Le 208ème dîner de wine-dinners se tient au 67 Pall Mall Club de Londres. J’arrive au club à 16 heures pour ouvrir les bouteilles dans la salle qui servira d’écrin à ce repas. Les bouchons montrent moins de résistance que lors du 207ème dîner et si le parfum du Clos Vougeot 1967 n’est pas très précis, je ne ressens aucune réelle crainte. Les senteurs du Fargues 1967 sont d’une générosité extrême et celles du Doisy 1921 sont d’une noblesse extraordinaire. Tout semble se présenter sous d’agréables auspices aussi ai-je le temps de bavarder avec des membres du club que je connais.
Julian qui participera au dîner ce soir m’offre de partager un verre de Château Lynch-Bages 1985 qui est dans une belle phase de sérénité et d’accomplissement. Alexander avec qui j’avais déjeuné samedi dernier autour de deux Moët, un 1911 et un 1971, m’offre un verre de Champagne Perrier Jouët Belle Epoque 2007 encore bien jeune pour être réellement apprécié. Dans ce club tout le monde discute avec tout le monde en échangeant des vins.
Contrairement au dîner précédent il n’y aura que des hommes. Nous sommes onze dont deux inscrits que j’avais rencontrés ici il y a trois jours. La participation est essentiellement britannique, un finlandais assistant à son deuxième dîner de suite et un américain texan venant pour la première fois. Quatre convives ont déjà assisté à un ou plusieurs dîners et six sont des nouveaux.
Nous prenons l’apéritif debout en trinquant avec un Champagne Perrier Jouët Réserve Cuvée rosé 1961. Il n’a quasiment pas de bulle mais le pétillant est intact. Sa couleur est belle, discrètement ambrée d’or fin plus que de rose. C’est un champagne de forte personnalité, intense, riche et percutant. Il faut se familiariser avec les champagnes évolués mais les convives, tous amateurs de vins, s’y prêtent volontiers. Je suis très favorablement impressionné par ce beau champagne d’une grande année.
Le menu conçu en collaboration avec le chef Marcus Verberne est : œufs de caille à la royale / champagne et risotto aux truffes / tarte aux champignons des bois / homard poché en vol-au-vent, bisque de homard, filet rôti de bœuf galicien, purée de pomme, cassis cassonade / jus de citron / amande crème brûlée, pamplemousse rosé caramélisé /gâteau d’orange aux pistaches.
Le service des plats a été particulièrement lent au début avec des attentes difficilement compréhensibles (on m’a expliqué le lendemain qu’il y avait un dîner de 60 personnes dans une autre salle) et c’est au moment où nous profitions de trois bourgognes associés à la superbe viande de Galice qu’on nous a servi trop rapidement le stilton et le Fargues, ce qui m’a contrarié.
Le Champagne Mumm Cuvée René Lalou 1973 se présente dans une bouteille que je trouve toujours aussi belle. Le champagne est en contraste majeur avec le précédent. Il est romantique, aérien et fluide alors que le Perrier Jouët est puissant et affirmé. Il a des accents crayeux de coquille d’huître. Le Mumm sera désavantagé par le risotto trop salé. C’est ce qui explique sans doute que ce vin soit l’un des deux seuls vins du repas sans aucun vote.
Sur la merveilleuse tarte aux champignons, nous avons deux vins blancs de deux régions bien différentes. Le Château Haut Brion blanc 1996 est jeune, puissant, conquérant, avec une trace en bouche très lourde. Il est noble mais souffre de l’association avec le bourgogne.
A côté de lui, le Bâtard Montrachet Domaine Ramonet 1992 a un parfum absolument envoûtant, magnifiquement mis en valeur par un verre Zalto qui exprime le parfum du vin de façon idéale. Au bar du club, avant le repas, j’avais trinqué avec le représentant pour le Royaume-Uni de ces verres qui équipent le club, qui sont d’une légèreté incroyable et d’une grande aide pour les vins. Le Bâtard est une merveille, le vin blanc absolu dans une grande année. Son nez pétrole comme un vin de l’année et il est opulent, gras, beurré. Un bonheur. J’aurais dû demander un plat spécifique pour le Haut-Brion qui souffre de la comparaison avec le bourgogne, et d’un verre moins adapté. Le Ramonet me transporte et m’émeut car il est dans un état de perfection absolue, surtout par son parfum. L’accord avec les champignons est peut-être le plus grand du repas.
Le plat du homard est une merveille. Il va s’accorder aux deux bordeaux de façon miraculeuse. Comme deux patineurs sur une piste de glace, les deux vins vont jouer à qui sera premier, l’un passant devant l’autre, puis le suivant. Le Château Margaux 1959 a le caractère féminin des margaux. Il est tout en grâce. A côté de lui, le Château Lagaffelière Naudes 1929 est plus guerrier, plus dans la truffe. Les couleurs des deux vins, très noires, sont quasiment identiques. Tout le monde est étonné que le vin de 87 ans soit aussi vif. Le margaux 1959 n’est pas le plus grand de ceux que j’ai bus malgré des fulgurances de grandeur. Après le chassé-croisé des préférences mon cœur ou ma raison me mettront dans le camp du Saint-Emilion manifestement plus riche et impressionnant.
Dans mes dîners il y a souvent des bouteilles de secours. Pour ce dîner j’ai décidé de les inclure aussi le plat de viande sera accompagné de trois bourgognes. Les deux premiers seront servis ensemble et le troisième décalé. Le Clos Vougeot Charles Noellat 1967 avait à l’ouverture un parfum nettement plus sympathique que celui du même vin son cadet, le Clos Vougeot Charles Noellat 1969. Les deux vins ont des goûts très proches, d’une grande subtilité et d’un velours agréable. On sent le talent du grand vinificateur Charles Noellat. Ces deux vins sont émouvants et subtils et j’ai une préférence pour le 1967.
Tout le monde se tait, le temps s’arrête au moment où est servi le Chambertin Edouard Jantot 1961. Il nous prend par surprise. On attendait un troisième bourgogne et voilà que nous sommes face à une apparition divine. Ce vin a tout pour lui. Une attaque envoûtante, une présence incroyable, une richesse gustative, une plénitude qui sont spectaculaires. Je me sens vraiment pris par surprise car j’attendais un bon vin mais pas un vin spectaculaire. Ce vin aura sept votes de premier ce qui est extrêmement rare. Il nous transporte.
Aussi suis-je furieux quand Caroline, notre très agréable sommelière, me demande de goûter le Château de Fargues 1967 avant de le servir aux autres convives. Je suis en plein ravissement avec un bourgogne exceptionnel et on me demande d’accélérer alors qu’au début du repas nous trouvions le service d’une lenteur extrême. Fort gentiment Caroline nous a laissé profiter du chambertin comme il convenait.
Mes convives britanniques ont du mal à comprendre qu’un français puisse considérer un fromage anglais comme le meilleur partenaire d’un sauternes. C’est vrai que pour moi le stilton est de loin le compagnon idéal d’un sauternes. Le Château de Fargues 1967 est d’un or glorieux. Son parfum est une promesse de luxure. Il est riche, plein joyeux, et l’accord est superbe.
A l’ouverture j’avais été frappé par la noblesse du parfum du Château Doisy Barsac 1921. Il est servi maintenant et la sensation que j’ai est celle qui apparaît lorsque je suis en face d’un vin totalement parfait. Il est impossible d’imaginer que ce vin puisse être autre chose que l’ultime perfection. Et je suis physiquement envoûté par ce vin au point que je m’enferme dans ma bulle pour jouir de chaque goutte de ce nectar incroyable. Sa couleur est très foncée, il évoque des zestes d’orange délicats, et il m’envoûte. Nous ne serons que trois à voter pour cette perfection miraculeuse et c’est dommage, car nous avons eu la chance de croiser un vin parfait.
J’ai rajouté en fin de repas un Champagne Dom Pérignon 1973 qui trouve sa place pour nous faire revenir dans le monde des humains. Ce 1973 est très percutant, combinant romantisme et personnalité. C’est un Dom Pérignon de très grande classe qui trouve en cette fin de repas une place idéale. Et j’adore les dégorgements d’origine de ce merveilleux champagne.
Il y a manifestement trois vins qui sortent du lot, le Bâtard, le chambertin et le Doisy, mais les votes seront, comme souvent, très différents. Nous sommes onze à voter pour les 4 vins que nous préférons. Dix vins sur les douze du repas auront des votes ce qui est un très beau score pour l’ensemble des vins, les seuls sans vote étant le Mumm 1973 car souvent les vins du début sont oubliés et le Clos Vougeot 1969 auquel le 1967 a été préféré.
Contrairement à d’autres repas le vote du vin préféré par les convives est très concentré entre trois vins seulement, le Chambertin 1961 nommé sept fois premier ce qui est rare, le Doisy 1921 trois fois et le Perrier Jouët 1961 une fois.
La compilation des votes donne : 1 – Chambertin Edouard Jantot 1961, 2 – Château Doisy Barsac 1921, 3 – Bâtard Montrachet Domaine Ramonet 1992, 4 – Champagne Perrier Jouët 1961, 5 – Château Lagaffelière Naudes 1929, 6 – Château Haut Brion blanc 1996.
Mon vote est : 1 – Château Doisy Barsac 1921, 2 – Chambertin Edouard Jantot 1961, 3 – Bâtard Montrachet Domaine Ramonet 1992, 4 – Château Lagaffelière Naudes 1929.
La cuisine a été une fois de plus délicieuse avec deux plats qui ont créé des accords exceptionnels, la tarte au champignon avec le Bâtard Montrachet et le homard avec les deux bordeaux. Comme pour le dîner précédent, les desserts gagneraient à être plus précis. Le service est attentif et motivé. Quelques détails sont encore à travailler. Tout m’incitera à vouloir recréer de tels dîners dans ce club sympathique.
Lynch Bages 1985 bu au bar
exemple de moule en bois pour faire des verres Zalto
les vins du repas
le Dom Pérignon 1973 que j’ai ajouté a été présenté par erreur comme un 1975 (on le voit sur le menu)
sur la photo de groupe faite dans ma cave, le Perrier Jouët 1961 est à droite et a remplacé la deuxième bouteille qui est un Perrier Jouët 1966 non servi. Et il manque le Dom Pérignon 1973 mis à la fin.
les bouchons, dans l’ordre de service des vins
regroupés dans l’ordre de service des vins
la table avant le dîner
la table après le repas