La 21ème séance de l’académie des vins anciens se tient au restaurant Macéo. Nous sommes 39 et nous allons partager une cinquantaine de vins. Ayant décidé d’apporter beaucoup de vins notamment parce que de nombreux académiciens n’en fournissent pas, j’ai choisi des vins qui doivent être bus. Sur les 24 vins de ma cave certains sont de bas niveau, voire vidange, ce qui n’est acceptable que parce que le nombre fourni est important : il y aura assez pour boire bon.
J’ai la lourde tâche d’ouvrir toutes les bouteilles et même en arrivant avant 17h, mon travail n’est pas terminé lorsqu’arrivent les premiers convives, à 19h. Il faut dire qu’ayant mis des bouteilles de niveaux bas, les bouchons se désagrègent, ce qui rend l’ouverture beaucoup plus difficile et prenant plus de temps. Certaines odeurs sont insupportables, d’autres sont de belles surprises comme celle du Palmer 1900. Globalement, le bilan est meilleur que ce que j’attendais.
Nous serons répartis en trois tables et trois groupes de vins dont voici la répartition :
Groupe 1 : Champagne le Brun de Neuville Millésimé 2003; Champagne Chauvet magnum 1914; Champagne Dom Pérignon Oenothèque 1969; Macon Viré André Bonhomme 1971; Château Palmer très probable 1900; Cos d’Estournel 1928; Château Margaux 1923; Château Lagrange Saint-Julien années 50; Château Bel Air-Marquis d’Aligre 1961; Chambolle Musigny Pasquier Desvignes 1934; Corton Clos du Roi Camille Chandesais 1957; Chapelle-Chambertin Louis Trapet 1974; Moulin a Vent René Guyenet 1947; Inglenook Cabernet Sauvignon Napa Valley 1978; Château Lafaurie Peyraguey 1926; Marc de Bourgogne L’Héritier-Guyot magnum 1970#
Groupe 2 : Champagne le Brun de Neuville Millésimé 2003; Champagne Chauvet magnum 1914; Champagne Napoléon Ch. & A. Prieur à Vertus # 1970; Moët & Chandon Grand Vintage Collection 1993; Hermitage blanc Chave 1983; Vin de Margaux de négoce années 60; Château Haut-Brion années 20 ou plus vieux André Gibert propriétaire; Château Lagrange Saint-Julien 1933; Château Bellefond-Belcier Saint-Emilion Commandant Gilard 1926; Château Palmer 1966; Gevrey Chambertin Pierre Bourrée Fils 1931; Château Canon Saint-Emilion magnum 1955; Côtes de Nuits Village Champy & Fils 1945; Fixin Clos du Chapitre Bouchard P&F 1961; Barolo Riserva Giacomo Borgogno & Figli 1955; Barsac Latrille-Ginestet 1926; Marc de Bourgogne L’Héritier-Guyot magnum 1970
Groupe 3 : Champagne le Brun de Neuville Millésimé 2003; Champagne Napoléon Ch. & A. Prieur à Vertus # 1970; Champagne Drappier Carte d’Or 1995 dégorgé en mai 2012; Sancerre Sauvignon G. Leschemelle 1949; Château La Louvière Graves; Château Brane-Cantenac 1970; Château Montrose 1921; Château Talbot 1934; Château Canon Saint-Emilion magnum 1955; Château Pichon Longueville Baron 1964; Vosne Romanée Roland Thévenin 1955; Clos des Lambrays 1943; Pommard Naigeon-Chauveau 1961; Chateauneuf-du-Pape Montredon 1967; Château Haut Bergeron sauternes 1978; Château Climens 1979; Marc de Bourgogne L’Héritier-Guyot magnum 1970#
Au total, la répartition des millésimes surs et indicatifs (marqués d’un #) est : 1900#, 1914 (2), 1920 # , 1921, 1923, 1926 (3), 1928, 1931, 1933, 1934 (2), 1943, 1945, 1947, 1949, 1950 #, 1955 (4), 1957, 1960 #, 1961 (3), 1964, 1966, 1967, 1969, 1970 # 1970 (3), 1971, 1974, 1975, 1978 (2), 1979, 1983, 1993, 1995, 2003 (3), (2), Total 49 vins de 34 millésimes.
Il convient de signaler que je n’ai pas pris de notes en cours de repas, pris par les conversations qui fusaient de toutes les directions, aussi est-il possible que ma mémoire me joue des tours.
L’apéritif debout se prend avec un champagne unique, dont la maison appartient à l’un des académiciens. C’est le Champagne le Brun de Neuville Millésimé 2003. D’une année atypique, il est une agréable surprise et on y revient volontiers. Les gougères donnent de la douceur à son côté lacté.
Nous passons à table et nous partageons les vins du groupe 1. Quand le Champagne Chauvet magnum 1914 m’est servi pour goûter, je vois le petit mouvement de stupeur de mes convives, car la couleur est marron, de terre sale. Je hume, je goûte et un sourire barre mon visage. Car ce champagne qui n’a plus de bulle donne encore une sensation de pétillant. Je vois des évocations de fruits rouges alors qu’autour de moi on ressent plutôt la vanille et les noix. Quelle que soit la direction que l’on prend, ce champagne est vif, plein de dynamisme, et ravit tous les convives. Il est à noter que le magnum étant partagé avec la table 2, il aura moins de succès à cette table, ce qui montre que la dégustation est un art très subjectif. J’ai adoré ce beau témoignage d’une année exceptionnelle en champagne dont Pierre, l’apporteur, nous a raconté l’histoire, les barriques ayant été déplacées en Bourgogne pour y mûrir du fait de la guerre.
Le Champagne Dom Pérignon Œnothèque 1969 est un rayon de soleil. Sa couleur est très claire. Il est complexe, charmeur, et montre des aptitudes gastronomiques extrêmes. On me demande lequel des deux champagnes je préfère. Celui qui comblera le plus facilement tous les désirs d’excellence, c’est le Dom Pérignon. Mais celui qui attire mon cœur par la qualité de son témoignage, c’est le Chauvet que je préfère.
Le Mâcon Viré André Bonhomme 1971 est une immense surprise. Que ce vin puisse atteindre un tel niveau de perfection est incroyable car on a exactement ce que l’on rêverait de boire si l’on désire un blanc charnu équilibré, profond à la lourde trace en bouche. C’est très probablement la plus belle surprise de ce dîner mais il y en aura d’autres.
Le Château Palmer très probable 1900 avait un niveau très bas, en vidange et m’avait donné une très belle surprise à l’ouverture. Le vin confirme l’impression d’il y a quelques heures. La bouteille sans étiquette mais un nom visible sur la capsule est soufflée, au cul profond ce qui est un indice de l’âge, le repère étant pour moi celui des années que j’ai achetées de ce vin. Le parfum du vin est de fruits noirs profonds. En bouche, je ressens une pâte de fruit de fruits noirs. Le vin est profond, avec un message très expressif. Des convives qui garderont longtemps leur verre n’en reviennent pas qu’il puisse garder sa force et son intégrité aussi longtemps. Sans attendre, je dirai que c’est mon vainqueur de la soirée.
Le Cos d’Estournel 1928 a une acidité beaucoup trop forte. Il y a tant de vins à venir qu’il est inutile de s’attarder sur ce vin.
Le Château Margaux 1923 se présente comme manquant de corps après le Palmer 1900. Mais il se réchauffe, s’ébroue, et son message féminin devient de plus en plus charmant. Il n’est pas très aidé de passer derrière un Palmer si expressif.
Le Château Lagrange Saint-Julien années 50 est bouchonné. Inutile d’insister, même si ce désagrément s’estompe avec le temps.
Le Château Bel Air-Marquis d’Aligre 1961 est un vin qui n’a pas d’âge. Serein, rond, joyeux, il est tellement accompli que c’est l’éternel jeune homme, dans l’éclat de sa séduction.
On dirait que la Bourgogne veut faire un concours de jeunesse, car le Chambolle-Musigny Pasquier Desvignes 1934 est facile à vivre, tranquille, aimablement bourguignon.
J’adore le Corton Clos du Roi Camille Chandesais 1957 car il est encore plus bourguignon que le précédent avec une râpe délicate.
Et comme si c’était la soirée des concours, le Chapelle-Chambertin Louis Trapet 1974 se met à vouloir lutter avec les deux autres pour afficher sa bourgognitude. Bien que de deux Côtes différentes, le Corton et le Chapelle-Chambertin ont beaucoup de points communs car ils ont la grâce délicate que donnent les petites années.
Le Moulin a Vent René Guyenet 1947 est un joli témoignage du beaujolais, peut-être pas le plus grand des 1947 que j’ai bus de cette belle région, mais très convaincant par sa densité.
On m’apporte un verre du Gevrey Chambertin Pierre Bourrée Fils 1931 du groupe 2 et je ne peux pas cacher ma surprise de constater que tous les bourgognes sont dans un état de jeunesse et de richesse très supérieur à tout ce que je pouvais attendre. Celui-ci est profond, droit, riche et convaincant. Une belle surprise d’une année extrêmement difficile à trouver.
Le Inglenook Cabernet Sauvignon Napa Valley 1978 est d’une solidité à toute épreuve. Je suis étonné de lui trouver des accents bordelais. Les grands vins américains des année 70 sont maintenant de vraies merveilles.
Le Château Lafaurie Peyraguey 1926 est noir comme du café et le miracle est que ce café respire les agrumes. Le vin a tout pour lui, l’équilibre, la puissance et la séduction. C’est le sauternes comme on les aime, dans leur plénitude absolue.
Les amis étant insatiables, je fais ouvrir le Marc de Bourgogne L’Héritier-Guyot magnum 1970 # que j’avais apporté pour le cas où nous aurions encore une petite soif. Le moins qu’on puisse dire, c’est que ce marc est viril. Il a de la paille dans les sabots. Adorant les marcs je trouve celui-ci très roturier mais expressif. Il ponctue bien ce dîner.
Comment faire un classement dans un groupe d’une telle diversité ? Ce ne peut être qu’un choix de coups de cœur. Il faut se jeter à l’eau : 1 – Palmer 1900, 2 – Champagne Chauvet magnum 1914, 3 – Mâcon Viré André Bonhomme 1971, 4 – Château Lafaurie Peyraguey 1926, 5 – Champagne Dom Pérignon Œnothèque 1969. Est-ce un bon choix, je ne sais pas.
Le classement des surprises serait : 1 – Mâcon Viré André Bonhomme 1971, 2 – Palmer 1900, 3 – Champagne Chauvet magnum 1914. Mon classement de plaisir est donc très lié aux heureuses surprises que j’ai rencontrées.
Je n’ai jamais vu une assemblée aussi sage. Dans des réunions précédentes on voyait des académiciens qui couraient de table en table pour essayer les vins des autres groupes. Point de cela aujourd’hui. L’atmosphère a été joyeuse, avec beaucoup de nouveaux. Ces réunions de l’académie sont une occasion unique de partager des vins d’âges canoniques et de comprendre que tout ce qui se dit sur les vins anciens procède de préjugés qui ont la vie dure mais qui tombent lorsqu’on démontre la longévité inouïe de tous ces vins. Longue vie à l’académie des vins anciens.