La 14ème séance de l’académie des vins anciens s’est tenue au restaurant Macéo. La gestation de cette réunion fut lente, mais plus structurée que lors des réunions précédentes et nous avons rassemblé le plus grand nombre d’inscrits : 48. L’apport étant de 58 vins, pour la première fois nous avons pu créer quatre groupes de dégustation, chaque participant ayant accès à 14 ou 15 vins, auxquels s’ajoutent ceux qui s’échangent assez naturellement entre les tables. Voici les vins répartis en quatre groupes, dans l’ordre de service :
Groupe 1 : Champagne Europe Fleury 1990 magnum – Meursault Perrières 1964 R.Ampeau – Chante-Alouette Hermitage blanc M. Chapoutier 1959 – Château Lafite-Rothschild 1970 – Château Montrose 1955 – Château Malescot Saint-Exupéry 1934 – Château La Mission Haut-Brion 1988 – Clos de Vougeot Château de la Tour Morin P&F (2 1/2 bt) 1947 – Clos Des Mouches Joseph Drouhin 1959 – Vega Sicilia 1936 – Beaulieu Vineyards Georges de Latour cabernet sauvignon 1960 – Château Pion Monbazillac 1973 – Château Haut-Sarpe Sauternes # 1896.
Groupe 2 : Champagne Europe Fleury 1990 magnum – Champagne Veuve Pommery Brut "25ème année de règne de SAS le Prince Régnier III " 1974 – Agneau Blanc de Mouton Rothschild Graves 1948 – Meursault du Château de Meursault (propriété du Comte de Moucheron) 1969 – Chassagne Montrachet blanc Soualle et Bailliencourt 1948 – Château du Cauze Saint Emilion Grand Cru 1985 – Château Saint Martin Médoc 1964 – Château Montrose 1960 – Château Margaux, Margaux NM # 1931 – Gevrey-Chambertin Bouchard P&F 1962 – Santenay Dufouleur négociants 1955 – Chateauneuf-du-Pâpe Bessac Monopole 1938 – Barolo anno 1958 – Château Suduiraut 1975 – Malaga Lagrima Scholtz Hermanos début des années 30.
Groupe 3 : Champagne Europe Fleury 1990 magnum – Champagne Nicolas Feuillate 1982 – Agneau Blanc de Mouton Rothschild Graves 1948 – Clos de la Coulée de Serrant N. Joly 1983 – Arbois rouge Domaine de la Pinte 1961 – Château L’Eglise-Clinet 1971 – Château Grand Corbin Despagne 1961 – Château Lagrange St Julien 1943 – Nuits Saint Georges Pierre Gruber 1974 – Beaune Bressandes Joseph Drouhin 1955 – Vega Sicilia 1940 – Château Suduiraut 1975 – Ste Croix du Mont Château Bel-Air La Mouleyre 1er Cru 1964.
Groupe 4 : Champagne Europe Fleury 1990 magnum – Champagne brut Ayala, années 70 – Arbois blanc Fruitière Vinicole d’Arbois 1961 – Château La Rose-Pourret Saint Emilion Grand Cru 1983 – Château Haut-Brion rouge 1963 – Château Haut-Brion rouge 1970 – Château Dupeyron Margaux 1982 – Château de Sales 1949 – Nuits Saint Georges Pierre Gruber 1974 – Santenay Clos de Tavannes 1959 – Clos des Papes Chateauneuf-du-Pape 1975 – Vega Sicilia 1953 – Sainte Croix du Mont Château Lamarque 1969 – Saint-Raphaël Quinquina vieux # 1950.
La veille, j’ai envoyé un mail aux participants pour leur rappeler l’heure d’arrivée et j’ai pris soin de mettre un phrase qui est : "tout semble au point, mais il faut encore être prudent, car chaque jour peut apporter sa dose d’imprévu."
Je ne croyais pas si bien dire, puisque le matin une forte neige avec des flocons de la taille de galettes Saint-Michel s’est abattue sur Paris. La France se paralyse dès que la neige abonde. Ayant peur de défections, j’ai demandé que l’on me prévienne des impossibilités de venir et je suis parti au plus vite vers le lieu de la réunion, le coffre de la voiture rempli des vins de ce soir. Et là, c’est l’incertitude la plus complète. Etant conduit, j’ai pu envoyer des mails aux inscrits les tenant au courant de ma progression dans la neige. Il se trouve qu’à la Porte de Pantin, il y a une place plus vaste que la place de la Concorde. Mais l’intelligence de nos édiles fait que, lorsqu’à Tokyo on investit pour fluidifier la circulation, à Paris, on fait tout pour la figer. Et le succès est complet les jours de neige. Ayant mis plus d’une heure pour faire cinq cent mètres, j’informais en temps réel mes amis, et je recevais des messages d’annulation.
Dans Paris tout s’est éclairci et je suis arrivé à 16 heures pour pouvoir ouvrir les bouteilles. Pierre, un nouveau participant me propose de venir m’aider. J’accueille avec joie cette aide utile, d’autant que Pierre, vigneron de son état, est un expert du tirebouchon. Dans les apports, il y a de tout. Des vins sublimes et d’autres moribonds, voire franchement morts. Il s’agit généralement de bouteilles ajoutées à l’apport "officiel", ce qui est acceptable. Les bouchons gras salissent nos mains. Le bout de mon nez est noir. Les bouteilles des amis qui ont annoncé leur désistement sont mises de côté. Lorsque tout est fini, je me vêts de frais, mes mains sont propres. Un ami arrive apportant en supplément de son apport un champagne Laurent Perrier ancien et une bouteille en vidange de Château Coutet 1917, dont la couleur est prometteuse. Il me faut me salir de nouveau, mais pour la bonne cause, car le vin qui sera ajouté au groupe 3 a un nez rassurant.
Il y a plusieurs mois, assistant à une signature de livre suivie d’un cocktail au Ritz, le champagne Soutiran m’avait plu. Ayant reçu un sympathique cadeau de la vigneronne, l’apéritif s’est fait avec : Champagne Soutiran GC Perle Noire – Champagne Soutiran brut GC – Champagne Soutiran brut GC rosé – Champagne Soutiran Brut GC Blanc de Blancs. Chacun a pu essayer tel ou tel de ces quatre champagnes, simples, sympathiques, sans grande longueur, mais de bon aloi.
Le propriétaire des champagnes Fleury ayant apporté deux magnums de Champagne Symphonie d’Europe Fleury 1990, nous avons pu en profiter à l’apéritif et à table. Tout à la gestion des arrivées et des absences, je n’ai pas apprécié ce champagne comme il conviendrait. Il faudra vite que j’en fasse une nouvelle expérience.
Nous sommes fort heureusement nombreux, dépassant les quarante et aidés par un ami, qui, voyant que des places sont libres, a fait venir dare-dare son fils et un de ses amis américain. Le groupe 4 est formé essentiellement d’étudiants de Sciences Po et de l’institut supérieur du marketing du luxe ou du goût. C’est une erreur de les avoir mis ensemble. Il eût été plus intéressant de les disperser dans chacun des groupes.
Après mon discours de bienvenue, nous commençons notre dégustation. Je bois les vins du groupe 1. J’avais remarqué à l’ouverture que le Meursault Perrières 1964 R.Ampeau avait un nez de bouchon. Cette déviation est intense au nez plus qu’en bouche. La couleur est d’un or très beau. Le vin montre qu’il pourrait être riche. Je suis beaucoup plus intolérant que deux vignerons présents à ma table, dont l’ouverture d’esprit à ce vin me plaît beaucoup.
Avec le Chante-Alouette Hermitage blanc M. Chapoutier 1959, il n’est point besoin d’être tolérant, car le vin est splendide. D’une richesse extrême, d’un aplomb certain, ce vin est d’une rare complexité, déclinant des saveurs de fruits, mais aussi de beurre et de pâtisserie. C’est un grand vin.
Le Château Lafite-Rothschild 1970 est d’une délicatesse assez invraisemblable. En lui, tout est douceur, distinction, raffinement. On se délecte de sa légèreté et je m’amuse à mimer les ondulations d’un goût qui n’en finit pas. Nous somme heureux, mais nous quittons vite Lafite pour une merveille absolue. Le Château Montrose 1955 est un monument de perfection. Avec ce vin, on tient le bordeaux parfait dont on rêve. Tout en lui est profond, dosé, intelligent. C’est un vin à la longueur extrême qui n’a pas d’âge, tant sa couleur d’un rubis en sang et son goût lourd ont acquis l’intemporalité. Quel grand vin !
Alors, la tâche est rude pour le Château Malescot Saint-Exupéry 1934 qui est un très grand vin chaleureux, plus coloré que le Montrose et aussi jeune que lui, mais qui n’a pas l’étoffe et la stature du 1955. Nous saluons malgré tout ce vin de grande séduction.
Le Château La Mission Haut-Brion 1988 sera grand. Mais il ne devrait pas figurer dans ces séances tant il est encore, malgré 22 ans, un jeunot prometteur mais impubère. Un grand vin cependant.
Les Clos de Vougeot Château de la Tour Morin P&F 1947 en deux demi-bouteilles font une transition percutante et convaincante vers le monde du pinot noir. Je suis étonné de la puissance de ce vin et le vigneron qui l’a apporté l’explique par l’année. C’est un beau vin qui passe en force mais avec élégance. Je n’ai pas un souvenir précis du Clos Des Mouches Joseph Drouhin 1959 aussi ne ferai-je pas de commentaire.
Le Vega Sicilia Unico 1936 fait partie des trois vins apportés par l’un des plus généreux de notre académie. Il n’en attendait pas trop et c’est vrai qu’il est fatigué, mais il est quand même charmant, d’un fort exotisme. Le Vega Sicilia Unico 1940 qu’on m’a apporté d’une autre table est beaucoup plus excitant, tant il est inattendu. C’et surtout le Vega Sicilia Unico 1953 qui respecte l’orthodoxie du grand vin espagnol, torrefié comme il convient et puissant "à en revendre".
Le Beaulieu Vineyards Georges de Latour cabernet sauvignon 1960 est avec le Lafite 1970 le cadeau, car il s’agit bien d’un cadeau, d’un ami américain grand amateur de vin. Ce vin est magnifique, d’une grande classe, et qui apporte la démonstration que les grands vins américains ont, eux aussi, une belle aptitude à vieillir. J’ai adoré ce vin au classicisme rassurant et à la précision remarquable.
Le Château Pion Monbazillac 1973 est un gentil Monbazillac encore jeune, sans prétention mais charmant. Le Château Haut-Sarpe Sauternes # 1896 a une couleur très sombre mais prometteuse. Le bouchon était bien collé aux parois de verre, limitant la perte de liquide. Le nez est flatteur, de fruits compotés de la même couleur que le vin. Le liquoreux est chatoyant, calme, au sucre faible mais à la longueur plaisante. C’est un gentil liquoreux dont le témoignage est intéressant à cause de l’âge.
De tous côtés, des amis m’ont apporté des vins à goûter, car notre académie est faite pour partager. Le Barolo 1958 est simple mais bien vivant, le Malaga des années trente est superbe de joie de vivre, aux fruits comme le pruneau tout en douceur. Le Champagne Nicolas Feuillate 1982, même s’il a perdu sa bulle est d’un goût riche et prenant, avec une personnalité impressionnante, La Coulée de Serrant Nicolas Joly 1983 est au sommet de son art, brillante. Le Château Grand Corbin Despagne 1961 est exceptionnel de sérénité, représentatif de son année bénie des dieux. Le Château Lagrange Saint Julien 1943 est un témoignage qui mérite l’intérêt, avec un fruit encore bien présent. Le Saint-Raphaël des années 50 est un gentil rancio un peu fatigué mais charmant.
Le menu a joué sa partition sans tenir compte des vins, parce que c’est impossible : Potimarron, pain d’épices grillé & foie gras / Lamelles de Saint-Jacques, aubergines caviar, brisures d’algues marines / Bar sauvage, jeunes poireaux & dattes, petits oignons roussis / Noisette de filet mignon de veau du Bourbonnais, écrasé de pommes charlotte, girolles & figues / Baguette macaron, crème pur Caraïbe feuilletine / Sablé ‘citron passion’, poire confite & feuille de grué pimenté. Les portions ont été petites, mais bien cuisinées. Il faudra ajouter un fromage pour la prochaine fois.
La qualité des vins a été très variable. Pour notre groupe, il suffit d’avoir eu : Chante-Alouette Hermitage blanc M. Chapoutier 1959, Château Montrose 1955, Château Malescot Saint-Exupéry 1934, Clos de Vougeot Château de la Tour Morin P&F (2 1/2 bt) 1947 et Beaulieu Vineyards Georges de Latour cabernet sauvignon 1960 pour faire notre bonheur.
Mon classement serait : 1 – Château Montrose 1955, 2 – Chante-Alouette Hermitage blanc M. Chapoutier 1959, 3 – Beaulieu Vineyards Georges de Latour cabernet sauvignon 1960, 4 – Clos de Vougeot Château de la Tour Morin P&F (2 1/2 bt) 1947, 5 – Château Malescot Saint-Exupéry 1934.
Malgré la tristesse d’avoir perdu en route quelques enneigés, cette séance, la plus nombreuse en convives et en vins, avec un beau repas et un excellent service, a montré, par la générosité des académiciens et les rires qui ont fusé, qu’elle est une des plus belles.