Le 289ème dîner se tient au restaurant Marsan Hélène Darroze. Un ami m’avait demandé en 2019 de faire un repas pour une vingtaine de ses amis. Nous avions choisi le restaurant Marsan Darroze qui a une table qui permet d’accueillir une vingtaine de personnes. Ce fut le 240ème dîner. Il y a quelque temps, il m’a demandé de faire un dîner similaire pour des relations de travail.
J’ai contacté il y a un mois le restaurant pour étudier la cuisine et mettre au point un menu qui correspondrait aux vins que j’ai prévus. J’ai déjeuné sur place et rencontré l’équipe du restaurant qui est totalement différente de celle de 2019. Je ne connaissais ni le directeur, le chef de cuisine, la pâtissière, ni le sommelier.
Nous avions travaillé avec un bel esprit de coopération et voici le menu conçu par le chef Paul Genthon et toute son équipe, dont j’ai raccourci un peu le texte : gougères nature : gressins aux anchois de Cantabrie, purée d’artichaut / Taloa, comme au pays basque, sashimi de la pêche du jour, herbes fraiches et fleur de sel épicée / le champignon crème, carpaccio au foie gras de canard, crème de noix fraîches, émulsion de vin jaune / homard bleu aux épices tandoori, mousseline de carottes, réduction de poivre à la coriandre / pigeon fermier à la goutte de sage, flambée au capucin, pomme de terre fondante, toasts aux abats, jus intense / Comté de 18 mois / granité de pamplemousse rose / mangue en tatin / financier à la rose.
J’arrive peu avant 16 heures pour ouvrir les vins. Il y a 17 bouteilles dont un jéroboam, deux magnums et 14 bouteilles. Beaucoup de bouchons ont été difficiles à retirer et j’ai eu quelques fois recours à l’aide d’Avishek Bhugaloo, le chef sommelier ou de Nicolas l’un des sommeliers qui gère la belle exposition de bouteilles dans la salle où nous allons dîner. Le Jéroboam de Veuve Clicquot a un bouchon très serré qu’il a fallu tirer avec de grands efforts. Il n’a pas été explosif. Il n’y a eu aucun vin qui pose question, les plus beaux parfums étant ceux des sauternes, du Grands Echézeaux et du Chablis. Les sept vins qui avaient chacun deux bouteilles ont offert des parfums différents. Parmi les vins que j’avais prévu il y avait un Château Olivier blanc 1949. Les deux bouteilles ont des couleurs extrêmement différentes. Par précaution j’ai décidé de ne pas les ouvrir et de remplacer ce vin pas deux Chablis 1976 aux couleurs parfaites.
J’ai été fatigué par cette opération et j’ai cherché à me reposer avant l’arrivée des convives. Nous sommes 21 avec une absence de parité car seulement deux femmes sont à notre table.
Le Jéroboam du Champagne Veuve Clicquot La Grande Dame 2008 a un très joli parfum subtil et engageant. En bouche, il est large et expressif. C’est un beau champagne qui demandera sans doute vingt ans pour devenir éblouissant car il est d’une grande année. Il est grand maintenant mais la sagesse serait d’attendre. J’ai en tête un sublime magnum de Veuve Clicquot 1947 absolument magique. Ce 2008 a la capacité d’atteindre ce niveau. Il faut attendre. Les gressins aux anchois excitent bien ce champagne.
Après la présentation habituelle des « règles » pour profiter au mieux de mes dîners, nous passons à table et le Magnum Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1996 est servi. Quel contraste entre les deux champagnes. Le Veuve Clicquot est le saint-cyrien qui va défiler au 14 juillet alors que l’Enchanteleur est le sous-préfet au champ, gourmand et jouisseur. Ce solide champagne, c’est la joie de vivre. On a tendance à le préférer car il a du charme, mais le délicieux Taloa très expressif donne à La Grande Dame une énergie beaucoup plus vive.
Le Chablis Grand Cru Vaudésir la Valadière 1976 à la belle couleur de blé doré me plait instantanément. Je me dis souvent qu’on ne boit pas assez de chablis car ils sont très expressifs et vifs, sans aucune lourdeur. Et les champignons se marient divinement avec le chablis puissant.
Mais le Bâtard Montrachet Fontaine & Vion 1990 n’est pas en reste avec le plat charmant. Il est tout en douceur subtile. Récemment nous avions partagé un Montrachet du même producteur et de la même année et on retrouve ce charme subtil et enjôleur, très rond. Les deux blancs cohabitent très bien ensemble face au plat.
Beaucoup de convives sont surpris que le homard soit associé avec un vin rouge. J’avais senti à l’ouverture le nez parfait de l’Ausone et le mot qui convient au Magnum Château Ausone 1970, c’est le mot ‘parfait’. Le vin a tout le charme truffé du saint-émilion et il est d’un équilibre saisissant. On sent que ce vin noble a atteint le sommet de ses subtilités. Le homard est parfaitement exécuté.
Le pigeon va accueillir deux vins très différents qui vont accumuler 15 votes de premier sur les 21 possibles. 70% des votes de premier sont pour ces deux seuls vins.
Le Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1984 a tout pour me séduire car il a l’âme de la Romanée Conti. Il peut surprendre certains convives car il est canaille après l’Ausone, qui était très premier de la classe. Il a des teints de terre et des saveurs de sel, mais surtout il se comporte comme souvent, le vin expressif qui ne veut pas convaincre. Il est hors des sentiers conventionnels et c’est ce que j’adore.
A côté de lui l’Hermitage La Sizeranne Chapoutier 1949, c’est la France tranquille. Il est solide, construit, clair et facile à comprendre mais d’une richesse de style qui convainc tout le monde. Je sens autour de moi un très grand étonnement : comment un vin de 1949, qui a 75 ans, peut-il être aussi vivace, épanoui et joyeux. C’est la magie des vins anciens. L’accord avec le pigeon très bien traité est total.
A l’ouverture des vins j’avais trouvé que les deux bouteilles du Clos Du Bourg Vouvray Moelleux 1959 manquaient un peu d’énergie mais en fait le comté a créé un accord absolument divin qui a donné au Vouvray une énergie supplémentaire. Son moelleux délicat est très séduisant.
J’aurais sans doute dû mettre le Filhot avant le Suduiraut, car le Château Suduiraut Sauternes 1959 est d’une puissance extrême. Il est riche, puissant et envahit aussi bien le nez que le palais par sa force de séduction. Le millésime 1959 est très grand en Sauternes. Le pamplemousse rose est idéal et frais mais le granité froid a tendance à anesthésier l’accord.
Le Château Filhot 1928 est d’une année mythique. On ressent que ce vin est beaucoup moins puissant que 1959 mais sa subtilité gracieuse s’exprime bien avec une tarte Tatin à la mangue réussie.
J’ai apporté une surprise pour cet aimable groupe. C’est une grande bouteille de plus d’un litre d’un Black Head Rum de la maison Cazenove à Bordeaux qui est un West Indies Rum. L’étiquette a un écusson central avec le dessin de la tête d’un jeune noir aux yeux exorbités. On imagine volontiers qu’une telle étiquette serait impossible aujourd’hui aussi bien par le nom ou par l’image. Je l’ai montré à toute la table promettant de le servir après les votes, ce qui devait encourager à voter vite.
Recueillir le classement de 21 personnes n’est pas chose simple, mais tout le monde s’est prêté à cet exercice sans problème. Cinq vins ont eu l’honneur d’être nommés premiers, l’Hermitage La Sizeranne Chapoutier 1949 bénéficiant de dix votes de premier, le Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1984 recevant 5 votes de premier, l’Ausone 1970 trois votes, le champagne Henriot 1996 deux votes de premier et le chablis 1976 un vote de premier. Tous les vins ont eu au moins un vote sauf le Veuve Clicquot mais cela est compréhensible, car c’est le vin de bienvenue, qui est souvent oublié en fin de repas.
Le classement de l’ensemble de la table est : 1 – Hermitage La Sizeranne Chapoutier 1949, 2 – Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1984, 3 – Magnum Château Ausone 1970, 4 – Magnum Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1996, 5 – Château Suduiraut Sauternes 1959, 6 – Bâtard Montrachet Fontaine & Vion 1990.
Mon classement est : 1 – Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1984, 2 – Magnum Château Ausone 1970, 3 – Hermitage La Sizeranne Chapoutier 1949, 4 – Chablis Vaudésir la Valadière 1976, 5 – Magnum Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1996.
J’ai servi moi-même les verres à ceux qui voulaient boire ce rhum. Il est d’une couleur très foncée et sa puissance est étonnante. Il fait certainement plus de 50°. On n’est pas du tout dans le charme et la rondeur d’un rhum mais plutôt dans la puissance d’un alcool très boisé un peu torréfié. Je l’adore absolument car sa vivacité est attachante. Un bonheur qui m’émeut de la part d’une bouteille rare.
Il est difficile de le dater mais je pense, ayant vu le bouchon noirci dans sa partie basse, qu’il est probablement de la décennie des années 30 ou peut-être des années 40. Ayant versé le rhum, des gouttes coulaient sur ma main. J’ai dû laver mes mains au moins trois fois et le parfum restait intense sur ma main.
L’ami qui a invité ce groupe a un talent pour animer que j’avais déjà constaté au précédent dîner qui fait que l’ambiance est joyeuse, amicale et fort agréable. Il avait même prévu que les convives changent de place deux fois en cours de repas ce qui a animé encore plus les conversations.
Le chef Paul Genthon et la pâtissière Juliette Le Floc’h ont réalisé des plats qui ont accompagné idéalement les vins servis par Avishek Bhugaloo et son équipe. Le directeur Dimitri Auriant a coordonné tout le déroulement avec pertinence. Ce fut un dîner parfait dans une belle ambiance. On ne demande qu’à recommencer.