206ème dîner de wine-dinners au restaurant Guy Savoyjeudi, 1 décembre 2016

Le 206ème dîner se tient au restaurant Guy Savoy. La salle où nous serons seuls est belle, aux murs noirs qui mettent en valeur les œuvres très modernes de ce que je pense être la collection de François Pinault. A 17 heures, j’ouvre les vins. Les belles odeurs sont du Gilette sec 1951, de l’Ausone 1959. Les très belles senteurs sont du Traminer Schlumberger qui est en fait un liquoreux, ce que rien ne laisse prévoir sur l’étiquette. J’inverse donc l’ordre de deux blancs pour qu’un accord se trouve après cette surprise. Autres très belles senteurs le Belgrave 1948, le Pommard 1969, le Richebourg 1964. Le parfum spectaculaire est celui du Riesling Vendanges Tardives Hugel 1989. Les parfums discrets sont ceux de l’Echézeaux 1988 et de l’Yquem 1919. Le seul parfum incertain est celui du Loupiac 1947 car au nez, puisque je ne bois pas les vins, on ne peut pas totalement exclure une petite trace de bouchon. Attendons de voir et de boire.

Nous serons onze à table, pour un dîner à l’initiative d’une entreprise. Je ne connais personne. Il y a des allemands, un autrichien, un belge, un indien, un anglais, un irlandais, deux français et j’en oublie sans doute. Ils fêtent les cinq ans du rachat de l’entreprise par les actionnaires présents avec les gestionnaires. Il y aura seulement dix votants en fin de repas car l’indien se limitera à deux vins pendant le repas.

L’apéritif est pris debout avec le Champagne Alfred Gratien magnum 1979. On entre de plain-pied dans le monde des vins à maturité avec ce beau champagne plaisant, avenant, facile à comprendre qui est tout intégré tant ses saveurs sont cohérentes. Avec les petits toasts au foie gras et la brioche au parmesan, l’accord est gourmand.

Nous passons à table. Le menu créé par Guy Savoy pour les vins est : toast au foie-sel / brioche au parmesan / Jabugo & girolles / raie « refroidie » au caviar, petit ragoût breton / saint-pierre sur mer / volaille de Bresse pochée en vessie et champignons du moment / ragoût de lentilles aux truffes / grouse rôtie, châtaignes au jus et galette de grand caraque / fourme d’Ambert / dessert exotique.

Sylvain Nicolas le chef-sommelier a aussi joué un rôle important dans la mise au point des accords.

Le Champagne Dom Pérignon 1961 a une petite amertume dans l’attaque qui disparaît très vite et le milieu de bouche est tout en douceur. Ce 1961 est un vrai Dom Pérignon, dans la ligne historique et romantique. Les girolles sont divines pour mettre en valeur ce champagne de très belle émotion. C’est un vin de plaisir raffiné au final très présent.

Le Traminer Shlumberger 1953 était prévu après le Gilette mais la sucrosité ressentie dans son parfum à l’ouverture m’a poussé à le mettre avec la raie au caviar et c’est une bonne décision. Fort curieusement le nez du vin n’a plus ce côté doucereux, comme si le plat lui faisait « manger » son sucre. Le vin est d’une rare délicatesse, sans âge tant il est équilibré. Il est bonheur, dans des directions inconnues car il ne fait pas du tout vin d’Alsace. J’adore. Quand je sentirai le verre vide, le parfum évoque des fruits rouges ce qui est inattendu.

Le Château Gilette sec 1951 est une magnifique surprise. Pour tous les vins secs faits par des maisons de sauternes, on ne peut pas s’empêcher de sentir le botrytis, même s’il n’est pas là car ce vin évoque malgré tout le sauternes. Le plat de saint-pierre est exceptionnel, rendu encore plus iodé par de goûteuses coques. L’accord est un des plus beaux du repas. La solidité et l’aisance de ce vin solide et plein me plait beaucoup, alors que 1951 est une année qui n’a pas laissé de trace dans les mémoires.

Deux vins accompagnent la volaille en vessie. Le Château Belgrave Haut-Médoc 1948 est d’un équilibre et d’une gourmandise incroyables. Ce qui frappe c’est qu’il est intemporel. Il est tellement cohérent et intégré qu’on se sent à l’aise avec lui au point qu’il sera le gagnant de loin des vins du repas et c’est tout à l’honneur de mes convives qui n’ont pas couronné pour la première place les plus belles étiquettes mais ce vin gourmand. Ses accents truffés sont brillants.

Le Château Ausone 1959 est un grand vin. On sent sa belle matière, sa profondeur et sa noblesse de grand saint-émilion mais en fait le plat est fait pour le Belgrave ce qui fait que ce bel Ausone n’aura pas les faveurs qu’il mérite, sauf d’un convive.

Avec le Pommard les Grands Epenots Maurice Bouvret 1969 on comprend pourquoi les bourgognes doivent passer après les bordeaux. Il y a dans ce vin une sensualité extrême. Tout en lui est séduction et quand on croit qu’on en a fait le tour il y a encore des complexités qui se rajoutent. Sa robe est très clair et son goût délicat. Nous avons été gênés par le fait que la truffe ne se ressent pas s’il y en a trop peu car la lentille domine. Très gentiment on est venu compléter ce que nous avions et le plat change du tout au tout. Le vin s’en régale.

Sur une divine grouse de forte personnalité il y a deux vins. Lorsqu’on les sent, le Richebourg P. A. André 1964 a un parfum tonitruant et glorieux qui fait de l’ombre à l’Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1988 dont les émanations sont trop discrètes. Mon voisin de table qui est l’initiateur du repas me suggère que le Richebourg va dominer dans l’accord et je lui dis sans avoir rien goûté : « je pense que ce sera le contraire ». Et c’est saisissant. C’est l’Echézeaux si timide qui crée l’accord vibrant avec la grouse tandis que le Richebourg, odorant, envoûtant et joyeux, parade mais ne crée pas l’accord. Les deux vins si opposés sont superbes. L’Echézeaux est raffiné et subtil.

Le Riesling Vendanges Tardives Maison Hugel 1989 est une merveille de fluidité, de précision et de noblesse. C’est un vin immense, d’une fraîcheur incomparable. Il colle parfaitement à la fourme.

Le nez de bouchon que j’avais supposé à l’ouverture est là, mais le Loupiac Champon-Ségur 1947 se boit bien, sans défaut sensible. Il est très riche et bien liquoreux plus puissant que l’Yquem.

Le Château d’Yquem 1919 à la couleur d’un or assez pâle a mangé son sucre, ce qui ne lui enlève aucune qualité. Il est incroyablement subtil, tout en suggestion. Il obtiendra neuf votes sur dix votants. L’accord avec le dessert exotique est parfait.

Une constante tout au long du repas est que les vins arrivent épanouis sur table et que la cohérence qu’ils ont acquise les rend « hors d’âge », ce qui veut dire qu’on ne pourrait pas les situer dans le temps. L’Yquem pourrait être des années 50, le Belgrave des années 80, ça ne choquerait pas.

Il est temps de voter pour dix votants choisissant quatre vins. Dix vins sur douze figurent sur au moins un bulletin de vote. Cinq vins ont été nommés premier, dont Belgrave 1948 cinq fois, Yquem 1919 deux fois et Gilette 1951, Ausone 1959 et Richebourg 1964 une fois premier.

Le vote du consensus serait : 1 – Château Belgrave Haut-Médoc 1948, 2 – Château d’Yquem 1919, 3 – Riesling Vendanges Tardives Maison Hugel 1989, 4 – Château Gilette sec 1951, 5 – Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1988, 6 – Champagne Dom Pérignon 1961.

Mon vote est : 1 – Château Belgrave Haut-Médoc 1948, 2 – Riesling Vendanges Tardives Maison Hugel 1989, 3 – Château d’Yquem 1919, 4 – Château Gilette sec 1951.

Dans une belle salle du restaurant Guy Savoy, avec un service parfait aussi bien du vin que des plats, avec une cuisine qui mérite tous les éloges tant les accords ont été d’une grande pertinence, alors que je ne connaissais personne, nous avons passé une soirée riche d’émotions où le Belgrave 1948 a été une immense surprise et où les accords dont celui merveilleux du saint-pierre avec le Gilette sec 1951 et du dessert exotique avec l’Yquem 1919 ont ensoleillé ce grand moment de gastronomie.

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les bouchons sont rangés dans l’ordre de service

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