Le 267ème repas est un déjeuner au restaurant Maison Rostang organisé par un ami de longue date qui réunit chaque année des amis à l’un de mes repas. Ce sont tous des hommes qui réussissent dans les affaires, majoritairement dans la cinquantaine, bons vivants de province, connaisseurs et amateurs de grands vins.
Je suis venu au restaurant à 9h30 pour ouvrir les vins qui avaient été livrés il y a plusieurs jours et avaient été redressés debout en caisse la veille par Jérémie, le sommelier qui a accompagné ce déjeuner avec talent.
Lorsque l’atmosphère extérieure est assez humide et chaude comme depuis quelques jours, les bouchons sont venus facilement même si souvent ils ont été extirpés en morceaux. Les parfums les plus engageants sont ceux du Champagne Lanson 1949 et du Château Filhot 1935. Le parfum du Châteauneuf-du-Pape 1949 est de vinasse, avec une acidité vinaigrée, avec un bouchon totalement imbibé mais beau.
Le Chablis 1971 me semble bouchonné. Je le fais sentir à Jérémie qui le trouve convenable. Je ressens et effectivement, l’odeur est moins marquée que la première approche. Nous verrons.
J’ai eu une frayeur en ouvrant le Lafite 1971. La capsule paraît authentique, tout semble normal, mais en levant le bouchon, je vois qu’il n’a aucune inscription. L’idée d’un faux est évidente, et je sens le vin avec Jérémie. Tout indique que ce puisse être Lafite et que 1971 soit probable. En regardant à nouveau le bouchon, je vois des traces d’écriture qui pourraient faire penser à Lafite. Mais le doute existe. A vérifier. Le parfum du Fleurie 1938 me paraît engageant et je le verrais bien faire des prouesses.
Il y a du bon et de l’incertain. A suivre.
Nous serons dix. Le menu qui a été mis au point avec le chef Nicolas Beaumann se présente ainsi : canapés / amuse-bouche / les langoustines pochées dans un consommé puis rôties, coques au bouillon et fruit de la passion, sarrasin soufflé, bouillon de langoustines mousseux / le homard rôti, céleri cuit en croûte de sel et jus de la presse au vin de syrah / le pigeon cuit à l’étouffée, artichaut braisé aux saveurs de noix et olives, jus de pigeon / le lièvre à la royale / stilton / palet de mangue fraîche, crème légère à l’agastache et gavottes à la cervoise / le soufflé chaud au chocolat, noisettes torréfiées.
Le Champagne Dom Pérignon 1988 avait fait un beau pschitt à l’ouverture, libérant des petites bulles sympathiques. La couleur est d’un bel ambre. Le champagne est délicieux, cohérent, charmant et noble. Il est tellement accompli qu’on en ferait volontiers son ordinaire.
Lorsque le Champagne Lanson 1949 apparaît, je suis aux anges. Son bouchon s’était brisé à l’ouverture, retiré sans pschitt. Son parfum était d’une délicatesse infinie. Il l’est encore et en bouche c’est du bonheur pur. Il a une acidité magnifiquement dosée. C’est un champagne noble, sans âge car il ne paraît pas plus vieux que le Dom Pérignon de 39 ans plus jeune. Un pur régal.
Les langoustines dont d’une subtilité absolue, cuites à la perfection. Le Riesling Clos Sainte Hune Trimbach 1979 est puissant, vif et tranchant, affuté et de beau plaisir. Il est noble.
Hélas, le Chablis Grand Cru Les Vaudésirs Domaine Albert Long-Dépaquit 1971 est fortement bouchonné. J’ai espéré que cela n’affecte pas son goût et j’ai cherché à le croire, mais force est de constater que ce vin n’est pas à la hauteur. C’est dommage.
Le homard est puissant et le Château Ausone Saint-Emilion 1959 le lui rend bien. Quel grand vin racé, vif. Tout le monde convient qu’une telle réussite serait impossible à trouver avec un Ausone jeune. On a là un Ausone épanoui et prêt à braver l’éternité. Il est majestueux. Il sera couronné par les votes et il le mérite.
Lorsque Jérémie me verse un verre de Château Lafite Rothschild Pauillac 1971 je le vois clairet et pas du tout Lafite, à l’œil. Mais un convive a un verre extrêmement sombre avec de la lie noire. Je lui propose d’échanger nos verres, ce qui est fait. L’ami est beaucoup plus heureux avec ce verre. J’entends que certains aiment ce vin, même s’il est loin de l’Ausone, et que certains reconnaissent Lafite. Je ne reconnais pas Lafite mais la bouteille a peut-être vécu des périodes difficiles avec une dépigmentation du vin dans le haut de la bouteille. La capsule, l’âge du bouchon, tout montre que la bouteille est authentique même sans écritures visibles de Lafite. Mais le vin ne facilite pas qu’on le trouve authentique. La capsule m’interdit de dire que c’est un faux. Le liquide m’y conduit. Laissons cette énigme dans cet état. Il suffit de se souvenir que l’Ausone 1959 est une merveille.
Sur le délicieux pigeon il y a un seul vin et je suis fort marri, car le Fleurie Etienne Maraux 1938 est loin d’avoir le corps que son parfum initial suggérait. Il n’est pas mauvais, mais il n’a rien. Pas assez pour avoir envie de l’aimer. C’est dommage car j’adore les vieux beaujolais.
La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1956 est une merveille de La Tâche car il a le sel que j’aime tant. Il est tellement typé que je suis aux anges. Ce sera mon chouchou dans les votes. Des amis trouvent que le lièvre à la royale est trop épicé. Un des convives est restaurateur. Il a été étoilé et a réalisé un de mes dîners il y a quelques années. Il est comme moi heureux de cette présentation du lièvre qui permet de beaux accords.
Le Châteauneuf-du-Pape La Bernardine Chapoutier 1949 est un solide gaillard, puissant, carré, d’un charme naturel serein. Et c’est bien que le bourguignon et le rhodanien aient été mis ensemble car ils sont tellement différents qu’ils se complètent. Un régal d’avoir ces deux vins si grands ensemble.
Le Château Filhot Sauternes 1935 est une merveille ensoleillée. Il a la puissance – qui n’est pas la qualité principale qu’on lui reconnait – et une étonnante fraîcheur. Ce sauternes est un de mes chouchous dans ce millésime particulièrement attrayant par sa subtilité.
Ne sachant pas ce que ce vin serait, j’avais goûté le Pinot-Gris Ai-Danil Collection Massandra 1938 vers 10 heures ce matin. Le nez m’évoquait du marc, alors que la bouche est toute doucereuse. C’est un dandy élégant qui dégage un charme particulier. Je l’aime d’autant plus qu’il offre un goût qui m’est inconnu. Un ami dit qu’il évoque le café, mais c’est beaucoup plus la figue qui apparaît. Suave et noble, il crée un très bel accord avec le délicieux soufflé.
Il y a eu des performances très diverses, mais les belles performances nous ont enthousiasmé. Nous votons pour nos cinq vins préférés. Quatre vins ont été nommés premiers. La Tâche 1956 a été nommée quatre fois premier, l’Ausone 1959 trois fois, Le Châteauneuf 1959 deux fois et le Lanson 1949 une fois. Les seuls vins sans vote sont le chablis et le Fleurie.
Le classement du consensus serait : 1 – Château Ausone Saint-Emilion 1959, 2 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1956, 3 – Champagne Lanson 1949, 4 – Châteauneuf-du-Pape La Bernardine Chapoutier 1949, 5 – Château Filhot Sauternes 1935, 6 – Château Lafite Rothschild Pauillac 1971.
Mon classement est : 1 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1956, 2 – Champagne Lanson 1949, 3 – Château Ausone Saint-Emilion 1959, 4 – Pinot-Gris Ai-Danil Collection Massandra 1938, 5 – Château Filhot Sauternes 1935.
Si je n’ai pas mis le Châteauneuf dans mon vote c’est parce que je le connais très bien et je n’ai pas eu la surprise d’autres vins. La cuisine a été d’une grande qualité, les plats créant de beaux accords. Le service est efficace et Jérémie a bien géré les cent verres qui formaient une forêt sur la table.
J’ai offert en fin de repas une Chartreuse verte de 54° mise en bouteille en 2021 qui a marqué par sa fraîcheur étonnante le beau point final d’un repas amical et réussi.
vraie ou fausse ?