A 16h10 au restaurant Pages, commence l’ouverture des vins du 259ème dîner. Les conditions atmosphériques ambiantes vont faire que certains bouchons vont être difficiles à extraire, dont celui du Vega Sicilia Unico 1960 qui va tomber dans le liquide et obliger à carafer le vin pour enlever le bouchon et remettre le vin dans sa bouteille. Ce n’est plus de l’oxygénation lente mais de l’oxygénation à rythme forcé. Le Lynch Bages 1924 a un beau parfum engageant ce qui ne sera plus le cas au moment du service. Le Volnay 1937 a lui aussi un beau parfum. Le Vega Sicilia carafé puis remis en bouteille est rassurant et le Royal Kebir 1947 a un nez marqué de café et montre une belle promesse.
Dans le programme que j’avais proposé, la vedette devait être une Romanée Conti 1965. S’il est un vin qui devrait n’avoir aucune erreur d’inventaire dans ma cave, c’est bien la Romanée Conti. Or en préparant les vins du dîner, je ne retrouve pas la Romanée Conti 1965. Impensable ! Je décide alors de mettre une Romanée Conti 1962, d’une année de plus belle réputation que 1965 et pour que personne n’exprime de regret, j’ajoute une bouteille de La Tâche 1965. C’est maintenant le moment d’ouvrir ces deux vins de la Romanée Conti. La Tâche 1965 a un nez de terre et de poussière à un point tellement intense que j’ai les plus grands doutes sur sa future prestation.
La Romanée Conti 1962 n’a pas de capsule mais de la cire, largement craquelée. Le bouchon est noir et le parfum est pire que celui de La Tâche, avec des notes suries et vinaigrées. Aïe, aïe, aïe ! J’ai voulu faire plaisir et ce ne sera peut-être pas le cas. L’Yquem 1948 et le Chypre 1870 ont des nez d’une perfection inatteignable par d’autres vins.
A 18 heures j’ouvre le magnum de Dom Pérignon 1993 et à 18h45 j’ouvre le Pommery 1973 qui m’offre une surprise incroyable. Je tire le bouchon qui me saute des mains et va retomber plus de quatre mètres plus loin de la table où j’opère. Comment est-ce possible qu’un champagne de presque 50 ans soit aussi explosif ? Je n’en reviens pas.
Décidément les ouvertures ont été marquées par des surprises dans tous les sens et le service à table va nous en offrir d’autres.
Les convives sont tous à l’heure à 20 heures. Nous sommes dix dont trois femmes. Il y a deux nouveaux participants venus de Dubaï pour ce dîner.
Le menu préparé par le chef Ken et son équipe est : choux au parmesan / Saint-Jacques en deux façons / homard sauce bisque vin rouge / pigeon, gnocchi ail noir, sauce salmis / wagyu grillé / foie gras poché / stilton / tarte exotique / financiers.
Le Champagne Pommery brut 1973 est exceptionnel. Il combine une belle maturité avec une folle jeunesse car sa bulle est active comme l’annonçait l’explosion du bouchon. C’est à mon sens la définition même du beau champagne mature.
Le Champagne Dom Pérignon P2 magnum 1993 plait énormément à ma voisine qui adore sa jeunesse alors que j’ai personnellement beaucoup de mal à l’aimer. Il est fortement dosé et me semble trop rajeuni par rapport au 1993 d’origine. Les coquilles Saint-Jacques sont présentées d’abord crues puis juste poêlées. Je préfère le champagne sur les coquilles poêlées alors que d’autres convives le préfèrent sur la coquille crue.
J’aime faire des associations improbables telles que de mettre un bordeaux et un bourgogne ensemble sur du homard. Les nez des deux vins ont des esquisses de bouchon. Le Château Lynch Bages 1924 dont le parfum m’avait plu à l’ouverture a maintenant un nez de bouchon qui ne disparaîtra pas.
Le Volnay Santenots Joseph Drouhin 1937 au contraire perd très vite l’infime trace de bouchon et se montre d’un charme extrême, voluptueux et tout en suggestion. Ce vin délicat et subtil est d’une belle jeunesse. Je suis content qu’il ait eu plusieurs votes alors que le nombre de grands vins est important.
Sur le pigeon, nous goûtons un vin espagnol et un vin algérien. Les deux sont sans défaut et généreux. Le Vega-Sicilia Unico 1960 est splendide et d’un fruit très jeune, avec une extrême fraîcheur dans le finale.
Le Royal Kebir Frédéric Lung rouge Algérie 1947 est très exotique par rapport au Vega. Il est beaucoup plus énigmatique et montre une ampleur rare. C’est un vin splendide, probablement le plus charpenté des vins algériens que j’aie eu la chance de boire. Les deux vins s’accordent avec le pigeon parfaitement cuit.
L’originalité de ce dîner c’est que l’on a programmé les vins riches d’Espagne et d’Algérie avant les vins de la Romanée Conti, alors que l’ordre inverse eût été plus logique. Aussi pour que nos palais soient prêts à accueillir les vins bourguignons, j’ai demandé à Matthieu, l’excellent sommelier, de garder du Dom Pérignon 1993 qui est servi avec une brioche. Nous sommes donc prêts pour la suite.
J’ai tellement pris de précautions pour prévenir toute mauvaise surprise que personne ne croit que La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1965 ait pu être poussiéreuse au moment de l’ouverture, car elle se présente avec un parfum salin si représentatif des vins de la Romanée Conti et de la Romanée Conti elle-même. Le vin est sublime, comme si les défauts d’il y a six heures n’avaient pas existé. Ce 1965 est plus typée Romanée Conti que La Tâche tant il est délicat. C’est un vin superbe et long. L’association à du wagyu a quelque chose d’antinaturel car le gras de la viande est très fort. Mais en fait l’accord se trouve judicieusement.
La Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1962 n’aura pas la chance de La Tâche. Elle n’a plus de notes vinaigrées, elle est cohérente, mais il lui manque l’émotion. Elle recevra quand même deux votes, mais je la considère comme un vin éteint. Le foie gras poché est une de mes coquetteries pour accompagner une Romanée Conti (un convive a créé un mot pour mes coquetteries ; il les nomme des audouzades). Ce soir le foie poché est un peu trop discret et manque de vibration pour réveiller le 1962.
Le Château d’Yquem 1948 est d’une couleur d’un or glorieux. Le vin est superbe de sérénité. Les Yquem, quand ils sont grands, sont très grands. Le stilton de la maison Barthélémy est exactement ce qu’il faut, affiné mais pas trop. La tarte à la mangue de Yuki est d’une rare légèreté. Et l’Yquem est grandiose dans les deux accords.
Le financier de Yuki est idéal pour le Vin de Chypre 1870, doucereux à l’attaque et sec sur le finale. Ce vin de 152 ans a une fraîcheur que le temps ne modère pas.
Il est temps de voter pour nos cinq vins préférés sur les dix du repas. La Tâche 1965 est le gagnant incontestable avec cinq places de premier. Je suis très heureux que le Pommery 1973 ait eu deux places de premier car généralement en fin de repas on oublie de voter pour les vins du début de repas. Le Château d’Yquem 1948 a lui aussi deux places de premier et le Royal Kebir 1947 en a une.
Le vote global est : 1 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1965, 2 – Royal Kebir Frédéric Lung rouge Algérie 1947, 3 – Château d’Yquem 1948, 4 – Champagne Pommery brut 1973, 5 – Vin de Chypre 1870, 6 – Volnay Santenots Joseph Drouhin 1937.
Mon vote est : 1 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1965, 2 – Royal Kebir Frédéric Lung rouge Algérie 1947, 3 – Vega-Sicilia Unico Vino Fino 1960, 4 – Château d’Yquem 1948, 5 – Vin de Chypre 1870.
La cuisine du restaurant Pages est épurée et c’est exactement ce qu’il faut pour les vins anciens. Les cuissons sont divines, comme celle du homard et celle du pigeon. Le service est compétent et attentif. Nous allons hélas ne plus retrouver Lumi qui va voler vers de nouvelles aventures. Elle a eu une part significative dans la réussite des treize dîners que j’ai eu le plaisir d’organiser dans ce restaurant si attentif aux besoins des vins. Lumi sera remplacée par Antoine que j’ai connu en d’autres lieux.
Le service des vins par Matthieu a été d’une grande pertinence.
La Romanée Conti 1962 qui prenait la place d’une 1965 n’était pas au rendez-vous. La Tâche 1965 nous a comblés. Les convives charmants, de tous horizons, ont apporté leurs sourires pour que ce repas constitue l’un des plus sympathiques que j’aie organisés.