268ème repas à l’Appartement Moët Hennessyvendredi, 21 octobre 2022

Stanislas Roccofort de Vinnière est en charge des relations avec les grands clients particuliers du groupe Moët Hennessy. A ce titre, il a à sa disposition l’usage d’un appartement privé où sont reçus ces clients précieux. Cela faisait longtemps que Stanislas souhaitait qu’un de mes repas se fasse en ce lieu. Nous y avons travaillé et ce jour va se tenir dans l’Appartement Moët Hennessy le 268ème de mes repas, à déjeuner.

Les vins ont été apportés peu de jours avant le repas et mis verticaux la veille. Je me présente à 9h30 pour ouvrir les vins. Normalement je le fais dans l’ordre de service des vins et je finis par les champagnes. Mais je vais commencer par le magnum de Romanée Conti car un ami ayant vu la photo a émis un doute sur l’authenticité du vin. En effet il n’y a aucun numéro sur l’étiquette alors que les vins sont toujours numérotés. Une omission est possible mais autant vérifier pour savoir au plus vite si je dois ouvrir une bouteille de secours.

La bouteille du 1961 est fermée par une cire très ancienne largement cassée mais ne permettant en aucun cas que l’on ait changé de bouchon. Ce qui reste de la cire n’a aucune indication, histoire de maintenir le suspense. Je casse la cire et une lunule de verre du bord du goulot se brise. Je retire le bouchon qui est noir sur toute sa longueur et vient en plusieurs morceaux. Le suspense continue. Il est donc temps de sentir et de goûter le vin ce que je ne fais normalement pas pour garder la pureté de la méthode d’oxygénation lente, en ne remuant pas la bouteille.

La couleur est d’un rouge clair qui est sympathique. Le nez est volontiers terrien et poussiéreux ce qui ne m’émeut pas car cela arrive souvent avec les vins de la Romanée Conti. En bouche, le vin fait son âge. Il n’est pas encore épanoui, mais rien ne permet de dire que ce ne serait pas une Romanée Conti. Je vais donc continuer à sentir pour suivre l’évolution du parfum, mais à ce stade il n’y a aucune raison d’avoir peur.

L’Y d’Yquem 1962 à la belle couleur dorée a un nez épanoui où l’on ressent des accents d’Yquem, mais secs. Le Montrachet Comtes Lafon 1978 a un parfum puissant d’un charme fou. Le Montrachet Domaine de la Romanée Conti 2003 a un bouchon tellement serré que je suis obligé de demander de l’aide à Nicolas, le manager de l’appartement, car mes efforts ne suffisent pas. Le nez de ce vin est d’une grande précision, surclassé par l’opulence du parfum du Comtes Lafon.

Le Clos Des Lambrays 1978 me semble avoir un nez de bouchon. Espérons qu’il disparaisse. Le Musigny Domaine Georges de Vogüé 1955 a un bouchon qui se déchire en mille morceaux et cela est dû au fait qu’il y a un pincement dans le goulot. La partie du bouchon sous le pincement ne peut sortir qu’en charpie. Le parfum du Musigny est si extraordinaire de générosité et de perfection que je préfère remettre un bouchon sur le goulot pour garder le miracle de cette odeur divine.

La Tâche 1969 a un bouchon qui vient entier. Le tiers supérieur du bouchon est noir, signe généralement d’une différence de température entre des lieux de stockage de ce vin. Le vin m’offre un de ces parfums qui font ma joie : cela sent la terre, le sel, la vieille armoire, mais je sais à l’avance que le vin s’assemblera, selon une évolution positive tant de fois ressentie.

Comme si je n’avais pas assez de l’énigme de la Romanée Conti, l’Yquem 1899 se présente avec une capsule qui n’est pas frappée du chiffre du millésime. Dans ce cas, le bouchon porte une indication de l’année de l’habillage nouveau de la bouteille. Mais là, on voit un bouchon où des écritures ont existé, mais sont presque complètement effacées. Le bouchon n’a pas 123 ans, il est assez vieux, mais rien n’indique qu’il est d’Yquem. Tout indique un faux, sauf que le parfum du vin est à se damner. La couleur du vin est noire, et tout indique un très bel Yquem. Si un faussaire a fait ce vin, il l’a fait avec de l’Yquem 1899 !

Pour que le suspense ne finisse pas là, j’ouvre le Porto Ferreira 1815 dont le bouchon collé au verre sort en totale charpie. Et les morceaux dont le bas du bouchon tombent dans le liquide ce qui impose de carafer le vin, de laver la bouteille et de remettre le vin dans sa bouteille d’origine. Pendant ces opérations je sens le vin qui ne me semble pas avoir 207 ans. Il fallait bien que le suspense continue.

Je commence à ouvrir les champagnes. Je n’ai plus l’habitude d’ouvrir les jeunes champagnes, aussi le bouchon du Dom Ruinart 2010 m’échappe des mains et saute dans la pièce, avec un pschitt de canon d’artillerie. Le Dom Ruinart 1988 a un joli pschitt mais plus civilisé. Sa couleur est belle. Le bouchon s’est brisé à la torsion, comme celui du Dom Pérignon rosé 1982.

J’ai fini toutes les opérations d’ouverture à 11h30. Il est rare que je prenne deux heures pour ouvrir les vins du repas.

Le repas a été mis au point avec le chef Teshi, propriétaire du restaurant Pages et avec son épouse Naoko. Nous nous connaissons bien aussi la mise au point du repas a été facile. J’ai participé à la mise au point du service avec le personnel de service et avec le sommelier Pierre qui a fait un beau travail de service des vins.

Le menu est : Pata Negra de 36 mois / tourteau et tarte à l’édamamé / mille-feuille de saumon / huîtres avec une gelée d’algues / carpaccio de loup et caviar d’Aquitaine / cabillaud à la sauce « Pages » / homard breton, bisque au comté et vin jaune / saint-pierre à la sauce vin rouge / pigeon vendéen à la sauce au sang / wagyu poêlé, pommes de terre grillées / stilton / tarte à la mangue / financier nature / chocolat grenache.

Nous sommes onze dont dix hommes majoritairement français et deux belges. L’apéritif est pris dans le salon après une présentation par Nicolas des merveilles d’artisanat qui contiennent des vins et alcools avec une rare sophistication.

Le Champagne Dom Ruinart 2010 est une mise en bouche souhaitée par Stanislas. Il promet, mais il est encore bien jeune. Il a donné les trois coups de la pièce qui va se jouer

Le Champagne Dom Ruinart 1988 a été annoncé par moi par erreur comme étant de 1964. Il se trouve que j’aime beaucoup le 1964 que j’ai souvent bu et comme l’étiquette est quasiment la même, j’ai annoncé 1964 et on l’a bu comme tel. Cela prouve que sa maturité permettait d’accepter cette date, mais aussi qu’un 1964 paraissait jeune. A ce détail près, tout le monde adore ce magnifique champagne épanoui, large et solaire. Pour beaucoup c’est une découverte très positive.

Nous passons à table. Le Champagne Krug Clos du Mesnil 1982 est très raffiné. Mais nous avons encore en bouche le charme du Dom Ruinart aussi paraît-il plus discret. L’accord du Krug avec la gelée des huîtres est un des plus beaux du repas. La gelée élargit toutes les complexités du noble Clos du Mesnil.

Comme je n’avais pas annoncé que le carpaccio de bar allait aussi avec le Krug il faut servir en avance l’Y d’Yquem 1962 qui se révèle charmant et joliment marin avec le bar mais aussi avec le cabillaud à la sauce umami, une spécialité de Pages que j’adore.

Les deux montrachets vont accompagner le homard. Le Montrachet Comtes Lafon 1978 a un parfum extraordinaire de générosité, large et souriant. Ce vin est grand, mais le Montrachet Domaine de la Romanée Conti 2003 au parfum plus discret est un miracle en bouche. Il n’a aucun botrytis, il est bien sec et comme il a très peu d’énergie par rapport à d’autres années tonitruantes, il se montre exceptionnel. C’est peut-être l’un des plus grands montrachets du domaine que je bois, du fait de sa gracilité.

Le Clos Des Lambrays 1978 a hélas un léger goût de bouchon qui va empêcher que l’on en profite.

Le Musigny Domaine Georges de Vogüé 1955 est tellement extraordinaire de largeur, de puissance et de cohérence que tout le monde comprend en quoi les vins anciens ne peuvent ni de près ni de loin être surpassés par des vins jeunes. Le pigeon au sang est idéal pour mettre en valeur la glorieuse générosité de ce vin.

Le pigeon est aussi associé avec La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1969 et je jubile. Car ce vin est tout ce que j’aime dans les vins de la Romanée Conti. Un côté salin, un certain ascétisme, une grande discrétion qui ne révèle les subtilités du vin que si on veut les écouter. Je nage dans le bonheur, mais je ne revendique aucune objectivité. Il est dans le même esprit mais peut-être un peu plus riche que La Tâche 1956 que j’avais bue la veille.

La Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti Magnum 1961 est servie sur le wagyu. Je sens autour de moi que l’on se régale car le vin a maintenant atteint sa cohérence. C’est un vin riche et solide, à la puissance contrôlée et à la longueur infinie. Son finale est envoûtant. Je regrette un peu de ne pas sentir plus de sel, mais le souvenir que je peux avoir des dix vins du domaine que j’ai bus dans ce millésime sont dans cette situation. Pour moi la cohérence avec 1961 est sûre. Mes convives savourent et les votes le montreront.

Stanislas avait aussi prévu qu’un jeune Yquem précéderait l’ancien. Le Château d’Yquem 2005 est jeune bien sûr, mais il a déjà une personnalité bien affirmé et sa fluidité permet qu’on l’aime.

Le Château d’Yquem 1899 est phénoménal. Sa couleur noire est d’une grande densité et en bouche, c’est un soleil brûlant qui prend possession du palais. Ce vin est un rêve qui s’exprime aussi bien avec le stilton, idéal pour faire briller les sauternes, qu’avec la mangue qui reste, décidément, le fruit qui met en valeur les Yquem. Ce 1899 est sur une planète idéale où l’âge n’existe plus. Cet Yquem « est ». Il est là, sans âge, avec une perfection de goût, magique. On devrait ne boire que cela sur l’Olympe.

Le Porto Ferreira 1815 que j’ai acheté il y a quelques années à un ami ne me semble absolument pas aussi ancien. Il se pourrait qu’il soit de cet âge, mais il a un goût de « déjà vu » qui empêche que je l’aime.

Nous passons au salon pour le champagne et pour garder l’attention de tous, je fais voter pour les cinq vins préférés. Aussi le Champagne Dom Pérignon Rosé 1982 ne fera pas partie des votes. Ce vin légendaire, le rosé préféré de Richard Geoffroy qui faisait Dom Pérignon, est extrêmement agréable et va préparer notre palais à accueillir le Cognac Richard Hennessy fait avec des eaux-de-vie les plus anciennes de ce qui se commercialise, en dehors d’un cognac qui résume toute l’histoire des meilleures sélections des huit générations de maîtres de chais. Ce Richard est d’un raffinement particulier, où la puissance est d’une élégance raffinée.

Nous sommes seulement dix à voter pour nos cinq préférés. Seuls trois vins sur quatorze ont obtenu des votes de premiers. La Romanée Conti 1961 a eu cinq votes de premier, soit la moitié de la table, La Tâche a eu trois votes de premier et l’Yquem a eu deux votes de premier. Il est à noter que le domaine de la Romanée Conti a raflé 80% des votes de premier, score de république bananière.

L’Yquem a eu dix votes et trois vins ont eu neuf votes, le Montrachet 2003, le Musigny 1955 et La Tâche.

Le vote du consensus serait : 1 – Château d’Yquem 1899, 2 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1969, 3 – Magnum de Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1961, 4 – Musigny Domaine Georges de Vogüé 1955, 5 – Montrachet Domaine de la Romanée Conti 2003, 6 – Champagne Dom Ruinart 1988.

Mon vote est : 1 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1969, 2 – Montrachet Domaine de la Romanée Conti 2003, 3 – Musigny Domaine Georges de Vogüé 1955, 4 – Champagne Dom Ruinart 1988, 5 – Château d’Yquem 1899.

La forme de la table permettait que chacun puisse parler avec chacun, mais l’ambiance a fait que j’ai parlé presque tout le temps, puisque beaucoup de participants me questionnaient sur mon expérience. Chacun a été subjugué par la pertinence des accords mets et vins. Certains ont dit que la cuisine de ce repas méritait les trois étoiles.

Tout fut absolument idéal et les plats d’une pureté extrême, avec des sauces à mourir, ont fait de ce repas un exemple de la plus haute gastronomie.

Il y avait des suspenses, il n’y en a plus. On a oublié les deux vins faibles. Ce fut un immense repas.


la présentation des vins à l’Appartement

un bijou de présentation d’une collection de Dom Pérignon

Champagne Dom Ruinart 2010

Champagne Dom Ruinart 1988

Champagne Krug Clos du Mesnil 1982

Y d’Yquem 1962

Montrachet Comtes Lafon 1978

Montrachet Domaine de la Romanée Conti 2003

Clos Des Lambrays 1978

Musigny Domaine Georges de Vogüé 1955

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1969

Magnum de Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1961

Château d’Yquem 2005

Château d’Yquem 1899

Porto 1815

Champagne Dom Pérignon Rosé 1982

les bouchons

le repas