198ème dîner au restaurant du 67 Pall Mall Clubmardi, 12 avril 2016

Le 198ème dîner se tient au 67 Pall Mall Club, qui est un club d’amateurs de vins de Londres. Le fondateur, Grant Ashton, et ses actionnaires, ont acquis un immeuble où ils permettent aux membres de venir boire des vins au verre (500 au programme), les commander en bouteille ou apporter leurs propres vins. Des événements sont fréquents et par exemple ce soir pendant que nous tiendrons le dîner de dix personnes dans un agréable salon, Richard Geoffroy, l’homme de Dom Pérignon, animera un dîner sur le thème des Dom Pérignon P2 (deuxième plénitude) qui regroupe une trentaine de membres du club. Je lui rendrai visite dans la très grande salle affectée à son dîner et Richard viendra nous rendre visite et apportera un vin qui se rajoutera à notre programme.

A 16 heures je viens ouvrir les vins, observé par Terry, le chef sommelier du lieu, qui va faire un travail absolument remarquable. Le nez du Cheval Blanc 1961 est étonnamment discret et le nez de l’Arche 1914 est à se damner tant il est invraisemblablement envoûtant. Je croyais que la bouteille avait été reconditionnée car le niveau est dans le goulot mais force est de constater que le bouchon est d’origine. Aucun vin ne m’inquiétant, j’attends les convives qui me sont presque tous inconnus dans la belle salle de bar et restaurant du Club, avec Tom, le journaliste par qui le contact s’est créé avec le club.

J’ai rarement eu à mes dîners une assemblée aussi cosmopolite puisque nous compterons un norvégien, un finlandais, un sud-africain, un irlandais, trois anglais, une femme aux origines chinoise et australienne, un français et moi. Tous sont membres du club sauf le français, son invité anglais et moi. Ne connaissant personne sauf mon ami français fidèle des dîners et Tom, je me suis présenté et ai exposé la philosophie de mes dîners. Après ces explications, nous passons à table.

La table rectangulaire avec quatre personnes sur chaque longueur et une personne à chaque bout rend difficiles les discussions communes et naturellement trois ou quatre petits groupes de discussion se forment.

Le menu composé par le chef Marcus Verberne est : Crumbed monkfish medallions with mayonnaise / Smoked Inverawe sea trout on blini & salmon caviar / Pan-fried hand-dived Isle of Mull scallops with pommes mousseline and garlic butter / Lobster Thermidor vol au vent / Pan-fried lamb’s sweetbreads with morels / Roasted squab pigeon with buttered spring greens / Fresh mango / Orange Madeleines.

La séance de travail que nous avions eue hier avec Marcus a eu des effets bénéfiques et la cuisine du chef s’est montrée inspirée et adaptée aux vins anciens.

Je venais d’expliquer que dans mes dîners un vin ne se conçoit qu’avec le plats qui lui est affecté et le premier champagne en donne une démonstration spectaculaire. J’avais expliqué que le vin n’est servi que lorsque le plat est servi, mais comme il faisait soif le Champagne Krug Vintage 1979 a été servi alors que nous n’avions rien mangé. Le champagne se présente plus âgé qu’il ne devrait l’être, un peu serré et strict. Les croquettes de lotte arrivent et le champagne revit, fringant, tonique, vif et racé comme le 1979 doit l’être. Cette transformation spectaculaire a frappé tous les convives.

Nous avons ensuite deux champagnes servis ensemble. Le Champagne Dom Pérignon 1959 est tout en suggestion, élégant et romantique mais capable de montrer une certaine puissance. Mais le Champagne Pol Roger 1947 est un monstre de vivacité et d’énergie. Il claque comme un champagne jeune de façon éblouissante. Je fais remarquer à mes convives qu’avoir en même temps deux champagnes aussi mythiques et qui se montrent sous leurs meilleurs jours est un privilège rare. Pour certains c’est une découverte absolue et mon voisin de table, sud-africain, qui n’avait jamais bu de champagne de plus de vingt ans est ébloui car il découvre un univers qui lui était étranger.

J’ai longuement parlé de ma méthode d’ouverture des vins qui profite aussi aux vins jeunes même si elle est conçue pour les vins anciens et le vin qui suit va en donner une démonstration éclatante. Car le Montrachet Bouchard Père & Fils 2000, s’il avait été décanté au lieu d’être ouvert avec aération lente, n’aurait jamais donné cette sérénité, cet accomplissement subtil et brillant. Ce montrachet est en effet dans un état de grâce impressionnant. C’est la force tranquille. Ce vin est d’une plénitude rassurante axant son message sur le plaisir, l’acidité citronnée étant joyeuse.

Les deux bordeaux arrivent ensemble. Le Château Pichon Longueville Comtesse de Lalande 1945 a l’équilibre et la solidité d’un vin de 1945. Il est particulièrement expressif et convaincant. Ce n’est pas le cas du Château Cheval Blanc 1961. A l’ouverture, c’est le seul vin qui me posait un problème tant son parfum était discret, voire presque éteint. En bouche, le vin manque de force. Alors, comme j’avais constaté que la capsule est une capsule d’embouteilleur et comme le bouchon est sans inscription, il est assez facile de se demander si le vin est bien le Cheval Blanc d’origine. Je n’informe personne de mon doute et je fais bien car je me fais servir la lie de la bouteille et j’ai alors avec une évidence frappante la vraie valeur d’un Cheval Blanc 1961. C’est tellement saisissant que je prête mon verre à la charmante convive chinoise et australienne qui a toujours écarté les lies quand elle boit du vin. Elle n’arrive pas à croire que le vin puisse à ce point se transcender. Si cette lie me rassure sur le vin, force est de constater que ce Cheval Blanc n’a pas correspondu à mes attentes.

Nous avions discuté autour de la table sur l’ordre de service des vins, celui que j’adopte, bordeaux avant bourgogne n’étant pas partagé par tous, et l’Echézeaux Henri Jayer 1984 va mettre tout le monde d’accord sur la nécessité de procéder dans cet ordre parce que ce vin est éblouissant de charme et de subtilité. C’est un grand vin d’Henri Jayer, l’un des tout meilleurs de ceux que j’ai bus faits par ce magicien. Le vin est incroyablement bourguignon, avec des subtilités, des amers qui jouent avec le palais. Il est incroyablement séducteur mais dans l’énigme, car il brouille les pistes. C’est un vin que j’adore au plus haut point.

Lorsque Terry, le sommelier qui fera un travail de haut niveau tout au long du repas, me sert les premières gouttes de l’Echézeaux Joseph Drouhin 1947, je lui dis : ce vin sent le fromage. C’est tellement curieux que je sens le verre de mon voisin pour vérifier si ce n’est pas le verre qui est en cause. Mais non, c’est le vin qui a cette odeur. La matière du vin est riche mais le parfum prononcé limite le plaisir et j’y suis sensible. Un convive a dû ne pas être influencé par l’odeur puisqu’il mettra ce vin premier de son vote.

Richard Geoffroy nous ayant rejoint et une charmante sommelière versant à chacun un verre de Champagne Dom Pérignon P2 rosé 1995, nous pouvons remarquer qu’à ce stade du repas, la présence de ce champagne sensuel mais conquérant est possible. Disons que c’est une pause dans un récit. Alors que jusqu’à présent tous les plats ont convenu aux vins, le ris de veau ne brille pas à cause d’une sauce un peu trop marquée. Il est opportun de boire le sublime Echézeaux de Jayer en ayant calmé son palais.

Avec le Vega Sicilia Unico 1970 nous sommes sur un terrain que tous les convives connaissent car ce vin est incroyablement jeune. Il a 45 ans et on lui en donnerait moins de dix. Il est éblouissant avec de jolies notes de café et un finale mentholé parfait. C’est un vin de bonheur franc et délicieux.

Les deux sauternes sont servis ensemble et j’ai bien du mal à me concentrer sur le Château d’Yquem 1985 car je suis saisi par le parfum du Château d’Arche Crème de Tête 1914. A l’ouverture il était incroyable avec un bouquet de fleurs des champs comme en aurait une Chartreuse. Cette impression est encore vivace maintenant mais le parfum me tétanise. Je raconte à mes convives qu’au 4ème de mes dîners nous étions restés figés devant le parfum d’un Suduiraut 1928 qui nous interdisait de boire tant les arômes, tels des crotales, nous tétanisaient. L’émotion est la même avec ce vin aux mille parfums incroyables de séduction avec dans l’image que je forme des petits grains de sucre trempés dans des fruits rouges que l’on jetterait en l’air comme on jette les grains de riz sur des mariés. Ce vin est fascinant d’une séduction exceptionnelle et le goût est celui d’un sauternes allant vers les fruits exotiques joliment distribués.

Revenant vers l’Yquem, je suis étonné qu’il soit aussi charmant, plein, joyeux et gras en bouche. L’ancien n’a pas tué le plus jeune par sa perfection. Il le met même en valeur. Les mangues en tranches pures marchent bien avec l’Yquem et j’ai eu une idée gagnante en demandant à Marcus de faire des madeleines à l’orange confite. L’accord avec le Château d’Arche est à se damner. Quel parcours avec ce 1914 étonnamment sensuel !

Il faut maintenant que les dix participants votent. Sept vins figurent dans les classements ce qui est un bon résultat. Meilleur encore est que cinq vins ont au moins un vote de premier : le Château d’Arche quatre fois premiers, le Pol Roger et le vin d’Henri Jayer deux fois premiers et le Montrachet ainsi que l’Echézeaux Drouhin une fois premier.

Le classement du consensus serait : 1 – Château d’Arche Crème de Tête 1914, 2 – Champagne Pol Roger 1947, 3 – Echézeaux Henri Jayer 1984, 4 – Vega Sicilia Unico 1970, 5 – Château Pichon Longueville Comtesse de Lalande 1945.

Mon classement est : 1 – Château d’Arche Crème de Tête 1914, 2 – Echézeaux Henri Jayer 1984, 3 – Champagne Pol Roger 1947, 4 – Vega Sicilia Unico 1970.

Que dire de ce dîner ? J’ai découvert hier ce club que je ne connaissais pas. J’ai rencontré le chef hier pour la première fois et c’est en déjeunant que j’ai étudié sa cuisine. Je ne connaissais quasiment personne parmi les convives et le staff du lieu. Ce saut dans l’inconnu est une réussite. Grant m’a dit : « vous êtes ici chez vous », les convives ont dit : « à quand le prochain ? ».

Terry a fait un service du vin de haute volée, Marcus a su adapter sa cuisine aux exigences des vins anciens. Ce 198ème dîner fut une grande réussite.

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le bar du club

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j’explique à Terry « the Audouze Method »

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Champagne Krug Vintage 1979

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Champagne Dom Pérignon 1959

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le bouchon a une capsule de Moët

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Champagne Pol Roger 1947

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légendaire capsule

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les deux bouchons ont été brisés lorsque Terry a voulu ouvrir les bouteilles

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Montrachet Bouchard Père & Fils 2000

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Château Pichon Longueville Comtesse de Lalande 1945

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Château Cheval Blanc 1961

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Echézeaux Henri Jayer 1984

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Echézeaux Joseph Drouhin 1947

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cadeau de Richard Geoffroy inséré dans le repas : Dom Pérignon rosé Vintage 1995

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Vega Sicilia Unico 1970

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Château d’Yquem 1985

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Château d’Arche Crème de Tête 1914

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les bouchons

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J’ai pris peu de photos des plats mais j’ai la mémoire visuelle des merveilleuses madeleines

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les votes relevés manuellement puis calcul du vote du consensus

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les verres en fin de repas

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le menu

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Quelqu’un a pris une photo de Richard Geoffroy et moi. Voici dans son montage

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