Le 191ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Paloma de Mougins dont le chef Nicolas Decherchi fut doté d’une étoile au guide Michelin en un temps record. J’étais venu il y a quelques mois étudier la cuisine du chef pour qu’elle corresponde aux vins anciens choisis pour le dîner. Des ajustements se sont faits par mail et par téléphone, mais par acquit de conscience, je déjeune au restaurant Paloma, le jour du 191ème dîner, pour vérifier une fois encore l’adaptation des recettes aux vins anciens. Par précaution, le déjeuner sera à l’eau. Les petits amuse-bouche me semblent un peu copieux lorsque l’on sait ce qui suivra ce soir et, tenant compte de cette remarque, le chef adaptera avec bonheur le poids des éléments de sa trilogie. La langoustine au caviar est exactement ce que je recherche avec une cuisson parfaite. Le turbot a une cohérence qui me plait et un fumé un peu insistant. Ne voulant pas exagérer lors du déjeuner, j’arrête à ce stade mais Yannick, le très compétent maître d’hôtel me convainc de prendre un soufflé à la mangue extrêmement goûteux.
Après une sieste salutaire, je reviens vers 16h30 au restaurant Paloma pour ouvrir les bouteilles du dîner. Florent, qui deviendra dans quelques jours le chef sommelier du Paloma mais n’est pas encore en poste sera entièrement affecté ce soir à notre table, attention de Nicolas Decherchi que j’apprécie beaucoup. Pendant la séance des ouvertures, deux bouchons sont tellement collés au verre du goulot que tirer le tirebouchon ne ramènerait que des miettes. Aussi est-ce pour la première fois dans un de mes dîners que j’utilise le tirebouchon Durand, efficace mais qui a l’inconvénient de blesser les bouchons. Il s’agit du Ausone 1979 et de l’Yquem 1960 dont les bouchons, si je n’avais pas utilisé cet ustensile, seraient venus en charpie. Les odeurs les plus belles sont celles du Haut-Brion 1950, du Chambertin 1964 et de l’Yquem.
Avant le dîner je vais me promener dans la ville haute de Mougins où sont installés des dizaines de stands offrant des produits de gastronomie. Il y a en effet sur trois jours les Etoiles de Mougins un grand festival de gastronomie internationale où se rendent des dizaines et des dizaines de chefs et de pâtissiers qui expliquent et exécutent leurs recettes devant des amateurs. C’est à l’occasion du dixième anniversaire des Etoiles de Mougins que l’on m’a proposé de faire un dîner. Pour coller à ce chiffre anniversaire, ce dîner sera de dix personnes et de dix vins.
A 20 heures précises nous sommes au complet. Il y a six femmes pour quatre hommes ce qui doit plaire à la journaliste présente qui fut la première femme à écrire sur les femmes du vin et à s’en faire l’ambassadrice. Il y a cinq habitués de mes dîners dont deux américaines qui sont venues des USA uniquement pour ce dîner ! Il y a quatre nouveaux à qui je fais les recommandations d’usage.
Le menu composé par le chef est : trilogie gourmande, barbe à papa et toast de Pata Negra / émietté de tourteau à l’estragon, mousseline de chou-fleur et espuma de jus de coquillage / belles langoustines rôties au beurre demi-sel et caviar de Sologne / turbot de ligne aux cèpes cuit et servi en brioche, cèpes rôtis, polenta crémeuse et brunoise fraîche / canon d’agneau de lait d’Orient, filet cuit en kadaïf et citron confit, pastilla de boulgour aux épices douces et menthe fraîche / Stilton / Transparence de pomelos rose et macaron Américano / mangue en texture surmontée d’un petit gâteau mascarpone brioché / délicatesses.
On voit à l’exposé des plats que le chef n’a pas toujours réussi à lutter contre son envie de complexifier les plats par des saveurs qui peuvent être difficiles pour les vins anciens. Mais il faut noter qu’il a fait des efforts louables dans ce sens.
Dans le calme frais du soir nous prenons le Champagne Salon 1997 sur la terrasse de l’hôtel d’où l’on voit la mer et les belles montagnes à perte de vue. Le champagne est droit, précis, vineux, mais il est très jeune. La barbe à papa est un clin d’œil amusant aux plaisirs de l’enfance. Le toast au Pata Negra est ce qui convient le mieux au délicieux champagne à la longueur sensible.
Nous passons à table et sur l’amuse-bouche Florent nous sert le Champagne Lanson Red Label 1961. Le parfum de ce champagne est irréellement envoûtant. Un convive bizut préférera le parfum au vin lui-même, ce qui n’est pas mon cas. C’est en bouche que tout se joue, le champagne délivrant des complexités inimaginables et changeant à chaque gorgée. Tout y est, fruits rouges, caramel, beurre. On pourrait à chaque gorgée penser à une saveur et on la trouverait. Je trouve ce champagne parfait et mon vote final en portera témoignage.
Sur les plats qui suivent nous aurons à chaque fois deux vins. La langoustine est une merveille de précision de cuisson. Le Château Laville Haut-brion 1976 a une couleur d’un jaune à peine doré, d’une grande jeunesse. Ce vin est à un stade de sa vie où on ne lui voit aucune trace d’âge. Il est épanoui, cohérent, équilibré, avec une acidité dosée parfaitement. Ce vin est un régal.
A côté de lui, le Montrachet Roland Thévenin 1947 envahit nos narines d’un parfum de truffe blanche. C’est fou. En bouche on pourrait craindre le pire mais en fait, même si le vin est un peu fatigué et joue de la godille en milieu de bouche, son finale est droit dans ses bottes et signe un grand vin. Les vins anciens offrant toujours des surprises, quelques minutes plus tard, l’odeur de truffe blanche a complètement disparu, le vin devenant de plus en plus civilisé. Fatigué certes, mais offrant du plaisir.
J’avais signalé au déjeuner que le turbot était un peu fumé. Il l’est encore ce soir. Le Château Ausone 1979 est comme le dit un ami « très Ausone », c’est-à-dire le bon élève de la classe. On ne pourrait trouver aucun défaut à ce vin, mais on pourrait lui reprocher d’être trop dans la ligne du parti, et de manquer de canaillerie. Curieusement le vin est un peu trouble ce qui ne le handicape pas.
Le Château Haut-Brion rouge 1950 qui avait à l’ouverture un nez époustouflant a perdu un peu de sa vivacité. Un ami le trouve très rive droite, proche de Lafleur, plus que dans la ligne historique de Haut-Brion. J’ai suffisamment de points de repère de ce 1950 que j’ai bu et adoré de nombreuses fois pour que je ressente le plaisir de me trouver en face d’un grand Haut-Brion, riche, truffé, presque charbonné, et de laisser de côté deux ou trois petites imperfections. On dit que l’amour est aveugle. Il l’est dans mon cas face à ce 1950 que je vénère.
L’agneau traité de façon orientale avec des mâches diverses est trop compliqué pour des bourgognes subtils, mais ne boudons pas notre plaisir. Le Mazis-Chambertin Bouchard Père & Fils 1959 a une magnifique couleur d’un rubis clair. Le Chambertin Clos-de-Bèze Pierre Damoy 1964 est comme l’Ausone curieusement trouble, ce qui ne gêne pas non plus. Est-ce qu’un jour de repos dans la cave du Paloma aurait été insuffisant ? C’est inhabituel. Les deux vins sont très proches, au sommet de l’art de la Bourgogne. C’est très rare que je mette deux vins aussi proches car j’aime bien ouvrir sur un même plat deux vins peu comparables. On remarque nettement que le Mazis-Chambertin profite de l’effet de son millésime superbe et que le Chambertin Clos de Bèze, d’une année moins bénie, profite de sa structure plus riche. Lorsque l’on passe de l’un à l’autre on serait bien en peine de dire lequel on préfère. J’ai finalement choisi le 1959 du fait du caractère joyeux de son finale, même si le parfum du 1964 est plus authentiquement bourguignon.
Le Château Lafaurie-Peyraguey 1971 est un sauternes qui est toujours au rendez-vous, riche, profond, facile à vivre et sans histoire. Avec lui on est bien. Il forme avec le stilton un accord archétypal. Une des charmantes serveuses m’avait vanté les mérites d’un bleu qu’elle connaît et préfère, le Blue di Buffala. Je l’ai essayé sur le sauternes. Il est bon et forme un accord possible mais il est trop salé.
La bouteille du Château d’Yquem 1960 est magnifique, au niveau dans le goulot et à la couleur incroyablement foncée du vin. Cet Yquem est langoureux, dosant ses complexités comme dans une danse des sept voiles. C’est un très beau et grand Yquem, qui n’a pas été aidé par une interprétation trop compliquée de la mangue. Mais il est tellement grand qu’il se suffit à lui-même.
Nicolas Decherchi a fait un repas de haute qualité. Il a parfois, malgré mes recommandations, privilégié la réalisation d’un plat plutôt que celle d’un goût. Mais au vu de la joie des convives, il est clair que cette remarque est à la marge et que le résultat a été atteint. Je suis sûr que si nous recommençons cet exercice, nous atteindrons de nouveaux sommets. Le plat magique fut la langoustine, un vrai bonheur.
Il est temps de voter. Les votes sont très difficiles et j’ai eu à affronter une opposition au principe du vote qui est probablement la plus rude de tous mes dîners. Les vins étant très différents, l’une des convives s’est opposée à l’idée de classer des vins pour lesquels elle ne voyait aucun critère objectif. Mais c’est justement la liberté de choix qui permet à chacun de s’exprimer, ce qui s’est fait de façon constante dans la quasi-totalité de mes dîners. La sagesse ayant fini par triompher, nous avons tous voté, dix votants pour dix vins.
Comme toujours, la diversité des votes est surprenante, montrant que les goûts sont très différents d’une personne à l’autre. Six vins sur dix ont eu l’honneur d’être nommés premiers. Le Mazis-Chambertin 1959 a reçu quatre votes de premier, le Haut-Brion 1950 deux votes de premier et le Champagne Lanson 1961, Le Laville Haut-Brion 1976, le Chambertin Clos-de-Bèze 1964 et l’Yquem 1960 ont reçu chacun un vote de premier. Six vins sur dix ayant été le meilleur pour au moins un convive, c’est une grande surprise, mais c’est assez fréquent dans ces dîners, alors qu’une telle diversité heurte le bon sens : qui attendrait que six vins sur dix puissent prétendre à la première place ? Huit vins sur dix ont figuré sur les bulletins de vote.
Le vote du consensus serait : 1 – Mazis-Chambertin Bouchard Père & Fils 1959 , 2 – Château Haut-Brion rouge 1950 , 3 – Château d’Yquem 1960, 4 – Chambertin Clos-de-Bèze Pierre Damoy 1964, 5 – Château Laville Haut-brion 1976.
Mon vote est : 1 – Champagne Lanson Red Label 1961, 2 – Château Haut-Brion rouge 1950 , 3 – Château d’Yquem 1960, 4 – Château Laville Haut-brion 1976.
Ce fut un vrai plaisir de réaliser un dîner à Mougins dans le cadre des Etoiles de Mougins. Il convient de signaler l’engagement et la motivation de toute l’équipe du Paloma et le service impeccable. Vite, revenons à Mougins pour créer un nouvel événement avec cette équipe motivée.
—————————————
la journée a commencé par le festival pour les enfants :
dès qu’on prend un gâteau, on fait une faute d’orthographe, brisant le texte écrit par le pâtissier. Une vue de la ville haute
ces montagnes de macarons m’évoquent des temples tibétains…
ma conférence du lendemain est annoncée
le déjeuner au Paloma pour vérifier quelques plats
Les vins du dîner
l’ouverture des vins
dans l’ordre, les deux blancs, les deux bordeaux, les deux bourgognes et les deux liquoreux
le repas
dîner sur une nappe noire
une autre version du même menu
Isabelle Forêt qui participait à ce dîner en a fait un compte-rendu ICI
https://femivin.com/2015/mon-diner-avec-le-pape-des-vins-anciens/