vieux. Ce devrait être un dogme.
Nous nous rendons au restaurant le Saprien à Sauternes, qui a changé de propriétaire depuis ma dernière visite. Le menu que nous sommes plusieurs à prendre est un duo de foies gras, puis un ris de veau et une variation sur le thème de fromages à pâte persillée.
Château La Tour Blanche 1990 est d’un équilibre rare. Il évoque le 1950 par son côté très archétypal. Il n’a pas l’ombre d’un défaut. C’est un splendide sauternes.
Château La Tour Blanche 1948 est d’un bel or. Le nez est d’orange amère. La bouche est éblouissante. C’est vraiment le plus grand de tous. C’est le seul à avoir un final mentholé. Le nez est de menthe et d’anis. Le vin est merveilleux. Il est beaucoup plus puissant que ce qu’on imaginerait d’une année qui souffre de sa proximité avec des années de légende. En fait il est magique d’équilibre et de sérénité. Il a beaucoup d’émotion et de plénitude. Il est orange confite, avec une grande pureté d’expression et beaucoup de cohérence.
Château La Tour Blanche 1947 est très café. Il a plus de fraîcheur mais aussi plus d’amertume. Il est très complexe et moins charmeur que le 1948. Le 1947 fait penser au 1957 et crée un accord magique avec le ris de veau.
Château La Tour Blanche 1943 a été ajouté parce que c’est le vin de mon anniversaire. J’apprécie cette délicate attention. Il est d’un bel or. Le nez est calme. Le vin est sec et j’explique à mes hôtes que je suis habitué aux sauternes qui ont mangé leur sucre et que j’apprécie leurs charmes particuliers. On sent que la « matière vineuse » de ce sauternes sec est magnifique. C’est un très grand vin noble.
Des quatre vins de ce déjeuner, ce sont les 1990 et 1948 qui sont les plus équilibrés. Le 1990 a des saveurs exotiques. Je classe les vins ainsi : 1948, 1990, 1947 et 1943. Et ces quatre vins se classeraient en tête, si l’on combinait les deux séries, le 1957 pouvant se situer presque à égalité avec le 1943.
Quels commentaires ajouter ? Nous avons rencontré sur quelques vins de la dégustation du matin des imperfections olfactives ou dans le final alors que les quatre vins du déjeuner frappent par leur absolue pureté. Dans chaque décennie, les écarts entre les vins présentés sont importants, sauf pour la décennie 40 où les vins sont beaucoup plus proches et cohérents. Les 1947 et 1948 sont deux vins magistraux et proches.
Cette verticale de treize vins de la Tour Blanche est un honneur pour moi dont je suis reconnaissant. Ce fut un exercice apprécié par mes hôtes car ce fut pour eux une belle occasion de revisiter l’histoire de leur grand vin. Ce grand moment a apporté de l’eau au moulin de mes convictions : plus un sauternes est ancien, meilleur il est. Longue vie à La Tour Blanche, un grand sauternes.
le 2012 est dans un flacon de 2007, à gauche ci-dessus
déjeuner au Saprien